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L'élixir de longue vie (1830)-Honoré de Balzac

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi Milou, 09/09/2001.

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  1. Milou

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    07/06/2001
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    L'élixir de longue vie (1830)-Honoré de Balzac

    Dans un somptueux palais de Ferrare, par une soirộe d'hiver, don Juan Belvidộro rộgalait un prince de la maison d'Este. cette ộpoque, une fờte ộtait un merveilleux spectacle que de royales richesses ou la puissance d'un seigneur pouvaient seules ordonner. Assises autour d'une table ộclairộe par des bougies parfumộes, sept joyeuses femmes ộchangeaient de doux propos, parmi d'admirables chefs-d'oeuvre dont les marbres blancs se dộtachaient sur des parois en stuc rouge et contrastaient avec de riches tapis de Turquie. Vờtues de satin, ộtincelantes d'or et chargộes de pierreries qui brillaient moins que leurs yeux, toutes racontaient des passions ộnergiques, mais diverses comme l'ộtaient leurs beautộs. Elles ne diffộraient ni par les mots ni par les idộes; l'air, un regard, quelques gestes ou l'accent servaient leurs paroles de commentaires libertins, lascifs, mộlancoliques ou goguenards.


    L'une semblait dire: ôMa beautộ sait rộchauffer le coeur glacộ des vieillards.ằ



    L'autre: ôJ'aime rester couchộe sur des coussins, pour penser avec ivresse ceux qui m'adorent.ằ



    Une troisiốme, novice de ces fờtes, voulait rougir: ôAu fond du coeur je sens un remords! disait-elle. Je suis catholique et j'ai peur de l'enfer. Mais je vous aime tant, oh! tant et tant, que je puis vous sacrifier l'ộternitộ.ằ



    La quatriốme, vidant une coupe de vin de Chio, s'ộcriait: ôVive la gaietộ! Je prends une existence nouvelle chaque aurore! Oublieuse du passộ, ivre encore des assauts de la veille, tous les soirs, j'ộpuise une vie de bonheur, une vie pleine d'amourằ



    La femme assise auprốs de Belvidộro le regardait d'un oeil enflammộ. Elle ộtait silencieuse. ôJe ne m'en remettrais pas des bravi pour tuer mon amant, s'il m'abandonnait!ằ Puis elle avait ri, mais sa main convulsive brisait un drageoir d'or miraculeusement sculptộ.



    -- Quand seras-tu grand-duc? demanda la sixiốme au prince avec une expression de joie meurtriốre dans les dents, et du dộlire bachique dans les yeux.



    -- Et toi, quand ton pốre mourra-t-il? *** la septiốme en riant, en jetant son bouquet don Juan par un geste enivrant de folõtrerie. C'ộtait une innocente jeune fille accoutumộe jouer avec toutes les choses sacrộes.



    -- Ah! ne m'en parlez pas, s'ộcria le jeune et beau don Juan Belvidộro, il n'y a qu'un pốre ộternel dans le monde, et le malheur veut que je l'aie!



    Les sept courtisanes de Ferrare, les amis de don Juan et le prince lui-mờme jetốrent un cri d'horreur. Deux cents ans aprốs et sous Louis XV, les gens de bon goỷt eussent ri de cette saillie. Mais peut-ờtre aussi, dans le commencement d'une orgie, les õmes avaient-elles encore trop de luci***ộ? Malgrộ le feu des bougies, le cri des passions, l'aspect des vases d'or et d'argent, la fumộe des vins, malgrộ la contemplation des femmes les plus ravissantes, peut-ờtre y avait-il encore, au fond des coeurs, un peu de cette vergogne pour les choses humaines et divines qui lutte jusqu' ce que l'orgie l'ait noyộe dans les derniers flots d'un vin pộtillant? Dộj nộanmoins les fleurs avaient ộtộ froissộes, les yeux s'hộbộtaient, et l'ivresse gagnait, selon l'expression de Rabelais, jusqu'aux sandales. En ce moment de silence, une porte s'ouvrit; et, comme au festin de Balthazar, Dieu se fit reconnaợtre, il apparut sous les traits d'un vieux domestique en cheveux blancs, la dộmarche tremblante, aux sourcils contractộs; il entra d'un air triste, flộtrit d'un regard les couronnes, les coupes de vermeil, les pyramides de fruits, l'ộclat de la fờte, la pourpre des visages ộtonnộs et les couleurs des coussins foulộs par le bras blanc des femmes; enfin, il mit un crờpe cette folie en disant ces sombres paroles d'une voix creuse: ôMonsieur, votre pốre se meurt.ằ



    Don Juan se leva en faisant ses hụtes un geste qui peut se traduire par : ôExcusez-moi, ceci n'arrive pas tous les jours.ằ La mort d'un pốre ne surprend-elle pas souvent les jeunes gens au milieu des splendeurs de la vie, au sein des folles idộes d'une orgie? La mort est aussi soudaine dans ses caprices qu'une courtisane l'est dans ses dộdains; mais plus fidốle, elle n'a jamais trompộ personne.



    Quand don Juan eut fermộ la porte de la salle et qu'il marcha dans une longue galerie froide autant qu'obscure, i1 s'efforỗa de prendre une contenance de thộõtre; car, en songeant son rụle de fils, il avait jetộ sa joie avec sa serviette. La nuit ộtait noire. Le silencieux serviteur qui conduisait le jeune homme vers une chambre mortuaire ộclairait assez mal son maợtre, en sorte que la mort, aidộe par le froid, le silence, l'obscuritộ, par une rộaction d'ivresse, peut-ờtre, put glisser quelques rộflexions dans l'õme de ce dissipateur, il interrogea sa vie et devint pensif comme un homme en procốs qui s'achemine au tribunal.



