1. Tuyển Mod quản lý diễn đàn. Các thành viên xem chi tiết tại đây

HAMLET - ACTE DEUXIÈME

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi despi, 23/08/2001.

  1. 1 người đang xem box này (Thành viên: 0, Khách: 1)
  1. despi

    despi Thành viên rất tích cực

    Tham gia ngày:
    29/04/2001
    Bài viết:
    1.990
    Đã được thích:
    1
    HAMLET - ACTE DEUXIÈME

    ACTE DEUXIME

    ---------------------------------------------

    SCNE I

    UNE CHAMBRE DANS LA MAISON DE POLONIUS
    Entrent POLONIUS et REYNALDO

    POLONIUS
    Donnez-lui cet argent et ces billets, Reynaldo.

    REYNALDO
    Oui, monseigneur.

    POLONIUS
    Il sera merveilleusement sage, bon Reynaldo, avant de l'aller voir, de vous enqurir de sa conduite.

    REYNALDO
    Monseigneur, c'tait mon intention.

    POLONIUS
    Bien ***, pardieu! trs bien ***! Voyez-vous, mon cher! sachez-moi d'abord quels sont les Danois qui sont Paris; comment, avec qui, de quelles ressources, ó ils vivent; quelle est leur socit, leur dpense; et une fois assur, par ces volutions et ce mange de questions, qu'ils connaissent mon fils, avancez-vous plus que vos demandes n'auront l'air d'y toucher. Donnez-vous comme ayant de lui une connaissance loigne, en disant, par exemple : Je connais son pre et sa famille, et un peu lui-mme. Comprenez-vous bien, Reynaldo?

    REYNALDO
    Oui, trs bien, monseigneur.

    POLONIUS
    Et un peu lui-mme : mais, (pourrez-vous ajouter) bien imparfaitement; d'ailleurs, si c'est bien celui dont le parle, c'est un jeune homme trs drang, adonn ceci ou cela... et alors mettez-lui sur le dos tout ce qu'il vous plaira d'inventer; rien cependant d'assez odieux pour le dshonorer; faites-y attention; tenez-vous, mon cher, ces lgrets, ces folies, ces carts usuels, bien connus comme insparables de la jeunesse en libert.

    REYNALDO
    Par exemple, monseigneur, l'habitude de jouer.

    POLONIUS
    Oui; ou de boire, de tirer l'pe, de jurer, de se quereller, de courir les filles : vous pouvez aller jusque-l.

    REYNALDO
    Monseigneur, il y aurait l de quoi le dshonorer!

    POLONIUS
    Non, en vrit; si vous savez temprer la chose dans l'accusation. N'allez pas ajouter sa charge qu'il est dbauch par nature: ce n'est pas l ce que je veux dire; mais effleurez si lgrement ses torts, qu'on n'y voie que les fautes de la libert, l'tincelle et l'ruption d'un cerveau en feu, et les carts d'un sang indompt, qui emporte tous les jeunes gens.

    REYNALDO
    Mais, mon bon seigneur...

    POLONIUS
    Et quel effet devrez-vous agir ainsi?

    REYNALDO
    C'est justement, monseigneur, ce que je voudrais savoir.

    POLONIUS
    Eh bien, mon cher, voici mon but, et je crois que c'est un plan infaillible. Quand vous aurez imput mon fils ces lgres imperfections qu'on verrait chez tout tre un peu souill par l'action du monde, faites bien attention! Si votre interlocuteur, celui que vous voulez sonder, a jamais remarqu aucun des vices numrs par vous chez le jeune homme dont vous lui parlez vaguement, il tombera d'accord avec vous de cette faon: Cher monsieur, ou mon ami, ou seigneur! suivant le langage et la formule adopts par le pays ou par l'homme en question.

    REYNALDO
    Trs bien, monseigneur.

    POLONIUS
    Eh bien, donc, monsieur, alors il... alors... Qu'est-ce que j'allais dire? J'allais dire quelque chose. O en tais-je?

    REYNALDO
    Vous disiez: Il tombera d accord de cette faon...

    POLONIUS
    il tombera d'accord de cette faon... Oui. Morbleu, il tombera d'accord avec vous comme ceci : Je connais le jeune homme, le l'ai vu hier ou l'autre jour, telle ou telle poque; avec tel et tel; et, comme vous disiez, il tait l louer; ou : Je l'ai surpris boire, ou, se querellant au jeu de paume; ou, peut-tre : Je l'ai vu entrer dans telle maison suspecte (videlicet, un bordel), et ainsi de suite. Vous voyez maintenant: la carpe de la vrit se prend l'hameon de vos mensonges; et c'est ainsi que, nous autres, hommes de bon sens et de porte, en entortillant le monde et en nous y prenant de biais, nous trouvons indirectement notre direction. Voil comment, par mes instructions et mes avis pralables, vous connaỵtrez mon fils. Vous m'avez compris, n'est-ce pas?

    REYNALDO
    Oui, monseigneur.

    POLONIUS
    Dieu soit avec vous! Bon voyage!

    REYNALDO
    Mon bon seigneur...

    POLONIUS
    Faites par vous-mme l'observation de ses penchants.

    REYNALDO
    Oui, monseigneur.

    POLONIUS
    Et laissez-le jouer sa musique.

    REYNALDO
    Bien, monseigneur.

    POLONIUS
    Adieu! (Reynaldo sort.)

    Entre OPHLIA

    Eh bien! Ophlia, qu'y a-t-il?

    OPHLIA
    Oh ! monseigneur ! monseigneur, j'ai t si effraye!

    POLONIUS
    De quoi, au nom du ciel?

    OPHLIA
    Monseigneur, j'tais coudre dans ma chambre, lorsque est entr le seigneur Hamlet, le pourpoint tout dbraill, la tte sans chapeau, les bas chiffonns, sans jarretires et retombant sur la cheville, ple comme sa chemise, les genoux s'entrechoquant, enfin avec un aspect aussi lamentable que s'il avait t lch de l'enfer pour raconter des horreurs... Il se met devant moi...

