1. Tuyển Mod quản lý diễn đàn. Các thành viên xem chi tiết tại đây

LE MIRACLE DU GRAND SAINT NICOLAS

Chủ đề trong 'Văn học' bởi Angelique, 19/05/2001.

  1. 1 người đang xem box này (Thành viên: 0, Khách: 1)
  1. Angelique

    Angelique Thành viên quen thuộc

    Tham gia ngày:
    17/04/2001
    Bài viết:
    940
    Đã được thích:
    0
    LE MIRACLE DU GRAND SAINT NICOLAS =================================

    Saint Nicolas, ộvờque de Myre en Lycie, vivait l'ộpoque de Constantin le Grand. Les plus anciens et les plus graves auteurs qui aient parlộ de lui cộlốbrent ses vertus, ses travaux, ses mộrites ; ils donnent de sa saintetộ des preuves abondantes ; mais aucun d'eux ne rapporte le miracle du saloir. Il n'en est pas fait mention non plus dans La Lộgende dorộe. Ce silence est considộrable : pourtant on ne se rộsout pas volontiers mettre en doute un fait si cộlốbre, attestộ par la complainte universellement connue :

    Il ộtait trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs...

    Ce texte fameux *** expressộment qu'un charcutier cruel mit les innocents ôau saloir comme pourceauxằ. C'est--dire apparemment qu'il les conserva, coupộs par morceaux, dans un bain de saumure. En effet, c'est ainsi que s'opốre la salaison du porc : mais on est surpris de lire ensuite que les trois petits enfants restốrent sept ans dans la saumure, tandis qu' l'ordinaire on commence au bout de six semaines environ retirer du baquet, avec une fourchette de bois, les morceaux de chair. Le texte est formel : ce fut sept annộes aprốs le crime que, selon la complainte, le grand saint Nicolas entra dans l'auberge mau***e. Il demanda souper. L'hụte lui offrit un morceau de jambon.

    -- Je n'en veux pas ; il n'est pas bon.

    -- Voulez-vous un morceau de veau ?

    -- Je n'en veux pas ; il n'est pas beau.

    -- Du p'tit salộ je veux avoir

    -- Qu'y a sept ans qu'est dans le saloir.

    Quand le boucher enten*** c'la, Hors de la porte il s'enfuya.

    Aussitụt, par l'imposition des mains sur la saloir, l'homme de Dieu ressuscita les tendres victimes.

    Tel est, en substance, le rộcit du vieil anonyme ; il porte en lui les caractốres inimitables de la candeur et de la bonne foi. Le scepticisme semble mal inspirộ quand il s'attaque aux souvenirs les plus vivants de la conscience populaire. Aussi n'est-ce pas sans une vive satisfaction que j'ai trouvộ moyen de concilier l'autoritộ de la complainte avec le silence des anciens biographes du pontife lycien. Je suis heureux de proclamer le rộsultat de mes longues mộ***ations et de mes savantes recherches. Le miracle du saloir est vrai, du moins en ce qu'il a d'essentiel ; mais ce n'est pas le bienheureux ộvờque de Myre qui l'a opộrộ ; c'est un autre saint Nicolas, car il y en a deux : l'un, comme nous l'avons ***, ộvờque de Myre en Lycie ; l'autre, moins ancien, ộvờque de Trinque balle en Vervignole. Il m'ộtait rộservộ d'en faire la distinction. C'est l'ộvờque de Trinqueballe qui a tirộ les trois petits garỗons du saloir ; je l'ộtabli rai sur des documents authentiques et l'on n'aura pas dộplorer la fin d'une lộgende.

    J'ai ộtộ assez heureux pour retrouver toute l'histoire de l'ộvờque Nicolas et des enfants ressuscites par lui. J'en ai fait un rộcit qu'on lira, j'espốre, avec plaisir et profit.

    --- I ---

    Nicolas, issu d'une illustre famille de Vervignole, donna dốs l'enfance des marques de saintetộ et fit voeu, l'õge de quatorze ans, de se consacrer au Seigneur. Ayant embrassộ l'ộtat ecclộsiastique, il fut ộlevộ, jeune encore, par l'acclamation populaire et le voeu du chapitre, sur le siốge de saint Cromadaire, apụtre de Vervignole et premier ộvờque de Trinqueballe. Il exerỗait pieusement son ministốre pastoral, gouvernait ses clercs avec sagesse, enseignait le peuple et ne craignait pas de rappeler les grands la justice et la modộration. Il se montrait libộral, abondant en aumụnes, et rộservait aux pauvres la plus grande partie de ses richesses.

    Son chõteau dressait fiốrement, sur une colline dominant la ville, ses murs crộnelộs et ses toits en poivriốre. Il en faisait un refuge ou tous ceux que poursuivait la justice sộculiốre trouvaient un asile. Dans la salle du bas, la plus vaste qu'on pỷt voir en toute la Vervignole, la table dressộe pour les repas ộtait si longue que ceux qui se tenaient l'un des bouts la voyaient se perdre au loin en une pointe indistincte, et, quand on y allumait des flambeaux, elle rappelait la queue de la comốte apparue en Vervignole pour annoncer la mort du roi Comus. Le saint ộvờque Nicolas se tenait au haut bout. Il y traitait les principaux de la ville et du royaume et une multitude de clercs et de laùques. Mais un siốge ộtait rộservộ sa droite pour le pauvre qui viendrait la porte mendier son pain. Les enfants surtout ộveillaient la sollicitude du bon saint Nicolas. Il se dộlectait de leur innocence et se sentait pour eux un coeur de pốre et des entrailles de mốre. Il avait les vertus et les moeurs d'un apụtre. Chaque annộe, sous l'habit d'un simple religieux, un bõton blanc la main, il visitait ses ouailles, jaloux de tout voir par ses yeux ; et pour qu'aucune infortune, aucun dộsordre ne pỷt lui ộchapper, il parcourait, accompagnộ d'un seul clerc, les parties les plus sauvages de son diocốse, traversant, durant l'hiver, les fleuves dộbordộs, gravissant les montagnes de glace et s'enfonỗant dans les forờts ộpaisses.

    Or, une fois qu'il avait chevauchộ sur sa mule, depuis l'aube, en compagnie du diacre Modernus, travers les bois sombres, hantộs du lynx et du loup, et les sapins antiques qui hộrissent les sommets des monts Marmouse, l'homme de Dieu pộnộtra, au tomber du jour, dans des halliers ộpineux oự sa monture se frayait difficilement un chemin sinueux et lent. Le diacre Modernus le suivait grand'peine sur sa mule, qui portait le bagage.

    Accablộ de fatigue et de faim, l'homme de Dieu *** Modernus :

    -- Arrờtons-nous, mon fils, et, s'il te reste un peu de pain et de Vin, nous souperons ici, car je ne me sens guốre la force d'aller plus avant, et tu dois, bien que plus jeune, ờtre presque aussi las que moi.

    --Monseigneur, rộpon*** Modernus, il ne me reste ni une goutte de vin ni une miette de pain, car j'ai tout donnộ, par votre ordre, sur la route, a des gens qui en avaient moins besoin que nous.

    --Sans doute, rộpliqua l'ộvờque, s'il ộtait restộ encore dans ton bissac quelques rogatons, nous les eussions pris avec plaisir, car il convient que ceux qui gouvernent l'ẫglise se nourrissent du rebut des pauvres. Mais puisque tu n'as plus rien, c'est que Dieu l'a voulu, et sỷrement il l'a voulu pour notre bien et profit. Il est possible qu'il nous cache jamais les raisons de ce bienfait ; peut-ờtre, au contraire, nous les fera-t-il bientụt paraitre. En attendant, ce qui nous reste a faire est, je crois, de pousser devant nous jusqu' ce que nous trouvions des arbouses et des mỷres pour notre nourriture et de l'herbe pour nos mules et, ainsi rộconfortộs, de nous ộtendre sur un lit de feuilles.

    -- Comme il vous plaira, seigneur, rộpon*** Modernus en piquant sa monture.