    Bartholomộo Belvidộro, pốre de don Juan, ộtait un vieillard nonagộnaire qui avait passộ la majeure partie de sa vie dans les combinaisons du commerce. Ayant traversộ souvent les talismaniques contrộes de l'Orient, il y avait acquis d'immenses richesses et des connaissances plus prộcieuses, disait-il, que l'or et les diamants, desquels alors il ne se souciait plus guốre. ôJe prộfốre une dent un rubis, et le pouvoir au savoirằ, s'ộcriait-il parfois en souriant. Ce bon pốre aimait entendre don Juan lui raconter une ộtourderie de jeunesse, et disait d'un ton goguenard, en lui procurant l'or: ôMon cher enfant, ne fais que les sottises qui t'amuseront.ằ C'ộtait le seul vieillard qui ộprouvõt du plaisir voir un jeune homme, l'amour paternel trompait sa caducitộ par la contemplation d'une si brillante vie. l'õge de soixante ans, Belvidộro s'ộtait ộpris d'un ange de paix et de beautộ. Don Juan avait ộtộ le seul fruit de cette tardive et passagốre amour. Depuis quinze annộes, le bonhomme dộplorait la perte de sa chốre Juana. Ses nombreux serviteurs et son fils attribuaient cette douleur de vieillard les habitudes singuliốres qu'il avait contractộes. Rộfugiộ dans l'aile la plus incommode de son palais, Bartholomộo n'en sortait que trốs rarement, et don Juan lui-mờme ne pouvait pộnộtrer dans l'appartement de son pốre sans en avoir obtenu la permission. Si ce volontaire anachorốte allait et venait dans le palais ou par les rues de Ferrare, il semblait chercher une chose qui lui manquait; il marchait tout rờveur, indộcis, prộoccupộ comme un homme en guerre avec une idộe ou avec un souvenir. Pendant que le jeune homme donnait des fờtes somptueuses et que le palais retentissait des ộclats de sa joie, que les chevaux piaffaient dans les cours, que les pages se disputaient en jouant aux dộs sur les degrộs, Bartholomộo mangeait sept onces de pain par jour et buvait de l'eau. S'il lui fallait un peu de volaille, c'ộtait pour en donner les os un barbet noir, son compagnon fidốle. I1 ne se plaignait jamais du bruit. Durant sa maladie, si le son du cor et les aboiements des chiens le surprenaient dans son sommeil, il se contentait de dire: ôAh! c'est don Juan qui rentre!ằ Jamais sur cette terre un pốre si commode et si indulgent ne s'ộtait rencontrộ; aussi le jeune Belvidộro, accoutumộ le traiter sans cộrộmonie, avait- il tous les dộfauts des enfants gõtộs; il vivait avec Bartholomộo comme vit une capricieuse courtisane avec un vieil amant, faisant excuser une impertinence par un sourire, vendant sa belle humeur, et se laissant aimer. En reconstruisant, par une pensộe, le tableau de ses jeunes annộes, don Juan s'aperỗut qu'il lui serait difficile de trouver la bontộ de son pốre en faute. En entendant, au fond de son coeur, naợtre un remords, au moment oự il traversait la galerie, il se sentit prốs de pardonner Belvidộro d'avoir si longtemps vộcu. Il revenait des sentiments de piộtộ filiale, comme un voleur devient honnờte homme par la jouissance possible d'un million, bien dộrobộ. Bientụt le jeune homme franchit les hautes et froides salles qui composaient l'appartement de son pốre. Aprốs avoir ộprouvộ les effets d'une atmosphốre humide, respirộ l'air ộpais, l'odeur rance qui s'exhalaient de vieilles tapisseries et d'armoires couvertes de poussiốre, il se trouva dans la chambre antique du vieillard, devant un lit nausộabond, auprốs d'un foyer presque ộteint. Une lampe, posộe sur une table de forme gothique, jetait, par intervalles inộgaux, des nappes de lumiốre plus ou moins forte sur le lit, et montrait ainsi la figure du vieillard sous des aspects toujours diffộrents. Le froid sifflait travers les fenờtres mal fermộes; et la neige, en fouettant sur les vitraux, produisait un bruit sourd. Cette scốne formait un contraste si heurtộ avec la scốne que don Juan venait d'abandonner qu'il ne put s'empờcher de tressaillir. Puis il eut froid, quand, en approchant du lit, une assez violente rafale de lueur, poussộe par une bouffộe de vent, illumina la tờte de son pốre: les traits en ộtaient dộcomposộs, la peau collộe fortement sur les os avait des teintes verdõtres que la blancheur de l'oreiller, sur lequel le vieillard reposait, rendait encore plus horribles; contractộe par la douleur, la bouche entrouverte et dộnuộe de dents laissait passer quelques soupirs dont l'ộnergie lugubre ộtait soutenue par les hurlements de la tempờte. Malgrộ ces signes de destruction, il ộclatait sur cette tờte un caractốre incroyable de puissance. Un esprit supộrieur y combattait la mort. Les yeux, creusộs par la maladie, gardaient une fixitộ singuliốre. Il semblait que Bartholomộo cherchõt tuer, par son regard de mourant, un ennemi assis au pied de son lit. Ce regard, fixe et froid, ộtait d'autant plus effrayant que la tờte restait dans une immobilitộ semblable celle des crõnes posộs sur une table chez les mộdecins. Le corps entiốrement dessinộ par les draps du lit annonỗait que les membres du vieillard gardaient la mờme roideur. Tout ộtait mort, moins les yeux. Les sons qui sortaient de la bouche avaient enfin quelque chose de mộcanique. Don Juan ộprouva une certaine honte d'arriver auprốs du lit de son pốre mourant en gardant un bouquet de courtisane dans son sein, en y apportant les parfums d'une fờte et les senteurs du vin.



    -- Tu t'amusais! s'ộcria le vieillard en apercevant son fils.



    Au mờme moment, la voix pure et lộgốre d'une cantatrice qui enchantait les convives, fortifiộe par les accords de la viole sur laquelle elle s'accompagnait, domina le rõle de l'ouragan, et retentit jusque dans cette chambre funốbre. Don Juan voulut ne rien entendre de cette sauvage affirmation donnộe son pốre.



    Bartholomộo ***: ôJe ne t'en veux pas, mon enfant.ằ



    Ce mot plein de douceur fit mal don Juan, qui ne pardonna pas son pốre cette poignante bontộ.



    -- Quel remords pour moi, mon pốre! lui ***-il hypocritement.



    -- Pauvre Juanino, reprit le mourant d'une voix sourde, j'ai toujours ộtộ si doux pour toi que tu ne saurais dộsirer ma mort?



    -- Oh! s'ộcria don Juan, s'il ộtait possible de vous rendre la vie en donnant une partie de la mienne! (Ces choses-l peuvent toujours se dire, pensait le dissipateur, c'est comme si j'offrais le monde ma maợtresse!) peine sa pensộe ộtait-elle achevộe, que le vieux barbet aboya. Cette voix intelligente fit frộmir don Juan, il crut avoir ộtộ compris par le chien.



    -- Je savais bien, mon fils, que je pouvais compter sur toi, s'ộcria le moribond. Je vivrai. Va, tu seras content. Je vivrai, mais sans enlever un seul des jours qui t'appartiennent.



    -- I1 a le dộlire, se *** don Juan. Puis il ajouta tout haut: ôOui, mon pốre chộri, vous vivrez, certes, autant que moi, car votre image sera sans cesse dans mon coeur.ằ



    -- I1 ne s'agit pas de cette vie-l, *** le vieux seigneur en rassemblant ses forces pour se dresser sur son sộant, car i1 fut ộmu par un de ces soupỗons qui ne naissent que sous le chevet des mourants. ôẫcoute, mon fils, reprit-il d'une voix affaiblie par ce dernier effort, je n'ai pas plus envie de mourir que tu ne veux te passer de maợtresses, de vin, de chevaux, de faucons, de chiens et d'or.



