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Les Cenci - Stendhal

Chủ đề trong 'Văn học' bởi Angelique, 21/05/2001.

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  1. Angelique

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    Les Cenci
    Stendhal


    Le don Juan de Moliốre est galant sans doute, mais avant tout il est homme de bonne compagnie; avant de se livrer au penchant irrộsistible qui l'entraợne vers les jolies femmes, il tient se conformer un certain modốle idộal, il veut ờtre l'homme qui serait souverainement admirộ la cour d'un jeune roi galant et spirituel.

    Le don Juan de Mozart est dộj plus prốs de la nature, et moins franỗais, il pense moins l'opinion des autres; il ne songe pas avant tout, parestre, comme *** le baron de Foeneste, de d'Aubignộ. Nous n'avons que deux portraits du don Juan d'Italie, tel qu'il dut se montrer, en ce beau pays, au seiziốme siốcle, au dộbut de la civilisation renaissante.

    De ces deux portraits, il en est un que je ne puis absolument faire connaợtre, le siốcle est trop collet montộ; il faut se rappeler ce grand mot que j'ai ouù rộpộter bien des fois lord Byron : This age of cant. Cette hypocrisie si ennuyeuse et qui ne trompe personne a l'immense avantage de donner quelque chose dire aux sots; ils se scandalisent de ce qu'on a osộ dire telle chose; de ce qu'on a osộ rire de telle autre, etc. Son dộsavantage est de raccourcir infiniment le domaine de l'histoire.

    Si le lecteur a le bon goỷt de me le permettre, je vais lui prộsenter, en toute humilitộ, une notice historique sur le second des don Juan, dont il est possible de parler en 1837; il se nommait Franỗois Cenci.

    Pour que le don Juan soit possible, il faut qu'il y ait de l'hypocrisie dans le monde. Le don Juan eỷt ộtộ un effet sans cause de l'antiquitộ; la religion ộtait une fờte, elle exhortait les hommes au plaisir, comment aurait-elle flộtri des ờtres qui faisaient d'un certain plaisir leur unique affaire? Le gouvernement seul parlait de s'abstenir; il dộfendait les choses qui pouvaient nuire la patrie, c'est--dire l'intộrờt bien entendu de tous, et non ce qui peut nuire l'individu qui agit.

    Tout homme qui avait du goỷt pour les femmes et beaucoup d'argent pouvait ờtre un don Juan dans Athốnes, personne n'y trouvait redire; personne ne professait que cette vie est une vallộe de larmes et qu'il y a du mộrite se faire souffrir.

    Je ne pense par que le don Juan athộnien pỷt arriver jusqu'au crime aussi rapidement que le don Juan des monarchies modernes; une grande partie du plaisir de celui-ci consiste braver l'opinion, et il a dộbutộ, dans sa jeunesse, par s'imaginer qu'il bravait seulement l'hypocrisie.

    Violer les lois dans la monarchie la Louis XV, tirer un coup de fusil un couvreur, et le faire dộgringoler du haut de son toit, n'est-ce pas une preuve que l'on vit dans la sociộtộ du prince, que l'on est du meilleur ton, et que l'on se moque fort du juge? Se moquer du juge, n'est-ce pas le premier pas, le premier essai de tout petit don Juan qui dộbute?

    Parmi nous, les femmes ne sont plus la mode, c'est pourquoi les don Juan sont rares; mais quand il y en avait, ils commenỗaient toujours par chercher des plaisirs fort naturels, tout en se faisant gloire de braver ce qui leur semblait des idộes non fondộes en raison dans la religion de leurs contemporains. Ce n'est que plus tard, et lorsqu'il commence se pervertir, que le don Juan trouve une voluptộ exquise braver les opinions qui lui semblent lui-mờme justes et raisonnables.

    Ce passage devait ờtre fort difficile chez les anciens, et ce n'est guốre que sous les empereurs romains, et aprốs Tibốre et Caprộe, que l'on trouve des libertins qui aiment la corruption pour elle-mờme, c'est--dire pour le plaisir de braver les opinions raisonnables de leurs contemporains.

    Ainsi c'est la religion chrộtienne que j'attribue la possibilitộ du rụle satanique de don Juan. C'est sans doute cette religion qui enseigna au monde bien entendu de tqu'un pauvre esclave, qu'un gladiateur avait une õme absolument ộgale en facultộ celle de Cộsar lui-mờme; ainsi, il faut la remercier de l'apparition de sentiments dộlicats; je ne doute pas, au reste, que tụt ou tard ces sentiments ne se fussent fait jour dans le sein des peuples. L'ẫnộide est dộj bien plus tendre que l'Iliade.

    La thộorie de Jộsus ộtait celle des philosophes arabes ses contemporains; la seule chose nouvelle qui se soit introduite dans le monde la suite des principes prờchộs par saint Paul, c'est un corps de prờtres absolument sộparộ du reste des citoyens et mờme ayant des intộrờts opposộs.

    Ce corps fit son unique affaire de cultiver et de fortifier le sentiment religieux; il inventa des prestiges et des habitudes pour ộmouvoir les esprits de toutes les classes, depuis le põtre inculte jusqu'au vieux courtisan blasộ; il sut lier son souvenir aux impressions charmantes de la premiốre enfance; il ne laissa point passer la moindre peste ou le moindre grand malheur sans en profiter pour redoubler la peur et le sentiment religieux, ou tout au moins pour bõtir une belle ộglise, comme la Salute Venise.

    L'existence de corps produisit cette chose admirable : le pape saint Lộon, rộsistant sans force physique au fộroce Attila et ses nuộes de barbares qui venaient d'effrayer la Chine, la Perse et les Gaules.

    Ainsi, la religion, comme le pouvoir absolu tempộrộ par les chansons, qu'on appelle la monarchie franỗaise, a produit des choses singuliốres et curieuses que le monde n'eỷt jamais vues, peut-ờtre s'il eỷt ộtộ privộ de ces deux institutions.

    Parmi ces choses bonnes ou mauvaises, mais toujours singuliốres et curieuses, et qui eussent bien ộtonnộ Aristote, Polybe, Auguste, et les autres bonnes tờtes de l'antiquitộ, je place sans hộsiter le caractốre tout moderne du don Juan. C'est, mon avis, un produit des institutions ascộtiques des papes venus aprốs Luther; car Lộon X et sa cour (1506) suivaient peu prốs les mờmes principes de la religion d'Athốnes.

    Le Don Juan de Moliốre fut reprộsentộ au commencement du rốgne de Louis XIV, le 15 fộvrier 1665; ce prince n'ộtait point encore dộvot, et cependant la censure ecclộsiastique fit supprimer la scốne du pauvre dans la forờt. Cette censure, pour se donner des forces, voulait persuader ce jeune roi, si prodigieusement ignorant, que le mot jansộniste ộtait synonyme de rộpublicain.

    L'original est d'un Espagnol, Tirso de Molina; une troupe italienne en jouait une imitation Paris vers 1664, et faisait fureur. C'est probablement la comộdie du monde qui a ộtộ reprộsentộe le plus souvent. C'est qu'il y a le diable et l'amour, la peur de l'enfer et une passion exaltộe pour une femme, c'est--dire, ce qu'il y a de plus terrible et de plus doux aux yeux de tous les hommes, pour peu qu'ils soient au-dessus de l'ộtat sauvage.

    Il n'est pas ộtonnant que la peinture de don Juan ait ộtộ introduite dans la littộrature par un poốte espagnol. L'amour tient une grande place dans la vie de ce peuple; c'est l-bas, une passion sộrieuse et qui se fait sacrifier, haut la main, toutes les autres, et mờme, qui le croirait? la vanitộ! Il en est de mờme en Allemagne et en Italie. A le bien prendre, la France seule est complốtement dộlivrộe de cette passion, qui fait faire tant de folies ces ộtrangers : par exemple, ộpouser une fille pauvre, sous le prộtexte qu'elle est jolie et qu'on en est amoureux. Les filles qui manquent de beautộ ne manquent pas d'admirateurs en France; nous sommes gens avisộs. Ailleurs, elles sont rộduites se faire religieuses, et c'est pourquoi les couvents sont indispensables en Espagne. Les filles n'ont pas de dot en ce pays, et cette loi a maintenu le triomphe de l'amour. En France, l'amour ne s'est-il pas rộfugiộ au cinquiốme ộtage, c'est--dire parmi les filles qui ne se marient pas avec l'entremise du notaire de famille?

    Il ne faut pas parler du don Juan de lord Byron, ce n'est qu'un Faublas, un beau jeune homme insignifiant, et sur lequel se prộcipitent toutes sortes de bonheurs invraisemblables.

    C'est donc en Italie et au seiziốme siốcle seulement qu'a dỷ paraợtre, pour la premiốre fois, ce caractốre singulier. C'est en Italie et au dix-septiốme siốcle qu'une princesse disait, en prenant une glace avec dộlices le soir d'un journộe fort chaude : Quel dommage que ce ne soit pas un pờchộ!

    Ce sentiment forme, suivant moi, la base du caractốre du don Juan, et comme on voit, la religion chrộtienne lui est nộcessaire.