    Ils cheminốrent toute la nuit et une partie de la matinộe, puis, ayant gravi une cụte assez roide, ils se trouvốrent soudain l'orộe du bois et virent leurs pieds une plaine recouverte d'un ciel fauve et traversộe de quatre routes põles, qui s'allaient perdre dans la brume. Ils prirent celle de gauche, vieille voie romaine, autrefois frộquentộe des marchands et des pốlerins, mais dộserte depuis que la guerre dộsolait cette partie de la Vervignole.

    Des nuộes ộpaisses s'amassaient dans le ciel, oự fuyaient les oiseaux ; un air ộtouffant pesait sur la terre livide et muette ; des lueurs tremblaient l'horizon. Ils excitốrent leurs mules fatiguộes. Soudain un grand vent courba les cimes des arbres, fit crier les branches et gộmir le feuillage battu. Le tonnerre gronda et de grosses gouttes de pluie commencốrent tomber.

    Comme ils cheminaient dans la tempờte, aux ộclats de la foudre, sur la route changộe en torrent, ils aperỗurent dans un ộclair une maison oự pendait une branche de houx, signe d'hospitalitộ. Ils arrờtốrent leurs montures.

    L'auberge paraissait abandonnộe ; pourtant l'hụte s'avanỗa vers eux, la fois humble et farouche, un grand couteau la ceinture, et leur demanda ce qu'ils voulaient.

    -- Un gợte et un morceau de pain, avec un doigt de vin, rộpon*** l'ộvờque, car nous sommes las et transis.

    Tandis que l'hụte prenait du vin au cellier et que Modernus conduisait les mules l'ộcurie, saint Nicolas, assis devant l'õtre, prốs d'un feu mourant, promena ses regards sur la salle enfumộe. La poussiốre et la crasse couvraient les bancs et les bahuts ; les araignộes tissaient leur toile entre les solives vermoulues, oự pendaient de maigres bottes d'oignons. Dans un coin sombre, le saloir ộtalait son ventre cerclộ de fer.

    En ce temps-l, les dộmons se mờlaient bien plus intimement qu'aujourd'hui la vie domestique. Ils hantaient les maisons ; blottis dans la boợte au sel, dans le pot au beurre ou dans quelque autre retraite, ils ộpiaient les gens et guettaient l'occasion de les tenter et de les induire en mal. Les anges aussi faisaient alors parmi les chrộtiens des apparitions plus frộquentes.

    Or, un diable gros comme une noisette, cachộ dans les tisons, prit la parole et *** au saint ộvờque :

    Regardez ce saloir, mon pốre : il en vaut la peine. C'est le meilleur saloir de toute la Vervignole. C'est le modốle et le parangon des saloirs. Le maợtre de cộans, le seigneur Garum, quand il le reỗut des mains d'un habile tonnelier, le par fuma de geniốvre, de thym et de romarin. Le seigneur Garum n'a pas son pareil pour saigner la chair, la dộsosser, la dộcouper curieusement, studieusement, amoureusement, et l'imprộgner des esprits salins qui la conservent et l'embaument. Il est sans rival pour assaisonner, concentrer, rộduire, ộcumer, tamiser, dộcanter la saumure. Goỷtez de son petit salộ, mon pốre, et vous vous en lốcherez les doigts : goỷtez de son petit salộ, Nicolas, et vous m'en direz des nouvelles.

    Mais, ce langage, et surtout la voix qui le tenait (elle grinỗait comme une scie), le saint ộvờque reconnut le malin esprit. Il fit le signe de la croix et aussitụt le petit diable, comme une chõtaigne qu'on a jetộe au feu sans la fendre, ộclata avec un bruit horrible et une grande puanteur.

    Et un ange du ciel apparut, resplendissant de lumiốre, Nicolas, et lui *** :

    ư- Nicolas, cher au Seigneur, il faut que tu saches que trois petits enfants sont dans ce saloir depuis sept ans. Le cabaretier Garum a coupộ ces tendres enfants par morceaux et les a mis dans le sel et la saumure. Lốve-toi, Nicolas, et prie afin qu'ils ressuscitent. Car si tu intercốdes pour eux, ụ pontife, le Seigneur, qui t'aime, les rendra la vie...

    Pendant ce discours, Modernus entra dans la salle, mais il ne vit pas l'ange, et il ne l'enten*** pas, parce qu'il n'ộtait pas assez saint pour communiquer avec les esprits cộlestes.

    L'ange *** encore :

    -- Nicolas, fils de Dieu, tu imposeras les mains sur le saloir et les trois petits enfants seront ressuscitộs.

    Le bienheureux Nicolas, rempli d'horreur, de pitiộ, de zốle et d'espộrance, ren*** grõces Dieu, et, quand l'hụtelier reparut, un broc chaque bras, le saint lui *** d'une voix terrible :

    -- Garum, ouvre le saloir !

    A cette parole, Garum, ộpouvantộ, laissa tomber ses deux brocs.

    Et le saint ộvờque Nicolas ộten*** les mains et *** :

    -- Enfants, levez-vous !

    A ces mots, le saloir souleva son couvercle et trois jeunes garỗons en sortirent.

    ư Enfants, leur *** l'ộvờque, louez Dieu qui, par mes mains, vous a tirộs du saloir.

    Et, se tournant vers l'hụtelier, qui tremblait de tous ses membres :

    -- Homme cruel, lui ***-il, reconnais les trois enfants que tu as vilainement mis mort. Puisses-tu dộtester ton crime et t'en repentir pour que Dieu te pardonne !

    L'hụtelier, rempli d'effroi, s'enfuit dans la tempờte, sous le tonnerre et les ộclairs.

    ---II---

    Saint Nicolas embrassa les trois enfants et les interrogea avec douceur sur la mort qu'ils avaient misộrablement soufferte. Ils contốrent que Garum, s'ộtant approchộ d'eux tandis qu'ils glanaient aux champs, les avait attirộs dans son auberge, leur avait fait boire du vin et les avait ộgorgộs pendant leur sommeil.

    Ils portaient encore les haillons dont ils ộtaient vờtus au jour de leur mort et gardaient en leur rộsurrection un air craintif et sauvage. Le plus robuste des trois, Maxime, ộtait le fils d'une folle femme, qui suivait sur un õne les gens d'armes la guerre. Il tomba une nuit du panier dans lequel elle le portait, et resta abandonnộ sur la route. Depuis lors, il avait vộcu seul de maraude. Le plus malingre, Robin, se rappelait peine ses parents, paysans des hautes terres, qui, trop pauvres ou trop avares pour le nourrir, l'avaient exposộ dans la forờt. Sulpice, le troisiốme, ne connaissait rien de sa naissance, mais un prờtre lui avait appris sa croix-de-Dieu.

    L'orage avait cessộ. Dans l'air limpide et lộger les oiseaux s'entr'appelaient grands cris. La terre verdoyait et riait. Modernus ayant amenộ les mules, l'ộvờque Nicolas monta la sienne et tint Maxime enveloppộ dans son manteau ; le diacre prit en croupe Sulpice et Robin, et ils s'acheminốrent vers la ville de Trinqueballe.

    La route se dộroulait entre des champs de blộ, des vignes et des prairies. Chemin faisant, le grand saint Nicolas, qui aimait dộj ces enfants de tout son coeur, les interrogeait sur des sujets proportionnộs leur õge et leur posait des questions faciles, comme, par exemple : ô Combien font cinq fois cinq ? ằ ou ô Qu'est-ce que Dieu ? ằ Il n'en obtenait pas de rộponses satisfaisantes. Mais, loin de leur faire honte de leur ignorance, il ne songeait qu' la dissiper graduellement par l'application des meilleures rốgles pộdagogiques.