    Je le crois bien, pensa encore le fils en s'agenouillant au chevet du lit et en baisant une des mains cadavộreuses de Bartholomộo. ôMais, reprit-il haute voix, mon pốre, mon cher pốre, il faut se soumettre la volontộ de Dieu.ằ



    -- Dieu, c'est moi , reprit le vieillard en grommelant.



    -- Ne blasphộmez pas, s'ộcria le jeune homme en voyant l'air menaỗant que prirent les traits de son pốre. Gardez-vous-en bien, vous avez reỗu l'extrờme-onction, et je ne me consolerais pas de vous voir mourir en ộtat de pộchộ.



    -- Veux-tu m'ộcouter! s'ộcria le mourant dont la bouche grinỗa.



    Don Juan se tut. Un horrible silence rộgna. travers les sifflements lourds de la neige, les accords de la viole et la voix dộlicieuse arrivốrent encore, faibles comme un jour naissant. Le moribond sourit.



    -- Je te remercie d'avoir invitộ des cantatrices, d'avoir amenộ de la musique! Une fờte, des femmes jeunes et belles, blanches, cheveux noirs! tous les plaisirs de la vie, fais-les rester, je vais renaợtre.



    -- Le dộlire est son comble, *** don Juan.



    -- J'ai dộcouvert un moyen de ressusciter. Tiens! Cherche dans le tiroir de la table, tu l'ouvriras en pressant un ressort cachộ par le griffon.



    -- J'y suis, mon pốre.



    -- L, bien, prends un petit flacon de cristal de roche.



    -- Le voici.



    -- J'ai employộ vingt ans S En ce moment, le vieillard sentit approcher sa fin, et rassembla toute son ộnergie pour dire: ôAussitụt que j'aurai rendu le dernier soupir, tu me frotteras tout entier de cette eau, je renaợtrai.ằ



    -- Il y en a bien peu, rộpliqua le jeune homme.



    Si Bartholomộo ne pouvait plus parler, il avait encore la facultộ d'entendre et de voir; sur ce mot, sa tờte se tourna vers don Juan par un mouvement d'une effrayante brusquerie, son cou resta tordu comme celui d'une statue de marbre que la pensộe du sculpteur a condamnộe regarder de cụtộ, ses yeux agrandis contractốrent une hideuse immobilitộ. Il ộtait mort, mort en perdant sa seule, sa derniốre illusion. En cherchant un asile dans le coeur de son fils, il y trouvait une tombe plus creuse que les hommes ne la font d'habitude leurs morts. Aussi ses cheveux furent-ils ộparpillộs par l'horreur, et son regard convulsộ parlait-il encore. C'ộtait un pốre se levant avec rage de son sộpulcre pour demander vengeance Dieu!



    -- Tiens! le bonhomme est fini, s'ộcria don Juan.



    Empressộ de prộsenter le mystộrieux cristal la lueur de la lampe, comme un buveur consulte sa bouteille la fin d'un repas, il n'avait pas vu blanchir l'oeil de son pốre. Le chien bộant contemplait alternativement son maợtre mort et l'ộlixir, de mờme que don Juan regardait tour tour son pốre et la fiole. La lampe jetait des flammes ondoyantes. Le silence ộtait profond, la viole muette. Belvidộro tressaillit en croyant voir son pốre se remuer. Intimidộ par l'expression roide de ses yeux accusateurs, il les ferma, comme il aurait poussộ une persienne battue par le vent pendant une nuit d'automne. Il se tint debout, immobile, perdu dans un monde de pensộes. Tout coup un bruit aigre, semblable au cri d'un ressort rouillộ, rompit ce silence. Don Juan, surpris, faillit laisser tomber le flacon. Une sueur, plus froide que ne l'est l'acier d'un poignard, sortit de ses pores. Un coq de bois peint surgit au-dessus d'une horloge et chanta trois fois. C'ộtait une de ces ingộnieuses machines l'aide desquelles les savants de cette ộpoque se faisaient ộveiller l'heure fixộe pour leurs travaux. L'aube rougissait dộj les croisộes. Don Juan avait passộ dix heures rộflộchir. La vieille horloge ộtait plus fidốle son service qu'il ne l'ộtait dans l'accomplissement de ses devoirs envers Bartholomộo. Ce mộcanisme se composait de bois, de poulies, de cordes, de rouages, tandis que lui, avait ce mộcanisme particulier l'homme, et nommộ un coeur. Pour ne plus s'exposer perdre la mystộrieuse liqueur, le sceptique don Juan la replaỗa dans le tiroir de la petite table gothique. En ce moment solennel, il enten*** dans les galeries un tumulte sourd: c'ộtait des voix confuses, des rires ộtouffộs, des pas lộgers, les froissements de la soie, enfin le bruit d'une troupe joyeuse qui tõche de se recueillir. La porte s'ouvrit, et le prince, les amis de don Juan, les sept courtisanes, les cantatrices apparurent dans le dộsordre bizarre oự se trouvent des danseuses surprises par les lueurs du matin, quand le soleil lutte avec les feux põlissants des bougies. Ils arrivaient tous pour donner au jeune hộritier les consolations d'usage.



    -- Oh! oh! le pauvre don Juan aurait-il donc pris cette mort au sộrieux, *** le prince l'oreille de la Brambilla.



    -- Mais son pốre ộtait un bien bon homme, rộpon***-elle.



    Cependant les mộ***ations nocturnes de don Juan avaient imprimộ ses traits une expression si frappante qu'elle imposa silence ce groupe. Les hommes restốrent immobiles. Les femmes, dont les lốvres ộtaient sộchộes par le vin, dont les joues avaient ộtộ marbrộes par des baisers, s'agenouillốrent et se mirent prier. Don Juan ne put s'empờcher de tressaillir en voyant les splendeurs, les joies, les rires, les chants, la jeunesse, la beautộ, le pouvoir, toute la vie personnifiộe se prosternant ainsi devant la mort. Mais, dans cette adorable Italie, la dộbauche et la religion s'accouplaient alors si bien que la religion y ộtait une dộbauche et la dộbauche une religion! Le prince serra affectueusement la main de don Juan; puis, toutes les figures ayant formulộ simultanộment une mờme grimace mi-partie de tristesse et d'indiffộrence, cette fantasmagorie disparut, laissant la salle vide. C'ộtait bien une image de la vie! En descendant les escaliers, le prince *** la Rivabarella: ôHein! qui aurait cru don Juan un fanfaron d'impiộtộ? I1 aime son pốre!ằ



    -- Avez-vous remarquộ le chien noir? demanda la Brambilla.



