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EN COMPAGNIE DE LA BELLE-AU-BOIS-DORMANT

Chủ đề trong 'Văn học' bởi Angelique, 19/05/2001.

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  1. Angelique

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    HISTOIRE DE LA DUCHESSE DE CICOGNE ET DE M. DE BOULINGRIN
    QUI DORMIRENT CENT ANS EN COMPAGNIE DE LA BELLE-AU-BOIS-DORMANT
    ===============================================================

    ---I---

    L'histoire de la Belle-au-Bois-dormant est bien connue ; on en a d'excellents rộcits en vers et en prose. Je n'entreprendrai pas de la conter de nouveau ; mais, ayant eu communication de plusieurs mộmoires du temps, restộs inộ***s, j'y ai trouvộ des anecdotes relatives au roi Cloche et la reine Satine, dont la fille dormit cent ans, ainsi qu'a divers personnages de la Cour qui partagốrent le sommeil de la princesse. Je me propose de communiquer au public ce qui, dans ces rộvộlations, m'a paru le plus intộressant.

    Aprốs plusieurs annộes de mariage, la reine Satine donna au roi son ộpoux une fille qui reỗut les noms de Paule-Marie-Aurore. Les fờtes du baptờme furent rộglộes, par le duc des Hoisons, grand maợtre des cộrộmonies, d'aprốs un formulaire qui datait de l'empereur Honorius et ou l'on ne pouvait rien dộchiffrer tant il ộtait moisi et rongộ des rats.

    Il y avait encore des fộes en ce temps-l, et celles qui ộtaient titrộes allaient la Cour. Sept d'entre elles furent priộes d'ờtre marraines, la reine Titania, la reine Mab, la sage Viviane, ộlevộe par Merlin dans l'art des enchantements, Mộlusine, dont Jean d'Arras ộcrivit l'histoire et qui devenait serpente tous les samedis (mais le baptờme se fit un dimanche), Urgốle, la blanche Anna de Bretagne et Mourgue qui emmena Ogier le Danois dans le pays d'Avalon.

    Elles parurent au chõteau en robes couleur du temps, du soleil, de la lune, et des nymphes, et tout ộtincelantes de diamants et de perles. Comme chacun prenait place table, on vit entrer une vieille fộe, nommộe Alcuine, qu'on n'avait pas invitộe.

    -- Ne vous fõchez pas, madame, lui *** le roi, de n'ờtre point parmi les personnes priộes cette fờte ; on vous croyait enchantộe ou morte.

    Les fộes mouraient sans doute puisqu'elles vieillissaient. Elles ont toutes fini par mourir et chacun sait que Mộlusine est devenue en enfer ô souillarde de cuisine ằ. Par l'effet d'un enchantement, elles pouvaient ờtre enfermộes dans un cercle magique, dans un arbre, dans un buisson, dans une pierre, ou changộes en statue, en biche, en colombe, en tabouret, en bague, en pantoufle. Mais en rộalitộ ce n'ộtait pas parce qu'on la pensait enchantộe ou trộpassộe, qu'on n'avait pas invitộ la fộe Alcuine ; c'ộtait qu'on avait jugộ sa prộsence au banquet contraire l'ộtiquette. Madame de Maintenon a pu dire sans la moindre exagộration qu'ô il n'y a point dans les couvents d'austộritộs pareilles celles auxquelles l'ộtiquette de la Cour assujettit les grands ằ. Conformộment au royal vouloir de son souverain, le duc des Hoisons, grand maợtre des cộrộmonies, s'ộtait refusộ prier la fộe Alcuine, qui manquait un quartier de noblesse pour ờtre admise la Cour. Aux ministres d'ẫtat reprộsentant qu'il ộtait de la plus grande importance de mộnager cette fộe vindicative et puissante, dont on se faisait une ennemie dangereuse en l'excluant des fờtes, le roi avait rộpondu pộremptoirement qu'il ne saurait l'inviter puisqu'elle n'ộtait pas nộe.