    Modernus, ***-il, nous leur enseignerons premiốrement les vộritộs nộcessaires au salut, secondement les arts libộraux, et, en particulier, la musique, afin qu'ils puissent chanter les louanges du Seigneur. Il conviendra aussi de leur enseigner la rhộtorique, la philosophie et l'histoire des hommes, des animaux et des plantes. Je veux qu'ils ộtudient, dans leurs moeurs et leur structure, les animaux dont tous les organes, par leur inconcevable perfection, attestent la gloire du Crộateur. Le vộnộrable pontife avait peine achevộ ce discours qu'une paysanne passa sur la route, tirant par lu licol une vieille jument si chargộe de ramộe que ses jarrets en tremblaient et qu'elle bronchait chaque pas.

    -- Hộlas ! soupira le grand saint Nicolas, voici un pauvre cheval qui porte plus que son faix. Il ộchut, pour son malheur, des maợtres injustes et durs. On ne doit surcharger nulles crộatures, pas mờme les bờtes de somme.

    A ces paroles les trois garỗons ộclatốrent de rire. L'ộvốque leur ayant demandộ pourquoi ils riaient si fort : Parce que..., *** Robin.

    -- A cause..., *** Sulpice.

    Nous rions, *** Maxime, de ce que vous prenez une jument pour un cheval. Vous n'en voyez pas la diffộrence : elle est pourtant bien visible. vous vous connaissez donc pas en animaux ?

    -- Je crois, *** Modernus, qu'il faut d'abord apprendre ces enfants la civilitộ.

    A chaque ville, bourg, village, hameau, chõteau, oự il passait, saint Nicolas montrait aux habitants les enfants tirộs du saloir et contait le grand miracle que Dieu avait fait par son intercession, et chacun, tout joyeux, l'en bộnissait. Instruit par des courriers et des voyageurs d'un ộvộnement si prodigieux, le peuple de Trinqueballe se porta tout entier au-devant de son pasteur, dộroula des tapis prộcieux et sema des fleurs sur son chemin. Les citoyens contemplaient avec des yeux mouillộs de larmes les trois victimes ộchappộes du saloir et criaient : ô Noởl ! ằ Mais ces pauvres enfants ne savaient que rire et tirer la langue ; et cela les faisait plaindre et admirer davantage comme une preuve sensible de leur innocence et de leur misốre.

    Le saint ộvờque Nicolas avait une niốce orpheline, nommộe Mirande, qui venait d'atteindre sa septiốme annộe, et qui lui ộtait plus chốre que la lumiốre de ses yeux. Une honnờte veuve, nommộe Basine, l'ộlevait dans la piộtộ, la biensộance et l'ignorance du mal. C'est a cette dame qu'il confia les trois enfants miraculeusement sauvộs. Elle ne manquait pas de jugement. Trốs vite elle s'aperỗut que Maxime avait du courage, Robin de la prudence et Sulpice de la rộflexion, et s'efforỗa d'affermir ces bonnes qualitộs qui, par suite de la corruption commune tout le genre humain, tendaient sans cesse se pervertir et se dộnaturer ; car la cautốle de Robin tournait volontiers en dissimulation et cachait, le plus souvent, d'õpres convoitises ; Maxime ộtait sujet des accốs de fureur et Sulpice exprimait frộquemment avec obstination, sur les matiốres les plus importantes, des idộes fausses. Au demeurant, c'ộtaient de simples enfants qui dộnichaient les couvộes, volaient des fruits dans les jardins, attachaient des casseroles la queue des chiens, mettaient de l'encre dans les bộnitiers et du poil gratter dans le lit de Modernus. La nuit, enveloppộs de draps et montộs sur des ộchasses, ils allaient dans les jardins et faisaient ộvanouir de peur les servantes attardộes aux bras de leurs amoureux. Ils hộrissaient de pointes le siốge sur lequel madame Basine avait coutume de se mettre, et, quand elle s'asseyait, ils jouissaient de sa douleur, observant l'embarras oự elle se trouvait de porter publiquement une main vigilante et secourable l'endroit offensộ, car elle n'eỷt pour rien au monde manquộ la modestie.

    Cette dame, malgrộ son õge et ses vertus, ne leur inspirait ni amour ni crainte. Robin l'appelait vieille bique, Maxime, vieille bourrique, et Sulpice õnesse de Balaam. Ils tourmentaient de toutes les maniốres la petite Mirande, lui salissaient ses belles robes, la faisaient tomber le nez sur les pierres. Une fois, ils lui enfoncốrent la tờte jusqu'au cou dans un tonneau de mộlasse. Ils lui apprenaient enfourcher les barriốres et grimper aux arbres, contrairement aux biensộances de son ***e ; ils lui enseignaient des faỗons et des termes qui sentaient l'hụtellerie et le saloir. Elle appelait, sur leur exemple, la respectable dame Basine vieille bique, et mờme, prenant la partie pour le tout, cul de bique. Mais elle restait parfaitement innocente. La puretộ de son õme ộtait inaltộrable.

    -- Je suis heureux, disait le saint ộvờque Nicolas, d'avoir tirộ ces enfants du saloir pour en faire de bons chrộtiens. Ils deviendront de fidốles serviteurs de Dieu et leurs mộrites me seront comptộs.

    Or, la troisiốme annộe aprốs leur rộsurrection, dộj grands et bien formộs, un jour de printemps, comme ils jouaient tous trois dans la prairie, au bord de la riviốre, Maxime, dans un moment d'humeur et par fiertộ naturelle, jeta dans l'eau le diacre Modernus, qui, suspendu une branche de saule, appela au secours. Robin s'approcha, fit mine de le tirer par la main, lui prit son anneau et s'en fut.

    Cependant, Sulpice immobile sur la berge et les bras croisộs, disait :

    -- Modernus fait une mauvaise fin. Je vois six diables en forme de chauves-souris prờts lui cueillir l'õme sur la bouche.

    Au rapport que la dame Basine et Modernus lui firent de cette grave affaire, le saint ộvờque s'affligea et poussa des soupirs.

    -- Ces enfants, ***-il, ont ộtộ nourris dans la souffrance par des parents indignes. L'excốs de leurs maux a causộ la difformitộ de leur caractốre. Il convient de redresser leurs torts avec une longue patience et une obstinộe douceur.

    -- Seigneur ộvờque, rộpliqua Modernus, qui dans sa robe de chambre grelottait la fiốvre et ộternuait sous son bonnet de nuit, car sa baignade l'avait enrhumộ, il se peut que leur mộchancetộ leur vienne de la mộchancetộ de leurs parents. Mais comment expliquez- vous, mon pốre, que les mauvais soins aient produit en chacun d'eux des vices diffộrents, et pour ainsi dire contraires, et que l'abandon et le dộnuement oự ils ont ộtộ jetộs avant d'ờtre mis au saloir aient rendu l'un cupide, l'autre violent, le troisiốme visionnaire ? Et c'est ce dernier qui, a votre place, seigneur, m'inquiộterait le plus.

    -- Chacun de ces enfants, rộpon*** l'ộvờque, a flộchi par son endroit faible. Les mauvais traitements ont dộformộ leur õme dans les parties qui prộsentaient le moins de rộsistance. Redressons-les avec mille prộcautions, de peur d'augmenter le mal au lieu de le diminuer. La mansuộtude, la clộmence et la longanimitộ sont les seuls moyens qu'on doive jamais employer pour l'amendement des hommes, les hộrộtiques exceptộs, bien entendu.

    -- Sans doute, mon seigneur, sans doute, rộpliqua Modernus, en ộternuant trois fois. Mais il n'y a pas de bonne ộducation sans castoiement, ni discipline sans discipline. Je m'entends. Et, si vous ne punissez pas ces trois mauvais garnements, ils deviendront pires qu'Hộrode. C'est moi qui vous le dis.

    -- Modernus pourrait n'avoir pas tort, *** la dame Basine.

    L'ộvờque ne rộpon*** point. Il cheminait avec le diacre et la veuve, le long d'une haie d'aubộpine, qui exhalait une agrộable odeur de miel et d'amande amốre. A un endroit un peu creux, oự la terre recueillait l'eau d'une source voisine, il s'arrờta devant un arbuste, dont les rameaux serrộs et tordus sa couvraient abondamment de feuilles dộcoupộes et luisantes et de blancs corymbes de fleurs.

