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L'ART DE MANGER

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi Milou, 31/08/2001.

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  1. Milou

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    07/06/2001
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    LE SYSTEME DE LA CUISINE DANS L'ART DE MANGER


    Dộdiộ Jean-Paul ARON

    Mann ist was er isst.





    1. Remarques mộthodologiques

    La culture du "manger" reste encore un domaine mal connu. C'est un de ces thốmes, comme celui du rụle du climat, que la sociologie n'a guốre touchộ, en dehors des contributions parues ici-mờme, en particulier celles de Mary DOUGLAS et de Hộlốne STROHL. Quand on regarde les bibliographies ou la littộrature on n'y trouve presque rien sur l'art du manger, mais par contraste, on dộcouvre un nombre phộnomộnal et toujours croissant, de livres sur la cuisine, les cuisines exotiques, les recettes de cuisine, etc., qui ne sont guốre orientộs vers le sociologue, mais plutụt vers la Maợtresse de Maison (Hausfrau, Ama de casa) dont le rụle fondamental a ộtộ fixộ par la civilisation "bourgeoise". Au tire de l'information proprement ***e, mentionnons pourtant l'ouvrage de FARB et ARMELAGOS "Consuming Passions". Il semble que personne n'ait fait d'effort de systộmatisation en ce domaine si l'on excepte le remarquable ouvrage descriptif de J.P. ARON : Le mangeur du XIXốme siốcle, et le travail dộsormais classique de Claus RATH : Reste der Tafelrunde, qui traitent de faỗon rộflộchie d'un domaine qui joue un rụle si grand dans la vie quotidienne.

    Le "quotidien" apparaợt d'abord comme un champ de libertộ rộsiduelle, un espace interstitiel, un temps-parenthốses. On peut se demander si le fait d'ộtudier les ộlộments qui le remplissent ne risque pas de contribuer, par le dộtour du systốme de consommation, aller plus loin dans sa prise en compte par le pouvoir social, donc d'ộliminer ce qui fut anciennement libertộ. La prohibition du vacherin au lait cru en serait elle un exemple anecdotique? C'est par exemple le mộcanisme que nous constatons dans l'ộtude des rốgles de la civilitộ oự la libertộ se transforme par le jeu de l'obộissance "librement consentie" en esclavage: le pouvoir de se faire un sandwich la moutarde et la crốme paraợt d'ores et dộj au citoyen occidental dộpasser ses capacitộs de transgression. Et certes, manger va bien au-del de "se nourrir" comme le rappelle l'insulte cộlốbre adressộe par BRILLAT SAVARIN l'univers anglo-saxon :"ils ne mangent pas, ils se nourissent". C'est pourtant dans le quotidien que l'individu dộfend son ờtre, c'est dans le quotidien qu'il se dresse contre les institutions (dont il se sert) et trouve par l son autonomie: jusqu' prộsent il n'y a pas d'espion des mộlanges que la cuisiniốre opốre dans son laboratoire, autre que l'opinion publique.

    L'homme est un ờtre de contradictions: il est le produit de ses dộsirs avant d'ờtre celui de ses besoins; tour tour ces dộsirs contradictoires se prộsentent la scốne de son esprit et leur conjonction n'est pas le produit de sa rationalitộ mais celui de sa volontộ de surpassement : la fonction du piment ou du binụme aigre-doux en sont de bonnes illustrations. Besoins et dộsirs sont des aspects particuliers et dộfinissables qui sont liộs au paysage d'action de l'individu. Les besoins sont durables et apparaissent la conscience de l'ờtre comme des "manques" dans son ờtre. Les dộsirs, eux, sont impulsifs, passagers, et peuvent ờtre remplacộs indộfiniment les uns par les autres. C'est en particulier le rụle de la publicitộ de transformer les dộsirs en besoins pour les rộvộler la conscience comme des "manques". On ne s'ộtonnera pas que la proportion des publicitộs orientộes vers le monde du manger et du boire corresponde peu prốs, celle que nous indique la premiốre couche de la pyramide de MASLOW.



    2. Sur les principes du manger

    La maniốre de manger normale, dans presque toutes les civilisations que nous connaissons bien et dans lesquelles existe une classe moyenne forte qui gouverne la masse, en tout dans son mode de vie, est le systốme des repas rộguliers. L'heure du repas est en soi un critốre de conformitộ avec un style de vie normal, elle est un ộlộment essentiel de la construction du temps au sens de ESCHEL (Les bõtisseurs du temps).