    POLONIUS
    Son amour pour toi l'a rendu fou!

    OPHLIA
    Je n'en sais rien, monseigneur, mais, vraiment, j'en ai peur.

    POLONIUS
    Qu'a-t-il ***?

    OPHLIA
    Il m'a prise par le poignet et m'a serre trs fort. Puis, il s'est loign de toute la longueur de son bras; et, avec l'autre main pose comme cela au-dessus de mon front, il s'est mis tudier ma figure comme s'il voulait la dessiner. Il est rest longtemps ainsi. Enfin, secouant lgrement mon bras, et agitant trois fois la tte de haut en bas, il a pouss un soupir si pitoyable et si profond qu'on ẻt *** que son corps allait clater et que c'tait sa fin. Cela fait, il m'a relche; et, la tte tourne par-dessus l'paule, il semblait trouver son chemin sans y voir, car il a franchi les portes sans l'aide de ses yeux, et, jusqu' la fin, il en a dtourn la lumire sur moi.

    POLONIUS
    Viens avec moi : je vais trouver le roi. C'est bien l le dlire mme de l'amour: il se frappe lui-mme dans sa violence, et entraỵne la volont des entreprises dsespres, plus souvent qu'aucune des passions qui, sous le ciel, accablent notre nature. Je suis fch! Ah , lui auriez-vous *** dernirement des paroles dures?

    OPHLIA
    Non, mon bon seigneur; mais, comme vous me l'aviez command, j'ai repouss ses lettres et je lui ai refus tout accs prs de moi.

    POLONIUS
    C'est cela qui l'a rendu fou. Je suis fch de n'avoir pas mis plus d'attention et de discernement le juger. Je craignais que ce ne ft qu'un jeu, et qu'il ne voult ton naufrage. Mais, mau***s soient mes soupons ! il semble que c'est le propre de notre ge de pousser trop loin la prcaution dans nos jugements, de mme que c'est chose commune parmi la jeune gnration de manquer de retenue. Viens, allons trouver le roi. Il faut qu il sache tout ceci : le secret de cet amour peut provoquer plus de malheurs
    que sa rvlation de colres. Viens. (Ils sortent.)

    SCNE II

    ------------------------------------------
    UNE SALLE DANS LE CHTEAU
    Entrent LE ROI et LA REINE, et leur suite,
    ROSENCRANTZ et GUILDENSTERN

    LE ROI
    Soyez les bienvenus, cher Rosencrantz et vous Guildenstern! Outre le dsir que nous avions de vous voir, le besoin que nous avons de vos services nous a provoqu vous mander en toute hte. Vous avez su quelque chose de la transformation d'Hamlet; je dis transformation, car, l'extrieur comme l'intrieur, c'est un homme qui ne se ressemble plus. Un motif autre que la mort de son pre a-t-il pu le mettre ce point hors de son bon sens? Je ne puis en juger. Je vous en supplie tous deux, vous qui avez t levs ds l'enfance avec lui, et tes rests depuis ses camarades de jeunesse et de gỏts, daignez rsider ici notre cour quelque temps encore, pour que votre compagnie le rappelle vers le plaisir; et recueillez tous les indices que vous pourrez glaner dans l'occasion afin de savoir si le mal inconnu qui l'accable ainsi ne serait pas, une fois dcouvert, facile pour nous gurir.

    LA REINE
    Chers messieurs, il a parl beaucoup de vous; et il n'y a pas, j'en suis sre, deux hommes au monde auxquels il soit plus attach. Si vous vouliez bien nous montrer assez de courtoisie et de bienveillance pour passer quelque temps avec nous, afin d'aider l'accomplissement de notre esprance, cette visite vous vaudra des remerciements dignes de la reconnaissance d'un roi.

    ROSENCRANTZ
    Vos Majests pourraient, en vertu du pouvoir souverain qu'elles ont sur nous, signifier leur bon plaisir redout, comme un ordre plutơt que comme une prire.

    GUILDENSTERN
    Nous obirons tous deux; et tout courbs, nous nous engageons ici mettre libralement nos services vos pieds, sur un commandement.

    LE ROI
    Merci, Rosencrantz! Merci, gentil Guildenstern!

    LA REINE
    Merci, Guildenstern! Merci, gentil Rosencrantz! Veuillez, je vous en supplie, vous rendre sur-le-champ auprs de mon fils. Il est bien chang!
    (Se tournant vers sa suite.) Que quelques-uns de vous aillent conduire ces messieurs l ó est Hamlet!

    GUILDENSTERN
    Fasse le ciel que notre prsence et nos soins lui soient agrables et salutaires!

    LA REINE
    Amen! (Sortent Rosencrantz, Guildenstern et quelques hommes de la suite.)

    Entre POLONIUS

    POLONIUS, au roi
    Mon bon seigneur, les ambassadeurs sont joyeusement revenus de Norvge.

    LE ROI
    Tu as toujours t le pre des bonnes nouvelles.

    POLONIUS
    Vrai, monseigneur? Soyez sr, mon bon suzerain, que mes services, comme mon me, sont vous en mme temps mon Dieu et mon gracieux roi. (A part, au roi.) Et je pense, moins que ma cervelle ne sache plus suivre la piste d'une affaire aussi srement que de coutume, que j'ai dcouvert la cause mme de l'tat lunatique d'Hamlet.

    LE ROI
    Oh! parle! il me tarde de t'entendre.

    POLONIUS
    Donnez d'abord audience aux ambassadeurs, ma nouvelle sera le dessert de ce grand festin.

    LE ROI
    Fais-leur toi-mme les honneurs, et introduis-les. (Polonius sort. la reine.) Il me ***, ma douce reine, qu'il a dcouvert le principe et la source de tout le trouble de votre fils.