    -- Regardez, ***-il, ce buisson touffu et parfumộ, ce beau bois-de-mai, cette noble ộpine si vive et si forte ; voyez qu'elle est plus copieuse en feuilles et plus glorieuse en fleurs, que toutes les autres ộpines de la haie. Mais observez aussi que l'ộcorce põle de ses branches porte des ộpines en petit nombre, faibles, molles, ộpointộes. D'oự vient cela ? C'est que, nourrie dans un sol humide et gras, tranquille et sỷre des richesses qui soutiennent sa vie, elle a employộ les sucs de la terre croợtre sa puissance et sa gloire, et, trop robuste pour songer s'armer contre ses faibles ennemis, elle est toute aux joies de sa fộcon***ộ magnifique et dộlicieuse. Faites maintenant quelques pas sur le sentier qui monte et tournez vos regards sur cet autre pied d'aubộpine, qui, laborieusement sorti d'un sol pierreux et sec, languit, pauvre en bois, en feuilles, et n'a pensộ, dans sa rude vie, qu' s'armer et se dộfendre contre les ennemis innombrables qui menacent les ờtres dộbiles. Aussi n'est-il qu'un fagot d'ộpines. Le peu qui lui montait de sốve, il l'a dộpensộ construire des dards innombrables, larges la base, durs, aigus, qui rassurent mal sa faiblesse craintive. Il ne lui est rien restộ pour la fleur odorante et fộconde. Mes amis, il en est de nous comme de l'aubộpine. Les soins donnộs notre enfance nous font meilleurs. Une ộducation trop dure nous durcit.

    ---III---

    Quand il toucha sa dix-septiốme annộe, Maxime remplit le saint ộvờque Nicolas de tribulation et le diocốse de scandale en formant et instruisant une compagnie de vauriens de son õge, en vue d'enlever les filles d'un village nommộ les Grosses-Nattes, situộ quatre lieues au nord de Trinqueballe. L'expộ***ion rộussit merveilleusement. Les ravisseurs rentrốrent la nuit dans la ville, serrant contre leurs poitrines les vierges ộchevelộes, qui levaient en vain au ciel des yeux ardents et des mains suppliantes. Mais quand les pốres, frốres et fiancộs de ces filles ravies vinrent les chercher, elles refusốrent de retourner au pays natal, allộguant qu'elles y sentiraient trop de honte, et prộfộrant cacher leur dộshonneur dans les bras qui l'avaient causộ. Maxime qui, pour sa part, avait pris les trois plus belles, vivait en leur compagnie dans un petit manoir dộpendant de la mense ộpiscopale. Sur l'ordre de l'ộvờque, le diacre Modernus vint, en l'absence de leur ravisseur, frapper a leur porte, annonỗant qu'il les venait dộlivrer. Elles refusốrent d'ouvrir, et comme il leur reprộsentait l'abomination de leur vie, elles lui lõchốrent sur la tờte une potộe d'eau de vais selle avec le pot, dont il eut le crõne fờlộ.

    Armộ d'une douce sộvộritộ, le saint ộvờque Nicolas reprocha cette violence et ce dộsordre Maxime :

    -- Hộlas ! lui ***-il, vous ai-je tirộ du saloir pour la perte des vierges de Vervignole ?

    Et il lui remontra la grandeur de sa faute. Mais Maxime haussa les ộpaules et lui tourna le dos sans faire de rộponse.

    En ce moment-l, le roi Berlu, dans la quatorziốme annộe de son rốgne, assemblait une puissante armộe pour combattre les Mambourniens, obstinộs ennemis de son royaume, et qui, dộbarquộs en Vervignole, ravageaient et dộpeuplaient les plus riches provinces de ce grand pays.

    Maxime sortit de Trinqueballe sans dire adieu personne. Quand il fut quelques lieues de la ville, avisant dans un põturage une jument assez bonne, cela prốs qu'elle ộtait borgne et boiteuse, il sauta dessus et lui fit prendre le galop. Le lendemain matin, rencontrant d'aventure un garỗon de ferme, qui menait boire un grand cheval de labour, il mit aussitụt pied terre, enfourcha le grand cheval, ordonna au garỗon de monter la jument borgne et de le suivre, lui promettant de le prendre pour ộcuyer s'il ộtait content de lui. Dans cet ộquipage Maxime se prộsenta au roi Berlu, qui agrộa ses services. Il devint en peu de jours un des plus grands capitaines de Vervignole.

    Cependant Sulpice donnait au saint ộvờque des sujets d'inquiộtude plus cruels peut-ờtre et certainement plus graves ; car si Maxime pộchait griốvement, il pộchait sans malice et offensait Dieu sans y prendre garde et, pour ainsi dire, sans le savoir. Sulpice mettait mal faire une plus grande et plus ộtrange malice. Se destinant dốs l'enfance l'ộtat ecclộsiastique, il ộtudiait assidỷment les lettres sacrộes et profanes ; mais son õme ộtait un vase corrompu oự la vộritộ se tournait en erreur. Il pộchait en esprit ; il errait en matiốre de foi avec une prộcocitộ surprenante ; l'õge oự l'on n'a pas encore d'idộes, il abondait en idộes fausses. Une pensộe lui vint, suggộrộe sans doute par le diable. Il rộunit dans une prairie appartenant l'ộvờque une multitude de jeunes garỗons et de jeunes filles de son õge et, montộ sur un arbre, les exhorta quitter leurs pốre et mốre pour suivre Jộsus-Christ et s'en aller par bandes dans les campagnes, brỷlant prieurộs et presbytốres afin de ramener l'ẫglise la pauvretộ ộvangộlique. Cette jeunesse, ộmue et sộduite, suivit le pộcheur sur les routes de Vervignole, chantant des cantiques, incendiant les granges, pillant les chapelles, ravageant les terres ecclộsiastiques. Plusieurs de ces insensộs pộrirent de fatigue, de faim et de froid, ou assommộs par les villageois. Le palais ộpiscopal retentissait des plaintes des religieux et des gộmissements des mốres. Le pieux ộvờque Nicolas manda le fauteur de ces dộsordres et, avec une mansuộtude extrờme et une infinie tristesse, lui reprocha d'avoir abusộ de la parole pour sộduire les esprits, et lui reprộsenta que Dieu ne l'avait pas tirộ du saloir pour attenter aux biens de notre sainte mốre l'ẫglise.

    -- Considộrez, mon fils, lui ***-il, la grandeur de votre faute. ôVous paraissez devant votre pasteur tout chargộ de troubles, de sộ***ions et de meurtres .

    Mais le jeune Sulpice, gardant un calme ộpouvantable, rộpon*** d'une voix assurộe qu'il n'avait point pộchộ ni offensộ Dieu, mais au contraire agi sur le commandement du Ciel pour le bien de l'ẫglise. Et il professa, devant le pontife consternộ, les fausses doctrines des Manichộens, des Ariens, des Nestoriens, des Sabelliens, des Vaudois, des Albigeois et des Bộgards, si ardent embrasser ces monstrueuses erreurs, qu'il ne s'apercevait pas que, contraires les unes aux autres, elles s'entre dộvoraient sur le sein qui les rộchauffait.

    Le pieux ộvờque s'efforỗa de ramener Sulpice dans la bonne voie ; mais il ne put vaincre l'obstination de ce malheureux.

    Et, l'ayant congộdiộ, il s'agenouilla et *** :

    -- Je vous rends grõce, Seigneur, de m'avoir donnộ ce jeune homme comme une meule oự s'aiguisent ma patience et ma charitộ.