    En fait, trois modalitộs temporelles se proposent pour manger :

    a) manger au hasard, tant en ce qui concerne l'heure que la quantitộ : "j'ai faim, je mange", tant que je peux c'est--dire jusqu' saturation car se nourrir est essentiel puisqu'il con***ionne mon activitộ ultộrieure. Ce fut la nourriture du primitif, semble-t-il, pour lequel manger ộtait alộatoire et s'inscrivait au hasard du calendrier quand la grosse bờte avait ộtộ abattue : aussi longtemps qu'on ộtait capable de manger et jusqu' la prochaine fois. On pourrait dộfinir une sorte de "dynamique" de la nourriture par le rapport entre les quantitộs maximales et minimales que l'homme absorbe journellement, un rapport qui est trốs grand dans les populations qui vivent sous le rốgle de la contingence. L'acte de manger, le festin, se passe l oự il arrive dans la trajectoire de la vie collective des ờtres : on mange cụtộ de la carcasse ou du filet de pờche, la prộsence de la nourriture constitue et rộgit la fois cuisine et lieu du festin, le feu s'y installe mais la table n'y existe pas. Y aurait-il dans certaines activitộs du camping une valeur inconsciente qui nous relie aux anciens õges, d'alternance de disette et d'indigestion ?

    b) les heures de repas rộguliốres : c'est le rộsultat d'un emploi du temps culturel qui implique un rythme, et qui gộnốre un rite; c'est tout particuliốrement la culture bourgeoise, le systốme familial, etc.. Les ressources sont l, en tout cas on les suppose ainsi, et nous y puisons intervalles rộguliers : le garde-manger, dont le rộfrigộrateur est une version moderne, en serait le symbole. La plus grande part de notre civilisation occidentale participe de ce type oự l'agenda repas quotidiens a imposộ sa domination sur la totalitộ de notre vie, une domination la fois discrốte et efficace. Un outil spộcifique du manger s'introduit: la table avec sa surface plane autour de laquelle on s'installe;

    c) manger tout le temps; c'est ce qu'on appelle le grignotage, un terme qui pộnốtre dans l'analyse futurologique de la nourriture. Manger tout le temps est bien un rejet des mours du manger : la table elle-mờme disparaợt; cuillers et assiettes aussi : je mange en marchant, je mange en travaillant, je mange en parlant, et dộsormais, je mange en regardant la tộlộ. Des civilisations entiốres ont fonctionnộ sans table, bien avant le rốgne de la tộlộvision. Il y a une quantitộ phộnomộnale de bonbons, de fruits secs, de pop corn de toutes formes, ma poche, le tiroir de ma table de travail contiennent cacahuốtes et pistaches, voire des miettes de n'importe quoi. On mange tout le temps, ce qui revient dire que plus personne ne mange jamais dans le cadre d'un repas. Manger devient une activitộ inconsciente et plus encore, une activitộ solitaire; on grignote rarement ensemble, mais on ộchange, et il ne vient certes pas l'idộe de l'homme grignotant d'ộtaler quelque part le produit de ce qu'il a amassộ dans sa poche.

    Grignoter se diffộrencie profondộment de l'activitộ nerveuse du fumeur. Mais grignoter n'est pas encore parvenu l'officialitộ de la vie publique, et nộcessite encore des temps interstitiels pour s'exercer. C'est un attribut de la vie : on mange comme on respire, comme on ộcrit, comme on voit la tộlộvision, sans qu'il y ait d'interruption du courant de conscience.



    3. Les heures de repas et le budget-temps

    L'homme ne mange plus dộsormais quand il a fini son travail, ce qui fut la rốgle de l'esclave, du serviteur, maintenant il travaille entre les repas. Le rythme du manger devient dictatorial et influence toutes les activitộs de l'homme. Pourtant il y a une rộtro-action entre heures de repas et plan de travail. Elle fonctionne ainsi :

    a) le rythme familial d'ờtre ensemble est une force qui ordonnance les pulsations temporelles du groupe, il constitue une des conventions minimales de la vie en commun ;

    b) ce rythme gộnốre une force de synchronisation qui circule entre la rộalitộ et l'idộal dộsirộ : ce qui est dộtermine ce qui doit ờtre et la maniốre de l'ờtre, ce qui revient dire que notre organisation de vie va ờtre dộterminộe par le rythme des repas;

    c) les grands rythmes de la vie sociale vont dộterminer les temps de travail qui doivent s'insộrer entre eux, et ceux-ci leur tour vont influencer les heures de repas qui font partie de ces rythmes, etc., en bref les heures de travail dộterminent les heures de repas, et les heures de repas dộterminent les heures de travail. Un bon exemple a contrario nous est proposộ par la contradiction des rythmes qu'a voulu imposer la journộe de travail continue : c'est une falsification des rythmes biologiques qui est bien plutụt reconnue comme un habile trucage des rapports repas/travail elle dộgộnốre trốs vite en un "horaire de travail" diffộrent la "journộe continue" o- les rythmes biologiques reprennent subrepticement leurs droits (pause-cafộ ou pause-sandwich de l'atelier ou du bureau : la pause qui s'impose).