    Ce malheureux monarque, plus encore que ses prộdộcesseurs, ộtait esclave de l'ộtiquette. Son obstination a soumettre les plus grands intộrờts et les devoirs les plus pressants aux moindres exigences d'un cộrộmonial surannộ a plus d'une fois causộ la monarchie de graves dommages et fait courir au royaume de redoutables pộrils. De tous ces pộrils et de tous ces dommages, ceux auxquels Cloche exposait sa maison en refusant de faire flộchir l'ộtiquette en faveur d'une fộe sans naissance, mais illustre et redoutable, n'ộtaient ni les plus difficiles prộvoir ni les moins urgents conjurer.

    La vieille Alcuine, enragộe du mộpris qu'elle essuyait, jeta la princesse Aurore un don funeste. A quinze ans, belle comme le jour, cette royale enfant devait mourir d'une blessure fatale, causộe par un fuseau, arme innocente aux mains des femmes mortelles, mais terrible quand les trois Soeurs filandiốres y tordent et y enroulent le fil de nos destinộes et les fibres de nos coeurs.

    Les sept marraines fộes purent adoucir, mais non pas abolir l'arrờt d'Alcuine ; et le sort de la princesse fut ainsi fixộ : ô Aurore se percera la main d'un fuseau ; elle n'en mourra pas, mais elle tombera dans un sommeil de cent ans dont le fils d'un roi viendra la rộveiller. ằ

    ---II---

    Currite ducentes subtemina, currite, fusi. (CAT)

    Anxieusement, le roi et la reine interrogốrent sur l'arrờt qui frappait la princesse au berceau toutes les personnes de savoir et de sens, notamment M. Gerberoy, secrộtaire perpộtuel de l'Acadộmie des sciences, et le docteur Gastinel, accoucheur de la reine.

    -- Monsieur Gerberoy, demanda Satine, peut-on bien dormir cent ans ?

    -- Madame, rộpon*** l'acadộmicien, nous avons des exemples de sommeils plus ou moins longs, dont je puis citer quelques-uns Votre Majestộ. ẫpimộnide de Cnossos naquit des amours d'un mortel et d'une nymphe. ẫtant encore enfant, il fut envoyộ par Dosiadốs, son pốre, garder les troupeaux dans la montagne. Quand les ardeurs de midi embrasốrent la terre, il se coucha dans une grotte obscure et fraợche et s'y endormit d'un sommeil qui dura cinquante-sept ans. Il ộtudia les vertus des plantes et mourut cent cinquante quatre ans, selon les uns, deux cent quatre-vingt dix-neuf, selon les autres.

    ô L'histoire des sept dormants d'ẫphốse est rapportộe par Thộodore et Rufin dans un ộcrit scellộ de deux sceaux d'argent. En voici les principaux faits, rapidement exposộs. L'an 25, aprốs Jộsus-Christ, sept officiers de l'empereur Decius, qui avaient embrassộ la religion chrộtienne, distribuốrent leurs biens aux pauvres, se rộfugiốrent sur le mont Cộlion et s'endormirent tous les sept dans une ****rne. Sous le rốgne de Thộodore, l'ộvờque d'ẫphốse les y trouva brillants comme des roses. Ils avaient dormi cent quarante-quatre ans.

    ô Frộdộric Barberousse dort encore. Dans une crypte, sous les ruines d'un chõteau, au milieu d'une ộpaisse forờt, il est assis devant une table dont sa barbe fait sept fois le tour. Il se rộveillera pour chasser les corbeaux qui croassent autour de la montagne.

    ô Voil, madame, les plus grands dormeurs dont l'histoire ait gardộ le souvenir.

    -- Ce sont l des exceptions, rộpliqua la reine. Vous, monsieur Gastinel, qui pratiquez la mộdecine, Avez-vous vu des personnes dormir cent ans ?

    -- Madame, rộpon*** l'accoucheur, je n'en ai pas vu prộcisộment et je ne pense pas en voir jamais ; mais j'ai observộ des Cas curieux de lộthargie que je puis, si elle le dộsire, porter la connaissance de votre Majestộ. Il y a dix ans, une demoiselle Jeanne Caillou, reỗue l'Hụtel Dieu, y dormit six annộes consộcutives. J'ai moi mờme observộ la fille Lộonide Montauciel, qui s'endormit le jour de Põques de l'an 61 pour ne s'ộveiller qu'au jour de Põques de l'annộe suivante.

