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Le Horla (1887)

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi despi, 28/08/2001.

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  1. despi

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    29/04/2001
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    Maupassant


    8 mai. - Quelle journe admirable ! J'ai pass toute la matine tendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'norme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entire. J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et dlicates racines, qui attachent un homme la terre ó sont ns et morts ses ạeux, qui l'attachent ce qu'on pense et ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-mme.


    J'aime ma maison ó j'ai grandi. De mes fentres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrire la route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.



    A gauche, l-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frles ou larges, domins par la flche de fonte de la cathdrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matines, jetant jusqu' moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d'airain que la brise m'apporte, tantơt plus fort et tantơt plus affaibli, suivant qu'elle s'veille ou s'assoupit.



    Comme il faisait bon ce matin !



    Vers onze heures, un long convoi de navires, traỵns par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui rlait de peine en vomissant une fume paisse, dfila devant ma grille.



    Aprs deux golettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mts brsilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir voir.



    12 mai. - J'ai un peu de fivre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutơt je me sens triste.



    D'ó viennent ces influences mystrieuses qui changent en dcouragement notre bonheur et notre confiance en dtresse ? On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystrieux. Je m'veille plein de gaiet, avec des envies de chanter dans la gorge. - Pourquoi ? - Je descends le long de l'eau ; et soudain, aprs une courte promenade, je rentre dsol, comme si quelque malheur m'attendait chez moi. - Pourquoi ? - Est-ce un frisson de froid qui, frơlant ma peau, a branl mes nerfs et assombri mon me ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troubl ma pense ? Sait-on ? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frơlons sans le connaỵtre, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos ides, sur notre coeur lui-mme, des effets rapides, surprenants et inexplicables.



    Comme il est profond, ce mystre de l'Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misrables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop prs, ni le trop loin, ni les habitants d'une toile, ni les habitants d'une goutte d'eau... avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l'air en notes sonores. Elles sont des fes qui font ce miracle de changer en bruit ce mouvement et par cette mtamorphose donnent naissance la musique, qui rend chantante l'agitation muette de la nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec notre gỏt, qui peut peine discerner l'ge d'un vin !



    Ah ! si nous avions d'autres organes qui accompliraient en notre faveur d'autres miracles, que de choses nous pourrions dcouvrir encore autour de nous !



    16 mai. - Je suis malade, dcidment ! Je me portais si bien le mois dernier ! J'ai la fivre, une fivre atroce, ou plutơt un nervement fivreux, qui rend mon me aussi souffrante que mon corps ! J'ai sans cesse cette sensation affreuse d'un danger menaant, cette apprhension d'un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l'atteinte d'un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.



    18 mai. - Je viens d'aller consulter un mdecin, car je ne pouvais plus dormir. Il m'a trouv le pouls rapide, l'oeil dilat, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptơme alarmant. Je dois me soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.



    25 mai. - Aucun changement ! Mon tat, vraiment, est bizarre. A mesure qu'approche le soir, une inquitude incomprhensible m'envahit, comme si la nuit cachait pour moi une menace terrible. Je dỵne vite, puis j'essaie de lire ; mais je ne comprends pas les mots ; je distingue peine les lettres. Je marche alors dans mon salon de long en large, sous l'oppression d'une crainte confuse et irrsistible, la crainte du sommeil et la crainte du lit.



    Vers dix heures, je monte dans ma chambre. A peine entr, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous ; j'ai peur... de quoi ?... Je ne redoutais rien jusqu'ici... j'ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j'coute... j'coute... quoi ?... Est-ce trange qu'un simple malaise, un trouble de la circulation peut-tre, l'irritation d'un filet nerveux, un peu de congestion, une toute petite perturbation dans le fonctionnement si imparfait et si dlicat de notre machine vivante, puisse faire un mlancolique du plus joyeux des hommes, et un poltron du plus brave ? Puis, je me couche, et j'attends le sommeil comme on attendrait le bourreau. Je l'attends avec l'pouvante de sa venue, et mon coeur bat, et mes jambes frmissent ; et tout mon corps tressaille dans la chaleur des draps, jusqu'au moment ó je tombe tout coup dans le repos, comme on tomberait pour s'y noyer, dans un gouffre d'eau stagnante. Je ne le sens pas venir, comme autrefois, ce sommeil perfide, cach prs de moi, qui me guette, qui va me saisir par la tte, me fermer les yeux, m'anantir.



    Je dors - longtemps - deux ou trois heures - puis un rve - non - un cauchemar m'treint. Je sens bien que je suis couch et que je dors... je le sens et je le sais... et je sens aussi que quelqu'un s'approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur mon lit, s'agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains et serre... serre... de toute sa force pour m'trangler.



    Moi, je me dbats, li par cette impuissance atroce, qui nous paralyse dans les songes ; je veux crier, - je ne peux pas ; - je veux remuer, - je ne peux pas ; - j'essaie, avec des efforts affreux, en haletant, de me tourner, de rejeter cet tre qui m'crase et qui m'touffe, - je ne peux pas !



    Et soudain, je m'veille, affol, couvert de sueur. J'allume une bougie. Je suis seul.



    Aprs cette crise, qui se renouvelle toutes les nuits, je dors enfin, avec calme, jusqu' l'aurore.



    2 juin. - Mon tat s'est encore aggrav. Qu'ai-je donc ? Le bromure n'y fait rien ; les douches n'y font rien. Tantơt, pour fatiguer mon corps, si las pourtant, j'allai faire un tour dans la fort de Roumare. Je crus d'abord que l'air frais, lger et doux, plein d'odeur d'herbes et de feuilles, me versait aux veines un sang nouveau, au coeur une nergie nouvelle. Je pris une grande avenue de chasse, puis je tournai vers La Bouille, par une alle troite, entre deux armes d'arbres dmesurment hauts qui mettaient un toit vert, pais, presque noir, entre le ciel et moi.



    Un frisson me saisit soudain, non pas un frisson de froid, mais un trange frisson d'angoisse.



    Je htai le pas, inquiet d'tre seul dans ce bois, apeur sans raison, stupidement, par la profonde solitude. Tout coup, il me sembla que j'tais suivi, qu'on marchait sur mes talons, tout prs, me toucher.



    Je me retournai brusquement. J'tais seul. Je ne vis derrire moi que la droite et large alle vide, haute, redoutablement vide ; et de l'autre cơt elle s'tendait aussi perte de vue, toute pareille, effrayante.



    Je fermai les yeux. Pourquoi ? Et je me mis tourner sur un talon, trs vite, comme une toupie. Je faillis tomber ; je rouvris les yeux ; les arbres dansaient, la terre flottait ; je dus m'asseoir. Puis, ah ! je ne savais plus par ó j'tais venu ! Bizarre ide ! Bizarre ! Bizarre ide ! Je ne savais plus du tout. Je partis par le cơt qui se trouvait ma droite, et je revins dans l'avenue qui m'avait amen au milieu de la fort.



    3 juin. - La nuit a t horrible. Je vais m'absenter pendant quelques semaines. Un petit voyage, sans doute, me remettra.



    2 juillet. - Je rentre. Je suis guri. J'ai fait d'ailleurs une excursion charmante. J'ai visit le mont Saint-Michel que je ne connaissais pas.



    Quelle vision, quand on arrive, comme moi, Avranches, vers la fin du jour ! La ville est sur une colline ; et on me conduisit dans le jardin public, au bout de la cit. Je poussai un cri d'tonnement. Une baie dmesure s'tendait devant moi, perte de vue, entre deux cơtes cartes se perdant au loin dans les brumes ; et au milieu de cette immense baie jaune, sous un ciel d'or et de clart, s'levait sombre et pointu un mont trange, au milieu des sables. Le soleil venait de disparaỵtre, et sur l'horizon encore flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument.



    Ds l'aurore, j'allai vers lui. La mer tait basse, comme la veille au soir, et je regardais se dresser devant moi, mesure que j'approchais d'elle, la surprenante abbaye. Aprs plusieurs heures de marche, j'atteignis l'norme bloc de pierre qui porte la petite cit domine par la grande glise. Ayant gravi la rue troite et rapide, j'entrai dans la plus admirable demeure gothique construite pour Dieu sur la terre, vaste comme une ville, pleine de salles basses crases sous des vỏtes et de hautes galeries que soutiennent de frles colonnes. J'entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi lger qu'une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, ó montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs ttes bizarres hrisses de chimres, de diables, de btes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et relis l'un l'autre par de fines arches ouvrages.



    Quand je fus sur le sommet, je dis au moine qui m'accompagnait : Mon Pre, comme vous devez tre bien ici !"



    Il rpon*** : "Il y a beaucoup de vent, monsieur" ; et nous nous mỵmes causer en regardant monter la mer, qui courait sur le sable et le couvrait d'une cuirasse d'acier.



    Et le moine me conta des histoires, toutes les vieilles histoires de ce lieu, des lgendes, toujours des lgendes.