    LA REINE
    Je doute fort que ce soit autre chose que le grand motif, la mort de son pre et notre mariage prcipit.

    Rentre POLONIUS, avec VOLTIMAND et CORNLIUS

    LE ROI
    Bien! nous l'examinerons. Soyez les bienvenus, mes bons amis! Parlez, Voltimand! que nous portez-vous de la part de notre frre de Norvge?

    VOLTIMAND
    Le plus ample renvoi de compliments et de voeux. Ds notre premire entrevue, il a expdi l'ordre de suspendre les leves de son neveu, qu'il avait prises pour des prparatifs contre les Polonais, mais qu'aprs meilleur examen il a reconnues pour tre diriges contre Votre Altesse. Indign de ce qu'on ẻt ainsi abus de sa maladie, de son ge, de son impuissance, il a fait arrter Fortinbras, lequel s'est soumis sur-le-champ, a reu les rprimandes du Norvgien, et enfin a fait voeu devant son oncle de ne jamais diriger de tentative arme contre Votre Majest. Sur quoi, le vieux Norvgien, accabl de joie, lui a accord trois mille couronnes de traitement annuel, ainsi que le commandement pour employer les soldats, levs par lui, contre les Polonais. En mme temps il vous prie, par les prsentes, (il remet au roi un papier) de vouloir bien accorder un libre passage travers vos domaines pour cette exp***ion, sous telles con***ions de srets et de garanties qui sont proposes ici.

    LE ROI
    Cela ne nous dplaỵt pas. Nous lirons cette dpche plus loisir, et nous y rpondrons aprs y avoir rflchi. En attendant, nous vous remercions de votre bonne besogne. Allez vous reposer; ce soir nous nous attablerons ensemble soyez les bienvenus chez nous! (Sortent Voltimand et Cornlius.)

    POLONIUS
    Voil une affaire bien termine. Mon suzerain et madame, discuter ce que doit tre la majest royale, ce que sont les devoirs des sujets, pourquoi le jour est le jour, la nuit la nuit, et le temps le temps, ce serait perdre la nuit, le jour et le temps. En consquence, puisque la brivet est l'me de l'esprit et que la prolixit en est le corps et la floraison extrieure, je serai bref. Votre noble fils est fou, je dis fou; car dfinir en quoi la folie vritable consiste, ce serait tout simplement fou. Mais laissons cela.

    LA REINE
    Plus de faits, et moins d'art!

    POLONIUS
    Madame, je n'y mets aucun art, je vous jure. Que votre fils est fou, cela est vrai. Il est vrai que c'est dommage, et c'est dommage que ce soit vrai. Voil une sotte figure. Je dis adieu l'art et vais parler simplement. Nous accordons qu'il est fou. Il reste maintenant dcouvrir la cause de cet effet, ou plutơt la cause de ce mfait; car cet effet est le mfait d'une cause. Voil ce qui reste faire, et voici le reste du raisonnement. Pesez bien mes paroles. J'ai une fille (je l'ai, tant qu'elle est mienne) qui, remplissant son devoir d'obissance... suivez bien !... m'a remis ceci. Maintenant, m***ez tout, et concluez. (Il lit.) la cleste idole de mon me, la belle des belles, Ophlia. Voil une mauvaise phrase, une phrase vulgaire; belle des belles est une expression vulgaire; mais coutez : Qu'elle garde ceci sur son magnifique sein blanc!

    LA REINE
    Quoi! ceci est adress par Hamlet Ophlia?

    POLONIUS
    Attendez, ma bonne dame, je cite textuellement:
    (Lisant:)
    Doute que les astres soient de flammes,
    Doute que le soleil tourne,
    Doute que la vrit soit la vrit,
    Mais ne doute jamais de mon amour!
    Ơ chre Ophlia, je suis mal l'aise en ces vers je n'ai point l'art d'aligner mes soupirs; mais je t'aime bien! Oh! par-dessus tout! Crois-le. Adieu! toi pour toujours, ma dame chrie, tant que cette machine mortelle m'appartiendra!

    HAMLET.
    Voil ce que, dans son obissance, m'a remis ma fille. Elle m'a confi, en outre, toutes les sollicitations qu'il lui adressait, avec tous les dtails de l'heure, des moyens et du lieu.

    LE ROI
    Mais comment a-t-elle accueilli son amour?

    POLONIUS
    Que pensez-vous de moi?

    LE ROI
    Ce que je dois penser d'un homme fidle et honorable.

    POLONIUS
    Je voudrais toujours l'tre. Mais que penseriez-vous de moi, si, quand j'ai vu cet ardent amour prendre essor (je m'en tais aperu, je dois vous le dire, avant que ma fille m'en ẻt parl), que penseriez-vous de moi, que penserait de moi Sa Majest bienaime, la reine ici prsente, si, jouant le rơle de pupitre ou d'album, ou faisant de mon coeur un complice muet, j'avais regard cet amour d'un oeil indiffrent? Que penseriez-vous de moi ?... Non. Je suis all rondement au fait, et j'ai *** cette petite maỵtresse : Le seigneur Hamlet est un prince hors de ta sphre. Cela ne doit pas tre. Et alors je lui ai donn pour prcepte de se tenir enferme hors de sa porte, de ne pas admettre ses messagers, ni recevoir ses cadeaux. Ce que faisant, elle a pris les fruits de mes conseils; et lui (pour abrger l'histoire), se voyant repouss, a t pris de tristesse, puis d'inapptence, puis d'insomnie, puis de faiblesse, puis de dlire, et enfin, par aggravation, de cette folie qui l'gare maintenant et nous met tous en deuil.

    LE ROI
    Croyez-vous que cela soit?

    LA REINE
    C'est trs probable.