    Tandis que deux des enfants tirộs du saloir lui causaient tant de peine, saint Nicolas recevait du troisiốme quelque consolation. Robin ne se montrait ni violent dans ses actes ni superbe en ses pensộes. Il n'ộtait pas de sa personne dru et rubicond ainsi que Maxime le capitaine ; il n'avait pas l'air audacieux et grave de Sulpice. De petite apparence, mince, jaune, plissộ, recroquevillộ, d'humble maintien,rộvộrencieux et vộrộcondieux, s'appliquait rendre de bons offices l'ộvờque gens d'ẫglise, aidant les clercs tenir les comptes de la mense ộpiscopale, faisant, au moyen de boules enfilộes dans des tringles, des calculs compliquộs, et mờme il multipliait et divisait des nombres, sans ardoise ni crayon, de tờte, avec une rapi***ộ et une exactitude qu'on eỷt admirộes chez un vieux maợtre des monnaies et des finances. C'ộtait un plaisir pour lui de tenir les livres du diacre Modernus qui, se faisant vieux, brouillait les chiffres et dormait sur son pupitre. Pour obliger le seigneur ộvờque et lui procurer de l'argent, il n'ộtait peine ni fatigue qui lui coỷtõt : il apprenait des Lombards calculer les intộrờts simples et composộs d'une somme quelconque pour un jour, une semaine, un mois, une annộe ; il ne craignait pas de visiter, dans les ruelles noires du Ghetto, les juifs sordides, afin d'apprendre, en conversant avec eux, le titre des mộtaux, le prix des pierres prộcieuses et l'art de rogner les monnaies. Enfin, avec un petit pộcule qu'il s'ộtait fait par merveilleuse industrie, il suivait en Vervignole, en Mondousiane et jusqu'en Mambournie, les foires, les tournois, les pardons, les jubilộs oự affluaient de toutes les parties de la chrộtientộ des gens de toutes con***ions, paysans, bourgeois, clercs et seigneurs ; il y faisait le change des monnaies et revenait chaque fois un peu plus riche qu'il n'ộtait allộ. Robin ne dộpensait pas l'argent qu'il gagnait, mais l'apportait au seigneur ộvờque.

    Saint Nicolas ộtait trốs hospitalier et trốs aumụnier ; il dộpensait ses biens et ceux de l'ẫglise en viatiques aux pốlerins et secours aux malheureux. Aussi se trouvait-il perpộtuellement court d'argent ; et il ộtait trốs obligộ Robin de l'empressement et de l'adresse avec lesquels ce jeune argentier lui procurait les sommes dont il avait besoin. Or la pộnurie ou, par sa magnificence et sa libộralitộ s'ộtait mis le saint ộvờque, fut bien aggravộe par le malheur des temps . La guerre qui dộsolait la Vervignole ruina l'ộglise de Trinqueballe. Les gens d'armes battaient la campagne autour de la ville, pillaient les fermes, ranỗonnaient les paysans, dispersaient les religieux, brỷlaient les chõteaux et les abbayes. Le clergộ, les fidốles ne pouvaient plus participer aux frais du culte, et, chaque jour, des milliers de paysans, qui fuyaient les coitreaux, venaient mendier leur pain a la porte du manoir ộpiscopal. Sa pauvretộ, qu'il n'eỷt pas sentie pour lui mờme, le bon saint Nicolas la sentait pour eux. Par bonheur, Robin ộtait toujours prờt lui avancer des sommes d'argent que le saint pontife s'engageait, comme de raison, rendre dans des temps plus prospốres.

    Hộlas ! la guerre foulait maintenant tout le royaume du nord au midi, du couchant au levant, suivie de ses deux compagnes assidues, la peste et la famine. Les cultivateurs se faisaient brigands, les moines suivaient les armộes. Les habitants de Trinqueballe, n'ayant ni bois pour se chauffer ni pain pour se nourrir, mouraient comme des mouches l'approche des froids. Les loups venaient dans les faubourgs de la ville dộvorer les petits enfants. En ces tristes conjonctures, Robin vint avertir l'ộvờque que non seulement il nộ pouvait plus verser aucune somme d'argent, si petite fỷt-elle, mais encore que, n'obtenant rien de ses dộbiteurs, harassộ par ses crộanciers, il avait dỷ cộder des juifs toutes ses crộances.

    Il apportait cette fõcheuse nouvelle son bienfaiteur avec la politesse obsộquieuse qui lui ộtait ordinaire ; mais il se montrait bien moins affligộ qu'il n'eỷt dỷ l'ờtre en cette extrộmitộ douloureuse. De fait, il avait grand'peine dissimuler sous une mine allongộe son humeur allốgre et sa vive satisfaction. Le parchemin de ses jaunes, sốches et humbles paupiốres cachait mal la lueur de joie qui jaillissait de ses prunelles aiguởs.

    Douloureusement frappộ, saint Nicolas demeura, sous le coup, tranquille et serein.

    -- Dieu, ***-il, saura bien rộtablir nos affaires penchantes. Il ne laissera pas renverser la maison qu'il a bõtie.

    -- Sans doute, *** Modernus, mais soyez certain que ce Robin, que vous avez tirộ du saloir, s'entend, pour vous dộpouiller, avec les Lombards du Pont-Vieux et les juifs du Ghetto, et qu'il se rộserve la plus grosse part du butin.

    Modernus disait vrai. Robin n'avait point perdu d'argent ; il ộtait plus riche que jamais et venait d'ờtre nommộ argentier du roi.

    ---IV---

    A cette ộpoque, Mirande accomplissait sa dix-septiốme annộe. Elle ộtait belle et bien formộe. Un air de puretộ, d'innocence et de candeur lui faisait comme un voile. La longueur de ses cils qui mettaient une grille sur ses prunelles bleues, la petitesse enfantine de sa bouche, donnaient l'idộe que le mal ne trouverait guốre d'issue pour entrer en elle. Ses oreilles ộtaient a ce point mignonnes, fines, soigneusement ourlộes, dộlicates, que les hommes les moins retenus n'osaient y souffler que des paroles innocentes. Nulle vierge, en toute la Vervignole, n'inspirait tant de respect et nulle n'avait plus besoin d'en inspirer, car elle ộtait merveilleusement simple, crộdule et sans dộfense.

    Le pieux ộvờque Nicolas, son oncle, la chộrissait chaque jour davantage et s'attachait elle plus qu'on ne doit s'attacher aux crộatures. Sans doute il l'aimait en Dieu, mais distinctement ; il se plaisait en elle ; il aimait l'aimer ; c'ộtait sa seule faiblesse. Les saints eux-mờmes ne savent pas toujours trancher tous les liens de la chair. Nicolas aimait sa niốce avec puretộ, mais non sans dộlectation. Le lendemain du jour oự il avait appris la faillite de Robin, accablộ de tristesse et d'inquiộtude, il se ren*** auprốs de Mirande pour converser pieusement avec elle, comme il le devait, car il lui tenait lieu de pốre et avait charge de l'instruire.

    Elle habitait, dans la ville haute, prốs de la cathộdrale, une maison qu'on nommait la maison des Musiciens, parce qu'on y voyait sur la faỗade des hommes et des animaux jouant de divers instruments. Il s'y trouvait notamment un õne qui soufflait dans une flỷte et un philosophe, reconnaissable sa longue barbe et son ộcritoire, qui agitait des cymbales. Et chacun expliquait ces figures sa maniốre. C'ộtait la plus belle demeure de la ville.

    L'ộvờque y trouva sa niốce accroupie sur le plancher, ộchevelộe, les yeux brillants de larmes, prốs d'un coffre ouvert et vide, dans la salle en dộsordre .

    Il lui demanda la cause de cette douleur et de la confusion qui rộgnait autour d'elle. Alors, tournant vers lui ses regards dộsolộs, elle lui conta avec mille soupirs que Robin, Robin ộchappộ du saloir, Robin si mignon, lui ayant *** maintes fois que, si elle avait envie d'une robe, d'une parure, d'un joyau, il lui prờterait avec plaisir l'argent nộcessaire pour l'acheter, elle avait eu recours assez souvent son obligeance, qui semblait inộpuisable, mais que, ce matin mờme, un juif nomme Sộligmann ộtait venu chez elle avec quatre sergents, lui avait prộsentộ les billets signộs par elle Robin, et que, comme elle manquait d'argent pour les payer, il avait emportộ toutes les robes, toutes les coiffures, tous les bijoux qu'elle possộdait .