    Une d'elles me frappa beaucoup. Les gens du pays, ceux du mont, prtendent qu'on entend parler la nuit dans les sables, puis qu'on entend bler deux chvres, l'une avec une voix forte, l'autre avec une voix faible. Les incrdules affirment que ce sont les cris des oiseaux de mer, qui ressemblent tantơt des blements, et tantơt des plaintes humaines ; mais les pcheurs attards jurent avoir rencontr, rơdant sur les dunes, entre deux mares, autour de la petite ville jete ainsi loin du monde, un vieux berger, dont on ne voit jamais la tte couverte de son manteau, et qui conduit, en marchant devant eux, un bouc figure d'homme et une chvre figure de femme, tous deux avec de longs cheveux blancs et parlant sans cesse, se querellant dans une langue inconnue, puis cessant soudain de crier pour bler de toute leur force.



    Je dis au moine : "Y croyez-vous ?" Il murmura : "Je ne sais pas."



    Je repris : "S'il existait sur la terre d'autres tres que nous, comment ne les connaỵtrions-nous point depuis longtemps ; comment ne les auriez-vous pas vus, vous ? comment ne les aurais-je pas vus, moi ?"



    Il rpon*** : "Est-ce que nous voyons la cent millime partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les difices, dracine les arbres, soulve la mer en montagnes d'eau, dtruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gmit, qui mugit, - l'avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant."



    Je me tus devant ce simple raisonnement. Cet homme tait un sage ou peut-tre un sot. Je ne l'aurais pas pu affirmer au juste ; mais je me tus. Ce qu'il disait l, je l'avais pens souvent.



    3 juillet. - J'ai mal dormi ; certes, il y a ici une influence fivreuse, car mon cocher souffre du mme mal que moi. En rentrant hier, j'avais remarqu sa pleur singulire. Je lui demandai :



    "Qu'est-ce que vous avez, Jean ?



    - J'ai que je ne peux plus me reposer, monsieur, ce sont mes nuits qui mangent mes jours. Depuis le dpart de monsieur, cela me tient comme un sort."



    Les autres domestiques vont bien cependant, mais j'ai grand-peur d'tre repris, moi.



    4 juillet. - Dcidment, je suis repris. Mes cauchemars anciens reviennent. Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait fait une sangsue. Puis il s'est lev, repu, et moi je me suis rveill, tellement meurtri, bris, ananti, que je ne pouvais plus remuer. Si cela continue encore quelques jours, je repartirai certainement.



    5 juillet. - Ai-je perdu la raison ? Ce qui s'est pass la nuit dernire est tellement trange, que ma tte s'gare quand j'y songe !



    Comme je le fais maintenant chaque soir, j'avais ferm ma porte clef ; puis, ayant soif, je bus un demi-verre d'eau, et je remarquai par hasard que ma carafe tait pleine jusqu'au bouchon de cristal.



    Je me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils pouvantables, dont je fus tir au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore.



    Figurez-vous un homme qui dort, qu'on assassine, et qui se rveille, avec un couteau dans le poumon, et qui rle couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas - voil.



    Ayant enfin reconquis ma raison, j'eus soif de nouveau ; j'allumai une bougie et j'allai vers la table ó tait pose ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. - Elle tait vide ! Elle tait vide compltement ! D'abord, je n'y compris rien ; puis, tout coup, je ressentis une motion si terrible, que je dus m'asseoir, ou plutơt, que je tombai sur une chaise ! puis, je me redressai d'un saut pour regarder autour de moi ! puis je me rassis, perdu d'tonnement et de peur, devant le cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ? Moi ? moi, sans doute ? Ce ne pouvait tre que moi ? Alors ; j'tais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystrieuse qui fait douter s'il y a deux tres en nous, ou si un tre tranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre me est engourdie, notre corps captif qui obit cet autre, comme nous-mmes, plus qu' nous-mmes.



    Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ? Qui comprendra l'motion d'un homme, sain d'esprit, bien veill, plein de raison et qui regarde pouvant, travers le verre d'une carafe, un peu d'eau disparue pendant qu'il a dormi ! Et je restai l jusqu'au jour, sans oser regagner mon lit.



    6 juillet. - Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit ; - ou plutơt, je l'ai bue !



    Mais, est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? Oh ! mon Dieu ! Je deviens fou ! Qui me sauvera ?



    10 juillet. - Je viens de faire des preuves surprenantes.



    Dcidment, je suis fou ! Et pourtant !



    Le 6 juillet, avant de me coucher, j'ai plac sur ma table du vin, du lait, de l'eau, du pain et des fraises.



    On a bu - j'ai bu - toute l'eau, et un peu de lait. On n'a touch ni au vin, ni au pain, ni aux fraises.



    Le 7 juillet, j'ai renouvel la mme preuve, qui a donn le mme rsultat.



    Le 8 juillet, j'ai supprim l'eau et le lait. On n'a touch rien.



    Le 9 juillet enfin, j'ai remis sur ma table l'eau et le lait seulement, en ayant soin d'envelopper les carafes en des linges de mousseline blanche et de ficeler les bouchons. Puis, j'ai frott mes lvres, ma barbe, mes mains avec de la mine de plomb, et je me suis couch.



    L'invincible sommeil m'a saisi, suivi bientơt de l'atroce rveil. Je n'avais point remu ; mes draps eux-mmes ne portaient pas de taches. Je m'lanai vers ma table. Les linges enfermant les bouteilles taient demeurs immaculs. Je dliai les cordons, en palpitant de crainte. On avait bu toute l'eau ! on avait bu tout le lait ! Ah ! mon Dieu !...



    Je vais partir tout l'heure pour Paris.



    12 juillet. - Paris. J'avais donc perdu la tte les jours derniers ! J'ai d tre le jouet de mon imagination nerve, moins que je ne sois vraiment somnambule, ou que j'aie subi une de ces influences constates, mais inexplicables jusqu'ici, qu'on appelle suggestions. En tout cas, mon affolement touchait la dmence, et vingt-quatre heures de Paris ont suffi pour me remettre d'aplomb.



    Hier, aprs des courses et des visites, qui m'ont fait passer dans l'me de l'air nouveau et vivifiant, j'ai fini ma soire au Thtre-Franais. On y jouait une pice d'Alexandre Dumas fils ; et cet esprit alerte et puissant a achev de me gurir. Certes, la solitude est dangereuse pour les intelligences qui travaillent. Il nous faut autour de nous, des hommes qui pensent et qui parlent. Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantơmes.



    Je suis rentr l'hơtel trs gai, par les boulevards. Au coudoiement de la foule, je songeais, non sans ironie, mes terreurs, mes suppositions de l'autre semaine, car j'ai cru, oui, j'ai cru qu'un tre invisible habitait sous mon toit. Comme notre tte est faible et s'effare, et s'gare vite, ds qu'un petit fait incomprhensible nous frappe !



    Au lieu de conclure par ces simples mots : "Je ne comprends pas parce que la cause m'chappe", nous imaginons aussitơt des mystres effrayants et des puissances surnaturelles.



    14 juillet. - Fte de la Rpublique. Je me suis promen par les rues. Les ptards et les drapeaux m'amusaient comme un enfant. C'est pourtant fort bte d'tre joyeux, date fixe, par dcret du gouvernement. Le peuple est un troupeau imbcile, tantơt stupidement patient et tantơt frocement rvolt. On lui *** : "Amuse-toi." Il s'amuse. On lui *** : "Va te battre avec le voisin." Il va se battre. On lui *** : "Vote pour l'Empereur." Il vote pour l'Empereur. Puis, on lui *** : "Vote pour la Rpublique." Et il vote pour la Rpublique.



    Ceux qui le dirigent sont aussi sots ; mais au lieu d'obir des hommes, ils obissent des principes, lesquels ne peuvent tre que niais, striles et faux, par cela mme qu'ils sont des principes, c'est--dire des ides rputes certaines et immuables, en ce monde ó l'on n'est sr de rien, puisque la lumire est une illusion, puisque le bruit est une illusion.



    16 juillet. - J'ai vu hier des choses qui m'ont beaucoup troubl.



    Je dỵnais chez ma cousine, Mme Sabl, dont le mari commande le 76e chasseurs Limoges. Je me trouvais chez elle avec deux jeunes femmes, dont l'une a pous un mdecin, le docteur Parent, qui s'occupe beaucoup des maladies nerveuses et des manifestations extraordinaires auxquelles donnent lieu en ce moment les expriences sur l'hypnotisme et la suggestion.



    Il nous raconta longtemps les rsultats prodigieux obtenus par des savants anglais et par les mdecins de l'cole de Nancy.



    Les faits qu'il avana me parurent tellement bizarres, que je me dclarai tout fait incrdule.