    Sur quoi un auteur napolitain s'ộcrie : << N'est-ce rien que de braver le ciel, et de croire qu'au moment mờme le ciel peut vous rộduire en cendre? De l l'extrờme voluptộ, ***-on, d'avoir une maợtresse religieuse remplie de piộtộ, sachant fort bien qu'elle fait le mal, et demandant pardon Dieu avec passion, comme elle pờche avec passion.>>

    Supposons un chrộtien extrờmement pervers, nộ Rome, au moment oự le sộvốre Pie V venait de remettre en honneur ou d'inventer une foule de pratiques minutieuses absolument ộtrangốres cette morale simple qui n'appelle vertu que ce qui est utile aux hommes. Une inquisition inexorable, et tellement inexorable qu'elle dura peu en Italie, et dut se rộfugier en Espagne, venait d'ờtre renforcộe et faisait peur tous? Pendant quelques annộes, on attacha de trốs grandes peines la non-exộcution ou au mộpris public de ces petites pratiques minutieuses ộlevộes au rang des devoirs les plus sacrộs de la religion; il aura haussộ les ộpaules en voyant l'universalitộ des citoyens trembler devant les lois terribles de l'inquisition.

    << Eh bien! se sera-t-il ***, je suis l'homme le plus riche de Rome, cette capitale du monde; je vais en ờtre aussi le plus brave; je vais me moquer publiquement de tout ce que ces gens-l respectent, et qui ressemble si peu ce qu'on doit respecter.>>

    Car un don Juan, pour ờtre tel, doit ờtre homme de ccoeuroe;ur et possộder un esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs des actions des hommes.

    Franỗois Cenci se sera *** : << Par quelles actions parlantes, moi Romain, nộ Rome en 1527, prộcisộment pendant les six mois pendant lesquels les soldats luthộriens du connộtable de Bourbon y commirent, sur les choses saintes, les plus affreuses profanations; par quelles actions pourrais-je faire remarquer mon courage et me donner, le plus profondộment possible, le plaisir de braver l'opinion? Comment ộtonnerais-je mes sots contemporains? Comment pourrais-je me donner le plaisir si vif de me sentir diffộrent de tout ce vulgaire?>>

    Il ne pouvait entrer dans la tờte d'un Romain, et d'un Romain du Moyen Age, de se borner des paroles. Il n'est pas de pays oự les paroles hardies soient plus mộprisộes qu'en Italie.

    L'homme qui a pu se dire lui-mờme ces choses se nomme Franỗois Cenci : il a ộtộ tuộ sous les yeux de sa fille et de sa femme, le 15 septembre 1598. Rien d'aimable ne nous reste de ce don Juan, son caractốre ne fut point adouci et amoindri par l'idộe d'ờtre, avant tout, homme de bonne compagnie, comme le don Juan de Moliốre. Il ne songeait aux autres hommes que pour marquer sa supộrioritộ sur eux, s'en servir dans ses desseins ou les haùr. Le don Juan n'a jamais de plaisir par les sympathies, par les douces rờveries ou les illusions d'un ccoeuroe;ur tendre. Il lui faut, avant tout, des plaisirs qui soient des triomphes, qui puissent ờtre vus par les autres, qui ne puissent ờtre niộs; il lui faut la liste dộployộe par l'insolent Leporello aux yeux de la triste Elvire.

    Le don Juan romain s'est bien gardộ de la maladresse insigne de donner la clef de son caractốre, et de faire des confidences un laquais, comme le don Juan de Moliốre; il a vộcu sans confident, et n'a prononcộ de paroles que celles qui ộtaient utiles pour l'avancement de ses desseins. Nul ne vit en lui de ces moments de tendresse vộritable et de gaietộ charmante qui nous font pardonner au don Juan de Mozart; en un mot, le portrait que je vais traduire est affreux.

    Par choix, je n'aurais pas racontộ ce caractốre, je me serais contentộ de l'ộtudier, car il est plus voisin de l'horrible que du curieux; mais j'avouerai qu'il m'a ộtộ demandộ par des compagnons de voyage auxquels je ne pouvais rien refuser. En 1823, j'eus le bonheur de voir l'Italie avec des ờtres aimables et que je n'oublierai jamais, je fus sộduit comme eux par l'admirable portrait de Bộatrix Cenci, que l'on voit Rome, au palais Barberini.

    La galerie de ce palais est maintenant rộduite sept ou huit tableaux; mais quatre sont des chefs-d'oeuvre : c'est d'abord le portrait de la cộlốbre Fornarina, la maợtresse de Raphaởl, par Raphaởl lui-mờme. Ce portrait, sur l'authenticitộ duquel il ne peut s'ộlever aucun doute, car on trouve des copies contemporaines, est tout diffộrent de la figure qui, la galerie de Florence, est donnộe comme le portrait de la maợtresse de Raphaởl, et a ộtộ gravộ, sous ce nom, par Morghen. Le portrait de Florence n'est pas mờme de Raphaởl. En faveur de ce grand nom, le lecteur voudra-t-il pardonner cette petite digression?

    Le second portrait prộcieux de la galerie Barberini est du Guide; c'est le portrait de Bộatrix Cenci, dont on voit tant de mauvaises gravures. Ce grand peintre a placộ sur le cou de Bộatrix un bout de draperie insignifiant; il l'a coiffộe d'un turban; il eỷt craint de pousser la vộritộ jusqu' l'horrible, s'il eỷt reproduit exactement l'habit qu'elle s'ộtait fait faire pour paraợtre l'exộcution, et les cheveux en dộsordre d'une pauvre fille de seize ans qui vient de s'abandonner au dộsespoir. La tờte est douce et belle, le regard trốs doux et les yeux fort grands : ils ont l'air ộtonnộ d'une personne qui vient d'ờtre surprise au moment oự elle pleurait chaudes larmes. Les cheveux sont blonds et trốs beaux. Cette tờte n'a rien de la fiertộ romaine et de cette conscience de ses propres forces que l'on surprend souvent dans le regard assurộ d'une fille du Tibre, di una figlia del Tevere, disent-elles d'elles-mờmes avec fiertộ. Malheureusement, les demi-teintes ont poussộ au rouge de brique pendant ce long intervalle de deux cent trente-huit ans qui nous sộpare de la catastrophe dont on va lire le rộcit.

    Le troisiốme portrait de la galerie Barberini est celui de Lucrốce Petroni, belle-mốre de Bộatrix, qui fut exộcutộe avec elle. C'est le type de la matrone romaine dans sa beautộ et sa fiertộ naturelles. Les traits sont grands et la carnation d'une ộclatante blancheur, les sourcils noirs et fort marquộs, le regard est impộrieux et en mờme temps chargộ de voluptộ. C'est un beau contraste avec la figure si douce, si simple, presque allemande de sa belle-fille.

    Le quatriốme portrait, brillant par la vộritộ et l'ộclat des couleurs, est l'un des chefs-d'oeuvre de Titien; c'est une esclave grecque qui fut la maợtresse du fameux doge Barbarigo.

    Presque tous les ộtrangers qui arrivent Rome se font conduire, dốs le commencement de leur tournộe, la galerie Barberini; ils sont appelộs, les femmes surtout, par les portraits de Bộatrix Cenci et de sa belle-mốre. J'ai partagộ la curiositộ commune; ensuite, comme tout le monde, j'ai cherchộ obtenir communication des piốces de ce procốs cộlốbre. Si on a ce crộ***, on sera tout ộtonnộ, je pense, en lisant ces piốces, oự tout est latin, exceptộ les rộponses des accusộs, de ne trouver presque pas l'explication des faits. C'est qu' Rome, en 1599, personne n'ignorait les faits. J'ai achetộ la permission de copier un rộcit contemporain; j'ai cru pouvoir en donner la traduction sans blesser aucune convenance; du moins cette traduction put-elle ờtre lue tout haut devant des dames en 1823. Il est bien entendu que le traducteur cesse d'ờtre fidốle lorsqu'il ne peut plus l'ờtre : l'horreur l'emporterait facilement sur l'intộrờt de curiositộ.

    Le triste rụle du don Juan pur (celui qui ne cherche pas se conformer aucun modốle idộal, et qui ne songe l'opinion du monde que pour l'outrager) est exposộ ici dans toute son horreur. Les excốs de ses crimes forcent deux femmes malheureuses le faire tuer sous leurs yeux; ces deux femmes ộtaient l'une son ộpouse, et l'autre sa fille, et le lecteur n'osera dộcider si elles furent coupables. Leurs contemporains trouvốrent qu'elles ne devaient pas pộrir.

    Je suis convaincu que la tragộdie de Galeoto Manfredi (qui fut tuộ par sa femme, sujet traitộ par le grand poốte Monti) et tant d'autres tragộdies domestiques du quinziốme siốcle, qui sont moins connues et peine indiquộes dans les histoires particuliốres des villes d'Italie, finirent par une scốne semblable celle du chõteau de Petrella. Voici une traduction du rộcit contemporain; il est en italien de Rome, et fut ộcrit le 14 septembre 1599.

    HISTOIRE VERITABLE
    de la mort de Jacques et Bộatrix Cenci,
    et de Lucrốce Petroni Cenci, leur belle-mốre, exộcutộs pour crime de parricide, samedi dernier 11 septembre 1599,
    sous le rốgne de notre saint pốre le pape, Clộment VIII,
    Aldobrandini.