    -- Monsieur Gastinel, demanda le roi, la pointe d'un fuseau peut-elle causer une blessure qui fasse dormir cent ans ?

    -- Sire, ce n'est pas probable, rộpon*** M. Gastinel, mais dans le domaine de la pathologie, nous ne pouvons jamais dire avec assurance : ô Cela sera, cela ne sera pas. ằ

    -- On peut citer, *** M. Gerberoy, Brunhild, qui, piquộe par une ộpine, s endormit et fut rộveillộe par Sigurd.

    -- Il y a aussi Guenillon, *** madame la duchesse de Cicogne, premiốre dame de la reine.

    Et elle fredonna :

    Il m'envoya-t au bois
    Pour cueillir la nouzille.
    Le bois ộtait trop haut,
    La belle trop petite.
    Le bois ộtait trop haut,
    La belle trop petite.
    Elle se mit en main
    Une tant verte ộpine.
    Elle se mit en main
    Une tant verte ộpine.
    A la douleur du doigt
    La belle s'est endormieS

    -- A quoi pensez-vous, Cicogne, *** la reine ? Vous chantez ?

    -- Que Votre Majestộ me pardonne, rộpon*** la duchesse. C'est pour conjurer le sort.

    Le roi fit publier un ộ*** par lequel il dộfendait a toutes personnes de filer au fuseau ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort. Chacun obộit. On disait encore dans les campagnes ô Le fuseau doit suivre le hoyau ằ, mais c'ộtait par habitude, les fuseaux avaient couru.

    III ---

    Le premier ministre qui, sous le faible roi Cloche, gouvernait la monarchie, M. de la Rochecoupộe, respectait les croyances populaires, que tous les grands hommes d'ẫtat respectent. Cộsar ộtait pontife maxime ; Napolộon se fit sacrer par le pape ; M. de la Rochecoupộe reconnaissait la puissance des fộes. Il n'ộtait point sceptique ; il n'ộtait point incrộdule. Il n'arguait pas de faux l'oracle des sept marraines. Mais, n'y pouvant rien, il ne s'en inquiộtait point. C'ộtait son caractốre de ne pas se soucier des maux auxquels il ne savait remộdier. Du reste l'ộvộnement annoncộ n'ộtait pas, selon toute apparence, imminent. M. de la Rochecoupộe avait les vues d'un homme d'ẫtat, et les hommes d'ẫtat ne voient jamais au del du moment prộsent. Je parle des plus perspicaces et des plus pộnộtrants. Enfin, supposer qu'un jour ou l'autre, la fille du roi s'endormợt pour un siốcle, ce n'ộtait ses yeux qu'une affaire de famille, puisque la loi salique excluait les femmes du trụne.

    Il avait, comme il le disait, bien d'autres chats fouetter. La banqueroute, la hideuse banque route, ộtait l, menaỗant de consumer les biens et l'honneur de la nation. La famine sộvissait dans le royaume et des millions de malheureux mangeaient du plõtre au lieu de pain. Cette annộe-l, le bal de l'Opộra fut trốs brillant et les masques plus beaux que de coutume.

    Les paysans, les artisans, les gens de boutique et les filles de thộõtre s'affligeaient l'envi de la malộdiction fatale qu'Alcuine avait donnộe l'innocente princesse. Au contraire les seigneurs de la Cour et les princes du sans royal s'y mon traient fort indiffộrents. Et il y avait partout des hommes d'affaires et des hommes de science qui ne croyaient point l'arrờt des fộes, pour cette raison qu'ils ne croyaient pas aux fộes.

    Tel ộtait M. de Boulingrin, secrộtaire d'ẫtat aux Finances. Ceux qui se demanderont comment il pouvait n'y pas croire puisqu'il les avait vues, ignorent jusqu'oự peut aller le scepticisme dans un esprit raisonneur. Nourri de Lucrốce, imbu des doctrines d'ẫpicure et de Gassendi, il impatientait souvent M. de la Rochecoupộe par l'ộtalage d'un froid afộisme.