    "Nous sommes, affirmait-il, sur le point de dcouvrir un des plus importants secrets de la nature, je veux dire, un de ses plus importants secrets sur cette terre ; car elle en a certes d'autrement importants, l-bas, dans les toiles. Depuis que l'homme pense, depuis qu'il sait dire et crire sa pense, il se sent frơl par un mystre impntrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tche de suppler, par l'effort de son intelligence, l'impuissance de ses organes. Quand cette intelligence demeurait encore l'tat rudimentaire, cette hantise des phnomnes invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De l sont nes les croyances populaires au surnaturel, les lgendes des esprits rơdeurs, des fes, des gnomes, des revenants, je dirai mme la lgende de Dieu, car nos conceptions de l'ouvrier-crateur, de quelque religion qu'elles nous viennent, sont bien les inventions les plus mdiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeur des cratures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : "Dieu a fait l'homme son image, mais l'homme le lui a bien rendu."



    "Mais, depuis un peu plus d'un sicle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur une voie inattendue, et nous sommes arrivs vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, des rsultats surprenants."



    Ma cousine, trs incrdule aussi, souriait. Le docteur Parent lui *** :



    "Voulez-vous que j'essaie de vous endormir, madame ?



    - Oui, je veux bien."



    Elle s'assit dans un fauteuil et il commena la regarder fixement en la fascinant. Moi, je me sentis soudain un peu troubl, le coeur battant, la gorge serre. Je voyais les yeux de Mme Sabl s'alourdir, sa bouche se crisper, sa poitrine haleter.



    Au bout de dix minutes, elle dormait.



    "Mettez-vous derrire elle", *** le mdecin.



    Et je m'assis derrire elle. Il lui plaa entre les mains une carte de visite en lui disant : "Ceci est un miroir ; que voyez-vous dedans ?"



    Elle rpon*** :



    "Je vois mon cousin.



    - Que fait -il ?



    - Il se tord la moustache.



    - Et maintenant ?



    - Il tire de sa poche une photographie.



    - Quelle est cette photographie ?



    - La sienne."



    C'tait vrai ! Et cette photographie venait de m'tre livre, le soir mme, l'hơtel.



    "Comment est-il sur ce portrait ?



    - Il se tient debout avec son chapeau la main."



    Donc elle voyait dans cette carte, dans ce carton blanc, comme elle ẻt vu dans une glace.



    Les jeunes femmes, pouvantes, disaient : "Assez ! Assez ! Assez !"



    Mais le docteur ordonna : "Vous vous lverez demain huit heures ; puis vous irez trouver son hơtel votre cousin, et vous le supplierez de vous prter cinq mille francs que votre mari vous demande et qu'il vous rclamera son prochain voyage."



    Puis il la rveilla.



    En rentrant l'hơtel, je songeai cette curieuse sance et des doutes m'assaillirent, non point sur l'absolue, sur l'insouponnable bonne foi de ma cousine, que je connaissais comme une soeur, depuis l'enfance, mais sur une supercherie possible du docteur. Ne dissimulait-il pas dans sa main une glace qu'il montrait la jeune femme endormie, en mme temps que sa carte de visite ? Les prestidigitateurs de profession font des choses autrement singulires.



    Je rentrai donc et je me couchai.



    Or, ce matin, vers huit heures et demie, je fus rveill par mon valet de chambre, qui me *** :



    "C'est Mme Sabl qui demande parler monsieur tout de suite."



    Je m'habillai la hte et je la reus.



    Elle s'assit fort trouble, les yeux baisss, et, sans lever son voile, elle me *** :



    "Mon cher cousin, j'ai un gros service vous demander.



    - Lequel, ma cousine ?



    - Cela me gne beaucoup de vous le dire, et pourtant, il le



    faut. J'ai besoin, absolument besoin, de cinq mille francs.




    - Allons donc, vous ?



    - Oui, moi, ou plutơt mon mari, qui me charge de les trouver."



    J'tais tellement stupfait, que je balbutiais mes rponses. Je me demandais si vraiment elle ne s'tait pas moque de moi avec le docteur Parent, si ce n'tait pas l une simple farce prpare d'avance et fort bien joue.



    Mais, en la regardant avec attention, tous mes doutes se dissiprent. Elle tremblait d'angoisse, tant cette dmarche lui tait douloureuse, et je compris qu'elle avait la gorge pleine de sanglots.



    Je la savais fort riche et je repris :



    "Comment ! votre mari n'a pas cinq mille francs sa disposition ! Voyons, rflchissez. Etes-vous sre qu'il vous a charge de me les demander ?"



    Elle hsita quelques secondes comme si elle ẻt fait un grand effort pour chercher dans son souvenir, puis elle rpon*** :



    "Oui..., oui... j'en suis sre.



    - Il vous a crit ?"



    Elle hsita encore, rflchissant. Je devinai le travail torturant de sa pense. Elle ne savait pas. Elle savait seulement qu'elle devait m'emprunter cinq mille francs pour son mari. Donc elle osa mentir.



    "Oui, il m'a crit.



    - Quand donc ? Vous ne m'avez parl de rien, hier.



    - J'ai reu sa lettre ce matin.



    - Pouvez-vous me la montrer ?



    - Non... non... non... elle contenait des choses intimes... trop



    personnelles... je l'ai... je l'ai brle.




    - Alors, c'est que votre mari fait des dettes."



    Elle hsita encore, puis murmura :



    "Je ne sais pas."



    Je dclarai brusquement :



    "C'est que je ne puis disposer de cinq mille francs en ce moment, ma chre cousine."



    Elle poussa une sorte de cri de souffrance.



    "Oh ! oh ! je vous en prie, je vous en prie, trouvez-les..."



    Elle s'exaltait, joignait les mains comme si elle m'ẻt pri ! J'entendais sa voix changer de ton ; elle pleurait et bgayait, harcele, domine par l'ordre irrsistible qu'elle avait reu.



    "Oh ! oh ! je vous en supplie... si vous saviez comme je souffre... il me les faut aujourd'hui."



    J'eus piti d'elle.



    "Vous les aurez tantơt, je vous le jure.



    Elle s'cria :



    "Oh ! merci ! merci ! que vous tes bon."



    Je repris : "Vous rappelez-vous ce qui s'est pass hier chez vous ?



    - Oui.



    - Vous rappelez -vous que le docteur Parent vous a endormie ?



    - Oui.



    - Eh bien, il vous a ordonn de venir m'emprunter ce matin cinq mille francs, et vous obissez en ce moment cette suggestion."



    Elle rflchit quelques secondes et rpon*** :



    "Puisque c'est mon mari qui les demande."



    Pendant une heure, j'essayai de la convaincre, mais je n'y pus parvenir.



    Quand elle fut partie, je courus chez le docteur. Il allait sortir ; et il m'couta en souriant. Puis il *** :



    "Croyez-vous maintenant ?



    - Oui, il le faut bien.



    - Allons chez votre parente."



    Elle sommeillait dj sur une chaise longue, accable de fatigue. Le mdecin lui prit le pouls, la regarda quelque temps, une main leve vers ses yeux qu'elle ferma peu peu sous l'effort insoutenable de cette puissance magntique.



    Quand elle fut endormie :



    "Votre mari n'a plus besoin de cinq mille francs. Vous allez donc oublier que vous avez pri votre cousin de vous les prter, et, s'il vous parle de cela, vous ne comprendrez pas."



    Puis il la rveilla. Je tirai de ma poche un portefeuille :



    "Voici, ma chre cousine, ce que vous m'avez demand ce matin."



    Elle fut tellement surprise que je n'osai pas insister. J'essayai cependant de ranimer sa mmoire, mais elle nia avec force, crut que je me moquais d'elle, et faillit, la fin, se fcher.



    .....................................................................



    Voil ! je viens de rentrer ; et je n'ai pu djeuner, tant cette exprience m'a boulevers.



    19 juillet - Beaucoup de personnes qui j'ai racont cette aventure se sont moques de moi. Je ne sais plus que penser. Le sage *** : Peut-tre ?



    21 juillet. - J'ai t dỵner Bougival, puis j'ai pass la soire au bal des canotiers. Dcidment, tout dpend des lieux et des milieux. Croire au surnaturel dans l'ỵle de la Grenouillre, serait le comble de la folie... mais au sommet du mont Saint-Michel ?... mais dans les Indes ? Nous subissons effroyablement l'influence de ce qui nous entoure. Je rentrerai chez moi la semaine prochaine.



    30 juillet. - Je suis revenu dans ma maison depuis hier. Tout va bien.



    2 aỏt. - Rien de nouveau ; il fait un temps superbe. Je passe mes journes regarder couler la Seine.



    4 aỏt. - Querelles parmi mes domestiques. Ils prtendent qu'on casse les verres, la nuit, dans les armoires. Le valet de chambre accuse la cuisinire, qui accuse la lingre, qui accuse les deux autres. Quel est le coupable ? Bien fin qui le dirait !