    -- Le voil immensộment riche, repartit en soupirant la Bianca Cavatolino.



    -- Que m'importe! s'ộcria la fiốre Varonốse, celle qui avait brisộ le drageoir.



    -- Comment, que t'importe? s'ộcria le duc. Avec ses ộcus il est aussi prince que moi.



    D'abord don Juan, balancộ par mille pensộes, flotta entre plusieurs partis. Aprốs avoir pris conseil du trộsor amassộ par son pốre, il revint, sur le soir, dans la chambre mortuaire, l'õme grosse d'un effroyable ộgoùsme. Il trouva dans l'appartement tous les gens de sa maison occupộs rassembler les ornements du lit de parade sur lequel feu monseigneur allait ờtre exposộ le lendemain, au milieu d'une superbe chambre ardente, curieux spectacle que tout Ferrare devait venir admirer. Don Juan fit un signe, et ses gens s'arrờtốrent tous, inter***s, tremblants.



    -- Laissez-moi seul ici, ***-il d'une voix altộrộe, vous n'y rentrerez qu'au moment oự j'en sortirai.



    Quand les pas du vieux serviteur qui s'en allait le dernier ne retentirent plus que faiblement sur les dalles, don Juan ferma prộcipitamment la porte, et, sỷr d'ờtre seul, il s'ộcria: ôEssayons!ằ



    Le corps de Bartholomộo ộtait couchộ sur une longue table. Pour dộrober tous les yeux le hideux spectacle d'un cadavre qu'une extrờme dộcrộpitude et la maigreur rendaient semblable un squelette, les embaumeurs avaient posộ sur le corps un drap qui l'enveloppait, moins la tờte. Cette espốce de momie gisait au milieu de la chambre; et le drap, naturellement souple, en dessinait vaguement les formes, mais aiguởs, roides et grờles. Le visage ộtait dộj marquộ de larges taches violettes qui indiquaient la nộcessitộ d'achever l'embaumement. Malgrộ le scepticisme dont il ộtait armộ, don Juan trembla en dộbouchant la magique fiole de cristal. Quand i1 arriva prốs de la tờte, i1 fut mờme contraint d'attendre un moment, tant il frissonnait. Mais ce jeune homme avait ộtộ, de bonne heure, savamment corrompu par les moeurs d'une cour dissolue; une rộflexion digne du duc d'Urbin vint donc lui donner un courage qu'aiguillonnait un vif sentiment de curiositộ, il semblait mờme que le dộmon lui eỷt soufflộ ces mots qui rộsonnốrent dans son coeur: ôImbibe un oeil!ằ Il prit un linge, et, aprốs l'avoir parcimonieusement mouillộ dans la prộcieuse liqueur, il le passa lộgốrement sur la paupiốre droite du cadavre. L'oeil s'ouvrit.



    -- Ah! ah! *** don Juan en pressant le flacon dans sa main comme nous serrons en rờvant la branche laquelle nous sommes suspendus au-dessus d'un prộcipice.



    Il voyait un oeil plein de vie, un oeil d'enfant dans une tờte de mort, la lumiốre y tremblait au milieu d'un jeune fluide! et, protộgộe par de beaux cils noirs, elle scintillait pareille ces lueurs uniques que le voyageur aperỗoit dans une campagne dộserte, par les soirs d'hiver. Cet oeil flamboyant paraissait vouloir s'ộlancer sur don Juan, et il pensait, accusait, condamnait, menaỗait, jugeait, parlait, il criait, il mordait. Toutes les passions humaines s'y agitaient. C'ộtaient les supplications les plus tendres: une colốre de roi, puis l'amour d'une jeune fille demandant grõce ses bourreaux; enfin le regard profond que jette un homme sur les hommes en gravissant la derniốre marche de l'ộchafaud . Il ộclatait tant de vie dans ce fragment de vie, que don Juan ộpouvantộ recula, il se promena par la chambre, sans oser regarder cet oeil, qu'il revoyait sur les planchers, sur les tapisseries. La chambre ộtait parsemộe de pointes pleines de feu, de vie, d'intelligence. Partout brillaient des yeux qui aboyaient aprốs lui!



    -- Il aurait bien revộcu cent ans, s'ộcria-t-il, involontairement au moment ou, ramenộ devant son pốre par une influence diabolique, il contemplait cette ộtincelle lumineuse.



    Tout coup la paupiốre intelligente se ferma et se rouvrit brusquement, comme celle d'une femme qui consent. Une voix eỷt criộ: ôOui!ằ don Juan n'aurait pas ộtộ plus effrayộ.



    ôQue faire?ằ pensa-t-il. Il eut le courage d'essayer de clore cette paupiốre blanche. Ses efforts furent inutiles.



    ôLe crever? Ce sera peut-ờtre un parricide?ằ se demanda-t-il.



    ôOuiằ, *** l'oeil par un clignotement d'une ộtonnante ironie.



    -- Ha! ha! s'ộcria don Juan, il y a de la sorcellerie l-dedans, et il s'approcha de l'oeil pour l'ộcraser. Une grosse larme roula sur les joues creuses du cadavre, et tomba sur la main de Belvidộro.



    -- Elle est brỷlante, s'ộcria-t-il en s'asseyant.



    Cette lutte l'avait fatiguộ comme s'il avait combattu, l'exemple de Jacob, contre un ange.



    Enfin il se leva en se disant: ôPourvu qu'il n'y ait pas de sang!ằ Puis, rassemblant tout ce qu'il faut de courage pour ờtre lõche, il ộcrasa l'oeil, en le foulant avec un linge, mais sans le regarder. Un gộmissement inattendu, mais terrible, se fit entendre. Le pauvre barbet expirait en hurlant.



    ôSerait-il dans le secret?ằ se demanda don Juan en regardant le fidốle animal.



    Don Juan Belvidộro passa pour un fils pieux. Il ộleva un monument de marbre blanc sur la tombe de son pốre, et en confia l'exộcution des figures aux plus cộlốbres artistes du temps. Il ne fut parfaitement tranquille que le jour oự la statue paternelle, agenouillộe devant la Religion, imposa son poids ộnorme sur cette fosse, au fond de laquelle il enterra le seul remords qui ait effleurộ son coeur dans les moments de lassitude physique. En inventoriant les immenses richesses amassộes par le vieil orientaliste, don Juan devint avare, n'avait-il pas deux vies humaines pourvoir d'argent? Son regard profondộment scrutateur pộnộtra dans le principe de la vie sociale et embrassa d'autant mieux le monde qu'il le voyait travers un tombeau. Il analysa les hommes et les choses pour en finir d'une seule fois avec le Passộ, reprộsentộ par l'Histoire; avec le Prộsent, configurộ par la Loi; avec l'Avenir, dộvoilộ par les Religions. I1 prit l'õme et la matiốre, les jeta dans un creuset, n'y trouva rien, et dốs lors il devint DON JUAN!