    -- Il a pris, ***-elle en gộmissant, mes corps et mes jupes de velours, de brocart et de dentelle, mes diamants, mes ộmeraudes, mes saphirs, mes jacinthes, mes amộthystes, mes rubis, mes grenats, mes turquoises ; il m'a pris ma grande croix de diamants tờtes d'anges en ộmail, mon grand carcan, composộ de deux tables de diamants, de trois cabochons et de six noeuds de quatre perles chacun ; il m'a pris mon grand collier de treize tables de diamants avec vingt perles en poire sur ouvrage a canetille... !

    Et, sans en dire davantage, elle sanglota dans son mouchoir.

    -- Ma fille, rộpon*** le saint ộvờque, une vierge chrộtienne est assez parộe quand elle a pour collier la modestie, et la chastetộ pour ceinture. Toutefois il vous convenait, issue d'une trốs noble et trốs illustre famille, de porter des diamants et des perles. Vos joyaux ộtaient le trộsor des pauvres, et je dộplore qu'ils vous aient ộtộ ravis.

    Il l'assura qu'elle les retrouverait sỷrement en ce monde ou dans l'autre ; il lui *** tout ce qui pouvait adoucir ses regrets et calmer sa peine, et il la consola. Car elle avait une õme douce et qui voulait ờtre consolộe. Mais il la quitta lui-mờme trốs affligộ.

    Le lendemain, comme il se prộparait dire la messe en la cathộdrale, le saint ộvờque vit venir lui, dans la sacristie, les trois juifs Sộligmann, Issachar et Meyer, qui, coiffộs du chapeau vert et la rouelle l'ộpaule, lui prộsentốrent trốs humblement les billets que Robin leur avait passộs. Et le vộnộrable pontife ne pouvant les payer, ils appelốrent une vingtaine de portefaix, avec des paniers, des sacs, des crochets, des chariots, des cordes, des ộchelles, et commencốrent crocheter les serrures des armoires, des coffres et des tabernacles. Le saint homme leur jeta un regard qui eỷt foudroyộ trois chrộtiens. Il les menaỗa des peines dues en ce monde et dans l'autre au sacrilốge ; leur reprộsenta que leur seule prộsence dans la demeure du Dieu qu'ils avaient crucifiộ appelait le feu du ciel sur leur tờte. Ils l'ộcoutốrent avec le calme de gens pour qui l'anathốme, la rộprobation, la malộdiction et l'exộcration ộtaient le pain quotidien. Alors il les pria, les supplia, leur promit de payer sitụt qu'il le pourrait, au double, au triple, au dộcuple, au centuple, la dette dont ils ộtaient acquộreurs. Ils s'excusốrent poliment de ne pouvoir diffộrer leur petite opộration. L'ộvờque les menaỗa de faire sonner le tocsin, d'ameuter contre eux le peuple qui les tuerait comme des chiens en les voyant profaner, violer, dộrober les images miraculeuses et les saintes reliques. Ils montrốrent en souriant les sergents qui les gardaient. Le roi Berlu les protộgeait parce qu'ils lui prờtaient de l'argent.

    A cette vue, le saint ộvờque, reconnaissant que la rộsistance devenait rộbellion et se rappelant Celui qui recolla l'oreille de Malchus, resta inerte et muet, et des larmes amốres roulốrent de ses yeux. Sộligmann, Issachar et Meyer enlevốrent les chasses d'or ornộes de pierreries, d'ộmaux et de cabochons, les reliquaires en forme de coupe, de lanterne, de nef, de tour, les autels portatifs en albõtre encadrộ d'or et d'argent, les coffrets ộmaillộs par les habiles ouvriers de Limoges et du Rhin, les croix d'autel, les ộvangộliaires recouverts d'ivoire sculptộ et de camộes antiques, les peignes liturgiques ornộs de festons de pampres, les diptyques consulaires, les pyxides, les chandeliers, les candộlabres, les lampes, dont ils soufflaient la sainte lumiốre et versaient l'huile bộnite sur les dalles ; les lustres semblables a de gigantesques couronnes, les chapelets aux grains d'ambre et de perles, les colombes eucharistiques, les ciboires, les calices, les patốnes, les baisers de paix, les navettes a encens, les burettes, les ex-voto sans nombre, pieds, mains, bras, jambes, yeux, bouches, entrailles, coeurs en argent, et le nez du roi Sidoc et le sein de la reine Blandine, et le chef en or massif de monseigneur saint Cromadaire, premier apụtre de Vervignole et benoợt patron de Trinqueballe. Ils emportốrent enfin l'image miraculeuse de madame sainte Gibbosine, que le peuple de Vervignole n'invoquait jamais en vain dans les pestes, les famines et les guerres. Cette image trốs antique et trốs vộnộrable ộtait de feuilles d'or battu, clouộes a une armature de cốdre et toutes couvertes de pierres prộcieuses, grosses comme des oeufs de canard, qui jetaient des feux rouges, jaunes, bleus, violets, blancs. Depuis trois cents ans ses yeux d'ộmail, grands ouverts sur sa face d'or, frappaient d'un tel respect les habitants de Trinqueballe, qu'ils la voyaient, la nuit, en rờve, splendide et terrible, les menaỗant de maux trốs cruels s'ils ne lui donnaient en quantitộ suffisante de la cire vierge et des ộcus de six livres. Sainte Gibbosine gộmit, trembla, chancela sur son socle et se laissa emporter sans rộsistance hors de la basilique oự elle attirait depuis un temps immộmorial d'innombrables pốlerins.

    Aprốs le dộpart des larrons sacrilốges, le saint ộvờque Nicolas gravit les marches de l'autel dộpouillộ et consacra le sang de Notre-Seigneur dans un vieux calice d'argent allemand mince et tout cabossộ. Et il pria pour les affligộs et notamment pour Robin qu'il avait, par la volontộ de Dieu, tirộ du saloir.

    ---V---

    A peu de temps de l, le roi Berlu vainquit les Mambourniens dans une grande bataille. Il ne s'en aperỗut pas d'abord, parce que les luttes armộes prộsentent toujours une grande confusion et que les Vervignolais avaient perdu depuis deux siốcles l'habitude de vaincre. Mais la fuite prộcipitộe et dộsordonnộe des Mambourniens l'avertit de son avantage. Au lieu de battre en retraite, il se lanỗa la poursuite de l'ennemi et recouvra la moitiộ de son royaume. L'armộe victorieuse entra dans la ville de Trinqueballe, toute pavoisộe et fleurie en son honneur, et dans cette illustre capitale de la Vervignole fit un grand nombre de viols, de pillages, de meurtres et d'autres cruautộs, incendia plusieurs maisons, saccagea les ộglises et prit dans la cathộdrale tout ce que les juifs y avaient laissộ, ce qui, vrai dire, ộtait peu de chose. Maxime, qui, devenu chevalier et capitaine de quatre-vingts lances, avait beaucoup contribuộ la victoire, pộnộtra des premiers dans la ville et se ren*** tout droit la maison des Musiciens, oự demeurait la belle Mirande, qu'il n'avait pas vue depuis son dộpart pour la guerre. Il la trouva dans sa chambre qui filait sa quenouille et fon*** sur elle avec une telle furie que cette jeune demoiselle per*** son innocence sans, autant dire, s'en apercevoir. Et, lorsque, revenue de sa surprise, elle s'ộcria : ô Est-ce, vous, seigneur Maxime ? Que faites-vous la ? ằ et qu'elle se mit en devoir de repousser l'agresseur, il descendait tranquillement la rue, rajustant son harnais et lorgnant les filles.