    6 aỏt. - Cette fois, je ne suis pas fou. J'ai vu... j'ai vu... j'ai vu !... Je ne puis plus douter... j'ai vu !... J'ai encore froid jusque dans les ongles... j'ai encore peur jusque dans les moelles... j'ai vu !...



    Je me promenais deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l'alle des rosiers d'automne qui commencent fleurir.



    Comme je m'arrtais regarder un gant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout prs de moi, la tige d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'ẻt tordue, puis se casser, comme si cette main l'ẻt cueillie ! Puis la fleur s'leva, suivant une courbe qu'aurait dcrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge trois pas de mes yeux.



    perdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d'une colre furieuse contre moi-mme ; car il n'est pas permis un homme raisonnable et srieux d'avoir de pareilles hallucinations.



    Mais tait-ce bien une hallucination ? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immdiatement sur l'arbuste, fraỵchement brise entre les deux autres roses demeures la branche.



    Alors, je rentrai chez moi l'me bouleverse, car je suis certain, maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il existe prs de moi un tre invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, dou par consquent d'une nature matrielle, bien qu'imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit...



    7 aỏt - J'ai dormi tranquille. Il a bu l'eau de ma carafe, mais n'a point troubl mon sommeil.



    Je me demande si je suis fou. En me promenant, tantơt au grand soleil, le long de la rivire, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j'en avais jusqu'ici, mais des doutes prcis, absolus. J'ai vu des fous ; j'en ai connu qui restaient intelligents, lucides, clairvoyants mme sur toutes les choses de la vie, sauf sur un point. Ils parlaient de tout avec clart, avec souplesse, avec profondeur, et soudain leur pense, touchant l'cueil de leur folie s'y dchirait en pices, s'parpillait et sombrait dans cet ocan effrayant et furieux, plein de vagues bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu'on nomme "la dmence".



    Certes, je me croirais fou, absolument fou, si je n'tais conscient, si je ne connaissais parfaitement mon tat, si je ne le sondais en l'analysant avec une complte luci***. Je ne serais donc, en somme, qu'un hallucin raisonnant. Un trouble inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de ces troubles qu'essaient de noter et de prciser aujourd'hui les physiologistes ; et ce trouble aurait dtermin dans mon esprit, dans l'ordre et la logique de mes ides, une crevasse profonde. Des phnomnes semblables ont lieu dans le rve qui nous promne travers les fantasmagories les plus invraisemblables, sans que nous en soyons surpris, parce que l'appareil vrificateur, parce que le sens du contrơle est endormi ; tandis que la facult imaginative veille et travaille. Ne se peut-il pas qu'une des imperceptibles touches du clavier crbral se trouve paralyse chez moi ? Des hommes, la suite d'accidents, perdent la mmoire des noms propres ou des verbes ou des chiffres, ou seulement des dates. Les localisations de toutes les parcelles de la pense sont aujourd'hui prouves. Or, quoi d'tonnant ce que ma facult de contrơler l'irralit de certaines hallucinations, se trouve engourdie chez moi en ce moment !



    Je songeais tout cela en suivant le bord de l'eau. Le soleil couvrait de clart la rivire, faisait la terre dlicieuse, emplissait mon regard d'amour pour la vie, pour les hirondelles, dont l'agilit est une joie de mes yeux, pour les herbes de la rive dont le frmissement est un bonheur de mes oreilles.



    Peu peu, cependant, un malaise inexplicable me pntrait. Une force, me semblait-il, une force occulte m'engourdissait, m'arrtait, m'empchait d'aller plus loin, me rappelait en arrire. J'prouvais ce besoin douloureux de rentrer qui vous oppresse, quand on a laiss au logis un malade aim, et que le pressentiment vous saisit d'une aggravation de son mal.



    Donc, je revins malgr moi, sr que j'allais trouver, dans ma maison, une mauvaise nouvelle, une lettre ou une dpche. Il n'y avait rien ; et je demeurai plus surpris et plus inquiet que si j'avais eu de nouveau quelque vision fantastique.



    8 aỏt. - J'ai pass hier une affreuse soire. Il ne se manifeste plus, mais je le sens prs de moi, m'piant, me regardant, me pntrant, me dominant et plus redoutable, en se cachant ainsi, que s'il signalait par des phnomnes surnaturels sa prsence invisible et constante.



    J'ai dormi, pourtant.



    9 aỏt - Rien, mais j'ai peur.



    10 aỏt. - Rien ; qu'arrivera-t-il demain ?



    11 aỏt. - Toujours rien ; je ne puis plus rester chez moi avec cette crainte et cette pense entres en mon me ; je vais partir.



    12 aỏt, 10 heures du soir. - Tout le jour j'ai voulu m'en aller ; je n'ai pas pu. J'ai voulu accomplir cet acte de libert si facile, si simple, - sortir - monter dans ma voiture pour gagner Rouen - je n'ai pas pu. Pourquoi ?



    13 aỏt. - Quand on est atteint par certaines maladies, tous les ressorts de l'tre physique semblent briss, toutes les nergies ananties, tous les muscles relchs, les os devenus mous comme la chair et la chair liquide comme de l'eau. J'prouve cela dans mon tre moral d'une faon trange et dsolante. Je n'ai plus aucune force, aucun courage, aucune domination sur moi aucun pouvoir mme de mettre en mouvement ma volont. Je ne peux plus vouloir ; mais quelqu'un veut pour moi ; et j'obis.



    14 aỏt. - Je suis perdu ! Quelqu'un possde mon me et la gouverne ! quelqu'un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes penses. Je ne suis plus rien en moi, rien qu'un spectateur esclave et terrifi de toutes les choses que j'accomplis. Je dsire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas ; et je reste, perdu, tremblant, dans le fauteuil ó il me tient assis. Je dsire seulement me lever, me soulever, afin de me croire maỵtre de moi. Je ne peux pas ! Je suis riv mon sige et mon sige adhre au sol, de telle sorte qu'aucune force ne nous soulverait.



    Puis, tout d'un coup, il faut, il faut, il faut que j'aille au fond de mon jardin cueillir des fraises et les manger. Et j'y vais. Je cueille des fraises et je les mange ! Oh ! mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Est-il un Dieu ? S'il en est un, dlivrez-moi, sauvez-moi ! secourez-moi ! Pardon ! Piti ! Grce ! Sauvez-moi ! Oh ! quelle souffrance ! quelle torture ! quelle horreur !



    15 aỏt. - Certes, voil comment tait possde et domine ma pauvre cousine, quand elle est venue m'emprunter cinq mille francs. Elle subissait un vouloir tranger entr en elle, comme une autre me, comme une autre me parasite et dominatrice. Est-ce que le monde va finir ?



    Mais celui qui me gouverne, quel est-il, cet invisible ? cet inconnaissable, ce rơdeur d'une race surnaturelle ?



    Donc les Invisibles existent ! Alors, comment depuis l'origine du monde ne se sont-ils pas encore manifests d'une faon prcise comme ils le font pour moi ? Je n'ai jamais rien lu qui ressemble ce qui s'est pass dans ma demeure. Oh ! si je pouvais la quitter, si je pouvais m'en aller, fuir et ne pas revenir. Je serais sauv, mais je ne peux pas.



    16 aỏt. - J'ai pu m'chapper aujourd'hui pendant deux heures, comme un prisonnier qui trouve ouverte, par hasard, la porte de son cachot. J'ai senti que j'tais libre tout coup et qu'il tait loin. J'ai ordonn d'atteler bien vite et j'ai gagn Rouen. Oh ! quelle joie de pouvoir dire un homme qui obit : "Allez Rouen !"



    Je me suis fait arrter devant la bibliothque et j'ai pri qu'on me prtt le grand trait du docteur Hermann Herestauss sur les habitants inconnus du monde antique et moderne.



    Puis, au moment de remonter dans mon coup, j'ai voulu dire : "A la gare !" et j'ai cri, - je n'ai pas ***, j'ai cri - d'une voix si forte que les passants se sont retourns : "A la maison", et je suis tomb, affol d'angoisse, sur le coussin de ma voiture. Il m'avait retrouv et repris.



    17 aỏt. - Quelle nuit ! quelle nuit ! Et pourtant il me semble que je devrais me rjouir. Jusqu' une heure du matin, j'ai lu ! Hermann Herestauss, docteur en philosophie et en thogonie, a crit l'histoire et les manifestations de tous les tres invisibles rơdant autour de l'homme ou rvs par lui. Il dcrit leurs origines, leur domaine, leur puissance. Mais aucun d'eux ne ressemble celui qui me hante. On dirait que l'homme, depuis qu'il pense, a pressenti et redout un tre nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde, et que, le sentant proche et ne pouvant prvoir la nature de ce maỵtre, il a cr, dans sa terreur, tout le peuple fantastique des tres occultes, fantơme vagues ns de la peur.



    Donc, ayant lu jusqu' une heure du matin, j'ai t m'asseoir ensuite auprs de ma fentre ouverte pour rafraỵchir mon front et ma pense au vent calme de l'obscurit.