    -- Si ce n'est pour vous soyez croyant pour le public, lui disait le premier ministre. Mais, en vộritộ, il y a des moments oự je me demande, mon cher Boulingrin, qui de nous deux est le plus crộdule l'endroit des fộes. Je n'y pense jamais et vous en parlez toujours.

    -- M. de Boulingrin aimait tendrement madame la duchesse de Cicogne, femme de l'ambassadeur Vienne, premiốre dame de la reine, qui appartenait a la plus haute aristocratie du royaume, femme d'esprit, un peu sốche, un peu regardante et qui perdait au pharaon ses revenus, ses terres et sa chemise. Elle avait des bontộs pour M. de Boulingrin et ne se refusait pas un commerce auquel elle n'ộtait point portộe par tempộrament, mais qu'elle estimait convenable son rang et utile a ses intộrờts. Leur liaison ộtait formộe avec un art qui rộvộlait leur bon goỷt et l'ộlộgance des moeurs rộgnantes ; cette liaison s'avouait, dộpouillant par son aveu toute basse hypocrisie, et se montrait en mờme temps si rộservộe, que les plus sộvốres n'y voyaient rien redire.

    Pendant le temps que la duchesse passait chaque annộe sur ses terres, M. de Boulingrin logeait dans un vieux pigeonnier sộparộ du chõteau de son amie par un chemin creux qui longeait une mare oự les grenouilles jetaient, la nuit, dans les joncs, leurs cris assidus.

    Or, un soir, tandis que les derniers reflets du soleil teignaient d'une couleur de sang les eaux croupies, le secrộtaire d'ẫtat aux Finances vit, au carrefour du chemin, trois jeunes fộes qui dansaient en rond et chantaient :

    Trois filles dedans un prộ...
    Mon coeur vole.
    Mon coeur vole,
    Mon coeur vole votre grộ.

    Elles l'enfermốrent dans leur ronde et agitốrent vivement autour de lui leurs formes minces et lộgốres. Leurs visages, dans le crộpuscule, ộtaient obscurs et limpides ; leurs chevelures brillaient comme des feux follets.

    Elles rộpộtốrent :

    Trois filles dedans un prộ...

    tant que, ộtourdi, prờt a tomber, il demanda grõce.

    Alors la plus belle, ouvrant la ronde ;

    -- Mes soeurs, donnez congộ a monsieur de Boulingrin qui va-t-au chõteau baiser sa belle.

    Il passa sans avoir reconnu les fộes, maợtresses des destinộes, et, quelques pas plus loin, il rencontra trois vieilles besaciốres qui marchaient toutes courbộes sur leurs bõtons et ressemblaient de visage trois pommes cuites dans les cendres. A travers leurs haillons passaient des os plus recouverts de crasse que de chair. Leurs pieds nus allongeaient dộmesurộment des doigts dộcharnộs, semblables aux osselets d'une queue de boeuf.

    Du plus loin qu'elles l'aperỗurent, elles lui firent des sourires et lui envoyốrent des baisers ; elles l'arrờtốrent au passage j l'appelốrent leur mignon, leur amour, leur coeur, le couvrirent de caresses auxquelles il ne pouvait ộchapper, car, au premier mouvement qu'il faisait pour fuir, elles lui enfonỗaient dans la chair les crochets aigus qui terminaient leurs mains.

    -- Qu'il est beau ! qu'il est joli ! soupiraient elles.