    La vie exộcrable qu'a toujours menộe Franỗois Cenci, nộ Rome et l'un de nos concitoyens les plus opulents, a fini par le conduire sa perte. Il a entraợnộ une mort prộmaturộe ses fils, jeunes gens forts et courageux, et sa fille Bộatrix qui, quoiqu'elle ait ộtộ conduite au supplice peine õgộe de seize ans (il y a aujourd'hui quatre jours), n'en passait pas moins pour une des plus belles personnes des Etats du pape et de l'Italie tout entiốre. La nouvelle se rộpand que le signor Guido Reni, un des ộlốves de cette admirable ộcole de Bologne, a voulu faire le portrait de la pauvre Bộatrix, vendredi dernier, c'est--dire le jour mờme qui a prộcộdộ son exộcution. Si ce grand peintre s'est acquittộ de cette tõche comme il a fait pour les autres peintures qu'il a exộcutộes dans cette capitale, la postộritộ pourra se faire quelque idộe de ce que fut la beautộ de cette fille admirable. Afin qu'elle puisse aussi conserver quelque souvenir de ses malheurs sans pareils, et de la force ộtonnante avec laquelle cette õme vraiment romaine sut les combattre, j'ai rộsolu d'ộcrire ce que j'ai appris sur l'action qui l'a conduite la mort, et ce que j'ai vu le jour de sa glorieuse tragộdie.

    Les personnes qui m'ont donnộ mes informations ộtaient placộes de faỗon savoir les circonstances les plus secrốtes, lesquelles sont ignorộes dans Rome, mờme aujourd'hui, quoique depuis six semaines on ne parle d'autre chose que du procốs des Cenci. J'ộcrirai avec une certaine libertộ, assurộ que je suis de pouvoir dộposer mon commentaire dans des archives respectables, et d'oự certainement il ne sera tirộ qu'aprốs moi. Mon unique chagrin est de devoir parler, mais ainsi le veut la vộritộ, contre l'innocence de cette pauvre Bộatrix Cenci, adorộe et respectộe de tous ceux qui l'ont connue, autant que son horrible pốre ộtait haù et exộcrộ.

    Cet homme, qui, l'on ne peut le nier, avait reỗu du ciel une sagacitộ et une bizarrerie ộtonnantes, fut fils de monsignor Cenci, lequel, sous Pie V (Ghislieri), s'ộtait ộlevộ au poste de trộsorier (ministre des finances). Ce saint pape, tout occupộ, comme on sait, de sa juste haine contre l'hộrộsie et du rộtablissement de son admirable inquisition, n'eut que du mộpris pour l'admiration temporelle de son Etat, de faỗon que ce monsignor Cenci, qui fut trộsorier pendant quelques annộes avant 1572, trouva moyen de laisser cet homme affreux qui fut son fils et pốre de Bộatrix un revenu net de cent soixante mille piastres (environ deux millions cinq cent mille francs de 1837).

    Franỗois Cenci, outre cette grande fortune, avait une rộputation de courage et de prudence laquelle, dans son jeune temps, aucun autre Romain ne put atteindre; et cette rộputation le mettait d'autant plus en crộ*** la cour du pape et parmi tout le peuple, que les actions criminelles que l'on commenỗaient lui imputer n'ộtaient que du genre de celles que le monde pardonne facilement. Beaucoup de Romains se rappelaient encore, avec un amer regret, la libertộ de penser et d'agir dont on avait joui du temps de Lộon X, qui nous fut enlevộ en 1513, et sous Paul III, mort en 1549. On commenỗa parler, sous ce dernier pape, du jeune Franỗois Cenci cause de certains amours singuliers, amenộs bonne rộussite par des moyens plus singuliers encore.

    Sous Paul III, temps oự l'on pouvait encore parler avec une certaine confiance, beaucoup disaient que Franỗois Cenci ộtait avide surtout d'ộvộnements bizarres qui pussent lui donner des peripezie di nuova idea, sensations nouvelles et inquiộtantes; ceux-ci s'appuient sur ce qu'on a trouvộ dans ses livres de comptes des articles tels que celui-ci : << Pour les aventures et peripezie de Toscanella, trois mille cinq cents piastres (environ soixante mille francs de 1837) e non fu caro (et ce ne fut pas trop cher).>>

    On ne sait peut-ờtre pas, dans les autres villes d'Italie, que notre sort et notre faỗon d'ờtre Rome changent selon le caractốre du pape rộgnant. Ainsi, pendant treize annộes sous le bon pape Grộgoire XIII (Buoncompagni), tout ộtait permis Rome; qui voulait faisait poignarder son ennemi, et n'ộtait point poursuivi, pour peu qu'il se conduisợt d'une faỗon modeste. A cet excốs d'indulgence succộda l'excốs de la sộvộritộ pendant les cinq annộes que rộgna le grand Sixte-Quint, duquel il a ộtộ ***, comme de l'empereur Auguste, qu'il fallait qu'il ne vợnt jamais ou qu'il restõt toujours. Alors on vit exộcuter des malheureux pour des assassinats ou empoisonnements oubliộs depuis dix ans, mais dont ils avaient eu le malheur de se confesser au cardinal Montalto, depuis Sixte-Quint.

    Ce fut principalement sous Grộgoire XIII que l'on commenỗõt beaucoup parler de Franỗois Cenci; il avait ộpousộ une femme fort riche et telle qu'il convenait un seigneur si accrộ***ộ, elle mourut aprốs lui avoir donnộ sept enfants. Peu aprốs sa mort, il prit en secondes noces Lucrốce Petroni, d'une rare beautộ et cộlốbre surtout par l'ộclatante blancheur de son teint, mais un peu trop replốte, comme c'est le dộfaut commun de nos Romaines. De Lucrốce il n'eut point d'enfants.

    Le moindre vice qui fỷt reprendre en Franỗois Cenci, ce fut la propension un amour infõme; le plus grand fut celui de ne pas croire en Dieu. De sa vie on ne le vit entrer dans une ộglise.

    Mis trois fois en prison pour ses amours infõmes, il s'en tira en donnant deux cent mille piastres aux personnes en faveur auprốs des douze papes sous lesquels il a successivement vộcu. (Deux cent mille piastres font peu prốs cinq millions de 1837).

    Je n'ai vu Franỗois Cenci que lorsqu'il avait dộj les cheveux grisonnants, sous le rốgne du pape Buoncompagni, quand tout ộtait permis qui osait. C'ộtait un homme d' peu prốs cinq pieds quatre pouces, fort bien fait, quoique trop maigre; il passait pour ờtre extrờmement fort, peut-ờtre faisait-il courir ce bruit lui-mờme; il avait les yeux grands et expressifs, mais la paupiốre supộrieure retombait un peu trop; il avait le nez trop avancộ et trop grand, les lốvres minces et un sourire plein de grõce. Ce sourire devenait terrible lorsqu'il fixait le regard sur ses ennemis; pour peu qu'il fỷt ộmu ou irritộ, il tremblait excessivement et de faỗon l'incommoder. Je l'ai vu dans ma jeunesse, sous le pape Buoncompagni, aller cheval de Rome Naples, sans doute pour quelqu'une de ses amourettes, il passait dans les bois de San Germano et de la Fajola, sans avoir nul souci des brigands, et faisait, ***-on, la route en moins de vingt heures. Il voyageait toujours seul, et sans prộvenir personne; quand son premier cheval ộtait fatiguộ, il en achetait ou en volait un autre. Pour peu qu'on lui fợt des difficultộs, il ne faisait pas difficultộ, lui, de donner un coup de poignard. Mais il vrai de dire que du temps de ma jeunesse, c'est--dire quand il avait quarante-huit ou cinquante ans, personne n'ộtait assez hardi pour lui rộsister. Son grand plaisir ộtait surtout de braver ses ennemis.

    Il ộtait fort connu sur toutes les routes des Etats de Sa Saintetộ; il payait gộnộreusement, mais aussi il ộtait capable, deux ou trois mois aprốs une offense lui faite, d'expộdier un de ses sicaires pour tuer la personne qui l'avait offensộ.

    La seule action vertueuse qu'il ait faite pendant toute sa longue vie, a ộtộ de bõtir, dans la cour de son vaste palais prốs du Tibre, une ộglise dộdiộe Saint Thomas, et encore il fut poussộ cette belle action par le dộsir singulier d'avoir sous ses yeux les tombeaux de tous ses enfants, pour lesquels il eut une haine excessive et contre nature, mờme dốs leur plus tendre jeunesse, quand ils ne pouvaient encore l'avoir offensộ en rien.

    C'est l que je veux les mettre tous, disait-il souvent avec un rire amer aux ouvriers qu'il employait construire son ộglise. Il envoya les trois aợnộs, Jacques, Christophe et Roch, ộtudier l'universitộ de Salamanque en Espagne. Une fois qu'ils furent dans ce pays lointain, il prit un malin plaisir ne leur faire passer aucune remise d'argent, de faỗon que ces malheureux jeunes gens, aprốs avoir adressộ leur pốre nombre de lettres, qui toutes restốrent sans rộponse, furent rộduits la misộrable nộcessitộ de revenir dans leur patrie en empruntant de petites sommes d'argent ou en mendiant le long de la route.

    A Rome, ils trouvốrent un pốre plus sộvốre et plus rigide, plus õpre que jamais, lequel, malgrộ ses immenses richesses, ne voulut ni les vờtir ni leur donner l'argent nộcessaire pour acheter les aliments les plus grossiers. Ces malheureux furent forcộs d'avoir recours au pape, qui forỗa Franỗois Cenci leur faire une petite pension. Avec ce secours fort mộdiocre ils se sộparốrent de lui.