    Il faisait bon, il faisait tide ! Comme j'aurais aim cette nuit-l autrefois !



    Pas de lune. Les toiles avaient au fond du ciel noir des scintillements frmissants. Qui habite ces mondes ? Quelles formes, quels vivants, quels animaux, quelles plantes sont l-bas ? Ceux qui pensent dans ces univers lointains, que savent-ils plus que nous ? Que peuvent-ils plus que nous ? Que voient-ils que nous ne connaissons point ? Un d'eux, un jour ou l'autre, traversant l'espace, n'apparaỵtra-t-il pas sur notre terre pour la conqurir, comme les Normands jadis traversaient la mer pour asservir des peuples plus faibles ?



    Nous sommes si infirmes, si dsarms, si ignorants, si petits, nous autres, sur ce grain de boue qui tourne dlay dans une goutte d'eau.



    Je m'assoupis en rvant ainsi au vent frais du soir.



    Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, rveill par je ne sais quelle motion confuse et bizarre.



    Je ne vis rien d'abord, puis, tout coup, il me sembla qu'une page du livre rest ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d'air n'tait entr par ma fentre. Je fus surpris et j'attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la prcdente, comme si un doigt l'ẻt feuillete. Mon fauteuil tait vide, semblait vide ; mais je compris qu'il tait l, lui, assis ma place, et qu'il lisait. D'un bond furieux, d'un bond de bte rvolte, qui va ventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'treindre, pour le tuer !... Mais mon sige, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on ẻt fui devant moi... ma table oscilla, ma lampe tomba et s'teignit, et ma fentre se ferma comme si un malfaiteur surpris se ft lanc dans la nuit, en prenant pleines mains les battants.



    Donc, il s'tait sauv ; il avait eu peur, peur de moi, lui !



    Alors... alors... demain... ou aprs..., ou un jour quelconque, je pourrai donc le tenir sous mes poings, et l'craser contre le sol ! Est-ce que les chiens, quelquefois, ne mordent point et n'tranglent pas leurs maỵtres ?



    18 aỏt. - J'ai song toute la journe. Oh ! oui je vais lui obir, suivre ses impulsions, accomplir toutes ses volonts, me faire humble, soumis lche. Il est le plus fort. Mais une heure viendra...



    19 aỏt. - Je sais... je sais... je sais tout ! Je viens de lire ceci dans la Revue du Monde scientifique : "Une nouvelle assez curieuse nous arrive de Rio de Janeiro. Une folie, une pidmie de folie, comparable aux dmences contagieuses qui atteignirent les peuples d'Europe au moyen ge, svit en ce moment dans la province de San-Paulo. Les habitants perdus quittent leurs maisons, dsertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant poursuivis, possds, gouverns comme un btail humain par des tres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en outre de l'eau et du lait sans paraỵtre toucher aucun autre aliment.



    "M. le professeur Don Pedro Henriquez, accompagn de plusieurs savants mdecins, est parti pour la province de San-Paulo afin d'tudier sur place les origines et les manifestations de cette surprenante folie, et de proposer l'Empereur les mesures qui lui paraỵtront le plus propres rappeler la raison ces populations en dlire."



    Ah ! Ah ! je me rappelle, je me rappelle le beau trois-mts brsilien qui passa sous mes fentres en remontant la Seine, le 8 mai dernier ! Je le trouvais si joli, si blanc, si gai ! L'Etre tait dessus, venant de l-bas, ó sa race est ne ! Et il m'a vu ! Il a vu ma demeure blanche aussi ; et il a saut du navire sur la rive. Oh ! mon Dieu !



    A prsent, je sais, je devine. Le rgne de l'homme est fini.



    Il est venu, Celui que redoutaient les premires terreurs des peuples nạfs, Celui qu'exorcisaient les prtres inquiets, que les sorciers voquaient par les nuits sombres, sans le voir apparaỵtre encore, qui les pressentiments des maỵtres passagers du monde prtrent toutes les formes monstrueuses ou gracieuses des gnomes, des esprits, des gnies, des fes, des farfadets. Aprs les grossires conceptions de l'pouvante primitive, des hommes plus perspicaces l'ont pressenti plus clairement. Mesmer l'avait devin et les mdecins, depuis dix ans dj, ont dcouvert, d'une faon prcise, la nature de sa puissance avant qu'il l'ẻt exerce lui-mme. Ils ont jou avec cette arme du Seigneur nouveau, la domination d'un mystrieux vouloir sur l'me humaine devenue esclave. Ils ont appel cela magntisme, hypnotisme, suggestion... que sais-je ? Je le ai vus s'amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur nous ! Malheur l'homme ! Il est venu, le... le... comment se nomme-t-il... le... il me semble qu'il me crie son nom, et je ne l'entends pas... le... oui... il le crie... J'coute... je ne peux pas... rpte... le... Horla... J'ai entendu... le Horla... c'est lui... le Horla... il est venu !...



    Ah ! le vautour a mang la colombe ; le loup a mang le mouton ; le lion a dvor le buffle aux cornes aigus ; l'homme a tu le lion avec la flche, avec le glaive, avec la poudre ; mais le Horla va faire de l'homme ce que nous avons fait du cheval et du boeuf : sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule puissance de sa volont. Malheur nous !



    Pourtant, l'animal, quelquefois, se rvolte et tue celui qui l'a dompt... moi aussi je veux... je pourrai... mais il faut le connaỵtre, le toucher, le voir ! Les savants disent que l'oeil de la bte, diffrent du nơtre, ne distingue point comme le nơtre... Et mon oeil moi ne peut distinguer le nouveau venu qui m'opprime.



    Pourquoi ? Oh ! je me rappelle prsent les paroles du moine du mont Saint-Michel : "Est-ce que nous voyons la cent millime partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les difices, dracine les arbres, soulve la mer en montagnes d'eau, dtruit les falaises et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gmit, qui mugit, l'avez-vous vu et pouvez-vous le voir ! Il existe pourtant !"



    Et je songeais encore : mon oeil est si faible, si imparfait, qu'il ne distingue mme point les corps durs, s'ils sont transparents comme le verre !... Qu'une glace sans tain barre mon chemin, il me jette dessus comme l'oiseau entr dans une chambre se casse la tte aux vitres. Mille choses en outre le trompent et l'garent ? Quoi d'tonnant, alors, ce qu'il ne sache point apercevoir un corps nouveau que la lumire traverse.



    Un tre nouveau ! pourquoi pas ? Il devait venir assurment ! pourquoi serions-nous les derniers ! Nous ne le distinguons point, ainsi que tous les autres crs avant nous ? C'est que sa nature est plus parfaite, son corps plus fin et plus fini que le nơtre, que le nơtre si faible, si maladroitement conu, encombr d'organes toujours fatigus, toujours forcs comme des ressorts trop complexes, que le nơtre, qui vit comme une plante et comme une bte, en se nourrissant pniblement d'air, d'herbe et de viande, machine animale en proie aux maladies, aux dformations, aux putrfactions, poussive, mal rgle, nạve et bizarre, ingnieusement mal faite, oeuvre grossire et dlicate, bauche d'tre qui pourrait devenir intelligent et superbe.



    Nous sommes quelques-uns, si peu sur ce monde, depuis l'huỵtre jusqu' l'homme. Pourquoi pas un de plus, une fois accomplie la priode qui spare les apparitions successives de toutes les espces diverses ?



    Pourquoi pas un de plus ? Pourquoi pas aussi d'autres arbres aux fleurs immenses, clatantes et parfumant des rgions entires ? Pourquoi pas d'autres lments que le feu, l'air, la terre et l'eau ? - Ils sont quatre, rien que quatre, ces pres nourriciers des tres ! Quelle piti ! Pourquoi ne sont-ils pas quarante, quatre cents, quatre mille ! Comme tout est pauvre, mesquin, misrable ! avarement donn, schement invent, lourdement fait ! Ah ! l'lphant, l'hippopotame, que de grce ! le chameau, que d'lgance !



    Mais direz-vous, le papillon ! une fleur qui vole ! J'en rve un qui serait grand comme cent univers, avec des ailes dont je ne puis mme exprimer la forme, la beaut, la couleur et le mouvement. Mais je le vois... il va d'toile en toile, les rafraỵchissant et les embaumant au souffle harmonieux et lger de sa course !... Et les peuples de l-haut le regardent passer, extasis et ravis !



    ....................................................................



    Qu'ai-je donc ? C'est lui, lui, le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon me ; je le tuerai !



    19 aỏt. - Je le tuerai. Je l'ai vu ! je me suis assis hier soir, ma table ; et je fis semblant d'crire avec une grande attention. Je savais bien qu'il viendrait rơder autour de moi, tout prs, si prs que je pourrais peut-tre le toucher, le saisir ? Et alors !... alors, j'aurais la force des dsesprs ; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l'trangler, l'craser, le mordre, le dchirer.