    4. Des goỷts et des plaisirs

    Harry PROSS l'a soulignộ, le plaisir est liộ une activitộ temporelle; il nous faut du temps pour avoir du plaisir, pas de temps, pas de plaisir du manger. Le repas remplit une zone du temps avec une activitộ intentionnelle qui, par l, fait sa place dans le champ de conscience de l'ờtre. Un budget-temps ộmerge donc comme la con***ion du luxe du manger. Mais ce budget-temps est devenu trốs irrộgulier -ce qui ne signifie nullement qu'il sait contingent- et rộparti de faỗons trốs diverses selon les couches de la pyramide sociale. L'ancienne aristocratie avait beaucoup de temps libre sa disposition. Le domaine de travail contemporain se trouve dộterminộ lui-mờme par des contraintes temporelles ộtroites ("vous avez 45 minutes pour manger"). Mais les pauvres et les chụmeurs rộcupốrent un temps libre quasi illimitộ; les chụmeurs apparaợtraient-ils donc comme un nouveau type social qui pourrait renouveler la culture du manger ?

    La nourriture rapide, (fast-food), est un concept nouveau du point de vue temporel. Il a quelque chose de commun avec le grignotage, car il utilise, lui aussi les temps intersticiels, mais avec moins de ces pauses temporelles qui se prộsentaient comme de vộritables atomes de temps : les instants sont surtout, des rộsidus du budget-temps, voire des temps-parenthốses d'uniformitộ. Quand il grignote, l'homme pratique volontiers une autre activitộ, il lit, il ộcrit, il ộcoute la radio, il se dộplace, il se promốne, nous l'avons vu plus haut. Du point de vue du goỷt, fast-food et grignotage ont tous les deux un mờme caractốre d'uniformitộ, l'attention est pour la plus grande part absente du courant de conscience.



    5. La structure gộnộrale du repas

    Le repas est une sộquence d'ộtapes (actomes) toujours prộvisibles de prộparation et de consommation, qui construisent le schộma d'une action signifiante.

    Les ộtapes du repas sont dộcomposộes ainsi par la thộorie des actes :

    1. le produit brut et son obtention
    2. la prộparation pour la cuisson
    3. la cuisson
    4. La prộparation pour le passage sur la table
    5. manger comme action de la main et de la bouche : c'est ce processus qui constitue proprement le noyau organisateur du repas ; ce mộcanisme requererait une ộtude micropsychologique attentive, qui n'a pas ộtộ faite, pour en analyser les rites,
    6. l'apprộciation de la valeur et le plaisir esthộtique



    7) dộbarrasser la table avec ses rộsidus.


    Les repas comportent en gộnộral deux aspects diachroniques l'un dominant : le plat principal et l'autre dominộ : hors d'oeuvre, (Vorspeise), desserts (Nachtisch)

    plat principal + accompagnements

    ces accompagnements n'ont pas la mờme signification sociale : ils sont subordonnộs au principal et n'existent dans la conscience qu' travers lui.

    La structure du plat principal domine donc le repas dans la sộquence de son dộveloppement; il est lui mờme constituộ comme un binụme:

    le "noyau" et l'"excipient"

    Le noyau est un produit relativement concentrộ, la plupart du temps de protộines. Il constitue la Gestalt, la forme, en contraste avec la masse volumineuse de l'excipient qui apparaợt comme une sorte de fond, et qui est gộnộralement constituộe de glucides ou de produits lộgumineux : le beefsteak/frites, la saucisse/choucroute, le poisson et son riz, donnent des exemples ộvidents d'un contraste figure/fond. Il y a donc un jeu dialectique entre la forme et le fond du plat principal dans la quasi totalitộ des civilisations culinaires, l'opposộ des antecộdents (soupes, hors d'ouvres, entrộes) et des successeurs (fromages desserts) qui possốdent une diversitộ non contraignante.

    Il apparaợt que la nature de l'accompagnement, du volume, appartient un nombre extrờmement restreint de catộgories ; nous les connaissons bien : le pain, la pomme de terre, le riz, les põtes, le mais, le manioc ou la semoule, sont des ộlộments universels qui se partagent la planốte et les gộographes, l'avaient dộj notộ. La forme, le noyau, qui contraste avec le fond est, elle, beaucoup plus diversifiộe, tant l'intộrieur d'une mờme civilisation que dans des civilisations diverses qui elles-mờmes exercent des influences entre elles.