    POLONIUS
    Quand m'est-il arriv, je voudrais le savoir, de dire positivement: Cela est, lorsque cela n'tait pas?

    LE ROI
    Jamais, que je sache.

    POLONIUS, montrant sa tte et ses paules
    Sparez ceci de cela, s'il en est autrement. Pourvu que les circonstances me guident, je dcouvrirai toujours la vrit, ft-elle cache, ma foi dans le
    centre de la terre.

    LE ROI
    Comment nous assurer de la chose?

    POLONIUS
    Vous savez que parfois, il se promne pendant quatre heures de suite, ici, dans la galerie.

    LA REINE
    Oui, c'est vrai.

    POLONIUS
    Au moment ó il y sera, je lui lcherai ma fille; cachons-nous alors, vous et moi, derrire une tapisserie. Surveillez l'entrevue. S'il est vrai qu'il ne l'aime pas, si ce n'est pas pour cela qu'il a perdu la raison, que je cesse d'assister aux conseils de l'tat et que j'aille gouverner une ferme et des charretiers!

    LE ROI
    Essayons cela.

    Entre HAMLET, lisant

    LA REINE
    Voyez le malheureux qui s'avance tristement, un livre la main.

    POLONIUS
    loignez-vous, je vous en conjure, loignez-vous tous deux ; je veux l'aborder sur-le-champ. Oh! laissez-moi faire. (Sortent le roi, la reine et leur suite.) Comment va mon bon seigneur Hamlet?

    HAMLET
    Bien, Dieu merci!

    POLONLUS
    Me reconnaissez-vous, monseigneur?

    HAMLET
    Parfaitement, parfaitement vous tes un marchand de poisson.

    POLONIUS
    Non, monseigneur.

    HAMLET
    Alors, je voudrais que vous fussiez honnte comme un de ces gens-l.

    POLONIUS
    Honnte, monseigneur?

    HAMLET
    Oui, monsieur. Pour trouver un honnte homme, au train dont va le monde, il faut choisir entre dix mille.

    POLONIUS
    C'est bien vrai, monseigneur.

    HAMLET
    Le soleil, tout dieu qu'il est, fait produire des vers un chien mort, en baisant sa charogne. Avez-vous une fille?

    POLONIUS
    Oui, monseigneur.

    HAMLET
    Ne la laissez pas se promener au soleil : la conception est une bndiction du ciel; mais, comme votre fille peut concevoir, ami, prenez garde.

    POLONIUS
    Que voulez-vous dire par l? ( part.) Toujours rabcher de ma fille ! ... Cependant il ne m'a pas reconnu d'abord il m'a *** que j'tais un marchand de poisson. Il n'y est plus ! il n'y est plus! Et, de fait, dans ma jeunesse, l'amour m'a rduit une extrmit bien voisine de celle-ci. Parlons-lui encore. (Haut.) Que lisez-vous l, monseigneur?

    HAMLET
    Des mots, des mots, des mots!

    POLONIUS
    De quoi est-il question, monseigneur?

    HAMLET
    Entre qui?

    POLONIUS
    Je demande de quoi il est question dans ce que vous lisez, monseigneur!

    HAMLET
    De calomnies, monsieur! Ce coquin de satiriste *** que les vieux hommes ont la barbe grise et la figure ride, que leurs yeux jettent une ambre paisse comme la gomme du prunier, qu'ils ont une abondante disette d'esprit, ainsi que des jarrets trs faibles. Toutes choses, monsieur, que je crois de toute ma puissance et de tout mon pouvoir, mais que je regarde comme inconvenant d'imprimer ainsi car vous-mme, monsieur, vous auriez le mme ge que moi, si, comme une crevisse, vous pouviez marcher reculons.

    POLONIUS, part
    Quoique ce soit de la folie, il y a pourtant l de la suite. (Haut.)
    Irez-vous changer d'air, monseigneur?

    HAMLET
    O cela? Dans mon tombeau?

    POLONIUS
    Ce serait, en ralit, changer d'air... ( part.) Comme ses rpliques sont parfois grosses de sens! Heureuses reparties qu'a souvent la folie, et que la raison et le bon sens ne trouveraient pas avec autant d'-propos. Je vais le quitter et combiner tout de suite les moyens d'une rencontre entre lui et ma fille. (Haut.) Mon honorable seigneur, je vais trs humblement prendre cong de vous.

    HAMLET
    Vous ne sauriez, monsieur, rien prendre dont je fasse plus volontiers l'abandon, except ma vie, except
    ma vie.

    POLONIUS
    Adieu, monseigneur!

    HAMLET, part
    Sont-ils fastidieux, ces vieux fous!

    Entrent ROSENCRANTZ et GULLDENSTERN

    POLONIUS
    Vous cherchez le seigneur Hamlet? Le voil.

    ROSENCRANTZ, Polonius
    Dieu vous garde, monsieur! (Sort Polonius.)

    GUILDENSTERN
    Mon honor seigneur!

    ROSENCRANTZ
    Mon trs cher seigneur!

    HAMLET
    Mes bons, mes excellents amis! Comment vas-tu, Guildenstern? Ah! Rosencrantz! Braves enfants, comment vous trouvez-vous?

    ROSENCRANTZ
    Comme la moyenne des enfants de la terre.

    GUILDENSTERN
    Heureux, en ce sens que nous ne sommes pas trop heureux. Nous ne sommes point l'aigrette du chapeau de la fortune.

    HAMLET
    Ni la semelle de son soulier?

    ROSENCRANTZ
    Ni l'une ni l'autre, monseigneur.

    HAMLET
    Alors vous vivez prs de sa ceinture, au centre de ses faveurs.

    GUILDENSTERN
    Oui, nous sommes de ses amis privs.

    HAMLET
    Dans les parties secrtes de la fortune? Oh! rien de plus vrai c'est une catin. Quelles nouvelles?