    Et je le guettais avec tous mes organes surexcits.



    J'avais allum mes deux lampes et les huit bougies de ma chemine, comme si j'eusse pu, dans cette clart, le dcouvrir.



    En face de moi, mon lit, un vieux lit de chne colonnes ; droite, ma chemine ; gauche, ma porte ferme avec soin, aprs l'avoir laisse longtemps ouverte, afin de l'attirer ; derrire moi, une trs haute armoire glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m'habiller, et ó j'avais coutume de me regarder, de la tte aux pieds, chaque fois que je passais devant.



    Donc, je faisais semblant d'crire, pour le tromper, car il m'piait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon paule, qu'il tait l, frơlant mon oreille.



    Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle tait vide, claire, profonde, pleine de lumire ! Mon image n'tait pas dedans... et j'tais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affols ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il tait l, mais qu'il m'chapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dvor mon reflet.



    Comme j'eus peur ! Puis voil que tout coup je commenai m'apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche droite, lentement, rendant plus prcise mon image, de seconde en seconde. C'tait comme la fin d'une clipse. Ce qui me cachait ne paraissait point possder de contours nettement arrts, mais une sorte de transparence opaque, s'claircissant peu peu.



    Je pus enfin me distinguer compltement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant.



    Je l'avais vu ! L'pouvante m'en est reste, qui me fait encore frissonner.



    20 aỏt. - Le tuer, comment ? puisque je ne peux l'atteindre ? Le poison ? mais il me verrait le mler l'eau ; et nos poisons, d'ailleurs, auraient-ils un effet sur son corps imperceptible ? Non... non... sans aucun doute... Alors ?... alors ?...



    21 aỏt. - J'ai fait venir un serrurier de Rouen et lui ai command pour ma chambre des persiennes de fer, comme en ont, Paris, certains hơtels particuliers, au rez-de-chausse, par crainte des voleurs. Il me fera, en outre, une porte pareille. Je me suis donn pour un poltron, mais je m'en moque !...



    .......................................................................



    10 septembre. - Rouen, hơtel Continental. C'est fait... c'est fait... mais est-il mort ? J'ai l'me bouleverse de ce que j'ai vu.



    Hier donc, le serrurier ayant pos ma persienne et ma porte de fer, j'ai laiss tout ouvert, jusqu' minuit, bien qu'il commenct faire froid.



    Tout coup, j'ai senti qu'il tait l, et une joie, une joie folle m'a saisi. Je me suis lev lentement, et j'ai march droite, gauche, longtemps pour qu'il ne devint rien ; puis j'ai ơt mes bottines et mis mes savates avec ngligence ; puis j'ai ferm ma persienne de fer, et revenant pas tranquilles vers la porte, j'ai ferm la porte aussi double tour. Retournant alors vers la fentre, je la fixai par un cadenas, dont je mis la clef dans ma poche.



    Tout coup, je compris qu'il s'agitait autour de moi, qu'il avait peur son tour, qu'il m'ordonnait de lui ouvrir. Je faillis cder ; je ne cdai pas, mais m'adossant la porte, je l'entrebillai, tout juste assez pour passer, moi, reculons ; et comme je suis trs grand ma tte touchait au linteau. J'tais sr qu'il n'avait pu s'chapper et je l'enfermai, tout seul, tout seul. Quelle joie ! Je le tenais ! Alors, je descendis, en courant ; je pris dans mon salon, sous ma chambre, mes deux lampes et je renversai toute l'huile sur le tapis, sur les meubles, partout ; puis j'y mis le feu, et je me sauvai, aprs avoir bien referm, double tour, la grande porte d'entre. Et j'allai me cacher au fond de mon jardin, dans un massif de lauriers. Comme ce fut long ! comme ce fut long ! Tout tait noir, muet, immobile ; pas un souffle d'air, pas une toile, des montagnes de nuages qu'on ne voyait point, mais qui pesaient sur mon me si lourds, si lourds.



    Je regardais ma maison, et j'attendais. Comme ce fut long ! Je croyais dj que le feu s'tait teint tout seul, ou qu'il l'avait teint, Lui, quand une des fentres d'en bas creva sous la pousse de l'incendie, et une flamme, une grande flamme rouge et jaune, longue, molle, caressante, monta le long du mur blanc et le baisa jusqu'au toit. Une lueur courut dans les arbres, dans les branches, dans les feuilles, et un frisson, un frisson de peur aussi. Les oiseaux se rveillaient ; un chien se mit hurler ; il me sembla que le jour se levait ! Deux autres fentres clatrent aussitơt, et je vis que tout le bas de ma demeure n'tait plus qu'un effrayant brasier. Mais un cri, un cri horrible, suraigu, dchirant, un cri de femme passa dans la nuit, et deux mansardes s'ouvrirent ! J'avais oubli mes domestiques ! Je vis leurs faces affoles, et leurs bras qui s'agitaient !...



    Alors, perdu d'horreur, je me mis courir vers le village en hurlant : "Au secours ! au secours ! au feu ! au feu !" Je rencontrai des gens qui s'en venaient dj et je retournai avec eux, pour voir.



    La maison, maintenant, n'tait plus qu'un bcher horrible et magnifique, un bcher monstrueux, clairant toute la terre, un bcher ó brlaient des hommes, et ó il brlait aussi, Lui, Lui, mon prisonnier, l'Etre nouveau, le nouveau maỵtre, le Horla !



    Soudain le toit tout entier s'engloutit entre les murs et un volcan de flammes jaillit jusqu'au ciel. Par toutes les fentres ouvertes sur la fournaise, je voyais la cuve de feu, et je pensais qu'il tait l, dans ce four, mort...



    "Mort ? Peut-tre ?... Son corps ? son corps que le jour traversait n'tait-il pas indestructible par les moyens qui tuent les nơtres ?



    "S'il n'tait pas mort ?... seul peut-tre le temps a prise sur l'Etre Invisible et Redoutable. Pourquoi ce corps transparent, ce corps inconnaissable, ce corps d'Esprit, s'il devait craindre, lui aussi, les maux, les blessures, les infirmits, la destruction prmature ?



    "La destruction prmature ? toute l'pouvante humaine vient d'elle ! Aprs l'homme, le Horla. - Aprs celui qui peut mourir tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, par tous les accidents, est venu celui qui ne doit mourir qu' son jour, son heure, sa minute, parce qu'il a touch la limite de son existence !



    "Non... non... sans aucun doute, sans aucun doute... il n'est pas mort... Alors... alors... il va donc falloir que je me tue, moi !..."