    On est alors conduit construire une matrice combinatoire dans laquelle les produits-noyaux divers sont mis en combinaison avec des excipients variộs. Chacune des combinaisons qu'on trouve dans le tableau ci-dessous est alors un titre programme, un nom pour un plat dans le menu.

    Exemples :"poisson frit au riz", "sandwich au jambon"
    pain p.de terre riz põtes maùs farofa semoule
    viande
    volaille
    poisson
    abats
    oufs
    fromage



    Ces catộgories gộnộrales peuvent, bien sỷr, ờtre subdivisộes d'une faỗon plus prộcise, par exemple, maùs : polenta/grains/ộpi,

    pain : biscottes/pita/galettes, etc.

    Chacun des produits du tableau prộcộdent subit une mộtamorphose travers sa prộparation. Ces prộparations obộissent trois paramốtres distincts :

    a) les con***ions de conservation comme facteur de transformation des nourritures, car chacun entraợne des saveurs spộcifiques. Ici s'introduit un problốme temporel d'ộconomie familiale : combien de temps peut-on conserver un produit brut ?



    des minutes : les glaces

    des heures : le lait

    des jours : viande, fromage

    des semaines : la charcuterie

    des mois : les conserves

    des annộes : la confiture



    L'ensemble de ces facteurs joue en combinaison avec : le climat (les Esquimaux ou les Ta&Mac220;?), la durộe spộcifique moyenne du produit naturel liộe aux lois de la biochimie, l'ộconomie de la sociộtộ et la mobilitộ des consommateurs (accốs aux points de distribution), les produits de conservation.

    Parmi les mộthodes de conservation il est facile de citer la cuisson, le fumộ, le sel, l'huile ou la graisse, le sucre, l'alcool, les conservateurs chimiques, etc.

    L'invention du rộfrigộrateur appartient une civilisation technique qui a su conquộrir la planốte ; elle modifie les catộgories de durộe de conservation, - en gros en les dộcalant d'une classe de durộe. Mais elle est une invention rộcente et n'a pas encore exercộ son action profonde sur les systốmes de conservation antộrieurs qui subsistent et s'y superposent.

    La civilisation du rộfrigộrateur a eu une influence durable et profonde sur la conservation, et donc sur la durộe de la nourriture, influence si profonde qu'elle modifie le mode de vie lui-mờme dans le rapport social que l'individu entretient avec ses sources d'approvisionnement. Celles-ci peuvent devenir plus rares donc plus lointaines, autorisant une dispersion de la population. Ce fait nous est marquộ par le shopping du samedi matin mais il est bien plus symbolique encore sur les marchộs lointains de pays faible densitộ. A son tour cet enrichissement de la culture culinaire introduit une rộaction dialectique avec un nouveau mythe du "produit frais" qui se lie l'idộologie de la Nature comme opposộe la Culture.

    On peut noter dans les moyens de conservation de produits fragiles, un aspect incident mais important, propos du lait et de ses dộrivộs : pour ộviter que le lait ne s'altốre, la quasi-totalitộ des civilisations lactộes a inventộ un procộdộ trốs simple, c'est de l'altộrer au prộalable de faỗon contrụlộe : les yogourts, le kộfir, l'ayran, et toute la sộrie des fromages, sont des variantes de ce jeu dialectique entre le frais et le pourri, le pur et le corrompu, le liquide et son rộsidu solide.

    b) le traitement mộcanique : modifier l'apparence extộrieure du produit. La classification la plus simple cet ộgard est la grosseur des particules qui parviendront sur l'assiette. Elle est liộe elle-mờme l'aspect de tactilitộ du manger, au rapport entre la bouche et les aliments, un rapport trốs mal ộtudiộ jusqu' prộsent, autrement que par de vagues descriptions. Quelle est la diffộrence d'apprộhension buccale entre sucre en poudre et sucre en morceaux, entre la semoule et le pain, etc. Une classification simple irait du moulu gros au moulu fin, du morceau la poudre. Les sciences de la Nature disposent de toute une granulomộtrie parfaitement ộtudiộe que connaissent les fabricants de farine mais qu'ignore la science de la cuisine, sauf en termes trốs gộnộraux.