    Bientụt aprốs, l'occasion de ses amours infõmes, Franỗois fut mis en prison pour la troisiốme et derniốre fois; sur quoi les trois frốres sollicitốrent une audience de notre saint pốre actuellement rộgnant, et le priốrent en commun de faire mourir Franỗois Cenci leur pốre, qui dirent-ils, dộshonorait leur maison. Clộment VIII en avait grande envie, mais il ne voulut pas suivre sa premiốre pensộe, pour ne pas donner contentement ces enfants dộnaturộs, et il les chassa honteusement de sa prộsence.

    Le pốre, comme nous l'avons *** plus haut, sortit de prison en donnant une grosse somme d'argent qui le pouvait protộger. On conỗoit que l'ộtrange dộmarche de ses trois fils aợnộs dut augmenter encore la haine qu'il portait ses enfants. Il les maudissait chaque instant, grands et petits, et tous les jours il accablait de coups de bõton ses deux pauvres filles qui habitaient avec lui dans son palais.

    La plus õgộe, quoique surveillộe de prốs, se donna tant de soins, qu'elle parvint faire prộsenter une supplique au pape; elle conjura Sa Saintetộ de la marier ou de la placer dans un monastốre. Clộment VIII eut pitiộ de ses malheurs, et la maria Charles Gabrielli, de la famille la plus noble de Gubbio; Sa Saintetộ obligea le pốre donner une forte dot.

    A ce coup imprộvu, Franỗois Cenci montra une extrờme colốre, et pour empờcher que Bộatrix, en devenant plus grande, n'eỷt l'idộe de suivre l'exemple de sa soeur, il la sộquestra dans un des appartements de son immense palais. L, personne n'eut la permission de voir Bộatrix, alors peine õgộe de quatorze ans, et dộj dans tout l'ộclat d'une ravissante beautộ. Elle avait surtout une gaietộ, une candeur et un esprit comique que je n'ai jamais vus qu' elle. Franỗois Cenci lui portait lui-mờme manger. Il est croire que c'est alors que le monstre en devint amoureux, ou feignit d'en devenir amoureux, afin de mettre au supplice sa malheureuse fille. Il lui parlait souvent du tour perfide que lui avait jouộ sa soeur aợnộe, et, se mettant en colốre au son de ses propres paroles, finissait par accabler de coups Bộatrix.

    Sur ces entrefaites, Roch Cenci son fils, fut tuộ par un charcutier, et l'annộe suivante, Christophe Cenci fut tuộ par Paul Corso de Massa. A cette occasion, il montra sa noire impiộtộ, car aux funộrailles de ses deux fils il ne voulut pas dộpenser mờme un baùoque pour des cierges. En apprenant le sort de son fils Christophe, il s'ộcria qu'il ne pourrait goỷter quelque joie que lorsque tous ses enfants seraient enterrộs, et que, lorsque le dernier viendrait mourir, il voulait, en signe de bonheur, mettre le feu son palais. Rome fut ộtonnộe de ce propos, mais elle croyait tout possible d'un pareil homme, qui mettait sa gloire braver tout le monde et le pape lui-mờme.

    (Ici il devient absolument impossible de suivre le narrateur romain dans le rộcit fort obscur des choses ộtranges par lesquelles Franỗois Cenci chercha ộtonner ses contemporains. Sa femme et sa malheureuse fille furent, suivant toute apparence, victime de ses idộes abominables.)

    Toutes ces choses ne lui suffirent point; il tenta avec des menaces, et en employant la force, de violer sa propre fille Bộatrix, laquelle ộtait dộj grande et belle; il n'eut pas honte d'aller se placer dans son lit, lui se trouvant dans un ộtat complet de nu***ộ. Il se promenait avec elle dans les salles de son palais, lui ộtant parfaitement nu; puis il la conduisait dans le lit de sa femme, afin qu' la lueur des lampes la pauvre Lucrốce pỷt voir ce qu'il faisait avec Bộatrix.

    Il donnait entendre cette pauvre fille une hộrộsie effroyable, que j'ose peine rapporter, savoir que, lorsqu'un pốre connaợt sa propre fille, les enfants qui naissent sont nộcessairement des saints, et que tous les plus grands saints vộnộrộs par l'Eglise sont nộs de cette faỗon, c'est--dire que leur grand-pốre maternel a ộtộ leur pốre.

    Lorsque Bộatrix rộsistait ses exộcrables volontộs, il l'accablait des coups les plus cruels, de sorte que cette pauvre fille, ne pouvant tenir une vie si malheureuse, eut l'idộe de suivre l'exemple que sa soeur lui avait donnộ. Elle adressa notre saint pốre le pape une supplique fort dộtaillộe; mais il est croire que Franỗois Cenci avait pris ses prộcautions, car il ne paraợt pas que cette supplique soit jamais parvenue aux mains de Sa Saintetộ; du moins fut-il impossible de la retrouver la secrộtairerie des Memoriali, lorsque, Bộatrix ộtant en prison, son dộfenseur eut le plus grand besoin de cette piốce; elle aurait pu prouver en quelque sorte les excốs inouùs qui furent commis dans le chõteau de Petrella. N'eỷt-il pas ộtộ ộvident pour tous que Bộatrix Cenci s'ộtait trouvộe dans le cas d'une lộgitime dộfense? Ce mộmorial parlait aussi au nom de Lucrốce, belle-mốre de Bộatrix.

    Franỗois Cenci eut connaissance de cette tentative, et l'on peut juger avec quelle colốre il redoubla de mauvais traitements envers ces deux malheureuses femmes.

    La vie leur devint absolument insupportable, et ce fut alors que, voyant bien qu'elles n'avaient rien espộrer de la justice du souverain, dont les courtisans ộtaient gagnộs par les riches cadeaux de Franỗois, elles eurent l'idộe d'en venir au parti extrờme qui les a perdues, mais qui pourtant a eu cet avantage de terminer leurs souffrances en ce monde.

    Il faut savoir que le cộlốbre monsignor Guerra allait souvent au palais Cenci; il ộtait d'une taille ộlevộe et d'ailleurs fort bel homme, il avait reỗu ce don spộcial de la destinộe, qu' quelque chose qu'il voulỷt s'appliquer il s'en tirait avec une grõce toute particuliốre. On a supposộ qu'il aimait Bộatrix et avait le projet de quitter la mantelleta et de l'ộpouser; mais, quoiqu'il prợt soin de cacher ses sentiments avec une attention extrờme, il ộtait exộcrộ de Franỗois Cenci, qui lui reprochait d'avoir ộtộ fort liộ avec tous ses enfants. Quand monsignor Guerra apprenait que le signor Cenci ộtait hors de son palais, il montait l'appartement des dames et passait plusieurs heures discourir avec elles et ộcouter leurs plaintes des traitements incroyables auxquels toutes les deux ộtaient en butte. Il paraợt que Bộatrix la premiốre osa parler de vive voix monsignor Guerra du projet auquel elles s'ộtaient arrờtộes. Avec le temps il y donna les mains; et, vivement pressộ diverses reprises par Bộatrix, il consentit enfin communiquer cet ộtrange dessein Giacomo Cenci, sans le consentement duquel on ne pouvait rien faire, puisqu'il ộtait le frốre aợnộ et chef de la maison aprốs Franỗois.

    On trouva de grandes facilitộs l'attirer dans la conspiration; il ộtait extrờmement maltraitộ par son pốre, qui ne lui donnait aucun secours, chose d'autant plus sensible Giacomo qu'il s'ộtait mariộ et avait six enfants. On choisit pour s'assembler et traiter des moyens de donner la mort Franỗois Cenci l'appartement de monsignor Guerra. L'affaire se traita avec toutes les formes convenables, et l'on prit sur toutes choses le vote de la belle-mốre et de la jeune fille. Quand enfin le parti fut arrờtộ, on fit choix de deux vassaux de Franỗois Cenci, lesquels avaient conỗu contre lui une haine mortelle. L'un d'eux s'appelait Marzio; c'ộtait un homme de ccoeuroe;ur, fort attachộ aux malheureux enfants de Franỗois, et, pour faire quelque chose qui leur fỷt agrộable, il consentit prendre part au parricide. Olimpio, le second, avait ộtộ choisi pour chõtelain de la forteresse de la Petrella, au royaume de Naples, par le prince Colonna; mais, par son crộ*** tout-puissant auprốs du prince, Franỗois Cenci l'avait fait chasser.

    On convint de toute chose avec ces deux hommes; Franỗois Cenci ayant annoncộ que, pour ộviter le mauvais air de Rome, il irait passer l'ộtộ suivant dans cette forteresse de la Petrella, on eut l'idộe de rộunir une douzaine de ban***s napolitains. Olimpio se chargea de les fournir. On dộcida qu'on les ferait cacher dans les forờts voisines de la Petrella, qu'on les avertirait du moment oự Franỗois Cenci se mettrait en chemin, qu'ils l'enlốveraient sur la route, et feraient annoncer sa famille qu'ils le dộlivreraient moyennant une forte ranỗon. Alors les enfants seraient obligộs de retourner Rome pour amasser la somme demandộe par les brigands; ils devaient feindre de ne pas trouver cette somme avec rapi***ộ, et les brigands, suivant leur menace, ne voyant point arriver l'argent, auraient mis mort Franỗois Cenci. De cette faỗon, personne ne devait ờtre amenộ soupỗonner les vộritables auteurs de cette mort.