    ROSENCRANTZ
    Aucune, monseigneur, si ce n'est que le monde est devenu vertueux.

    HAMLET
    Alors le jour du jugement est proche; mais votre nouvelle n'est pas vraie. Laissez-moi vous faire une question plus personnelle qu'avez-vous donc fait la fortune, mes bons amis, pour qu'elle vous envoie en prison ici?

    GUILDENSTERN
    En prison, monseigneur?

    HAMLET
    Le Danemark est une prison.

    ROSENCRANTZ
    Alors le monde en est une aussi.

    HAMLET
    Une vaste prison, dans laquelle il y a beaucoup de cellules, de cachots et de donjons. Le Danemark est un des pires.

    ROSENCRANTZ
    Nous ne sommes pas de cet avis, monseigneur.

    HAMLET
    C'est qu'alors le Danemark n'est point une prison pour vous; car il n'y a de bien et de mal que selon l'opinion qu'on a. Pour moi, c'est une prison.

    ROSENCRANTZ
    Soit! Alors c'est votre ambition qui en fait une prison pour vous : votre pense y est trop l'troit.

    HAMLET
    Ơ Dieu! je pourrais tre enferm dans une coquille de noix, et me regarder comme le roi d'un espace infini, si je n'avais pas de mauvais rves.

    GUILDENSTERN
    Ces rves-l sont justement l'ambition; car toute la substance de l'ambition n'est que l'ombre d'un rve.

    HAMLET
    Un rve n'est lui-mme qu'une ombre.

    ROSENCRANTZ
    C'est vrai; et je tiens l'ambition pour chose si ắrienne et si lgre, qu'elle n'est que l'ombre d'un rve.

    HAMLET
    En ce cas, nos gueux sont des corps, et nos monarques et nos hros dmesurs sont les ombres des gueux... Irons-nous la cour? car, franchement, je ne suis pas en train de raisonner.

    ROSENCRANTZ et GUILDENSTERN
    Nous vous accompagnerons.

    HAMLET
    Il ne s'agit pas de cela je ne veux pas vous confondre avec le reste de mes serviteurs; car, foi d'honnte homme! je suis terriblement accompagn. Ah ! pour parler avec le laisser-aller de l'amiti, qu'tes-vous venus faire Elseneur?

    ROSENCRANTZ
    Vous voir, monseigneur. Pas d'autre motif.

    HAMLET
    Gueux comme je le suis, je suis pauvre mme en remerciements; mais je ne vous en remercie pas moins, et je vous assure, mes bons amis, mes remerciements sont trop chers un sou. Vous a-t-on envoy chercher; ou venez-vous me voir spontanment, de votre plein gr? Allons, agissez avec moi en confiance; allons, allons! parlez.

    GUILDENSTERN
    Que pourrions-nous dire, monseigneur?

    HAMLET
    Eh bien, n'importe quoi... qui rponde ma question. On vous a envoy chercher : il y a dans vos regards une sorte d'aveu que votre candeur n'a pas le talent de colorer. Je le sais : le bon roi et la bonne reine vous ont envoy chercher.

    ROSENCRANTZ
    Dans quel but, monseigneur?

    HAMLET
    C'est ce qu'il faut m'apprendre. Ah! laissez-moi vous conjurer: par les droits de notre camaraderie, par l'harmonie de notre jeunesse, par les devoirs de notre amiti toujours constante, enfin par tout ce qu'un meilleur orateur pourrait invoquer de plus tendre, soyez droits et francs avec moi. Vous a-t-on envoy chercher, oui ou non?

    ROSENCRANTZ, Guildenstern
    Que ***es-vous?

    HAMLET, part
    Oui, allez ! j'ai l'oeil sur vous. (Haut.) Si vous m'aimez, ne me cachez rien.

    GUILDENSTERN
    Monseigneur, on nous a envoy chercher.

    HAMLET
    Je vais vous dire pourquoi. De cette manire, mes pressentiments rviendront vos aveux, et votre discrtion envers le roi et la reine ne perdra rien de son duvet. J'ai depuis peu, je ne sais pourquoi, perdu toute ma gaiet, renonc tous mes exercices accoutums; et, vraiment, tout pse si lourdement mon humeur, que la terre, cette belle cration, me semble un promontoire strile. Le ciel, ce dais splendide, regardez! ce magnifique plafond, ce toit majestueux, constell de flammes d'or, eh bien! il ne m'apparaỵt plus que comme un noir amas de vapeurs pestilentielles. Quel chef-d'oeuvre que l'homme! Qu'il est noble dans sa raison! Qu'il est infini dans ses facults! Dans sa force et dans ses mouvements, comme il est expressif et admirable ! par l'action, semblable un ange! par la pense, semblable un Dieu! C'est la merveille du monde! l'animal idal! Et pourtant qu'est mes yeux cette quintessence de poussire? L'homme n'a pas de charme pour moi... ni la femme non plus, quoi que semble dire votre sourire.

    ROSENCRANTZ
    Monseigneur, il n'y a rien de cela dans ma pense.

    HAMLET
    Pourquoi avez-vous ri, alors, quand j'ai *** : L'homme n'a pas de charme pour moi?

    ROSENCRANTZ
    C'est que je me disais, monseigneur, puisque l'homme n'a pas de charme pour vous, quel maigre accueil vous feriez aux comdiens que nous avons accosts en route, et qui viennent ici vous offrir leurs services.

    HAMLET
    Celui qui joue le roi sera le bienvenu: Sa Majest recevra tribut de moi; le chevalier errant aura le fleuret et l'cu; l'amoureux ne soupirera pas gratis; le personnage lugubre achvera en paix son rơle; le bouffon fera rire ceux dont une toux sche chatouille les poumons; et la princesse exprimera librement sa passion, dt le vers blanc en tre estropi... Quels
    sont ces comdiens?