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    19/07/2001
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    Le conte ci-dessus est, en fait, la deuxiốme version du Horla. Voici la premiốre version.
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    LE HORLA
    (Premiốre version.)
    Le docteur Marrande, le plus illustre et le plus ộminent des aliộnistes, avait priộ trois de ses confrốres et quatre savants, s'occupant de sciences naturelles, de venir passer une heure chez lui, dans la maison de santộ qu'il dirigeait, pour leur montrer un de ses malades.
    Aussitụt que ses amis furent rộunis, il leur *** : "Je vais vous soumettre le cas le plus bizarre et le plus inquiộtant que j'aie jamais rencontrộ. D'ailleurs, je n'ai rien ? vous dire de mon client. Il parlera lui-mờme." Le docteur alors sonna. Un domestique fit entrer un homme. Il ộtait fort maigre, d'une maigreur de cadavre, comme sont maigres certains fous que ronge une pensộe, car la pensộe malade dộvore la chair du corps plus que la fiốvre ou la phtisie.
    Ayant saluộ et s'ộtant assis, il *** :
    Messieurs, je sais pourquoi on vous a rộunis ici et je suis prờt ? vous raconter mon histoire, comme m'en a priộ mon ami le docteur Marrande. Pendant longtemps il m'a cru fou. Aujourd'hui il doute. Dans quelque temps, vous saurez tous que j'ai l'esprit aussi sain, aussi lucide, aussi clairvoyant que les vụtres, malheureusement pour moi, et pour vous, et pour l'humanitộ tout entiốre.
    Mais je veux commencer par les faits eux-mờmes, par les faits tout simples. Les voici :
    J'ai quarante-deux ans. Je ne suis pas mariộ, ma fortune est suffisante pour vivre avec un certain luxe. Donc j'habitais une propriộtộ sur les bords de la Seine, ? Biessard, auprốs de Rouen. J'aime la chasse et la pờche. Or, j'avais derriốre moi, au-dessus des grands rochers qui dominaient ma maison, une des plus belles forờts de France, celle de Roumare, et devant moi un des plus beaux fleuves du monde.
    Ma demeure est vaste, peinte en blanc ? l'extộrieur, jolie, ancienne, au milieu d'un grand jardin plantộ d'arbres magnifiques et qui monte jusqu'? la forờt, en escaladant les ộnormes rochers dont je vous parlais tout ? l'heure.
    Mon personnel se compose, ou plutụt se composait d'un cocher, un jardinier, un valet de chambre, une cuisiniốre et une lingốre qui ộtait en mờme temps une espốce de femme de charge. Tout ce monde habitait chez moi depuis dix ? seize ans, me connaissait, connaissait ma demeure, le pays, tout l'entourage de ma vie. C'ộtaient de bons et tranquilles serviteurs. Cela importe pour ce que je vais dire.
    J'ajoute que la Seine, qui longe mon jardin, est navigable jusqu'? Rouen, comme vous le savez sans doute ; et que je voyais passer chaque jour de grands navires soit ? voile, soit ? vapeur, venant de tous les coins du monde.
    Donc, il y a eu un an ? l'automne dernier, je fus pris tout ? coup de malaises bizarres et inexplicables. Ce fut d'abord une sorte d'inquiộtude nerveuse qui me tenait en ộveil des nuits entiốres, une telle surexcitation que le moindre bruit me faisait tressaillir. Mon humeur s'aigrit. J'avais des colốres subites inexplicables ? J'appelai un mộdecin qui m'ordonna du bromure de potassium et des douches.
    Je me fis donc doucher matin et soir, et je me mis ? boire du bromure. Bientụt, en effet, je recommenỗai ? dormir, mais d'un sommeil plus affreux que l'insomnie. ậ peine couchộ, je fermais les yeux et je m'anộantissais. Oui, je tombais dans le nộant, dans un nộant absolu, dans une mort de l'ờtre entier dont j'ộtais tirộ brusquement, horriblement par l'ộpouvantable sensation d'un poids ộcrasant sur ma poitrine, et d'une bouche qui mangeait ma vie, sur ma bouche. Oh ! ces secousses-l? ! je ne sais rien de plus ộpouvantable.
    Figurez-vous un homme qui dort, qu'on assassine, et qui se rộveille avec un couteau dans la gorge ; et qui rõle couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas -- voil? !
    Je maigrissais d'une faỗon inquiộtante, continue ; et je m'aperỗus soudain que mon cocher, qui ộtait fort gros, commenỗait ? maigrir comme moi.
    Je lui demandai enfin :
    "Qu'avez-vous donc, Jean ? Vous ờtes malade."
    Il rộpon*** :
    "Je crois bien que j'ai gagnộ la mờme maladie que Monsieur. C'est mes nuits qui perdent mes jours."
    Je pensai donc qu'il y avait dans la maison une influence fiộvreuse due au voisinage du fleuve et j'allais m'en aller pour deux ou trois mois, bien que nous fussions en pleine saison de chasse, quand un petit fait trốs bizarre, observộ par hasard, amena pour moi une telle suite de dộcouvertes invraisemblables, fantastiques, effrayantes, que je restai.
    Ayant soif un soir, je bus un demi-verre d'eau et je remarquai que ma carafe, posộe sur la commode en face de mon lit, ộtait pleine jusqu'au bouchon de cristal.
    J'eus, pendant la nuit, un de ces rộveils affreux dont je viens de vous parler. J'allumai ma bougie, en proie ? une ộpouvantable angoisse, et, comme je voulus boire de nouveau, je m'aperỗus avec stupeur que ma carafe ộtait vide. Je n'en pouvais croire mes yeux. Ou bien on ộtait entrộ dans ma chambre, ou bien j'ộtais somnambule.
    Le soir suivant, je voulus faire la mờme ộpreuve. Je fermai donc ma porte ? clef pour ờtre certain que personne ne pourrait pộnộtrer chez moi. Je m'endormis et je me rộveillai comme chaque nuit. On avait bu toute l'eau que j'avais vue deux heures plus tụt.
    Qui avait bu cette eau ? Moi, sans doute, et pourtant je me croyais sỷr, absolument sỷr, de n'avoir pas fait un mouvement dans mon sommeil profond et douloureux.
    Alors j'eus recours ? des ruses pour me convaincre que je n'accomplissais point ces actes inconscients. Je plaỗai un soir, ? cụtộ de la carafe, une bouteille de vieux bordeaux, une tasse de lait dont j'ai horreur, et des gõteaux au chocolat que j'adore.
    Le vin et les gõteaux demeurốrent intacts. Le lait et l'eau disparurent. Alors, chaque jour, je changeai les boissons et les nourritures. Jamais on ne toucha aux choses solides, compactes, et on ne but, en fait de liquide, que du laitage frais et de l'eau surtout.
    Mais ce doute poignant restait dans mon õme. N'ộtait-ce pas moi qui le levais sans en avoir conscience, et qui buvais mờme les choses dộtestộes, car mes sens engourdis par le sommeil somnambulique pouvaient ờtre modifiộs, avoir perdu leurs rộpugnances ordinaires et acquis des goỷts diffộrents.
    Je me servis alors d'une ruse nouvelle contre moi-mờme. J'enveloppai tous les objets auxquels il fallait infailliblement toucher avec des bandelettes de mousseline blanche et je les recouvris encore avec une serviette de batiste.
    Puis, au moment de me mettre au lit, je me barbouillai les mains, les lốvres et les moustaches avec de la mine de plomb.
    A mon rộveil, tous les objets ộtaient demeurộs immaculộs bien qu'on y eỷt touchộ, car la serviette n'ộtait point posộe comme je l'avais mise ; et, de plus, on avait bu de l'eau et du lait. Or ma porte fermộe avec une clef de sỷretộ et mes volets cadenassộs par prudence n'avaient pu laisser pộnộtrer personne.
    Alors, je me posai cette redoutable question : Qui donc ộtait l?, toutes les nuits, prốs de moi ?
    Je sens, messieurs, que je vous raconte cela trop vite. Vous souriez, votre opinion est dộj? faite : "C'est un fou." J'aurais dỷ vous dộcrire longuement cette ộmotion d'un homme qui, enfermộ chez lui, l'esprit sain, regarde, ? travers le verre d'une carafe, un peu d'eau disparue pendant qu'il a dormi. J'aurais dỷ vous faire comprendre cette torture renouvelộe chaque soir et chaque matin, et cet invincible sommeil, et ces rộveils plus ộpouvantables encore.
    Mais je continue.
    Tout ? coup, le miracle cessa. On ne touchait plus ? rien dans ma chambre. C'ộtait fini. J'allais mieux, d'ailleurs. La gaietộ me revenait, quand j'appris qu'un de mes voisins, M. Legite, se trouvait exactement dans l'ộtat oự j'avais ộtộ moi-mờme. Je crus de nouveau ? une influence fiộvreuse dans le pays. Mon cocher m'avait quittộ depuis un mois, fort malade.
    L'hiver ộtait passộ, le printemps commenỗait. Or, un matin, comme je me promenais prốs de mon parterre de rosiers, je vis, je vis distinctement, tout prốs de moi, la tige d'une des plus belles roses se casser comme si une main invisible l'eỷt cueillie ; puis la fleur suivit la courbe qu'aurait dộcrite un bras en la portant vers une bouche, et resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante, ? trois pas de mes yeux.
    Saisi d'une ộpouvante folle, je me jetai sur elle pour la saisir. Je ne trouvai rien. Elle avait disparu. Alors, je fus pris d'une colốre furieuse contre moi-mờme. Il n'est pas permis ? un homme raisonnable et sộrieux d'avoir de pareilles hallucinations !
    Mais ộtait-ce bien une hallucination ? Je cherchai la tige. Je la retrouvai immộdiatement sur l'arbuste, fraợchement cassộe, entre deux autres roses demeurộes sur la branche ; car elles ộtaient trois que j'avais vues parfaitement.