    Maợtre des illusions de la vie, i1 s'ộlanỗa, jeune et beau, dans la vie, mộprisant le monde, mais s'emparant du monde. Son bonheur ne pouvait pas ờtre cette fộlicitộ bourgeoise qui se repaợt d'un bouilli pộriodique, d'une douce bassinoire en hiver, d'une lampe pour la nuit et de pantoufles neuves chaque trimestre. Non, il se saisit de l'existence comme un singe qui attrape une noix, et sans s'amuser longtemps il dộpouilla savamment les vulgaires enveloppes du fruit pour en discuter la pulpe savoureuse. La poộsie et les sublimes transports de la passion humaine ne lui allốrent plus au cou-de- pied. Il ne commit point la faute de ces hommes puissants qui, s'imaginant parfois que les petites õmes croient aux grandes, s'avisent d'ộchanger les hautes pensộes de l'avenir contre la petite monnaie de nos idộes viagốres. Il pouvait bien, comme eux, marcher les pieds sur terre et la tờte dans les cieux; mais i1 aimait mieux s'asseoir, et sộcher, sous ses baisers, plus d'une lốvre de femme tendre, fraợche et parfumộe; car, semblable la Mort, l oự il passait, il dộvorait tout sans pudeur, voulant un amour de possession, un amour oriental, aux plaisirs longs et faciles. N'aimant que la femme dans les femmes, il se fit de l'ironie une allure naturelle son õme. Quand ses maợtresses se servaient d'un lit pour monter aux cieux oự elles allaient se perdre au sein d'une extase enivrante, don Juan les y suivait, grave, expansif, sincốre autant que sait l'ờtre un ộtudiant allemand. Mais il disait JE, quand sa maợtresse, folle, ộperdue, disait NOUS! Il savait admirablement bien se laisser entraợner par une femme. Il ộtait toujours assez fort pour lui faire croire qu'il tremblait comme un jeune lycộen qui *** sa premiốre danseuse, dans un bal: ôVous aimez la danse!ằ Mais il savait aussi rugir propos, tirer son ộpộe puissante et briser les commandeurs. Il y avait de la raillerie dans sa simplicitộ et du rire dans ses larmes, car il sut toujours pleurer autant qu'une femme quand elle *** son mari: ôDonne-moi un ộquipage ou je meurs de la poitrine.ằ Pour les nộgociants, le monde est un ballot ou une masse de billets en circulation; pour la plupart des jeunes gens, c'est une femme; pour quelques femmes, c'est un homme; pour certains esprits, c'est un salon, une coterie, un quartier, une ville; pour don Juan, l'univers ộtait lui! Modốle de grõce et de noblesse, d'un esprit sộduisant, i1 attacha sa barque tous les rivages; mais en se faisant conduire, i1 n'allait que jusqu'oự il voulait ờtre menộ. Plus i1 vit, plus il douta. En examinant les hommes, il devina souvent que le courage ộtait de la tộmộritộ; la prudence, une poltronnerie; la gộnộrositộ, finesse; la justice, un crime; la dộlicatesse, une niaiserie; la probitộ, une organisation: et, par une singuliốre fatalitộ, il s'aperỗut que les gens vraiment probes, dộlicats, justes, gộnộreux, prudents et courageux, n'obtenaient aucune considộration parmi les hommes. ôQuelle froide plaisanterie! se ***-il. Elle ne vient pas d'un dieu.ằ Et alors, renonỗant un monde meilleur, il ne se dộcouvrit jamais en entendant prononcer un nom, et considộra les saints de pierre dans les ộglises comme des oeuvres d'art. Aussi, comprenant le mộcanisme des sociộtộs humaines, ne heurtait-il jamais trop les prộjugộs, parce qu'il n'ộtait pas aussi puissant que le bourreau; mais il tournait les lois sociales avec cette grõce et cet esprit si bien rendus dans sa scốne avec monsieur Dimanche. Il fut en effet le type du Don Juan de Moliốre, du Faust de Goethe, du Manfred de Byron et du Melmoth de Maturin. Grandes images tracộes par les plus grands gộnies de l'Europe, et auxquelles les accords de Mozart ne manqueront pas plus que la lyre de Rossini peut- ờtre! Images terribles que le principe du mal, existant chez l'homme, ộternise, et dont quelques copies se retrouvent de siốcle en siốcle: soit que ce type entre en pourparler avec les hommes en s'incarnant dans Mirabeau; soit qu'il se contente d'agir en silence, comme Bonaparte; ou de presser l'univers dans une ironie, comme le divin Rabelais; ou bien encore qu'il se rie des ờtres, au lieu d'insulter aux choses, comme le marộchal de Richelieu; et mieux peut-ờtre, soit qu'il se moque la fois des hommes et des choses, comme le plus cộlốbre de nos ambassadeurs. Mais le gộnie profond de don Juan Belvidộro rộsuma, par avance, tous ces gộnies. Il se joua de tout. Sa vie ộtait une moquerie qui embrassait hommes, choses, institutions, idộes. Quant l'ộternitộ, il avait causộ familiốrement une demi-heure avec le pape Jules II, et la fin de la conversation, il lui *** en riant: ôS'il faut absolument choisir, j'aime mieux croire en Dieu qu'au diable; la puissance unie la bontộ offre toujours plus de ressource que n'en a le Gộnie du Mal.ằ



    -- Oui, mais Dieu veut qu'on fasse pộnitence dans ce mondeS



    -- Vous pensez donc toujours vos indulgences? rộpon*** Belvidộro. Eh bien! j'ai, pour me repentir des fautes de ma premiốre vie, toute une existence en rộserve.



    -- Ah! si tu comprends ainsi la vieillesse, s'ộcria le pape, tu risques d'ờtre canonisộ.



    -- Aprốs votre ộlộvation la papautộ, l'on peut tout croire.



    Et ils allốrent voir les ouvriers occupộs bõtir l'immense basilique consacrộe saint Pierre.



    -- Saint Pierre est l'homme de gộnie qui nous a constituộ notre double pouvoir, *** le pape don Juan, il mộrite ce monument. Mais parfois, la nuit, je pense qu'un dộluge passera l'ộponge sur cela, et ce sera recommencerS



    Don Juan et le pape se prirent rire, ils s'ộtaient entendus. Un sot serait allộ, le lendemain, s'amuser avec Jules II chez Raphaởl ou dans la dộlicieuse Villa-Madama; mais Belvidộro alla le voir officier pontificalement, afin de se convaincre de ses doutes. Dans une dộbauche, La Rovốre aurait pu se dộmentir et commenter l'Apocalypse.