    ROSENCRANTZ
    Ceux-l mmes qui vous charmaient tant d'habitude, les tragdiens de la Cit.

    HAMLET
    Par quel hasard deviennent-ils ambulants? Une rsidence fixe, et pour l'honneur et pour le profit, leur serait plus avantageuse.

    ROSENCRANTZ
    Je crois qu'elle leur est inter***e en consquence de la dernire innovation.

    HAMLET
    Sont-ils aussi estims que lorsque j'tais en ville? Sont-ils aussi suivis ?

    ROSENCRANTZ
    Non, vraiment, ils ne le sont pas.

    HAMLET
    D'ó cela vient-il? Est-ce qu'ils commencent se rouiller?

    ROSENCRANTZ
    Non, leur zle ne se ralentit pas; mais vous saurez, monsieur, qu'il nous est arriv une niche d'enfants, peine sortis de l'oeuf, qui rcitent tout du mme ton criard, et qui sont applaudis avec fureur pour cela; ils sont maintenant la mode, et ils clabaudent si fort contre les thtres ordinaires (c'est ainsi qu'ils les appellent), que bien des gens portant l'pe ont peur des plumes d'oie, et n'osent plus y aller.

    HAMLET
    Comment! ce sont des enfants? Qui les entretient? D'ó tirent-ils leur cot? Est-ce qu'ils ne continueront pas leur mtier quand leur voix aura mu? Et si, plus tard, ils deviennent comdiens ordinaires (ce qui est trs probable, s'ils n'ont pas d'autre ressource), ne diront-ils pas que les auteurs de leur troupe ont eu grand tort de leur faire diffamer leur futur gagne-pain?

    ROSENCRANTZ
    Ma foi ! il y aurait beaucoup faire de part et d'autre; et la nation ne se fait pas faute de les pousser la querelle. Il y a eu un temps ó la pice ne rapportait pas d'argent, moins que tous les rivaux, potes et acteurs, n'en vinssent aux coups.

    HAMLET
    Est-il possible ?

    GUILDENSTERN
    Il y a eu dj bien des cervelles broyes.

    HAMLET
    Et ce sont les enfants qui l'emportent?

    ROSENCRANTZ
    Oui, monseigneur: ils emportent Hercule et son fardeau.

    HAMLET
    Ce n'est pas fort surprenant. Tenez mon oncle est roi de Danemark; eh bien! ceux qui lui auraient fait la grimace du vivant de mon pre donnent vingt, quarante, cinquante et cent ducats pour son portrait en miniature. Sangdieu! il y a l quelque chose qui n'est pas naturel : si la philosophie pouvait l'expliquer! (Fanfare de trompettes derrire le thtre.)

    GULLDENSTERN
    Les acteurs sont l.

    HAMLET
    Messieurs, vous tes les bienvenus Elseneur. Votre main! Approchez. Les devoirs de l'hospitalit sont la courtoisie et la politesse laissez-moi m'acquitter envers vous dans les rgles, de peur que ma cordialit envers les comdiens, qui, je vous le dclare, doit tre noblement ostensible, ne paraisse dpasser celle que je vous tmoigne. Vous tes les bienvenus; mais mon oncle-pre et ma tante-mre sont dans l'erreur.

    GUILDENSTERN
    En quoi, mon cher seigneur?

    HAMLET
    Je ne suis fou que par le vent du nord-nord-ouest: quand le vent est au sud, je peux distinguer un faucon d'un hron.

    Entre POLONIUS

    POLONIUS
    Salut, messieurs!

    HAMLET
    coutez, Guildenstern... ( Rosencrantz) et vous aussi; pour chaque oreille un au***eur. Ce grand bambin que vous voyez l, n'est pas encore hors de ses langes.

    ROSENCRANTZ
    Peut-tre y est-il revenu; car on *** qu'un vieillard est enfant pour la seconde fois.

    HAMLET
    Je vous prdis qu'il vient pour me parler des comdiens. Attention !... Vous avez raison, monsieur, c'est effectivement lundi matin...

    POLONIUS
    Monseigneur, j'ai une nouvelle vous apprendre.

    HAMLET
    Monseigneur, j'ai une nouvelle vous apprendre. Du temps que Roscius tait acteur Rome...

    POLONIUS
    Les acteurs viennent d'arriver ici, monseigneur.

    HAMLET
    Bah! bah!

    POLONIUS
    Sur mon honneur.

    HAMLET
    Alors arriva chaque acteur sur son ne.

    POLONIUS
    Ce sont les meilleurs acteurs du monde pour la tragdie, la comdie, le drame historique, la pastorale, la comdie pastorale, la pastorale historique, la tragdie historique, la pastorale tragico-comicohistorique; pices sans divisions ou pomes sans limites. Pour eux, Snque ne peut tre trop lourd, ni Plaute trop lger. Pour concilier les rgles avec la libert, ils n'ont pas leurs pareils.

    HAMLET
    Ơ Jepht ! juge d'Isrăl, quel trsor tu avais!

    POLONIUS
    Quel trsor avait-il, monseigneur?

    HAMLET
    Eh bien!
    Une fille unique charmante
    Qu'il aimait passionnment.

    POLONIUS, part
    Toujours ma fille!

    HAMLET
    Ne suis-je pas dans le vrai, vieux Jepht?

    POLONIUS
    Si vous m'appelez Jepht, monseigneur, c'est que j'ai une fille que j'aime passionnment.

    HAMLET
    Non, cela ne s'ensuit pas.

    POLONIUS
    Qu'est-ce donc qui s'ensuit, monseigneur?

    HAMLET
    Eh bien!
    Mais par hasard Dieu sait pourquoi.
    Et puis, vous savez:
    Il arriva, comme c'tait probable...
    Le premier couplet de cette pieuse complainte vous en apprendra plus long; mais regardez, voici qui me fait abrger.

    (Entrent quatre ou cinq comdiens.)