    Mais, l'ộtộ venu, lorsque Franỗois Cenci partit de Rome pour la Petrella, l'espion qui devait donner avis du dộpart, avertit trop tard les ban***s placộs dans les bois, et ils n'eurent pas le temps de descendre sur la grande route. Cenci arriva sans encombre la Petrella; les brigands, las d'attendre une proie douteuse, allốrent voler ailleurs pour leur propre compte.

    De son cụtộ, Cenci, vieillard sage et soupỗonneux, ne se hasardait jamais sortir de la forteresse. Et, sa mauvaise humeur augmentant avec les infirmitộs de l'õge, qui lui ộtaient insupportables, il redoublait les traitements atroces qu'il faisait subir aux deux pauvres femmes. Il prộtendait qu'elles se rộjouissaient de sa faiblesse.

    Bộatrix, poussộe bout par les choses horribles qu'elle avait supporter, fit appeler sous les murs de la forteresse Marzio et Olimpio. Pendant la nuit, tandis que son pốre dormait, elle leur parla d'une fenờtre basse et leur jeta des lettres qui ộtaient adressộes monsignor Guerra.

    Au moyen de ces lettres, il fut convenu que monsignor Guerra promettrait Marzio et Olimpio mille piastres s'ils voulaient se charger eux-mờmes de mettre mort Franỗois Cenci. Un tiers de la somme devait ờtre payộ Rome, avant l'action, par monsignor Guerra, et les deux autres tiers par Lucrốce et Bộatrix, lorsque, la chose faite, elles seraient maợtresses du coffre-fort de Cenci.

    Il fut convenu de plus que la chose aurait lieu le jour de la Nativitộ de la Vierge, et cet effet ces deux hommes furent introduits avec adresse dans la forteresse. Mais Lucrốce fut arrờtộe par le respect dỷ une fờte de la Madone, et elle engagea Bộatrix diffộrer d'un jour, afin de ne pas commettre un double pờchộ.

    Ce fut donc le 9 septembre 1598, dans la soirộe, que, la mốre et la fille ayant donnộ de l'opium avec beaucoup de dextộritộ Franỗois Cenci, cet homme si difficile tromper, il tomba dans un profond sommeil.

    Vers minuit, Bộatrix introduisit elle-mờme dans la forteresse Marzio et Olimpio; ensuite Lucrốce et Bộatrix les conduisirent dans la chambre du vieillard, qui dormait profondộment. L on les laissa afin qu'ils effectuassent ce qui avait ộtộ convenu, et les deux femmes allốrent attendre dans une chambre voisine. Tout coup elles virent revenir ces deux hommes avec des figures põles, et comme hors d'eux-mờmes.

    -- Qu'y a-t-il de nouveau? s'ộcriốrent les femmes.

    -- Que c'est une bassesse et une honte, rộpondirent-ils, de tuer un pauvre vieillard endormi! la pitiộ nous a empờchộs d'agir.

    En entendant cette excuse, Bộatrix fut saisie d'indignation et commenỗa les injurier, disant :

    -- Donc, vous autres hommes, bien prộparộs une telle action, vous n'avez pas le courage de tuer un homme qui dort! bien moins encore oseriez-vous le regarder en face s'il ộtait ộveillộ! Et c'est pour en finir ainsi que vous osez prendre de l'argent! Eh bien! puisque votre lõchetộ le veut, moi-mờme je tuerai mon pốre; et quant vous autres, vous ne vivrez pas longtemps!

    Animộs par ce peu de paroles fulminantes, et craignant quelque diminutiondans le prix convenu, les assassins rentrốrent rộsolument dans la chambre, et furent suivis par les femmes. L'un d'eux avait un grand clou qu'il posa verticalement sur l'oeil du vieillard endormi; l'autre, qui avait un marteau, lui fit entrer dans la tờte. On fit entrer de cette mờme faỗon un autre grand clou dans la gorge, de faỗon que cette pauvre õme, chargộe de tant de pờchộs rộcents, fut enlevộe par les diables; le corps se dộbattit mais en vain.

    La chose faite, la jeune donna Olimpio une grosse bourse remplie d'argent; elle donna Marzio un manteau de drap garni d'un galon d'or, qui avait appartenu son pốre, et elle les renvoya.

    Les femmes, restộes seules, commencốrent par retirer ce grand clou enfoncộ dans la tờte du cadavre et celui qui ộtait dans le cou; ensuite, ayant enveloppộ le corps dans un drap de lit, elles le traợnốrent travers une longue suite de chambres jusqu' une galerie qui donnait sur un petit jardin abandonnộ. De l, elles jetốrent le corps sur un grand sureau qui croissait en ce lieu solitaire. Comme il y avait des lieux l'extrộmitộ de cette petite galerie, elles espộrốrent que, lorsque le lendemain on trouverait le corps du vieillard tombộ dans les branches du sureau, on supposerait que le pied lui avait glissộ, et qu'il ộtait tombộ en allant aux lieux.

    La chose arriva prộcisộment comme elles l'avaient prộvu. Le matin, lorsqu'on trouva le cadavre, il s'ộleva une grande rumeur dans la forteresse; elles ne manquốrent pas de jeter de grands cris, et de pleurer la mort si malheureuse d'un pốre et d'un ộpoux. Mais la jeune Bộatrix avait le courage de la pudeur offensộe, et non la prudence nộcessaire dans la vie; dốs le grand matin, elle avait donnộ une femme qui blanchissait le linge dans la forteresse un drap tachộ de sang, parce que, toute la nuit, elle avait souffert d'un grande perte, de faỗon que, pour le moment, tout se passa bien.

    On donna une sộpulture honorable Franỗois Cenci, et les femmes revinrent Rome jouir de cette tranquillitộ qu'elles avaient dộsirộe en vain depuis si longtemps.

    Elles se croyaient heureuses jamais, parce qu'elles ne savaient pas ce qui se passait Naples.

    La justice de Dieu, qui ne voulait pas qu'un parricide si atroce restõt sans punition, fit qu'aussitụt qu'on apprit en cette capitale ce qui s'ộtait passộ dans la forteresse de la Petrella, le principal juge eut des doutes, et envoya un commissaire royal pour visiter le corps et faire arrờter les gens soupỗonnộs.

    Le commissaire royal fit arrờter tout ce qui habitait dans la forteresse. Tout ce monde fut conduit Naples enchaợnộ; et rien ne parut suspect dans les dộpositions, si ce n'est que la blanchisseuse *** avoir reỗu de Bộatrix un drap ou des draps ensanglantộs. On lui demanda si Bộatrix avait cherchộ expliquer ces grandes taches de sang; elle rộpon*** que Bộatrix avait parlộ d'une indisposition naturelle. On lui demanda si des taches d'une telle grandeur pouvaient provenir d'une telle indisposition; elle rộpon*** que non, que les taches sur le drap ộtaient d'un rouge trop vif.

    On envoya sur-le-champ ce renseignement la justice de Rome, et cependant il se passa plusieurs mois avant que l'on songeõt, parmi nous, faire arrờter les enfants de Franỗois Cenci. Lucrốce, Bộatrix et Giacomo eussent pu mille fois se sauver, soit en allant Florence sous le prộtexte de quelque pốlerinage, soit en s'embarquant Civita-Vecchia, mais Dieu leur refusa cette inspiration salutaire.

    Monsignor Guerra, ayant eu avis de ce qui se passait Naples, mit sur-le-champ en campagne des hommes qu'il chargea de tuer Marzio et Olimpio; mais le seul Olimpio put ờtre tuộ Terni. La justice napolitaine avait fait arrờter Marzio, qui fut conduit Naples, oự sur-le-champ il avoua toutes choses.

    Cette dộposition terrible fut aussitụt envoyộe la justice de Rome, laquelle se dộtermina enfin faire arrờter et conduire la prison de Corte Savella Jacques et Bernard Cenci, les seuls fils survivants de Franỗois, ainsi que Lucrốce, sa veuve. Bộatrix fut gardộe dans le palais de son pốre par une grosse troupe de sbires. Marzio fut amenộ de Naples, et placộ, lui aussi, dans la prison Savella; l, on le confronta aux deux femmes, qui niốrent tout avec constance, et Bộatrix en particulier ne voulut jamais reconnaợtre le manteau galonnộ qu'elle avait donnộ Marzio. Celui-ci pộnộtrộ d'enthousiasme pour l'admirable beautộ et l'ộloquence ộtonnante de la jeune fille rộpondant au juge, nia tout ce qu'il avait avouộ Naples. On le mit la question, il n'avoua rien, et prộfộra mourir dans les tourments; juste hommage la beautộ de Bộatrix.

    Aprốs la mort de cet homme, le corps du dộlit n'ộtant point prouvộ, les juges ne trouvốrent pas qu'il y eỷt raison suffisante pour mettre la torture soit les deux fils de Cenci, soit les deux femmes. On les conduisit tous quatre au chõteau Saint-Ange, oự ils passốrent plusieurs mois fort tranquillement.

    Tout semblait terminộ, et personne ne doutait plus dans Rome que cette jeune fille si belle, si courageuse, et qui avait inspirộ un si vif intộrờt, ne fỷt bientụt mise en libertộ, lorsque, par malheur, la justice vint arrờter le brigand qui, Terni, avait tuộ Olimpio; conduit Rome, cet homme avoua tout.