    Toutefois cette lộgende n'est pas entreprise pour fournir des matộriaux ceux qui voudront ộcrire des mộmoires sur la vie de don Juan, elle est destinộe prouver aux honnờtes gens que Belvidộro n'est pas mort dans son duel avec une pierre, comme veulent le faire croire quelques lithographes. Lorsque don Juan Belvidộro atteignit l'õge de soixante ans, il vint se fixer en Espagne. L, sur ses vieux jours, il ộpousa une jeune et ravissante Andalouse. Mais, par calcul, il ne fut ni bon pốre ni bon ộpoux. Il avait observộ que nous ne sommes jamais si tendrement aimộs que par les femmes auxquelles nous ne songeons guốre. Dona Elvire, saintement ộlevộe par une vieille tante au fond de l'Andalousie, dans un chõteau, quelques lieues de San-Lucar, ộtait tout dộvouement et toute grõce. Don Juan devina que cette jeune fille serait femme longtemps combattre une passion avant d'y cộder, il espộra donc pouvoir la conserver vertueuse jusqu' sa mort. Ce fut une plaisanterie sộrieuse, une partie d'ộchecs qu'il voulut se rộserver de jouer pendant ses vieux jours. Fort de toutes les fautes commises par son pốre Bartholomộo, don Juan rộsolut de faire servir les moindres actions de sa vieillesse la rộussite du drame qui devait s'accomplir sur son lit de mort. Ainsi la plus grande partie de ses richesses resta enfouie dans les ****s de son palais Ferrare, oự il allait rarement. Quant l'autre moitiộ de sa fortune, elle fut placộe en viager, afin d'intộresser la durộe de sa vie et sa femme et ses enfants, espốce de rouerie que son pốre aurait dỷ pratiquer; mais cette spộculation de machiavộlisme ne lui fut pas trốs nộcessaire. Le jeune Philippe Belvidộro, son fils, devint un Espagnol aussi consciencieusement religieux que son pốre ộtait impie, en vertu peut-ờtre du proverbe: pốre avare, enfant prodigue. L'abbộ de San-Lucar fut choisi par don Juan pour diriger les consciences de la duchesse de Belvidộro et de Philippe. Cet ecclộsiastique ộtait un saint homme, de belle taille, admirablement bien proportionnộ, ayant de beaux yeux noirs, une tờte la Tibốre, fatiguộe par les jeỷnes, blanche de macộration, et journellement tentộ comme le sont tous les solitaires. Le vieux seigneur espộrait peut- ờtre pouvoir encore tuer un moine avant de finir son premier bail de vie. Mais, soit que l'abbộ fỷt aussi fort que don Juan pouvait l'ờtre lui-mờme, soit que dona Elvire eỷt plus de prudence ou de vertu que l'Espagne n'en accorde aux femmes, don Juan fut contraint de passer ses derniers jours comme un vieux curộ de campagne, sans scandale chez lui. Parfois il prenait plaisir trouver son fils ou sa femme en faute sur leurs devoirs de religion, et voulait impộrieusement qu'ils exộcutassent toutes les obligations imposộes aux fidốles par la cour de Rome. Enfin, i1 n'ộtait jamais si heureux qu'en entendant le galant abbộ de San-Lucar, dona Elvire et Philippe occupộs discuter un cas de conscience. Cependant, malgrộ les soins prodigieux que le seigneur don Juan Belvidộro donnait sa personne, les jours de la dộcrộpitude arrivốrent; avec cet õge de douleur, vinrent les cris de l'impuissance, cris d'autant plus dộchirants que plus riches ộtaient les souvenirs de sa bouillante jeunesse et de sa voluptueuse maturitộ. Cet homme, en qui le dernier degrộ de la raillerie ộtait d'engager les autres croire aux lois et aux principes dont i1 se moquait, s'endormait le soir sur un peut-ờtre! Ce modốle du bon ton, ce duc, vigoureux dans une orgie, superbe dans les cours, gracieux auprốs des femmes dont les coeurs avaient ộtộ tordus par lui comme un paysan tord un lien d'osier, cet homme de gộnie avait une pituite opiniõtre, une sciatique importune, une goutte brutale. Il voyait ses dents le quittant comme, la fin d'une soirộe, les dames les plus blanches, les mieux parộes, s'en vont, une une, laissant le salon dộsert et dộmeublộ. Enfin ses mains hardies tremblốrent, ses jambes sveltes chancelốrent, et un soir l'apoplexie lui pressa le cou de ses mains crochues et glaciales. Depuis ce jour fatal, il devint morose et dur. Il accusait le dộvouement de son fils et de sa femme, en prộtendant parfois que leurs soins touchants et dộlicats ne lui ộtaient si tendrement prodiguộs que parce qu'il avait placộ toute sa fortune en rentes viagốres. Elvire et Philippe versaient alors des larmes amốres et redoublaient de caresses auprốs du malicieux vieillard, dont la voix cassộe devenait affectueuse pour leur dire: ôMes amis, ma chốre femme, vous me pardonnez, n'est-ce pas? Je vous tourmente un peu. Hộlas! grand Dieu! comment te sers- tu de moi pour ộprouver ces deux cộlestes crộatures? Moi, qui devrais ờtre leur joie, je suis leur flộau.ằ Ce fut ainsi qu'il les enchaợna au chevet de son lit, leur faisant oublier des mois entiers d'impatience et de cruautộ par une heure oự, pour eux, i1 dộployait les trộsors toujours nouveaux de sa grõce et d'une fausse tendresse. Systốme paternel qui lui rộussit infiniment mieux que celui dont avait usộ jadis son pốre envers lui. Enfin, il parvint un tel degrộ de maladie que, pour le mettre au lit, il fallait le manoeuvrer comme une felouque entrant dans un chenal dangereux. Puis le jour de la mort arriva. Ce brillant et sceptique personnage, dont l'entendement survivait seul la plus affreuse de toutes les destructions, se vit entre un mộdecin et un confesseur, ses deux antipathies. Mais il fut jovial avec eux. N'y avait-il pas, pour lui, une lumiốre scintillante derriốre le voile de l'avenir? Sur cette toile, de plomb pour les autres et diaphane pour lui, les lộgốres, les ravissantes dộlices de la jeunesse se jouaient comme des ombres.



    Ce fut par une belle soirộe d'ộtộ que don Juan sentit les approches de la mort. Le ciel de l'Espagne ộtait d'une admirable puretộ, les orangers parfumaient l'air, les ộtoiles distillaient de vives et fraợches lumiốres, la nature semblait lui donner des gages certains de sa rộsurrection, un fils pieux et obộissant le contemplait avec amour et respect. Vers onze heures, il voulut rester seul avec cet ờtre candide.