    Avec une longue frộnộsie elles le sollicitent les aimer. Puis, voyant qu'elles ne parviennent point ranimer ses sens glacộs d'horreur, elles l'accablent d'invectives, le frappent coups redoublộs de leurs bộquilles, le renversent terre, le foulent aux pieds et, quand il est accablộ, brisộ, moulu, perclus de tous ses membres, la plus jeune, qui a bien quatre-vingts ans, s'accroupit sur lui, se trousse et l'arrose d'un liquide infect. Il en est aux trois quarts suffoquộ ; et tout aussitụt les deux autres, remplaỗant la premiốre, inondent le mal heureux gentilhomme d'une eau tout aussi puante. Enfin toutes trois s'ộloignent en le saluant d'un ô Bonsoir, mon Endymion ! Au revoir, mon Adonis ! Adieu, beau Narcisse ! ằ et le laissent ộvanoui,

    Quand il reprit ses sens, un crapaud, prốs de lui, filait dộlicieusement des sons de flỷte et une nuộe de moustiques dansait devant la lune. Il se releva trốs grand'peine et acheva en boitant sa course.

    Cette fois encore, M. da Boulingrin avait mộconnu les fộes, maợtresses des destinộes.

    La duchesse de Cicogne l'attendait avec impatience.

    -- Vous venez bien tard, mon ami.

    Il lui rộpon***, en lui baisant les doigts, qu'elle ộtait bien aimable de le lui reprocher. Et il s'excusa sur ce qu'il avait ộtộ un peu souffrant.

    -- Boulingrin, lui *** elle, asseyez-vous l.

    Et elle lui confia qu'elle consentirait volontiers recevoir de la cassette royale Un don de deux mille ộcus, propre corriger les injures du sort son ộgard, le pharaon lui ayant ộtộ depuis six mois terriblement contraire.

    Sur l'avis que la chose pressait, Boulingrin ộcrivit aussitụt M. de la Rochecoupộe pour lui demander la Homme d'argent nộcessaire.

    La Rochecoupộe se fera une joie de vous l'obtenir, ***-il. Il est obligeant et se plaợt servir ses amis. J'ajouterai qu'on lui reconnaợt plus de talents qu'on n'en voit d'ordinaire aux favoris des princes. Il a le goỷt et l'intelligence des affaires ; mais il manque de philosophie. Il croit aux fộes, sur le tộmoignage de ses sens.

    -- Boulingrin, *** la duchesse, vous puez le pissat de chat.

    ---IV---

    Dix-sept ans, jour pour jour, s'ộtaient ộcoulộs depuis l'arrờt des fộes. La dauphine ộtait belle comme un astre. Le roi et la reine habitaient avec la Cour la rộsidence agreste des Eaux Perdues. Qu'ai-je le besoin de conter ce qu'il advint alors ? On sait comment la princesse Aurore, courant un jour dans le chõteau, alla jusqu'au faợte d'un donjon oự, dans un galetas, une bonne vieille, seulette, filait sa quenouille. Elle n'avait pas entendu parler des dộfenses que le roi avait faites de filer au fuseau.

    -- Que faites-vous l, ma bonne femme ? demanda la princesse.

    -- Je file, ma belle enfant, lui rộpon*** la vieille, qui ne la connaissait pas.

    -- Ah ! que cela est joli ! reprit la dauphine. Comment faites-vous ? Donnez-moi, que je voie si j'en ferais bien autant.

    Elle n'eut pas plutụt pris le fuseau qu'elle s'en perỗa la main et tomba ộvanouie. (Contes de Perrault, ộ***ion Andrộ Lefốvre, p. 86.)

    Le roi Cloche, averti que l'arrờt des fộes ộtait accompli, fit mettre la princesse endormie dans la chambre bleue, sur un lit d'azur brodộ d'argent.

    Agitộs et consternộs, les courtisans s'apprờtaient des larmes, essayaient des soupirs et se composaient une douleur. De toutes parts se formaient les intrigues ; on annonỗait que le roi renvoyait ses ministres. De noires calomnies couvaient. On disait que le duc de la Rochecoupộe avait composộ un philtre pour endormir la dauphine et que M. de Boulingrin ộtait son complice.

    La duchesse de Cicogne grimpa par le petit escalier chez son vieil ami, qu'elle trouva en bonnet de nuit, souriant, car il lisait la Fiancộe du roi de Garbe.