    La pratique culinaire distingue six catộgories granulomộtriques :



    (1) l'entier : le rụti sur la table

    (2) le morceau : la tranche

    (3) le petit morceau (la bouchộe): la brochette

    (4) le broyộ : le hachis

    (5) le moulu : le põtộ

    (6) le pulvộrulent ou l'impalpable: la farine



    c) le mode de cuisson. LEVI-STRAUSS en a *** quelques mots (le cru et le cuit), mais n'a pas poussộ l'analyse descriptive au niveau d'une grille structurale. Nous citerons : le cru, le bouilli, le rụti, le frit, le grillộ, l'embrochộ. Ces modes peuvent comporter des subtilitộs diverses ; par exemple le bouilli peut s'effectuer dans l'eau, le lait, ou dans un bouillon plus ou moins aromatisộ, de mờme frit ou rụti peuvent se faire avec des huiles, des graisses, du beurre, voire de la paraffine, etc. Les gộographes ont bien tracộ les limites territoriales de ces procộdộs de prộparation.

    d) le type de prộsentation au moment du passage du lieu culinaire au lieu du repas en un opộrateur important; il comporte lui-mờme trois paramốtres :

    -la tempộrature : glacộ, froid, tiốde, chaud, brỷlant

    -la prộsentation mộcanique du produit fini sur le plat ou sur l'assiette; les composants divers et en particulier le produit-excipient peuvent ờtre combinộs d'une faỗon symbolique pour donner lieu une synthốse personnelle faite par le consommateur sur son assiette. Ils proposent par l un degrộ de libertộ spộcifique l'individu par rapport la communautộ provisoire et sa norme;

    -enfin, un aspect trốs pertinent s'introduit ce niveau, c'est la notion d'ộpices (Wỹrze) qui constitue un univers en soi, une fonction esthộtique rajoutộe au message sộmantique, que nous dộtaillerons plus loin, car elle est hautement caractộristique des cultures culinaires.



    6. La question du goỷt

    On doit distinguer trois facteurs globaux du goỷt, et elles n'apparaissent pas clairement dans les ouvrages des praticiens :

    -l'odeur (parfum ou arụme: le nez)

    -le goỷt propre (au sens gustatif : la bouche)

    -la perception tactile dont les spộcialistes commencent reconnaợtre la spộcificitộ : semoule, spaghettis, põtộs, fruits, en sont des exemples.

    Cette derniốre commence dộj dans l'assiette : il y a l'onctuositộ ou la rộsistance, il y a l'hộtộrogộneitộ l'intộrieur de la bouche, le jeu mờme des tempộratures (omelette norvộgienne), le rapport liquide/solide, l'ộlasticitộ ou la plasticitộ, quelquefois, plus subtilement, le croquant et le fondant.

    A cet ộgard nous sommes actuellement dans une situation o- les connaissances non explicites de l'homme de l'art sont trốs grandes vis--vis d'un vocabulaire technique assez limitộ et totalement dộpourvu de rigueur scientifique.

    Or on peut construire un "univers" du goỷt, soit sous la forme dộj classique d'un tộtraốdre (HENNING): salộ, amer, sucrộ, acide, soit en tenant compte du paramốtre des aromates en le complộtant par la dimension relevộ/doux en un octaốdre. Celui-ci implique une sộrie d'oppositions pertinentes, accessibles expộrimentalement (D'ARCAIS) par des jugements de sujets qui dộterminent l'identitộ du produit ou du plat consommộ, d'une maniốre assez imparfaite d'ailleurs; sucrộ/salộ, doux/piquant, sucrộ/acide. Le psychologue de la perception construira avec ces ensembles d'oppositions pertinentes des profils de polaritộ qui, en principe, devraient lui permettre de juger objectivement de la similaritộ ou de la diffộrence de deux produits, plats ou modes de cuisine. Nous en donnons un exemple dans la figure.

    Un goỷt trốs particulier est par exemple celui du "grillộ". C'est un produit qui est quelque peu brỷlộ, c'est--dire qui gộnốre des caramels et des goudrons ajoutant un composant particuliốrement spộcifique au goỷt du produit de base. Le chimiste notera que ce goỷt de grillộ a un caractốre assez universel car il correspond un processus chimique, le cracking de la molộcule originale en deux ou trois morceaux plus simples. Par consộquent chaque molộcule correspond son grillộ, avec ses produits chimiques rộsultant de ce cracking en molộcules plus lộgốres, plus ộlộmentaires, plus proches du carbone.



    7. Du sadomasochisme dans l'art du manger : un univers de variations

    Un autre aspect trốs important du processus du goỷt est la perception dialectique introduite par le piment. Il y a au dộpart deux styles fondamentaux : pimentộ ou non-pimentộ entre lesquels s'introduisent des degrộs variables, dont la moyenne est assez attachộe aux cultures:

    DOUX -------------------------------------------------PIMENTE

    Anglais,Germain,Italien,Hispanique,Hongrois,Chinois,Mexicain

    En fait, ce qu'on peut appeler le pimentộ (poivre, paprika, chili, harissa, tabasco, habanero, etc..) correspond une impulsion assez spộcifique de certaines cultures ("faire chanter les plats") qui se combine semble-t-il avec un systốme de protection de type pharmacologique contre les infections dans les pays chauds.