    Alors je rentrai chez moi, l'õme bouleversộe. Messieurs, ộcoutez-moi, je suis calme ; je ne croyais pas au surnaturel, je n'y crois pas mờme aujourd'hui ; mais, ? partir de ce moment-l?, je fus certain, certain comme du jour et de la nuit, qu'il existait prốs de moi un ờtre invisible qui m'avait hantộ, puis m'avait quittộ, et qui revenait.
    Un peu plus tard j'en eus la preuve.
    Entre mes domestiques d'abord ộclataient tous les jours des querelles furieuses pour mille causes futiles en apparence, mais pleines de sens pour moi dộsormais.
    Un verre, un beau verre de Venise se brisa se brisa tout seul, sur le dressoir de ma salle ? manger, en plein jour.
    Le valet de chambre accusa la cuisiniốre, qui accusa la lingốre, qui accusa je ne sais qui.
    Des portes fermộes le soir ộtaient ouvertes le matin. On volait du lait, chaque nuit dans l'office. - Ah !
    Quel ộtait-il ? De quelle nature ? Une curiositộ ộnervộe, mờlộe de colốre et d'ộpouvante, me tenait jour et nuit dans un ộtat d'extrờme agitation.
    Mais la maison redevint calme encore une fois ; et je croyais de nouveau ? des rờves quand se passa la chose suivante :
    C'ộtait le 20 juillet, ? neuf heures du soir. Il faisait fort chaud ; j'avais laissộ ma fenờtre toute grande, ma lampe allumộe sur ma table, ộclairant un volume de Musset ouvert ? la Nuit de Mai ; et je m'ộtais ộtendu dans un grand fauteuil oự je m'endormis.
    Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux, sans faire un mouvement, rộveillộ par je ne sais quelle ộmotion confuse et bizarre. Je ne vis rien d'abord, puis tout ? coup il me sembla qu'une page du livre venait de tourner toute seule. Aucun souffle d'air n'ộtait entrộ par la fenờtre. Je fus surpris ; et j'attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis, messieurs, de mes yeux, une autre page se soulever et sa rabattre sur la prộcộdente comme si un doigt l'eỷt feuilletộe. Mon fauteuil semblait vide, mais je compris qu'il ộtait l?, lui ! je traversai ma chambre d'un bond pour le prendre, pour le toucher, pour la saisir, si cela se pouvait... Mais mon siốge, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eỷt fui devant moi ; ma lampe aussi tomba et s'ộteignit, le verre brisộ ; et ma fenờtre brusquement poussộe comme si un malfaiteur l'eỷt saisie en se sauvant alla frapper sur son arrờt... Ah !
    Je me jetai sur la sonnette et j'appelai. Quand mon valet de chambre parut, je lui dis :
    "J'ai tout renversộ et tout brisộ. Donnez-moi de la lumiốre."
    Je ne dormis plus cette nuit-l?. Et cependant j'avais pu encore ờtre le jouet d'une illusion. Au rộveil les sens demeurent troubles. N'ộtait-ce pas moi qui avais jetộ bas mon fauteuil et ma lumiốre en me prộcipitant comme un fou ?
    Non, ce n'ộtait pas moi ! je le savais ? n'en point douter une seconde. Et cependant je le voulais croire.
    Attendez. L'ấtre ! Comment le nommerais-je ? L'Invisible. Non, cela ne suffit pas. Je l'ai baptisộ le Horla. Pourquoi ? Je ne sais point. Donc le Horla ne me quittait plus guốre. J'avais jour et nuit la sensation, la certitude de la prộsence de cet insaissable voisin, et la certitude aussi qu'il prenait ma vie, heure par heure, minute par minute.
    L'impossibilitộ de le voir m'exaspộrait et j'allumais toutes les lumiốres de mon appartement, comme si j'eusse pu, dans cette clartộ, le dộcouvrir.
    Je le vis, enfin.
    Vous ne me croyez pas. Je l'ai vu cependant. J'ộtais assis devant un livre quelconque, ne lisant pas, mais guettant, avec tous mes organes surexcitộs, guettant celui que je sentais prốs de moi. Certes, il ộtait l?. Mais oự ? Que faisait-il ? Comment l'atteindre ?
    En face de moi mon lit, un vieux lit de chờne ? colonnes. A droite ma cheminộe. A gauche ma porte que j'avais fermộe avec soin. Derriốre moi une trốs grande armoire ? glace qui me servait chaque jour pour me raser, pour m'habiller, oự j'avais coutume de me regarder de la tờte aux pieds chaque fois que je passais devant.
    Donc je faisais semblant de lire, pour le tromper, car il m'ộpiait lui aussi ; et soudain je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon ộpaule, qu'il ộtait l?, frụlant mon oreille.
    Je me dressai, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien !... On y voyait comme en plein jour... et je ne me vis pas dans ma glace ! Elle ộtait vide, claire, pleine de lumiốre. Mon image n'ộtait pas dedans... Et j'ộtais en face... Je voyais le grand verre, limpide du haut en bas ! Et je regardais cela avec des yeux affolộs, et je n'osais plus avancer, sentant bien qu'il se trouvait entre nous, lui, et qu'il m'ộchapperait encore, mais que son corps imperceptible avait absorbộ mon reflet.
    Comme j'eus peur ! Puis voil? que tout ? coup je commenỗai ? m'apercevoir dans une brume au fond du miroir, dans une brume comme ? travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche ? droite, lentement, rendant plus prộcise mon image de seconde en seconde. C'ộtait comme la fin d'une ộclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point possộder de contours nettement arrờtộs, mais une sorte de transparence opaque s'ộclaircissant peu ? peu.
    Je pus enfin me distinguer complốtement ainsi que je fais chaque jour en me regardant.
    Je l'avais vu. L'ộpouvante m'en est restộe qui me fait encore frissonner.
    Le lendemain j'ộtais ici, oự je priai qu'on me gardõt.
    Maintenant, messieurs, je conclus.
    Le docteur Marrande, aprốs avoir longtemps doutộ, se dộcida ? faire seul, un voyage dans mon pays.
    Trois de mes voisins, ? prộsent, sont atteints comme je l'ộtais. Est-ce vrai ?
    Le mộdecin rộpon*** : "C'est vrai !"
    Vous leur avez conseillộ de laisser de l'eau et du lait chaque nuit dans leur chambre pour voir si ces liquides disparaợtraient. Ils l'ont fait. Ces liquides ont-ils disparu comme chez moi ?
    Le mộdecin rộpon*** avec une gravitộ solennelle : "Ils ont disparu."
    Donc, messieurs, un ấtre, un ấtre nouveau, qui sans doute se multipliera bientụt comme nous nous sommes multipliộs, vient d'apparaợtre sur la terre.
    Ah ! vous souriez ! Pourquoi ? parce que cet ấtre demeure invisible. Mais notre oeil, messieurs, est un organe tellement ộlộmentaire qu'il peut distinguer ? peine ce qui est indispensable ? notre existence. Ce qui est trop petit lui ộchappe, ce qui est trop grand lui ộchappe, ce qui est trop loin lui ộchappe. Il ignore les bờtes qui vivent dans une goutte d'eau. Il ignore les habitants, les plantes et le sol des ộtoiles voisines ; il ne voit mờme pas le transparent.
    Placez devant lui une glace sans tain parfaite, il ne la distinguera pas et nous jettera dessus, comme l'oiseau pris dans une maison qui se casse la tờte aux vitres. Donc, il ne voit pas les corps solides et transparents qui existent pourtant ; il ne voit pas l'air dont nous nous nourrissons, ne voit pas le vent qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les ộdifices, dộracine les arbres, soulốve la mer en montagnes d'eau qui font crouler les falaises de granit.
    Quoi d'ộtonnant ? ce qu'il ne voie pas un corps nouveau, ? qui manque sans doute la seule propriộtộ d'arrờter les rayons lumineux.
    Apercevez-vous l'ộlectricitộ ? Et cependant elles existe !
    Cet ờtre, que j'ai nommộ le Horla, existe aussi.
    Qui est-ce ? Messieurs, c'est celui que la terre attend, aprốs l'homme ! Celui qui vient nous dộtrụner, nous asservir, nous dompter, et se nourrir de nous peut-ờtre, comme nous nous nourrissons des boeufs et des sangliers.
    Depuis des siốcles, on le pressent, on le redoute et on l'annonce ! La peur de l'Invisible a toujours hantộ nos pốres.
    Il est venu.
    Toutes les lộgendes de fộes, des gnomes, des rụdeurs de l'air insaisissables et malfaisants, c'ộtait de lui qu'elles parlaient, de lui pressenti par l'homme inquiet et tremblant dộj?.
    Et tout ce que vous faites vous-mờmes, messieurs, depuis quelques ans, ce que vous appelez l'hypnotisme, la suggestion, le magnộtisme - c'est lui que vous annoncez, que vous prophộtisez !
    Je vous dis qu'il est venu. Il rụde inquiet lui-mờme comme les premiers hommes, ignorant encore sa force et sa puissance qu'il connaợtra bientụt, trop tụt.
    Et voici, messieurs, pour finir, un fragment de journal qui m'est tombộ sous la main et qui vient de Rio de Janeiro. Je lis : "Une sorte d'ộpidộmie de folie semble sộvir depuis quelques temps dans la province de San-Paulo. Les habitants de plusieurs villages se sont sauvộs abandonnant leurs terres et leurs maisons et se prộtendant poursuivis et mangộs par des vampires invisibles qui se nourrissent de leur souffle pendant leur sommeil et qui ne boiraient, en outre, que de l'eau, et quelquefois du lait !"
    J'ajoute : "Quelques jours avant la premiốre atteinte du mal dont j'ai failli mourir, je me rappelle parfaitement avoir vu passer un grand trois-mõts brộsilien avec son pavillon dộployộ... Je vous ai *** que ma maison est au bord de l'eau... toute blanche... Il ộtait cachộ sur ce bateau sans doute..."
    Je n'ai plus rien ? ajouter, messieurs.
    Le docteur Marrande se leva et murmura :
    "Moi non plus. Je ne sais si cet homme est fou ou si nous le sommes tous les deux..., ou si... si notre successeur est rộellement arrivộ."
    26 octobre 1886

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