    -- Philippe, lui ***-il d'une voix si tendre et si affectueuse que le jeune homme tressaillit et pleura de bonheur. Jamais ce pốre inflexible n'avait prononcộ ainsi: ôPhilippe!ằ ôẫcoute-moi, mon fils, reprit le moribond. Je suis un grand pộcheur. Aussi ai-je pensộ, pendant toute ma vie, ma mort. Jadis je fus l'ami du grand pape Jules II. Cet illustre pontife craignit que l'excessive irritation de mes sens ne me fit commettre quelque pộchộ mortel entre le moment oự j'expirerais et celui oự j'aurais reỗu les saintes huiles; il me fit prộsent d'une fiole dans laquelle existe l'eau sainte jaillie autrefois des rochers, dans le dộsert. J'ai gardộ le secret sur cette dilapidation du trộsor de l'ẫglise, mais je suis autorisộ rộvộler ce mystốre mon fils, in articulo mortis. Vous trouverez cette fiole dans le tiroir de cette table gothique qui n'a jamais quittộ le chevet de mon litS Le prộcieux cristal pourra vous servir encore, mon bien-aimộ Philippe. Jurez-moi, par votre salut ộternel, d'exộcuter ponctuellement mes ordres ?ằ



    Philippe regarda son pốre. Don Juan se connaissait trop l'expression des sentiments humains pour ne pas mourir en paix sur la foi d'un tel regard, comme son pốre ộtait mort au dộsespoir sur la foi du sien.



    -- Tu mộritais un autre pốre, reprit don Juan. J'ose t'avouer, mon enfant, qu'au moment oự le respectable abbộ de San-Lucar m'administrait le viatique, je pensais l'incompatibilitộ de deux puissances aussi ộtendues que celles du diable et de Dieu.



    -- Oh! mon pốre!



    -- Et je me disais que, quand Satan fera sa paix, il devra, sous peine d'ờtre un grand misộrable, stipuler le pardon de ses adhộrents. Cette pensộe me poursuit. J'irais donc en enfer, mon fils, si tu n'accomplissais pas mes volontộs.



    -- Oh! ***es-les-moi promptement, mon pốre!



    -- Aussitụt que j'aurai fermộ les yeux, reprit don Juan, dans quelques minutes peut-ờtre, tu prendras mon corps, tout chaud mờme, et tu l'ộtendras sur une table au milieu de cette chambre. Puis tu ộteindras cette lampe; la lueur des ộtoiles doit te suffire. Tu me dộpouilleras de mes vờtements; et pendant que tu rộciteras des Pater et des Ave en ộlevant ton õme Dieu, tu auras soin d'humecter, avec cette eau sainte, mes yeux, mes lốvres, toute la tờte d'abord, puis successivement les membres et le corps; mais, mon cher fils, la puissance de Dieu est si grande qu'il ne faudra t'ộtonner de rien!



    Ici, don Juan, qui sentit la mort venir, ajouta d'une voix terrible: ôTiens bien le flacon.ằ Puis il expira doucement dans les bras d'un fils dont les larmes abondantes coulốrent sur sa face ironique et blờme.



    1l ộtait environ minuit quand don Philippe Belvidộro plaỗa le cadavre de son pốre sur la table. Aprốs en avoir baisộ le front menaỗant et les cheveux gris, il ộteignit la lampe. La lueur douce, produite par la clartộ de la lune, dont les reflets bizarres illuminaient la campagne, permit au pieux Philippe d'entrevoir indistinctement le corps de son pốre, comme quelque chose de blanc au milieu de l'ombre. Le jeune homme imbiba un linge dans la liqueur, et, plongộ dans la priốre, i1 oignit fidốlement cette tờte sacrộe au milieu d'un profond silence. Il entendait bien des frộmissements indescriptibles, mais il les attribuait aux jeux de la brise dans les cimes des arbres. Quand i1 eut mouillộ le bras droit, il se sentit fortement ộtreindre le cou par un bras jeune et vigoureux, le bras de son pốre! Il jeta un cri dộchirant, et laissa tomber la fiole, qui se cassa. La liqueur s'ộvapora. Les gens du chõteau accoururent, armộs de flambeaux. Ce cri les avait ộpouvantộs et surpris, comme si la trompette du jugement dernier eỷt ộbranlộ l'univers. En un moment, la chambre fut pleine de monde. La foule tremblante aperỗut don Philippe ộvanoui, mais retenu par le bras puissant de son pốre, qui lui serrait le cou. Puis, chose surnaturelle, l'assistance vit la tờte de don Juan, aussi jeune, aussi belle que celle de l'Antinoỹs; une tờte aux cheveux noirs, aux yeux brillants, la bouche vermeille, et qui s'agitait effroyablement sans pouvoir remuer le squelette auquel elle appartenait. Un vieux serviteur cria: ôMiracle!ằ Et tous ces Espagnols rộpộtốrent: ôMiracle!ằ Trop pieuse pour admettre les miracles de la magie, dona Elvire envoya chercher l'abbộ de San-Lucar. Lorsque le prieur contempla de ses yeux le miracle, il rộsolut d'en profiter en homme d'esprit et en abbộ qui ne demandait pas mieux que d'augmenter ses revenus. Dộclarant aussitụt que le seigneur don Juan serait infailliblement canonisộ, il indiqua la cộrộmonie de l'apothộose dans son couvent, qui dộsormais s'appellerait, ***-il, San-Juan-de-Lucar. ces mots, la tờte fit une grimace assez facộtieuse.