    Vous tes les bienvenus, mes maỵtres; bienvenus tous! ( l'un d'eux.) Je suis charm de te voir bien portant... Bienvenus, mes bons amis !... (A un autre.) Oh! ce vieil ami! comme ta figure s'est aguerrie depuis que je ne t'ai vu; viens-tu en Danemark pour me faire la barbe ?... Et vous, ma jeune dame, ma princesse! Par Notre-Dame! Votre Grce, depuis que je ne vous ai vue, est plus rapproche du ciel de toute la hauteur d'un sabot vnitien. Priez Dieu que votre voix, comme une pice d'or qui n'a plus cours, ne se fle pas dans le cercle de votre gosier ! ... Maỵtres, vous tes tous les bienvenus. Vite, la besogne, comme les fauconniers franais, et lanons-nous aprs la premire chose venue. Tout de suite une tirade ! Allons ! donnez-nous un chantillon de votre talent; allons! une tirade passionne!

    PREMIER COMDIEN
    Quelle tirade, monseigneur?

    HAMLET
    Je t'ai entendu dclamer une tirade qui n'a jamais t ***e sur la scne, ou, dans tous les cas, ne l'a t qu'une fois ; car la pice, je m'en souviens, ne plaisait pas la foule; c'tait du caviar pour le populaire; mais, selon mon opinion et celle de personnes dont le jugement, en pareilles matires, a plus de retentissement que le mien, c'tait une excellente pice, bien conduite dans toutes les scnes, crite avec autant de rserve que de talent. On disait, je m'en souviens, qu'il n'y avait pas assez d'pices dans les vers pour rendre le sujet savoureux, et qu'il n'y avait rien dans le style qui pt faire accuser l'auteur d'affectation; mais on trouvait la pice d'un gỏt honnte, aussi saine que suave, et beaucoup plutơt belle par la simplicit que par la recherche. Il y avait surtout un passage que j'aimais : c'tait le rcit d'ne Didon, et spcialement l'endroit ó il parle du meurtre de Priam. Si ce morceau vit dans votre mmoire, commencez ce vers... Voyons... voyons

    Pyrrhus hriss comme la bte d'Hyrcanie,

    Ce n'est pas cela : a commence par Pyrrhus...
    Le hriss Pyrrhus avait une armure de sable,
    Qui, noire comme ses desseins, ressemblait la nuit,
    Quand il tait couch dans le cheval sinistre.
    Mais son physique affreux et noir est barbouill
    D'un blason plus effrayant des pieds la tte,
    Il est maintenant tout gueules ; il est horriblement color
    Du sang des mres, des pres, des filles, des fils,
    Cuit et empt sur lui par les maisons en flamme
    Qui prtent une lumire tyrannique et damne
    ces vils massacres. Rơti par la fureur et par le feu,
    Et ainsi enduit de caillots coaguls,
    Les yeux comme des escarboucles, l'infernal Pyrrhus
    Cherche l'anctre Priam.

    Maintenant, continuez, vous!

    POLONIUS
    Par Dieu! monseigneur, voil qui est bien ***! Bon accent et bonne mesure!

    PREMIER COMDIEN
    Bientơt il le trouve
    Lanant sur les Grecs des coups trop courts; son antique pe,
    Rebelle son bras, reste ó elle tombe,
    Indocile au commandement. Lutte ingale!
    Pyrrhus pousse Priam; dans sa rage, il frappe cơt;
    Mais le sifflement et le vent de son pe cruelle suffisent
    Pour faire tomber l'ạeul nerv. Alors Ilion, inanime,
    Semble ressentir ce coup de ses sommets embrass
    Elle s'affaisse sur sa base et, dans un fracas affreux,
    Fait prisonnire l'oreille de Pyrrhus. Mais tout coup son pe,
    Qui allait tomber surla tte blanche comme le lait
    Du vnrable Priam, semble suspendue dans l'air.
    Ainsi Pyrrhus est immobile comme un tyran en peinture;
    Et, restant neutre entre sa volont et son oeuvre,
    Il ne fait rien.
    Mais, de mme que nous voyons souvent, l'approche de l'orage,
    Le silence dans les cieux, les nuages immobiles,
    Les vents hardis sans voix, et la terre au-dessous
    Muette comme la mort, puis tout coup un effroyable clair
    Qui dchire la rgion cleste; de mme, aprs ce moment d'arrt,
    Une fureur vengeresse ramne Pyrrhus l'oeuvre;
    Et jamais les marteaux des Cyclopes ne tombrent
    Sur l'armure de Mars, pour en forger la trempe ternelle,
    Avec moins de remords que l'pe sanglante de Pyrrhus
    Ne tombe maintenant sur Priam.
    Arrire, arrire, Fortune ! prostitue! Vous tous, Dieux
    Runis en synode gnral, enlevez-lui sa puissance;
    Brisez tous les rayons et toutes les jantes de sa roue,
    Et roulez-en le moyeu arrondi en bas de la colline du ciel,
    Aussi bas que chez les dmons!

    POLONIUS
    C'est trop long.

    HAMLET
    Nous l'enverrons chez le barbier avec votre barbe... Je t'en prie, continue: il lui faut une gigue ou une histoire de mauvais lieu. Sinon, il s'endort.
    Continue : arrive Hcube.

    PREMIER COMDIEN
    Mais celui, oh! celui qui ẻt vu la reine emmitoufle...

    HAMLET
    La reine emmitoufle?

    POLONIUS
    C'est bien! La reine emmitoufle est bien!