    Peut-ờtre aurait-elle toujours ignorộ cette offense, si, quelque temps aprốs l'avoir essuyộe, elle ne se fut sentie mốre. Alors le capitaine Maxime combattait en Mambournie. Toute la ville connut sa honte ; elle la confia au grand saint Nicolas, qui, cette ộtonnante nouvelle, leva les yeux au ciel et *** :

    -- Seigneur, n'avez-vous tirộ celui-ci du saloir que comme un loup ravissant pour dộvorer ma brebis ? Votre sagesse est adorable ; mais vos voies sont obscures et vos desseins mystộrieux.

    En cette mờme annộe, le dimanche de Laetare, Sulpice se jeta aux pieds du saint ộvờque.

    -- Des mon enfance, lui ***-il, mon voeu le plus cher fut de me consacrer au Seigneur. Permettez-moi, mon pốre, d'embrasser l'ộtat monastique et de faire profession dans le couvent des frốres mendiants de Trinqueballe.

    -- Mon fils, lui rộpon*** le bon saint Nicolas, il n'est pas d'ộtat meilleur que celui de religieux. Heureux qui, dans l'ombre du cloợtre, se tient a l'abri des tempờtes du siốcle ! Mais que sert de fuir l'orage si l'on a l'orage en soi ? A quoi bon affecter les dehors de l'humilitộ si l'on porte dans la poitrine un coeur plein de superbe ? De quoi vous profitera de revờtir la livrộe de l'obộissance, si votre õme est rộvoltộe ? Je vous ai vu, mon fils, tomber dans plus d'erreurs que Sabellius, Arius, Nestorius, Eutychốs, Manốs, Pộlage, et Pachose ensemble, et renouveler avant votre vingtiốme annộe douze siốcles d'opinions singuliốres. A la vộritộ, vous ne vous ờtes obstinộ dans aucune, mais vos rộtractations successives semblaient trahir moins de soumission notre sainte mốre l'ẫglise, que d'empressement courir d'une erreur une autre, bondir du manichộisme au sabellianisme, et du crime des Albigeois aux ignominies des Vaudois.

    Sulpice enten*** ce discours d'un coeur contrit, avec une simplicitộ d'esprit et une soumission qui touchốrent le grand saint Nicolas jusqu'aux larmes.

    -- Je dộplore, je rộpudie, je condamne, je rộprouve, je dộteste, j'exốcre, j'abomine mes erreurs passộes, prộsentes et futures, ***-il ; je me soumets l'ẫglise pleinement et entiốrement, totalement et gộnộralement, purement et simplement, et n'ai de croyance que sa croyance, de foi que sa foi, de connaissance que sa connaissance ; je ne vois, n'entends ni ne sens que par elle. Elle me dirait que cette mouche qui vient de se poser sur le nez du diacre Modernus est un chameau, qu'incontinent, sans dispute, contestation ni murmure, sans rộsistance, hộsitation ni doute, je croirais, je dộclarerais, je proclamerais, je confesserais, dans les tortures et jusqu' la mort, que c'est un chameau qui s'est posộ sur le nez du diacre Modernus. Car l'ẫglise est la Fontaine de vộritộ, et je ne suis par moi-mờme qu'un vil rộceptacle d'erreurs.

    -- Prenez garde, mon pốre, *** Modernus : Sulpice est capable d'outrer jusqu' l'hộrộsie la soumission l'ẫglise. Ne voyez-vous pas qu'il se soumet avec frộnộsie, transports et põmoison ? Est-ce une bonne maniốre de se soumettre que de s'abợmer dans la soumission. Il s'y anộantit, il s'y suicide.

    Mais l'ộvờque rộprimanda son diacre de tenir de tels propos contraires la charitộ et envoya le postulant au noviciat des frốres mendiants de Trinqueballe.

    Hộlas ! au bout d'un an, ces religieux, jusqu'alors humbles et tranquilles, ộtaient dộchirộs par des schismes effroyables, plongộs dans mille erreurs contre la vộritộ catholique, leurs jours remplis de trouble et leurs õmes de sộ***ion. Sulpice soufflait ce poison aux bons frốres. Il soutenait envers et contre ses supộrieurs qu'il n'est plus de vrai pape depuis que les miracles n'accompagnent plus l'ộlection des souverains pontifes, ni propre ment d'ẫglise depuis que les chrộtiens ont cessộ de mener la vie des apụtres et des premiers fidốles ; qu'il n'y a pas de purgatoire ; qu'il n'est pas nộcessaire de se confesser un prờtre si l'on se confesse Dieu ; que les hommes font mal de se servir de monnaies d'or et d'argent, mais qu'ils doivent mettre en commun tous les biens de la terre. Et ces maximes abominables, qu'il soutenait avec force, combattues par les uns, adoptộes par les autres, causaient d'horribles scandales. Bientụt Sulpice enseigna la doctrine de la puretộ parfaite, que rien ne peut souiller, et le couvent des bons frốres devint semblable une cage de singes. Et cette pestilence ne demeura pas contenue dans les murs d'un monastốre. Sulpice allait prờchant par la ville ; son ộloquence, le feu intộrieur dont il ộtait embrasộ, la simplicitộ de sa vie, son cou rage inộbranlable, touchaient les coeurs. A la voix du rộformateur, la vieille citộ ộvangộlisộe par saint Cromadaire, ộdifiộe par sainte Gibbosine, tomba dans le dộsordre et la dissolution ; il s'y commet tait, nuit et jour, toutes sortes d'extravagances et d'impiộtộs. En vain le grand saint Nicolas avertissait ses ouailles, exhortait, menaỗait, fulminait Le mal augmentait sans cesse et l'on observait avec douleur que la contagion s'ộtendait sur les riches bourgeois, les seigneurs et les clercs autant et plus que sur les pauvres artisans et les gens de petits mộtiers.

    Un jour que l'homme de Dieu gộmissait dans le cloợtre de la cathộdrale sur le dộplorable ộtat de l'ộglise de Vervignole, il fut distrait de ses mộ***ations par des hurlements bizarres et vit une femme qui marchait toute nue, quatre pattes, avec une plume de paon plantộe en guise de queue. Elle s'approchait en aboyant, lộchant la terre et reniflant. Ses cheveux blonds ộtaient couverts de boue et tout son corps souillộ d'immondices. Et le saint ộvờque Nicolas reconnut en cette malheureuse crộature sa niốce Mirande.

    -- Que faites-vous l, ma fille ? s'ộcria-t-il. Pour quoi vous ờtes-vous mise nue et pourquoi marchez vous sur les genoux et sur les mains ? N'avez-vous pas honte ?

    Non, mon oncle, je n'ai point honte, rộpon*** Mirande avec douceur. J'aurais honte, au contraire, d'une autre contenance et d'une autre dộmarche. C'est ainsi qu'il faut se mettre et se tenir s'il l'on veut plaire Dieu. Le saint frốre Sulpice m'a enseignộ me gouverner de la sorte, afin de ressembler aux bờtes, qui sont plus prốs de Dieu que les hommes, car elles n'ont pas pộchộ. Et tant que je serai dans la contenance oự vous me voyez, il n'y aura pas de danger que je pốche. Je viens vous inviter, mon oncle, en tout amour et charitộ, faire comme moi : car vous ne serez pas sauvộ sans cela. ễtez vos habits, je vous prie, et prenez l'attitude des animaux en qui Dieu regarde avec plaisir son image, que le pộchộ n'a point dộformộe. Je vous fais cette recommandation sur l'ordre du saint frốre Sulpice et consộquemment par l'ordre de Dieu lui mờme, car le saint frốre est dans le secret du Seigneur. Mettez-vous nu, mon oncle, et venez avec moi, afin que nous nous prộsentions au peuple pour l'ộdifier.

    -- En puis-je croire mes yeux et mes oreilles ? soupira le saint ộvờque d'une voix que les sanglots ộtouffaient. J'avais une niốce florissante de beautộ, de vertu, de piộtộ, et les trois enfants que j'ai tirộs du saloir l'ont rộduite l'ộtat misộrable oự je la vois. L'un la dộpouille de tous ses biens, source abondante d'aumụnes, patrimoine des pauvres ; un autre lui ụte l'honneur ; le troisiốme la rend hộrộtique.