    Cicogne lui conta la nouvelle et comment la dauphine ộtait en lộthargie sur un lit de satin bleu. Le secrộtaire d'ẫtat l'ộcouta attentivement :

    -- Vous ne pensez point, j'espốre, chốre amie, qu'il y ait la moindre fộerie l dedans, ***-il.

    Car il ne croyait pas aux fộes, bien que trois d'entre elles, anciennes et vộnộrables, l'eussent assommộ de leur amour et de leurs bộquilles et trempộ jusques aux os d'une liqueur infecte, pour lui prouver leur existence. C'est le dộfaut de la mộthode expộrimentale, employộe par ces dames, que l'expộrience s'adresse aux gens, dont on peut toujours rộcuser le tộmoignage.

    -- Il s'agit bien de fộes ! s'ộcria Cicogne. L'accident de madame la dauphine peut nous faire le plus grand tort a vous et moi. On ne manquera pas de l'attribuer l'incapacitộ des ministres, a leur malveillance peut-ờtre. Sait-on jusqu'oự peut aller la calomnie ? On vous accuse dộj de lộsine. A les en croire, vous avez refusộ, sur mes conseils intộressộs, de payer des gardes la jeune et infortunộe princesse. Bien plus ! on parle de magie noire, d'envoỷtements. Il faut faire face a l'orage. Montrez-vous ou vous ờtes perdu.

    -- La calomnie, *** Boulingrin, est le flộau du monde ; elle a tuộ les plus grands hommes. Quiconque sert honnờtement son roi doit se rộsoudre payer le tribut a ce monstre qui rampe et qui vole.

    -- Boulingrin, *** Cicogne, habillez-vous.

    Et elle lui arracha son bonnet de nuit, qu'elle jeta dans la ruelle.

    Un instant aprốs, ils ộtaient dans l'antichambre de l'appartement oự dormait Aurore, et s'asseyaient sur une banquette, attendant d'ờtre introduits.

    Or, la nouvelle que l'arrờt des destins ộtait accompli, la fộe Viviane, marraine de la princesse se ren*** en grande hõte aux Eaux-Perdues, et, pour composer une Cour sa filleule au jour oự celle-ci devait se rộveiller, elle toucha de sa baguette tout ce qui ộtait dans le chõteau a gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers, maợtres d'hụtel, cuisiniers, marmitons, galopins, gardes, suisses, pages, valets de pied ; elle toucha aussi tous 109 chevaux qui ộtaient dans les ộcuries, avec les palefreniers, les gros mõtins de la basse-cour et la petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui ộtait auprốs d'elle sur son lit. Les broches mờme, qui ộtaient au feu toutes pleines de perdrix et de faisans, s'endormirent. (Contes de Perrault, p. 87.)

    Cependant Cicogne et Boulingrin attendaient cụte cụte sur leur banquette.

    -- Boulingrin, souffla la duchesse son vieil ami dans le tuyau de l'oreille, est-ce que cette affaire ne vous paraợt pas louche ? N'y soupỗonnez-vous pas une intrigue des frốres du roi pour amener le pauvre homme abdiquer ? On le sait bon pốre... Ils ont bien pu vouloir le jeter dans le dộsespoir. . .

    -- C'est possible, rộpon*** le secrộtaire d'ẫtat. Dans tous les cas, il n'y a pas la moindre fộerie dans cette affaire. Les bonnes femmes de campagne peuvent seules croire encore ces contes de MộlusineS

    -- Taisez-vous, Boulingrin, fit la duchesse. Il n'y a rien d'odieux comme les sceptiques. Ce sont des impertinents qui se moquent de notre simplicitộ. Je hais les esprits forts ; je crois ce qu'il faut croire ; mais je soupỗonne ici une sombre intrigue. . .

    Au moment oự Cicogne prononỗait ces paroles, la fộe Viviane les toucha tous deux de sa baguette et les endormit comme les autres.

    ---V---

    ô Il crỷt dans un quart d'heure, tout autour du parc, une si grande quantitộ de grands arbres et de petits, de ronces et d'ộpines entre lacộes les unes dans les autres, que bờte ni homme n'y auraient pu passer ; en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des tours du chõteau ; encore n'ộtait-ce que de bien loin. ằ (Contes de Perrault, pp. 87- 88.)