    Sur le plan du plaisir gustatif, on doit y souligner l'exercice dialectique du sadomasochisme ; les piments forts inhộrents aux cultures sud-amộricaines, sud-mộ***erranộennes, et hongroise, se prộsentent comme une souffrance discrốte ajoutộe des modalitộs du goựt, qui correspondrait la cộlốbre formule de COCTEAU : "Jusqu'oự peut-on aller trop loin ?". Ce sadomasochisme du goỷt est une des rares formes permises en public d'une souffrance de bon ton. L'amateur dộclare que la force du piment vient renforcer le goỷt original d'un produit qui peut ờtre relativement neutre cet ộgard. Il paraợt bien ờtre justifiộ fonctionnellement par la protection contre les maladies tropicales (indien, Mexique, Proche-Orient) : le piment est en soi un conservateur, mais c'est certes l'ộlộment de jeu avec sa force intrinsốque qui est le facteur fondamental.



    8. La culture du manger dans le systốme religieux

    En tant que pulsion primitive de l'homme, le manger est certainement l'un des domaines qui ont ộtộ l'un des plus influencộs par les religions - moins que ce ne soit l'inverse et que les religions soient largement basộes sur des formes rituelles d'inter*** compatibles avec sa fonctionnalitộ : pourrait on ộdifier une religion sur une base alimentaire ? La liste des tabous de la nourriture est certainement l'un des modes d'accốs les plus clairs aux cultures religieuses. On peut la condenser par une matrice des tabous, dont nous donnons un exemple, dans un tableau croisộ portant horizontalement les cultures, et verticalement les produits alimentaires les plus nettement sujet de tabous ; au croisement de chaque ligne et de chaque colonne, on trouvera une indication :

    * inconnu

    + acceptộ

    0 con***ionnộ

    - inter***



    On remarquera aisộment sur ce tableau qu'il existe des cultures culinaires extrờmement ouvertes et tolộrantes (la Chine) qui acceptent aussi richement que possible l'univers des goỷts ( l'exception des produits lactộs) et des cultures extrờmement fermộes et restrictives (Israởl), ce qui ộmerge avec une grande ộvidence de ce tableau. On peut noter aussi que le "poulet" est le plat le plus commun la majoritộ des cultures, qu'il est indiquộ dans les relations alimentaires inter-culturelles : le poulet serait-il l'aliment des banquets de l'ONU ?



    9. Cultures alimentaires du futur

    Un certain nombre des ộlộments relevộs plus haut suggốre des facteurs pertinents de l'ộvolution de la nourriture dans le monde technologique.

    1) L'influence des transports universalise les modes de cultures, accompagnộe donc d'une mort de l'exotisme puisque l'exotisme ộtait ộtrange, lointain et difficile, et que ces ộlộments deviennent proches, faciles et banaux. Le restaurant juif, chinois ou mexicain du coin, illustrent l'idộe que tout est partout disponible. Rộciproquement, l'exotisme s'introduit l'ộtat de valeur socioesthetique: oự va-t-on pour conserver une festivitộ minimale de la relation conviviale : au restaurant chinois, grec ou hindou ? Ceux ci se dộfendront-ils contre la banalisation culturelle par une hyper-spộcificitộ fabriquộe ? C'est douteux.

    2) La sociộtộ dộterminộe par ses budgets-temps : la restriction des temps libres implique des temps limitộs pour se nourrir. En fait, il y a une bifurcation des budgets-temps en deux branches distinctes : les temps courts et les temps longs, les temps courts se raccourcissant et les temps longs se rallongent. Ainsi le repas convivial d'affaires reste une institution prospốre et en dộveloppement, avec son but spộcifique, ses rituels, et ses dộlais propres prộvus dans l'agenda ; il contraste avec le fast-food qui s'introduit dans toutes les classes de la population partir de caractộristiques propres que plusieurs chercheurs de notre laboratoire ont eu ộtudier (cf.fig). Il y a l un nouveau critốre de la vie sociale par rapport au manger et au travail.

    3) La rộpartition en classes sociales ; celle-ci a perdu beaucoup de sa force tra***ionnelle au moment oự la pyramide socio-ộconomique s'aplatit et disparaợt. Par contre ộmerge avec plus de nettetộ une division sociale entre les sur-actifs et les sous-actifs (l'existence-confiture de SARTRE), les gens qui vivent sur la base de leur agenda et ceux qui vivent sur la base de leur emploi ou contrat de travail. Les intellectuels par exemple maợtrisent, en thộorie, leur agenda et leurs budgets-temps, ils construisent une occupation de loisir sur la base d'un temps passộ, ils s'opposent ceux qui redộcouvrent le loisir sur la base d'une raison sociale : manger.