    Le goỷt des Espagnols pour ces sortes de solennitộs est si connu qu'il ne doit pas ờtre difficile de croire aux fộeries religieuses par lesquelles l'abbaye de San-Lucar cộlộbra la translation du bienheureux don Juan Belvidộro dans son ộglise. Quelques jours aprốs la mort de cet illustre seigneur, le miracle de son imparfaite rộsurrection s'ộtait si drỷment contộ de village en village, dans un rayon de plus de cinquante lieues autour de San-Lucar, que ce fut dộj une comộdie que de voir les curieux par les chemins; ils vinrent de tous cụtộs, affriandộs par un Te Deum chantộ aux flambeaux. L'antique mosquộe du couvent de San-Lucar, merveilleux ộdifice bõti par les Maures, et dont les voỷtes entendaient depuis trois siốcles le nom de Jộsus-Christ substituộ celui d'Allah, ne put contenir la foule accourue pour voir la cộrộmonie. Pressộs comme des fourmis, des hidalgos en manteaux de velours, et armộs de leurs bonnes ộpộes, se tenaient debout autour des piliers, sans trouver de place pour plier leurs genoux qui ne se pliaient que l. De ravissantes paysannes, dont les basquines dessinaient les formes amoureuses, donnaient le bras des vieillards en cheveux blancs. Des jeunes gens aux yeux de feu se trouvaient cụtộ de vieilles femmes parộes. Puis c'ộtait des couples frộmissant d'aise, fiancộes curieuses amenộes par leurs bien-aimộs; des mariộs de la veille; des enfants se tenant craintifs par la main. Ce monde ộtait 1 riche de couleurs, brillant de contrastes, chargộ de fleurs, ộmaillộ, faisant un doux tumulte dans le silence de la nuit. Les larges portes de l'ộglise s'ouvrirent. Ceux qui, venus trop tard, restốrent en dehors voyaient de loin, par les trois portails ouverts, une scốne dont les dộcorations vaporeuses de nos opộras modernes ne sauraient donner une faible idộe. Des dộvotes et des pộcheurs, pressộs de gagner les bonnes grõces d'un nouveau saint, allumốrent en son honneur des milliers de cierges dans cette vaste ộglise, lueurs intộressộes qui donnốrent de magiques aspects au monument. Les noires arcades, les colonnes et leurs chapiteaux, les chapelles profondes et brillantes d'or et d'argent, les galeries, les dộcoupures sarrasines, les traits les plus dộlicats de cette sculpture dộlicate, se dessinaient dans cette lumiốre surabondante, comme des figures capricieuses qui se forment dans un brasier rouge. C'ộtait un ocộan de feux, dominộ, au fond de l'ộglise, par le choeur dorộ oự s'ộlevait le maợtre-autel, dont la gloire eỷt rivalisộ avec celle d'un soleil levant. En effet, la splendeur des lampes d'or, des candộlabres d'argent, des banniốres, des glands, des saints et des ex-voto, põlissait devant la chõsse oự se trouvait don Juan. Le corps de l'impie ộtincelait de pierreries, de fleurs, de cristaux, de diamants, d'or, de plumes aussi blanches que les ailes d'un sộraphin, et remplaỗait sur l'autel un tableau du Christ. Autour de lui brillaient des cierges nombreux qui ộlanỗaient dans les airs de flamboyantes ondes. Le bon abbộ de San-Lucar, parộ des habits pontificaux, ayant sa mitre enrichie de pierres prộcieuses, son rochet, sa crosse d'or, siộgeait, roi du choeur, sur un fauteuil d'un luxe impộrial, au milieu de tout son clergộ, composộ d'impassibles vieillards en cheveux argentộs, revờtus d'aubes fines, et qui l'entouraient, semblables aux saints confesseurs que les peintres groupent autour de l'ẫternel. Le Grand-Chantre et les dignitaires du chapitre, dộcorộs des brillants insignes de leurs vanitộs ecclộsiastiques, allaient et venaient au sein des nuages formộs par l'encens, pareils aux astres qui roulent sur le firmament. Quand l'heure du triomphe fut venue, les cloches rộveillốrent les ộchos de la campagne, et cette immense assemblộe jeta vers Dieu le premier cri de louanges par lequel commence le Te Deum. Cri sublime! C'ộtait des voix pures et lộgốres, des voix de femmes en extase, mờlộes aux voix graves et fortes des hommes, des milliers de voix si puissantes que l'orgue n'en domina pas l'ensemble, malgrộ le mugissement de ses tuyaux. Seulement les notes perỗantes de la jeune voix des enfants de choeur et les larges accents de quelques basses-tailles suscitốrent des idộes gracieuses, peignirent l'enfance et la force, dans ce ravissant concert de voix humaines confondues en sentiment d'amour.



    -- Te Deum laudamus!



    Du sein de cette cathộdrale noire de femmes et d'hommes agenouillộs, ce chant partit semblable une lumiốre qui scintille tout coup dans la nuit, et le silence fut rompu comme par un coup de tonnerre. Les voix montốrent avec les nuages d'encens qui jetaient alors des voiles diaphanes et bleuõtres sur les fantastiques merveilles de l'architecture. Tout ộtait richesse, parfum, lumiốre et mộlodie. Au moment oự cette musique d'amour et de reconnaissance s'ộlanỗa vers l'autel, don Juan, trop poli pour ne pas remercier, trop spirituel pour ne pas entendre raillerie, rộpon*** par un rire effrayant, et se prộlassa dans sa chõsse. Mais le diable l'ayant fait penser la chance qu'il courait d'ờtre pris pour un homme ordinaire, pour un saint, un Boniface, un Pantalộon, il troubla cette mộlodie d'amour par un hurlement auquel se joignirent les mille voix de l'enfer. La terre bộnissait, le ciel maudissait. L'ộglise en trembla sur ses fondements antiques.



    -- Te Deum laudamus! disait l'assemblộe.



    -- Allez tous les diables, bờtes brutes que vous ờtes! Dieu, Dieu! Carajos demonios, animaux, ờtes-vous stupides avec votre Dieu-vieillard!



    Et un torrent d'imprộcations se dộroula comme un ruisseau de laves brỷlantes par une ộruption du Vộsuve.



    -- Deus sabaoth! sabaoth! criốrent les chrộtiens.



    -- Vous insultez la majestộ de l'enfer! rộpon*** don Juan dont la bouche grinỗait des dents.



    Bientụt le bras vivant put passer par-dessus la chõsse, et menaỗa l'assemblộe par des gestes empreints de dộsespoir et d'ironie.



    -- Le saint nous bộnit, dirent les vieilles femmes, les enfants et les fiancộs, gens crộdules.



    Voil comment nous sommes souvent trompộs dans nos adorations. L'homme supộrieur se moque de ceux qui le complimentent, et complimente quelquefois ceux dont il se moque au fond du coeur.



    Au moment oự l'abbộ, prosternộ devant l'autel, chantait: ôSancte Johannes, ora pro nobis!ằ i1 enten*** assez distinctement: ôO coglione.ằ



    -- Que se passe-t-il donc l-haut? s'ộcria le sous-prieur en voyant la chõsse remuer.



    -- Le saint fait le diable, rộpon*** l'abbộ.



    Alors cette tờte vivante se dộtacha violemment du corps qui ne vivait plus et tomba sur le crõne jaune de l'officiant.



    -- Souviens-toi de dona Elvire, cria la tờte en dộvorant celle de l'abbộ.



    Ce dernier jeta un cri affreux qui troubla la cộrộmonie. Tous les prờtres accoururent et entourốrent leur souverain.



    -- Imbộcile, dis donc qu'il y a un Dieu? cria la voix au moment oự l'abbộ, mordu dans sa cervelle, allait expirer.



    Paris, octobre 1830.



    Thanks for being there for me.​

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