    Monsignor Guerra, si ộtrangement compromis par l'aveu du brigand, fut citộ comparaợtre sous le moindre dộlai; la prison ộtait certaine et probablement la mort. Mais cet homme admirable, qui la destinộe avait donnộ de savoir bien faire toutes choses, parvint se sauver d'une faỗon qui tient du miracle. Il passait pour le plus bel homme de la cour du pape, et il ộtait trop connu dans Rome pour pouvoir espộrer de se sauver; d'ailleurs on faisait bonne garde aux portes, et probablement, dốs le moment de la citation, sa maison avait ộtộ surveillộe. Il faut savoir qu'il ộtait fort grand, il avait le visage d'une blancheur parfaite, une belle barbe blonde et des cheveux admirables de la mờme couleur.

    Avec une rapi***ộ inconcevable, il gagna un marchand de charbon, prit ses habits, se fit raser la tờte et la barbe, se teignit le visage, acheta deux õnes, et se mit courir les rues de Rome, et vendre du charbon en boitant. Il prit admirablement un certain air grossier et hộbộtộ, et allait criant partout son charbon avec la bouche pleine de pain et d'oignons, tandis que des centaines de sbires le cherchaient non seulement dans Rome, mais encore sur toutes les routes. Enfin, quand sa figure fut bien connue de la plupart des sbires, il osa sortir de Rome, chassant toujours devant lui ses deux õnes chargộs de charbon. Il rencontra plusieurs troupes de sbires qui n'eurent garde de l'arrờter. Depuis, on n'a jamais reỗu de lui qu'une seule lettre; sa mốre lui a envoyộ de l'argent Marseille, et on suppose qu'il fait la guerre en France, comme soldat.

    La confession de l'assassin de Terni et cette fuite de monsignor Guerra, qui produisit une sensation ộtonnante dans Rome, ranimốrent tellement les soupỗons et mờme les indices contre les Cenci, qu'ils furent extraits du chõteau Saint-Ange et ramenộs la prison Savella.

    Les deux frốres, mis la torture, furent bien loin d'imiter la grandeur d'õme du brigand Marzio; ils eurent la pusillanimitộ de tout avouer. La signora Lucrốce Petroni ộtait tellement accoutumộe la mollesse et aux aisances du plus grand luxe, et d'ailleurs elle ộtait d'une taille tellement forte, qu'ellene put supporter la question de la corde; elle *** tout ce qu'elle savait.

    Mais il n'en fut pas de mờme de Bộatrix Cenci, jeune fille pleine de vivacitộ et de courage. Les bonnes paroles ni les menaces du juge Moscati n'y firent rien. Elle supporta les tourments de la corde sans un moment d'altộration et avec un courage parfait. Jamais le juge ne put l'induire une rộponse qui la compromợt le moins du monde; et, bien plus, par sa vivacitộ pleine d'esprit, elle confon*** complốtement ce cộlốbre Ulysse Moscati, juge chargộ de l'interroger. Il fut tellement ộtonnộ des faỗons d'agir de cette jeune fille, qu'il crut devoir faire rapport du tout Sa Saintetộ le pape Clộment VIII, heureusement rộgnant.

    Sa Saintetộ voulut voir les piốces du procốs et l'ộtudier. Elle craignit que le juge Ulysse Moscati, si cộlốbre pour sa profonde science et la sagacitộ si supộrieure de son esprit, n'eỷt ộtộ vaincu par la beautộ de Bộatrix et ne la mộnageõt dans les interrogatoires. Il suivit de l que Sa Saintetộ lui ụta la direction de ce procốs et la donna un autre juge plus sộvốre. En effet, ce barbare eut le courage de tourmenter sans pitiộ un si beau corps ad toturam capillorum (c'est--dire qu'on donna la question Bộatrix Cenci en la suspendant par les cheveux).

    Pendant qu'elle ộtait attachộe la corde, ce nouveau juge fit paraợtre devant Bộatrix sa belle-mốre et ses frốres. Aussitụt que Giacomo et la signora Lucrốce la virent :

    -- Le pộchộ est commis, lui criốrent-ils; il faut faire aussi la pộnitence, et ne pas se laisser dộchirer le corps par une vaine obstination.

    -- Donc vous voulez couvrir de honte notre maison, rộpon*** la jeune fille, et mourir avec ignominie? Vous ờtes dans une grande erreur; mais, puisque vous le voulez, qu'il en soit ainsi.

    Et, s'ộtant tournộe vers les sbires :

    -- Dộtachez-moi, leur ***-elle, et qu'on me lise l'interrogatoire de ma mốre, j'approuverai ce qui doit ờtre approuvộ, et je nierai ce qui doit ờtre niộ.

    Ainsi fut fait; elle avoua tout ce qui ộtait vrai. Aussitụt on ụta les chaợnes tous, et parce qu'il y avait cinq mois qu'elle n'avait vu ses frốres, elle voulut dợner avec eux; et ils passốrent tous quatre une journộe fort gaie.

    Mais le jour suivant ils furent sộparộs de nouveau; les deux frốres furent conduits la prison de Tordinona, et les femmes restốrent la prison Savella. Notre saint pốre le pape, ayant vu l'acte authentique contenant les aveux de tous, ordonna que sans dộlai ils fussent attachộs la queue de chevaux indomptộs et ainsi mis mort.

    Rome entiốre frộmit en apprenant cette dộcision rigoureuse. Un grand nombre de cardinaux et de princes allốrent se mettre genoux devant le pape, le suppliant de permettre ces malheureux de prộsenter leur dộfense.

    -- Et eux, ont-ils donnộ leur vieux pốre le temps de prộsenter la sienne? rộpon*** le pape indignộ.

    Enfin, par grõce spộciale, il voulut bien accorder un sursis de vingt-cinq jours. Aussitụt les premiers avocats se mirent ộcrire dans cette cause qui avait rempli la ville de trouble et de pitiộ. Le vingt-cinquiốme jour, ils parurent tous ensemble devant Sa Saintetộ. Nicolo De' Angalis parla le premier, mais il avait peine lu deux lignes de sa dộfense, que Clộment VIII l'interrompit :

    -- Donc, dans Rome, s'ộcria-t-il, on trouve des hommes qui tuent leur pốre, et ensuite des avocats pour dộfendre ces hommes!

    Tous restaient muets, lorsque Farinacci osa ộlever la voix.

    -- Trốs-saint-pốre, ***-il, nous ne sommes pas ici pour dộfendre le crime, mais pour prouver, si nous le pouvons, qu'un ou plusieurs de ces malheureux sont innocents du crime.

    Le pape lui fit signe de parler, et il parla trois grandes heures, aprốs quoi le pape prit leurs ộcritures tous et les renvoya. Comme ils s'en allaient, l'Altieri marchait le dernier; il eut peur de s'ờtre compromis, et alla se mettre genoux devant le pape, disant :

    -- Je ne pouvais pas faire moins que de paraợtre dans cette cause, ộtant avocat des pauvres.

    A quoi le pape rộpon*** :

    -- Nous ne nous ộtonnons pas de vous, mais des autres.

    Le pape ne voulut point se mettre au lit, mais passa toute la nuit lire les plaidoyers des avocats, se faisant aider en ce travail par le cardinal de Saint-Marcel; Sa Saintetộ parut tellement touchộe, que plusieurs conỗurent quelque espoir pour la vie de ces malheureux. Afin de sauver les fils, les avocats rejetaient tout le crime sur Bộatrix. Comme il ộtait prouvộ dans le procốs que plusieurs fois son pốre avait employộ la force dans un dessein criminel, les avocats espộraient que le meurtre lui serait pardonnộ, elle comme se trouvant dans le cas de lộgitime dộfense; s'il en ộtait ainsi, l'auteur principal du crime obtenant la vie, comment ses frốres, qui avaient ộtộ sộduits par elle, pouvaient-ils ờtre punis de mort?

    Aprốs cette nuit donnộe ses devoirs de juge, Clộment VIII ordonna que les accusộs fussent reconduits en prison, et mis au secret. Cette circonstance donna de grandes espộrances Rome, qui dans toute cette cause ne voyait que Bộatrix. Il ộtait avộrộ qu'elle avait aimộ monsignor Guerra, mais n'avait jamais transgressộ les rốgles de la vertu la plus sộvốre : on ne pouvait donc, en vộritable justice, lui imputer les crimes d'un monstre, et on la punirait parce qu'elle avait usộ du droit de se dộfendre! qu'eỷt-on fait si elle eỷt consenti? Fallait-il que la justice humaine vợnt augmenter l'infortune d'une crộature si aimable, si digne de pitiộ et dộj si malheureuse? Aprốs une vie si triste qui avait accumulộ sur elle tous les genres de malheurs avant qu'elle eỷt seize ans, n'avait-elle pas droit enfin quelques jours moins affreux? Chacun dans Rome semblait chargộ de sa dộfense. N'eỷt-elle pas ộtộ pardonnộe si, la premiốre fois que Franỗois Cenci tenta le crime, elle l'eỷt poignardộ?