    4) Un facteur essentiel du renouvellement de la nourriture et de l'art de manger est certes ce qu'on peut appeler l'agro-industrie: un systốme fondamentalement industriel qui est en passe de se substituer trốs largement un artisanat des produits de la terre, condensộs par des coopộratives, et pris en charge ce stade pour donner lieu ultộrieurement des industries transformatrices. Nous assistons dộsormais l'ộmergence d'une vộritable industrie de ce qui est mangeable, avec laboratoires et groupes d'expộrimentation, qui certes exploitent le bagage de connaissances accumulộes par l'artisanat culinaire, mais prend celui-ci au titre de suggestion soumis un questionnement scientifique perpộtuel, et modifie la nature des produits bruts par des transformations chimiques de trốs large envergure (la maùzena dans les annộes 30, les glucoses, sont des exemples historiques, mais l'aquaculture, la pisciculture, les viandes vộgộtales, sont des ộlộments en passe d'envahir le processus du manger et de sa prộparation). Toutes les ộtudes faites actuellement par l'agro-alimentaire dộmontrent ce nouveau facteur. Ceci implique une modification intensive de ce qu'on peut appeler le produit brut tel qu'il arrive dans l'atelier de prộparation culinaire, et une modification extensive par une unification gộnộrale, en tous lieux, des con***ions de base de gộnộration des produits, qu'il s'agisse d'industrie agricole ou d'industrie chimique. ; ce seraient les mờmes produits de base qui serviraient faire des cuisines diffộrentes Tokyo et Paris.

    Un discours frộquent actuellement consiste dộnoncer ce processus au nom d'une idộe naturiste du rapport avec le manger, qui participe d'un culte. Il paraợt plus pertinent au sociologue de le considộrer comme une augmentation du champ des possibles, dans laquelle la notion de qualitộ reste en gros indộpendante de la quantitộ, des produits de base utilisables, en tout cas sous l'angle de la crộation. La crộativitộ, comme le concept de raffinement, sont des idộes orthogonales celle de "nature des produits". Les vộritables questions sont alors le problốme d'une esthộtique gustative, celui des exigences du contrụle, celui surtout, avec la popularisation des produits rares, et leur mise sur le marchộ de masse, de la variation par rapport la Norme (esthộtique des variations). Cette derniốre entraợne l'ộmergence d'un kitsch culinaire, qui a ộtộ largement amorcộ par les produits prộparộs industriellement : "c'est moins cher, mais ce n'est pas mal non plus..."

    5) L'atomisation de la famille. Le rite des heures de repas, qui fut une tyrannie dans beaucoup de cultures bourgeoises, disparaợt, avec la dissolution de la famille extensive et les exigences d'un travail, qui peuvent ờtre trốs diffộrentes pour les membres, mờme peu nombreux, d'une famille restreinte. En fait, il y a l atomisation des styles de vie, et chaque style sa cuisine.

    6) L'ộvanouissement des jours de fờtes : l'acte de se rộjouir ensemble, quasi-nộcessairement corrộlộ au repas convivial et au prộtexte de luxe, disparaợt dans les sociộtộs d'opulence matộrielle relative. Nous savons que la Fờte y devient une grande mộcanique sociale qui n'implique nullement la joie de tous heures ou dates fixes, mais des occasions de spectacle. La "fờte" devient une affaire privộe dont les dates sont mal dộfinissables a priori, elles rộsultent plutụt de la contingence des lignes d'univers et des paysages de vie ; plus qu'une institution, la vraie fờte est un accident. Il est bien certain que la disparition de la fờte en tant que coùncidence de la ligne de vie privộe et le paysage d'action public signifie un retrait de la convivialitộ globale, mờme si cette convivialitộ prend d'autres expressions. C'est l'ộtude de la combinaison de ces facteurs, qui guide une futurologie alimentaire comme base d'une prospective (KIELWASSER, MANGEMATIN) dont existent quelques ộlộments.



    10. Les nouvelles idộologies

    Dans tous les pays dộveloppộs, la rationalitộ scientifique qui s'impose, reste insuffisante pour dộterminer dans sa totalitộ le comportement en face des nouveautộs techniques. Il reste, intrinsốque l'ờtre humain, une part de variance des comportements qui ne provient pas de notre raison, mais bien plutụt de la rationalisation de mythes qui sont en circulation dans la sociộtộ. Cette "rationalisation", qui n'est pas rationnelle au sens strict, mais qui au contraire est un processus de traitement (processing) de mythes, fabrique de nouvelles idộologies.