    Et il se jeta sur la dalle, embrassant sa niốce, la suppliant de renoncer un genre de vie si condamnable, l'adjurant avec des larmes de se vờtir et de marcher sur ses pieds comme une crộature humaine, rachetộe par le sang de Jộsus Christ.

    Mais elle ne rộpon*** que par des glapissements aigus et des hurlements lamentables.

    Bientụt la ville de Trinqueballe fut remplie d'hommes et de femmes nus, qui marchaient quatre pattes en aboyant ; ils se nommaient les Edộniques et voulaient ramener le monde aux temps de la parfaite innocence, avant la crộation malheureuse d'Adam et d'ẩve. Le R. P. dominicain Gilles Caquerole, inquisiteur de la foi dans la citộ, universitộ et province ecclộsiastique de Trinqueballe, s'inquiộta de cette nouveautộ et commenỗa la poursuivre curieusement. Il invita de la faỗon la plus instante, par lettres scellộes de son sceau, le seigneur ộvờque Nicolas apprộhender, incarcộrer, interroger et juger, de concert avec lui, ces ennemis de Dieu et notamment leurs chefs principaux, le moine franciscain Sulpice et une femme dissolue nommộe Mirande. Le grand saint Nicolas brỷlait d'un zốle ardent pour l'unitộ de l'ẫglise et la destruction de l'hộrộsie ; mais il aimait chốrement sa niốce. Il la cacha dans son palais ộpiscopal et refusa de la livrer l'inquisiteur Caquerole, qui le dộnonỗa au pape comme fauteur de troubles et propagateur d'une nouveautộ trốs dộtestable. Le pape enjoignit a Nicolas de ne pas soustraire plus longtemps la coupable ses juges lộgitimes. Nicolas ộluda l'injonction, protesta de son obộissance et n'obộit pas. Le pape fulmina contre lui la bulle Maleficus pastor, dans laquelle le vộnộrable pontife ộtait traitộ de dộsobộissant, d'hộrộtique ou fleurant l'hộrộsie, de concubinaire, d'incestueux, de corrupteur des peuples, de vieille femme et d'olibrius, et vộhộmentement admonestộ.

    L'ộvờque se fit de la sorte un grand tort sans profit pour sa niốce bien-aimộe. Le roi Berlu, menacộ d'excommunication s'il ne prờtait pas son bras a l'ẫglise pour la recherche des Edộniques, envoya l'ộvờchộ de Trinqueballe des gens d'armes, qui arrachốrent Mirande son asile ; elle fut traợnộe devant l'inquisiteur Caquerole, jetộe dans un cul de basse fosse et nourrie du pain que refusaient les chiens des geụliers ; mais ce qui l'affligeait le plus, c'est qu'on lui avait mis de force une vieille cotte et un chaperon et qu'elle n'ộtait plus sỷre de ne pas pộcher. Le moine Sulpice ộchappa aux recherches du Saint-Office, rộussit gagner la Mambournie et trouva asile dans un monastốre de ce royaume, oự il fonda de nouvelles sectes plus pernicieuses que les prộcộdentes.

    Cependant l'hộrộsie, fortifiộe par la persộcution et s'exaltant dans le pộril, ộtendait maintenant ses ravages sur toute la Vervignole ; on voyait par le royaume, dans les champs, des milliers d'hommes et de femmes nus qui paissaient l'herbe, bờlaient, meuglaient, mugissaient, hennissaient et disputaient, le soir, aux moutons, aux boeufs et aux chevaux l'ộtable, la crốche et l'ộcurie. L'inquisiteur manda au Saint-Pốre ces scandales horribles et l'avertit que le mal ne ferait que croợtre, tant que le protecteur des Edộniques, l'odieux Nicolas, resterait assis sur le siốge de saint Cromadaire. Conformộment cet avis, le pape fulmina contre l'ộvờque de Trinqueballe la bulle Deterrima quondam par laquelle il le destituait de ses fonctions ộpiscopales et le retranchait de la communion des fidốles.

    ---VI---

    Foudroyộ par le vicaire de Jộsus-Christ, abreuvộ d'amertume, accablộ de douleur, le saint homme Nicolas descen*** sans regret de son siốge illustre et quitta, pour n'y plus revenir, la ville de Trinqueballe, tộmoin, durant trente annộes, de ses vertus pontificales et de ses travaux apostoliques. Il est dans la Vervignole occidentale une haute montagne, aux cimes toujours couvertes de neige : de ses flancs descendent, au printemps, les cascades ộcumeuses et sonores qui remplissent d'une eau bleue comme le ciel les gaves de la vallộe. La, dans la rộgion oự croit le mộlốze, l'arbouse et le noisetier, des ermites vivaient de baies et de laitage. Ce mont se nomme le mont Sauveur. Saint Nicolas rộsolut de s'y rộfugier et d'y pleurer, loin du siốcle, ses pộchộs et les pộchộs des hommes.

    Comme il gravissait la montagne, la recherche d'un lieu sauvage oự il ộtablirait son habitation, parvenu au-dessus des nuages qui s'assemblent presque constamment aux flancs du roc, il vit au seuil d'une cabane un vieillard qui partageait son pain avec une biche apprivoisộe. Sa cuculle retombait sur son front, et l'on n'apercevait de son visage que le bout du nez et une longue barbe blanche.

    Le saint homme Nicolas le salua par ces mots :

    -- La paix soit avec vous, mon frốre.

    -- Elle se plaợt sur cette montagne, rộpon*** le solitaire.

    -- Aussi, rộpliqua le saint homme Nicolas, y suis-je venu terminer, dans le calme, des jours troublộs par le tumulte du siốcle et la malice des hommes.

    Tandis qu'il parlait de la sorte, l'ermite le regardait attentivement :

    -- N'ờtes-vous pas, lui ***-il enfin, l'ộvờque de Trinqueballe, ce Nicolas dont on vante les travaux et les vertus ?

    Le saint pontife ayant fait signe qu'il ộtait cet homme, l'ermite se jeta ses pieds.

    -- Seigneur, je vous devrai le salut de mon õme, si comme je l'espốre, mon õme est sauvộe.

    Nicolas le releva avec bontộ et lui demanda : -- Mon frốre, comment ai-je eu le bonheur de travailler votre salut ?

    -- Il y a vingt ans, rộpon*** le solitaire, ộtant aubergiste l'orộe d'un bois, sur une route abandonnộe, je vis, un jour, dans un champ, trois petits enfants qui glanaient ; je les attirai dans ma maison, leur fis boire du vin, les ộgorgeai pendant leur sommeil, les coupai par morceaux et les salai. Le Seigneur, regardant vos mộrites, les ressuscita par votre intervention. En les voyant sortir du saloir, je fus glacộ de terreur : sur vos exhortations, mon coeur se fon*** ; j'ộprouvai un repentir salutaire, et, fuyant les hommes, me rendis sur cette montagne oự je consacrai mes jours Dieu. Il rộpan*** sa paix sur moi.

    -- Quoi, s'ộcria le saint ộvờque, vous ờtes ce cruel Garum, coupable d'un crime si atroce ! Je loue Dieu qui vous accorda la paix du coeur aprốs le meurtre horrible de trois enfants que vous avez mis dans le saloir comme pourceaux ; mais moi, hộlas ! pour les en avoir tirộs, ma vie a ộtộ remplie de tribulations, mon õme abreuvộe d'amertume, mon ộpiscopat entiốrement dộsolộ. J'ai ộtộ dộposộ, excommuniộ par le pốre commun des fidốles. Pourquoi suis-je puni si cruellement de ce que j'ai fait ?

    ư Adorons Dieu, *** Garum, et ne lui demandons pas de comptes.

    Le grand saint Nicolas bõtit de ses mains une cabane auprốs de celle de Garum et il y finit ses jours dans la priốre et dans la pộnitence.

Chia sẻ trang này