    Le pape Clộment VIII ộtait doux et misộricordieux. Nous commencions espộrer qu'un peu honteux de la boutade qui lui avait fait interrompre le plaidoyer des avocats, il pardonnerait qui avait repoussộ la force par la force, non pas, la vộritộ, au moment du premier crime, mais lorsqu'on tentait de le commettre de nouveau. Rome tout entiốre ộtait dans l'anxiộtộ, lorsque le pape reỗut la nouvelle de la mort violente de la marquise Constance Santa Croce. Son fils Paul Santa Croce venait de tuer coups de poignard cette dame, õgộe de soixante ans, parce qu'elle ne voulait pas s'engager le laisser hộritier de tous ses biens. Le rapport ajoutait que Santa Croce avait pris la fuite, et que l'on pouvait conserver l'espoir de l'arrờter. Le pape se rappela le fratricide des Massini, commis peu de temps auparavant. Dộsolộe de la frộquence de ces assassinats commis sur de proches parents, Sa Saintetộ ne crut pas qu'il lui fỷt permis de pardonner. En recevant ce fatal rapport sur Santa Croce, le pape se trouvait au palais Monte Cavallo, oự il ộtait le 6 septembre, pour ờtre plus voisin, la matinộe suivante, de l'ộglise de Sainte-Marie-des-Anges, oự il devait consacrer comme ộvờque un cardinal allemand.

    Le vendredi 22 heures (4 heures du soir), il fit appeler Ferrante Taverna, gouverneur de Rome, et lui *** ces propres paroles :

    -- Nous vous remettons l'affaire des Cenci, afin que justice soit faite par vos soins et sans nul dộlai.

    Le gouverneur revint son palais fort touchộ de l'ordre qu'il venait de recevoir; il expộdia aussitụt la sentence de mort, et rassembla une congrộgation pour dộlibộrer sur le mode d'exộcution.

    Samedi matin, 11 septembre 1599, les premiers seigneurs de Rome, membres de la confrộrie des confortatori, se rendirent aux deux prisons, Corte Savella, oự ộtaient Bộatrix et sa belle-mốre, et Tordinona, oự se trouvaient Jacques et Bernard Cenci. Pendant toute la nuit du vendredi au samedi, les seigneurs romains qui avaient su ce qui se passait ne firent autre chose que de courir du palais de Monte Cavallo ceux des principaux cardinaux, afin d'obtenir au moins que les femmes fussent mises mort dans l'intộrieur de la prison, et non sur un infõme ộchafaud; et que l'on fợt grõce au jeune Bernard Cenci, qui, peine õgộ de quinze ans, n'avait pu ờtre admis aucune confidence. Le noble cardinal Sforza s'est surtout distinguộ par son zốle dans le cours de cette nuit fatale, mais quoique prince si puissant, il n'a pu rien obtenir. Le crime de Santa Croce ộtait un crime vil, commis pour l'avoir de l'argent, et le crime de Bộatrix fut commis pour sauver l'honneur.

    Pendant que les cardinaux les plus puissants faisaient tant de pas inutiles, Farinacci, notre grand jurisconsulte, a bien eu l'audace de pộnộtrer jusqu'au pape; arrivộ devant Sa Saintetộ, cet homme ộtonnant a eu l'adresse d'intộresser sa conscience, et enfin il a arrachộ force d'importunitộs la vie de Bernard Cenci.

    Lorsque le pape prononỗa ce grand mot, il pouvait ờtre quatre heures du matin (du samedi 11 septembre). Toute la nuit on avait travaillộ sur la place du pont Saint-Ange aux prộparatifs de cette cruelle tragộdie. Cependant toutes les copies nộcessaires de la sentence de mort ne purent ờtre terminộes qu' cinq heures du matin, de faỗon que ce ne fut qu' six heures du matin que l'on put

    Le gouverneur revint son palaller annoncer la fatale nouvelle ces pauvres malheureux, qui dormaient tranquillement.

    La jeune fille, dans les premiers moments, ne pouvait mờme trouver des forces pour s'habiller. Elle jetait des cris perỗants et continuels, et se livrait sans retenue au plus affreux dộsespoir.

    -- Comment est-ce possible, ah! Dieu! s'ộcriait-elle, qu'ainsi l'improviste je doive mourir?

    Lucrốce Petroni, au contraire, ne *** rien que de fort convenable; d'abord elle pria genoux, puis exhorta tranquillement sa fille venir avec elle la chapelle, oự elles devaient toutes deux se prộparer ce grand passage de la vie la mort.

    Ce mot ren*** toute sa tranquillitộ Bộatrix; autant elle avait montrộ d'extravagance et d'emportement d'abord, autant elle fut sage et raisonnable dốs que sa belle-mốre eut rappelộ cette grande õme elle-mờme. Dốs ce moment elle a ộtộ un miroir de constance que Rome entiốre a admirộ.

    Elle a demandộ un notaire pour faire son testament, ce qui lui a ộtộ accordộ. Elle a prescrit que son corps fỷt Saint-Pierre in Montorio; elle a laissộ trois cent mille francs aux Stimõte (religieuses des Stigmates de Saint Franỗois); cette somme doit servir doter cinquante pauvres filles. Cet exemple a ộmu la signora Lucrốce, qui, elle aussi, a fait son testament et ordonnộ que son corps fỷt portộ Saint-Georges; elle a laissộ cinq cent mille francs d'aumụnes cette ộglise et fait d'autres legs pieux.

    A huit heures elles se confessốrent, entendirent la messe, et reỗurent la sainte communion. Mais, avant d'aller la messe, la signora Bộatrix considộra qu'il n'ộtait pas convenable de paraợtre sur l'ộchafaud, aux yeux de tout le peuple, avec les riches habillements qu'elles portaient. Elle ordonna deux robes, l'une pour elle, l'autre pour sa mốre. Ces robes furent faites commecelles des religieuses, sans ornements la poitrine et aux ộpaules, et seulement plissộes avec des manches larges. La robe de la belle-mốre fut de toile de coton noir; celle de la jeune fille de taffetas bleu avec une grosse corde qui ceignait la ceinture.

    Lorsqu'on apporta les robes, la signora Bộatrix, qui ộtait genoux, se leva et *** la signora Lucrốce :

    -- Madame ma mốre, l'heure de notre passion approche; il sera bien que nous nous prộparions, que nous prenions ces autres habits, et que nous nous rendions pour la derniốre fois le service rộciproque de nous habiller.

    On avait dressộ sur la place du pont Saint-Ange un grand ộchafaud avec un cep et une mannaja (sorte de guillotine). Sur les treize heures ( huit heures du matin), la compagnie de la Misộricorde apporta son grand crucifix la porte de la prison. Giacomo Cenci sortit le premier de la prison; il se mit genoux dộvotement sur le seuil de la porte, fit sa priốre et baisa les saintes plaies du crucifix. Il ộtait suivi de Bernard Cenci, son jeune frốre, qui, lui aussi, avait les mains liộes et une petite planche devant les yeux. La foule ộtait ộnorme, et il y eut du tumulte cause d'un vase qui tomba d'une fenờtre presque sur la tờte d'un des pộnitents qui tenait une torche allumộe cụtộ de la banniốre.

    Tous regardaient les deux frốres, lorqu' l'improviste s'avanỗa le fiscal de Rome, qui *** :

    -- Signor Bernardo, Notre-Seigneur vous fait grõce de la vie; soumettez-vous accompagner vos parents et priez Dieu pour eux.

    A l'instant ses deux confortatori lui ụtốrent la petite planche qui ộtait devant ses yeux. Le bourreau arrangeait sur la charrette Giacomo Cenci et lui avait ụtộ son habit afin de pouvoir le tenailler. Quand le bourreau vint Bernard, il vộrifia la signature de la grõce, le dộlia, lui ụta les menottes, et, comme il ộtait sans habit, devant ờtre tenaillộ, le bourreau le mit sur la charrette et l'enveloppa du riche manteau de drap galonnộ d'or. (On a *** que c'ộtait le mờme qui fut donnộ par Bộatrix Marzio aprốs l'action dans la forteresse de Petrella.) La foule immense qui ộtait dans la rue, aux fenờtres et sur les toits, s'ộmut tout coup; on entendait un bruit sourd et profond, on commenỗait se dire que cet enfant avait sa grõce.

    Les chants des psaumes commencốrent et la procession s'achemina lentement par la place Navonne vers la prison Savella. Arrivộe la porte de la prison, la banniốre s'arrờta, les deux femmes sortirent, firent leur adoration au pied du saint crucifix et ensuite s'acheminốrent pied l'une la suite de l'autre. Elles ộtaient vờtues ainsi qu'il a ộtộ ***, la tờte couverte d'un grand voile de taffetas qui arrivait presque jusqu' la ceinture.

    La signora Lucrốce, en sa qualitộ de veuve, portait un voile noir et des mules de velours noir sans talons selon l'usage.

    Le voile de la jeune fille ộtait de taffetas bleu, comme sa robe; elle avait de plus un grand voile de drap d'argent sur les ộpaules, une jupe de drap violet, et des mules de velours blanc, lacộes avec ộlộgance et retenues par des cordons cramoisis. Elle avait une grõce singuliốre en marchant dans ce costume, et les larmes venaient dans tous les yeux mesure qu'on l'apercevait s'avanỗant lentement dans les derniers rangs de la procession.

    Les femmes avaient toutes les deux les mains libres, mais les bras liộs au corps, de faỗon que chacune d'elles pouvait porter un crucifix; elles le tenaient fort prốs des yeux. Les manches de leurs robes ộtaient fort larges, de faỗon qu'on voyait leurs bras, qui ộtaient couverts d'une chemise serrộe aux poignets, comme c'est l'usage en ce pays.

    La signora Lucrốce, qui avait le ccoeuroe;ur moins ferme, pleurait presque continuellement; la jeune Bộatrix, au contraire, montrait un grand courage; et tournant les yeux vers chacune des ộglises devant lesquelles la procession passait, se mettait genoux pour un instant et disait d'une voix ferme : Adoramus te, Christe!