    Une idộologie est un ensemble structurộ de croyances et de valeurs qui ne sont pas fondộes sur une raison objective, mais o-, chaque moment, l'idộologie introduit le Dieu de la Raison, sous l'abord d'une cohộrence mentale, pour justifier ses valeurs et pour donner ộvidence ces croyances. En fait la plupart du temps, plusieurs idộologies se combinent et se superposent, fondant dans l'esprit des contradictions. Ceci est essentiel dans l'univers profond de la nourriture.

    Quelques exemples :

    1) le Mythe de la Nature : la naturalitộ d'un produit se trouve en opposition avec l'industrialisation des produits bruts. La maùzena est-elle contre-nature ou bien dans le sens d'un affinement de la nature ? Il y a l un combat qui s'installe dans la conscience divisộe des consommateurs;

    2) le Principe de Beautộ (la minceur comme idộal) sous-tend la diốte "calorie-free" transformộe en religion : c'est l une industrie gộante qui, aux Etats-Unis, construit tout un marchộ parallốle du "calorie-free", marchộ qui copie les propriộtộs des produits naturels en les vidant de leurs contenus en calories, c'est--dire en les artificialisant trốs fortement. La gộnộalogie du Coca-cola en fournit un exemple cộlốbre;

    3) le Respect de la Vie, plus ou moins colorộ par l'influence de sectes orientales, conduisant la limite au vộgộtarisme strict. Il distille partir d'une opposition de caractốre idộologique, justifiộe (?) par un systốme du monde, des prohibitions qui ne sont nullement fondộes sur des raisons physiologiques. Mais, suivant un mộcanisme classique des idộologies, il parvient crộer ộventuellement de telles "raisons" en fonction de ses besoins propres;

    4) le mythe de la virginitộ ou de la puretộ, se rộgộnốre travers celui de la "propretộ" dans une idộologie du produit stộrilisộ garanti sans contact (virgines intactae) le mythe de l'emballage en plastique scellộ est dộj fortement rộpandu aux Etats-Unis et enrụle toute une sộrie d'ộlộments (le SIDA en derniốre instance) dans ses arguments idộologiques pour construire un monde anti-microbes, anti-virus, totalement artificiel , en coexistence non-pacifique avec le mythe de la Nature, proposant donc les ộlộments d'un combat douteux;

    5) le mythe du comportement rationnel ; pragmatisme et efficience sont des rốgles fondamentales que nous propose le fonctionnalisme comme rốgle de vie, susceptibles de justifier un trốs grand nombre de comportements. Si l'inutile est le plus nộcessaire, la chasse aux sorciốres de l'inutile peut ộventuellement mettre en cause la nộcessitộ profonde du bien-manger.

    6) On pourrait se demander dans quelle mesure les comportements vis--vis de la Radioactivitộ ne seraient pas aussi un nouvel enrụlement d'une rationalitộ la fois abusive et frộnộtique au service d'un dieu nouveau, ou plutụt, d'un anti-dieu, d'un diable : la radioactivitộ. On peut lộgitimement dire que la radioactivitộ est bien une propriộtộ (vice ou vertu) invisible de tous les corps, y inclus le savon de Marseille le sel de table, et les tomates pomeraniennes, vice ou vertu qui n'a ộtộ dộcouvert que rộcemment grõce aux gộniaux et mộritoires efforts des "savants". Le psycho-sociologue y voit d'abord la forme d'un dieu invisible, subtil, dont les effets sont cumulatifs, donc ne suivent pas la Loi habituelle de l'ộvanouissement universel de "Tout dans tout" par des cycles naturels loi qui fut dans une large mesure celle qui l'humanitộ s'ộtait habituộe et qui se serait exprimộe peu prốs ainsi: il suffit de diluer et d'attendre pour voir disparaợtre mal, poison ou pollution. Ici au contraire se propose une loi d'accumulation linộaire dans laquelle le mal se concentre de toute faỗon.

    En fait, pour le profane, la radioactivitộ apparaợt bien comme un dieu spinoziste et mộchant, un esprit du mal, un diable, qui existe quelque degrộ dans toutes les parties de la nature. Le diable est donc bien dans les tomates, et donc le moteur, le thốme pour une nouvelle et sombre religion. Un accident retentissant -pensons Tchernobyl- augmente l'omniprộsence (!) de ce diable, et le rend agissant, ses manifestations nouvelles ộtant une matiốre de choix pour les mass media. Conformộment aux principes de l'idộologie, ce diable se constitue des justificateurs et des traợtres, qui amplifient et relaient les effets de sa prộsence. On pourra se demander si le compteur de Geiger familial n'aurait pas devant lui une carriốre commerỗante ộgale en prospộritộ celle du thermomốtre familial.

    Abraham A. MOLES




    " Il faut tendre la main ses amis sans fermer les doigts. "
    Diogốne​

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