    PREMIER COMDIEN
    Courir pieds nus et l, menaant les flammes
    Des larmes qui l'aveuglent; ayant un chiffon sur cette tte
    O tait nagure un diadme; et, pour robe,
    Autour de ses reins amollis et par trop fconds,
    Une couverture, attrape dans l'alarme de la crainte;
    Celui qui aurait vu cela, la langue trempe dans le venin,
    Aurait dclar la Fortune coupable de trahison.
    Mais si les Dieux eux-mmes l'avaient vue alors
    Qu'elle voyait Pyrrhus se faire un jeu malicieux
    D'mincer avec son pe les membres de son poux,
    Le cri de douleur qu'elle jeta tout coup
    ( moins que les choses de la terre ne les touchent pas du tout),
    Aurait humect les yeux brlants du ciel
    Et passionn les Dieux.

    POLONIUS
    Voyez donc, s'il n'a pas chang de couleur. Il a des larmes aux yeux! Assez, je te prie!

    HAMLET
    C'est bien. Je te ferai dire le reste bientơt. ( Polonius.) Veillez, je vous prie, monseigneur, ce que ces comdiens soient bien traits.
    Entendez-vous? qu'on ait pour eux des gards ! car ils sont le rsum, la chronique abrge des temps. Mieux vaudrait pour vous une mchante pitaphe aprs votre mort que leurs blmes pendant votre vie.

    POLONIUS
    Monseigneur, je les traiterai conformment leurs mrites.

    HAMLET
    Morbleu! l'ami, beaucoup mieux. Traiter chacun d'aprs son mrite, qui donc chappera aux trivires ?... Non. Traitez-les conformment votre propre rang, votre propre dignit. Moins vos gards seront mrits, plus votre bienveillance aura de mrite. Emmenez-les.

    POLONIUS
    Venez, messieurs.
    (Polonius sort avec quelquesuns des acteurs.)

    HAMLET
    Suivez-le, mes amis. Nous aurons une reprsentation demain. (Au premier comdien, auquel il fait signe de rester.) coutez-moi, vieil ami pourriezvous jouer le Meurtre de Gonzague?

    PREMIER COMDIEN
    Oui, monseigneur.

    HAMLET
    Eh bien! vous le jouerez demain soir. Vous pourriez, au besoin, tudier une apostrophe de douze ou quinze vers que j'crirais et que j'y intercalerais? Vous le pourriez, n'est-ce pas?

    PREMIER COMDIEN
    Oui, monseigneur.

    HAMLET
    Fort bien ! ... Suivez ce seigneur, et ayez soin de ne pas vous moquer de lui. (Sort le comdien. A Rosencrantz et Guildenstern.) Mes bons amis, je vous laisse jusqu' ce soir. Vous tes les bienvenus Elseneur.

    ROSENCRANTZ
    Mon bon seigneur!
    (Rosencrantz et Guildenstern sortent.)

    HAMLET
    Oui, que Dieu soit avec vous! Maintenant je suis seul. O misrable rustre, maroufle que je suis ! N'est-ce pas monstrueux que ce comdien, ici, dans une pure fiction, dans le rve d'une passion, puisse si bien soumettre son me sa propre pense, que tout son visage s'enflamme sous cette influence, qu'il a les larmes aux yeux, l'effarement dans les traits, la voix brise, et toute sa personne en harmonie de formes avec son ide? Et tout cela, pour rien! pour Hcube! Que lui est Hcube, et qu'est-il Hcube, pour qu'il pleure ainsi sur elle? Que serait-il donc, s'il avait les motifs et les inspirations de douleur que j'ai? Il noierait la scne dans les larmes, il dchirerait l'oreille du public par d'effrayantes apostrophes, il rendrait fous les coupables, il pouvanterait les innocents, il confondrait les ignorants, il paralyserait les yeux et les oreilles du spectateur bahi! Et moi pourtant, niais ptri de boue, blme coquin, Jeannot rveur, impuissant pour ma propre cause, je ne trouve rien dire, non, rien! en faveur d'un roi qui l'on a pris son bien et sa vie si chre dans un guet-apens damn! Suis-je donc un lche? Qui veut m'appeler manant? me fendre la caboche? m'arracher la barbe et me la souffler la face? me pincer par le nez? me jeter le dmenti par la gorge en pleine poitrine? Qui veut me faire cela? Ah! pour sr, je garderais la chose! Il faut absolument que j'aie le foie d'une tourterelle et que je n'aie pas assez de fiel pour rendre l'injure amre : autrement il y a dj longtemps que j'aurais engraiss tous les milans du ciel avec les entrailles de ce drơle. Sanguinaire et obscne sclrat! sans remords! traỵtre! paillard! ignoble sclrat! O vengeance! Quel ne suis-je donc? Oui-da, voil qui est bien brave! Moi, le fils du cher assassin, moi, que le ciel et l'enfer poussent la vengeance, me borner dcharger mon coeur en paroles, comme une putain, et tomber dans le blasphme, comme une coureuse, comme un marmiton! Fi! quelle honte !...
    En campagne, ma cervelle ! ... Humph! j'ai oụ dire que des cratures coupables, assistant une pice de thtre, ont, par l'action seule de la scne, t frappes dans l'me, au point que, sur-le-champ, elles ont rvl leurs forfaits. Car le meurtre, bien qu'il n'ait pas de langue, trouve pour parler une voix miraculeuse. Je ferai jouer par ces comdiens quelque chose qui ressemble au meurtre de mon pre, devant mon oncle. J'observerai ses traits, je le sonderai jusqu'au vif: pour peu qu'il se trouble, je sais ce que j'ai faire. L'esprit que j'ai vu pourrait bien tre le dmon ; car le dmon a le pouvoir de revtir une forme sduisante; oui! et peut-tre, abusant de ma faiblesse et de ma mlancolie, grce au pouvoir qu'il a sur les esprits comme le mien, me trompe-t-il pour me damner. Je veux avoir des preuves plus directes que cela. Cette pice est la chose ó j'attraperai la conscience du roi. (Il sort.)



    Sayonara!!! Good Night, sleep tight, don't let the bed bugs bite.

Chia sẻ trang này