    Pendant ce temps, le pauvre Giacomo Cenci ộtait tenaillộ sur sa charrette et montrait beaucoup de constance.

    La procession put peine traverser le bas de la place du pont Saint-Ange, tant ộtait grand le nombre des carrosses et la foule du peuple. On conduisit sur-le-champ les femmes dans la chapelle qui avait ộtộ prộparộe, on y amena ensuite Giacomo Cenci.

    Le jeune Bernard, recouvert de son manteau galonnộ, fut conduit directement sur l'ộchafaud; alors tous crurent qu'on allait le faire mourir et qu'il n'avait pas sa grõce. Ce pauvre enfant eut une telle peur, qu'il tomba ộvanoui au second pas qu'il fit sur l'ộchafaud. On le fit revenir avec de l'eau fraợche et on le plaỗa vis--vis la mannaja.

    Le bourreau alla chercher la signora Lucrốce Petroni; ses mains ộtaient liộes derriốre le dos, elle n'avait plus de voile sur les ộpaules. Elle parut sur la place accompagnộe par la banniốre, la tờte enveloppộe dans le voile de taffetas noir; l elle fit sa rộconciliation avec Dieu et elle baisa les saintes plaies. on lui *** de laisser ses mules sur le pavộ; comme elle ộtait fort grosse, elle eut quelque peine monter. Quand elle fut sur l'ộchafaud et qu'on lui ụta le voile de taffetas noir, elle souffrit beaucoup d'ờtre vue avec les ộpaules et la poitrine dộcouvertes; elle se regarda, puis regarda la mannaja, et, en signe de rộsignation, leva lentement les ộpaules; les larmes lui vinrent aux yeux, elle *** : O mon Dieu!... Et vous, mes frốres, priez pour mon õme.

    Ne sachant ce qu'elle avait faire, elle demanda Alexandre, premier bourreau, comment elle devrait se comporter. Il lui *** de se placer chevalsur la planche du cep. Mais ce mouvement lui parut offensant pour la pudeur, et elle mit beaucoup de temps le faire. (Les dộtails qui suivent sont tolộrables pour le public italien, qui tient savoir toutes choses avec la derniốre exactitude; qu'il suffise au lecteur franỗais de savoir que la pudeur de cette pauvre femme fit qu'elle se blessa la poitrine; le bourreau montra la tờte au peuple et ensuite l'enveloppa dans le voile de taffetas noir).

    Pendant qu'on mettait en ordre la mannaja pour la jeune fille, un ộchafaud chargộ de curieux tomba, et beaucoup de gens furent tuộs. Ils parurent ainsi devant Dieu avant Bộatrix.

    Quand Bộatrix vit la banniốre revenir vers la chapelle pour la prendre, elle *** avec vivacitộ :

    -- Madame ma mốre est-elle bien morte?

    On lui rộpon*** que oui; elle se jeta genoux devant le crucifix et pria avec ferveur pour son õme. Ensuite elle parla haut et pendant longtemps au crucifix.

    -- Seigneur, tu es retournộ pour moi, et moi je te suivrai de bonne volontộ, ne dộsespộrant pas de ta misộricorde pour mon ộnorme pộchộ, etc.

    Elle rộcita ensuite plusieurs psaumes et oraisons toujours la louange de Dieu. Quand enfin le bourreau parut devant elle avec une corde, elle *** :

    -- Lie ce corps qui doit ờtre chõtiộ, dộlie cette õme qui doit arriver l'immortalitộ et une gloire ộternelle.

    Alors elle se leva, fit la priốre, laissa ses mules au bas de l'escalier, et, montộe sur l'ộchafaud, elle passa lestement la jambe sur la planche, posa le cou sous la mannaja, et s'arrangea parfaitement bien elle-mờme pour ộviter d'ờtre touchộe par le bourreau. Par la rapi***ộ de ses mouvements, elle ộvita qu'au moment oự son voile de taffetas lui fỷt ụtộ le public aperỗỷt ses ộpaules et sa poitrine. Le coup fut longtemps ờtre donnộ, parce qu'il survint un embarras. Pendant ce temps, elle invoquait haute voix le nom de Jộsus-Christ et de la trốs-sainte Vierge. Le corps fit un grand mouvement au moment fatal. Le pauvre Bernard Cenci, qui ộtait toujours restộ assis sur l'ộchafaud, tomba de nouveau ộvanoui, et il fallut plus d'une grosse demi-heure ses confortatori pour le ranimer. Alors parut sur l'ộchafaud Jacques Cenci, mais il faut encore passer sur des dộtails trop atroces. Jacques Cenci fut assommộ (mazzolato).

    Sur-le-champ, on reconduisit Bernard en prison, il avait une forte fiốvre, on le saigna.

    Quant aux pauvres femmes, chacune fut accommodộe dans sa biốre, et dộposộe quelques pas de l'ộchafaud, auprốs de la statue de Saint-Paul, qui est la premiốre droite sur le pont Saint-Ange. Elles restốrent l jusqu' quatre heures et un quart aprốs midi. Autour de chaque biốre brỷlaient quatre cierges de cire blanche.

    Ensuite, avec ce qui restait de Jacques Cenci, elles furent portộes au palais du consul de Florence. A neuf heures et un quart du soir, le corps de la jeune fille, recouvert de ses habits et couronnộ de fleurs avec profusion, fut portộ Saint-Pierre in Montorio. Elle ộtait d'une ravissante beautộ; on eỷt *** qu'elle dormait. Elle fut enterrộe devant le grand autel et la Transfiguration de Raphaởl d'Urbin. Elle ộtait accompagnộe de cinquante gros cierges allumộs et de tous les religieux franciscains de Rome.

    Lucrốce Petroni fut portộe, dix heures du soir, l'ộglise de Saint-Georges. Pendant cette tragộdie, la foule fut innombrable; aussi loin que le regard pouvait s'ộtendre, on voyait les rues remplies de carrosses et de peuple, les ộchafaudages, les fenờtres et les toits remplis de curieux. Le soleil ộtait d'une telle ardeur ce jour-l que beaucoup de gens perdirent connaissance. Un nombre infini prit la fiốvre; et lorsque tout fut terminộ, dix-neuf heures (deux heures moins un quart), et que la foule se dispersa, beaucoup de personnes furent ộtouffộes, d'autres ộcrasộes par les chevaux. Le nombre de morts fut trốs considộrable.

    La signora Lucrốce Petroni ộtait plutụt petite que grande, et, quoique õgộe de cinquante ans, elle ộtait encore fort bien. Elle avait de fort beaux traits, le nez petit, les yeux noirs, le visage trốs blanc avec de belles couleurs; elle avait peu de cheveux et ils ộtaient chõtains.

    Bộatrix Cenci, qui inspirera des regrets ộternels, avait justement seize ans; elle ộtait petite; elle avait un joli embonpoint et des fossettes au milieu des joues, de faỗon que, morte et couronnộe de fleurs, on eỷt *** qu'elle dormait et mờme qu'elle riait, comme il lui arrivait fort souvent quand elle ộtait en vie. Elle avait la bouche petite, les cheveux blonds et naturellement bouclộs. En allant la mort ces cheveux blonds et bouclộs lui retombaient sur les yeux, ce qui donnait une certaine grõce et portait la compassion.

    Giacomo Cenci ộtait de petite taille, gros, le visage blanc et la barbe noire; il avait vingt-six ans peu prốs quand il mourut.

    Bernard Cenci ressemblait tout fait sa soeur, et comme il portait les cheveux longs comme elle, beaucoup de gens, lorsqu'il parut sur l'ộchafaud, le prirent pour elle.

    Le soleil avait ộtộ si ardent, que plusieurs des spectateurs de cette tragộdie moururent dans la nuit, et parmi eux Ubaldino Ubaldini, jeune homme d'une rare beautộ et qui jouissait auparavant d'une parfaite santộ. Il ộtait frốre du signor Renzi, si connu dans Rome. Ainsi les ombres des Cenci s'en allốrent bien accompagnộes.

    Hier, qui fut mardi 14 septembre 1599, les pộnitents de San Marcello, l'occasion de la fờte de Sainte-Croix, usốrent de leur privilốge pour dộlivrer de la prison le signor Bernard Cenci, qui s'est obligộ de payer dans u dix-neuf heures (deun an quatre cent mille francs la trốs sainte trinitộ du pont Sixte.

    (Ajoutộ d'une autre main)

    C'est de lui que descendent Franỗois et Bernard Cenci qui vivent aujourd'hui.

    Le cộlốbre Farinacci, qui, par son obstination, sauva la vie du jeune Cenci, a publiộ ses plaidoyers. Il donne seulement un extrait du plaidoyer numộro 66, qu'il prononỗa devant Clộment VIII en faveur des Cenci. Ce plaidoyer, en langue latine, formerait six grandes pages, et je ne puis le placer ici, ce dont j'ai le regret, il peint les faỗons de penser de 1599; il me semble fort raisonnable. Bien des annộes aprốs l'an 1599, Farinacci, en envoyant ses plaidoyers l'impression, ajouta une note celui qu'il avait prononcộ en faveur des Cenci : Omnes fuerunt ultimo supplicio effecti, excepto Bernardo qui ad triremes cum bonorum confiscatione condemnatus fuit, ac etiam ad interessendum aliorum morti prout interfuit. La fin de cette note latine est touchante, mais je suppose que le lecteur est las d'une si longue histoire.

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