    Une fois, deux fois, trois fois, cinquante, soixante, octante, nonante et cent fois Uranie referma l'anneau du Temps, et la Belle avec sa cour et Boulingrin auprốs de la duchesse sur la banquette de l'antichambre dormaient encore.

    Soit qu'on regarde le temps comme un mode de la substance unique, soit qu'on le dộfinisse une des formes du moi sentant ou un ộtat abstrait de l'extộrioritộ immộdiate, soit qu'on en fasse purement une loi, un rapport rộsultant du processus des choses rộelles, nous pouvons affirmer qu'un siốcle est un certain espace de temps.

    ---VI---

    Chacun sait la fin de l'enchantement et comment, aprốs cent cycles terrestres, un prince favorisộ par les fộes traversa le bois enchantộ et pộnộtra jus qu'au lit oự dormait la princesse. C'ộtait un principicule allemand qui avait une jolie moustache et des hanches orbiculaires et dont, aussitụt rộveillộe, elle tomba ou plutụt se leva amoureuse et qu'elle suivit dans sa petite principautộ avec une telle prộcipitation qu'elle n'adressa pas mờme une parole aux personnes de sa maison qui avaient dormi cent ans avec elle.

    Sa premiốre dame d'honneur en fut touchộe et s'ộcria avec admiration ;

    -- Je reconnais le sang de mes rois.

    Boulingrin se rộveilla au cụte de la duchesse de Cicogne en mờme temps que la dauphine et toute sa maison. Comme il se frottait les yeux :

    -- Boulingrin, lui *** sa belle amie, vous avez dormi.

    -- Non pas, rộpon***-il, non pas, chốre madame.

    Il ộtait de bonne foi. Ayant dormi sans rờves, il ne s'apercevait pas qu'il avait dormi.

    -- J'ai, ***-il, si peu dormi que je puis vous rộpộter ce que vous venez de dire la seconde.

    -- Eh bien, qu'est-ce que je viens de dire ?

    -- Vous venez de dire : ô Je soupỗonne ici une sombre intrigue... ằ

    Toute la petite Cour fut congộdiộe aussitụt que rộveillộe ; chacun dut pourvoir selon ses moyens sa rộfection et son ộquipement.

    Boulingrin et Cicogne louốrent au rộgisseur du chõteau une guimbarde du dix-septiốme siốcle, attelộe d'un canasson dộj fort vieux quand il s'ộtait endormi d'un sommeil sộculaire, et se firent conduire la gare des Eaux-Perdues, ou ils prirent un train qui les mit en deux heures dans la capitale du royaume. Leur surprise ộtait grande de tout ce qu'ils voyaient et de tout ce qu'ils entendaient. Mais, au bout d'un quart d'heure, ils eurent ộpuisộ leur ộtonnement et rien ne les ộmerveilla plus. Eux-mờmes ils n'intộressaient personne. On ne comprenait absolument rien leur histoire ; elle n'ộveillait aucune curiositộ, car notre esprit ne s'attache ni ce qui est trop clair ni ce qui est trop obscur pour lui. Boulingrin, comme on peut croire, ne s'expliquait pas le moins du monde ce qu'il lui ộtait arrivộ. Mais, quand la duchesse lui disait que tout cela n'ộtait point naturel, il lui rộpondait :

    -- Chốre amie, permettez-moi de vous dire que vous avez une bien mauvaise physique. Rien n'est qui ne soit naturel.

    Il ne leur restait plus ni parent, ni amis, ni biens. Ils ne purent retrouver l'emplacement de leur demeure. Du peu d'argent qu'ils avaient sur eux, ils achetốrent une guitare et chantốrent dans les rues. Ils gagnốrent ainsi de quoi manger. Cicogne jouait la manille, la nuit, dans les cabarets, tous les sous qu'on lui avait jetộs dans la journộe et, pendant ce temps, Boulingrin, devant un saladier de vin chaud, expliquait aux buveurs qu'il est absurde de croire aux fộes.

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