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"Les Chansons des rues et des bois" de V. Hugo.

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi Angelique, 25/11/2001.

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  1. Angelique

    Angelique Thành viên quen thuộc

    Tham gia ngày:
    17/04/2001
    Bài viết:
    940
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    III
    LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
    ----------------------------
    I
    Depuis six mille ans la guerre
    Plaît aux peuples querelleurs,
    Et Dieu perd son temps à faire
    Les étoiles et les fleurs.
    Les conseils du ciel immense,
    Du lys pur, du nid doré,
    N'ôtent aucune démence
    Du coeur de l'homme effaré.
    Les carnages, les victoires,
    Voilà notre grand amour ;
    Et les multitudes noires
    Ont pour grelot le tambour.
    La gloire, sous ses chimères
    Et sous ses chars triomphants,
    Met toutes les pauvres mères
    Et tous les petits enfants.
    Notre bonheur est farouche ;
    C'est de dire : Allons ! mourons !
    Et c'est d'avoir à la bouche
    La salive des clairons.
    L'acier luit, les bivouacs fument ;
    Pâles, nous nous déchaînons ;
    Les sombres âmes s'allument
    Aux lumières des canons.
    Et cela pour des altesses
    Qui, vous à peine enterrés,
    Se feront des politesses
    Pendant que vous pourrirez,
    Et que, dans le champ funeste,
    Les chacals et les oiseaux,
    Hideux, iront voir s'il reste
    De la chair après vos os !
    Aucun peuple ne tolère
    Qu'un autre vive à côté ;
    Et l'on souffle la colère
    Dans notre imbécillité.
    C'est un Russe ! Égorge, assomme.
    Un Croate ! Feu roulant.
    C'est juste. Pourquoi cet homme
    Avait-il un habit blanc ?
    Celui-ci, je le supprime
    Et m'en vais, le coeur serein,
    Puisqu'il a commis le crime
    De naître à droite du Rhin.
    Rosbach ! Waterloo ! Vengeance !
    L'homme, ivre d'un affreux bruit,
    N'a plus d'autre intelligence
    Que le massacre et la nuit.
    On pourrait boire aux fontaines,
    Prier dans l'ombre à genoux,
    Aimer, songer sous les chênes ;
    Tuer son frère est plus doux.
    On se hache, on se harponne,
    On court par monts et par vaux ;
    L'épouvante se cramponne
    Du poing aux crins des chevaux.
    Et l'aube est là sur la plaine !
    Oh ! j'admire, en vérité,
    Qu'on puisse avoir de la haine
    Quand l'alouette a chanté.
    II
    Le vrai dans le vin
    Jean Sévère était fort ivre.
    Ô barrière ! ô lieu divin
    Où Surène nous délivre
    Avec l'azur de son vin !
    Un faune habitant d'un antre,
    Sous les pampres de l'été,
    Aurait approuvé son ventre
    Et vénéré sa gaieté.
    Il était beau de l'entendre.
    On voit, quand cet homme rit,
    Chacun des convives tendre
    Comme un verre son esprit.
    À travers les mille choses
    Qu'on *** parmi les chansons,
    Tandis qu'errent sous les roses
    Les filles et les garçons,
    On parla d'une bataille ;
    Deux peuples, russe et prussien,
    Sont hachés par la mitraille ;
    Les deux rois se portent bien.
    Chacun de ces deux bons princes
    (De là tous leurs différends)
    Trouve ses États trop minces
    Et ceux du voisin trop grands.
    Les peuples, eux, sont candides ;
    Tout se termine à leur gré
    Par un dôme d'Invalides
    Plein d'infirmes et doré.
    Les rois font pour la victoire
    Un hospice, où le guerrier
    Ira boiter dans la gloire,
    Borgne, et coiffé d'un laurier.
    Nous admirions ; mais, farouche,
    En nous voyant tous béats,
    Jean Sévère ouvrit la bouche
    Et *** ces alinéas :
    " Le pauvre genre humain pleure,
    " Nos pas sont tremblants et courts,
    " Je suis très ivre, et c'est l'heure
    " De faire un sage discours.
    " Le penseur joint sous la treille
    " La logique à la boisson ;
    " Le sage, après la bouteille,
    " Doit déboucher la raison.
    " Faire, au lieu des deux armées,
    " Battre les deux généraux,
    " Diminuerait les fumées
    " Et grandirait les héros.
    " Que me sert le ***hyrambe
    " Qu'on va chantant devant eux,
    " Et que Dieu m'ait fait ingambe
    " Si les rois me font boiteux ?
    " Ils ne me connaissent guère
    " S'ils pensent qu'il me suffit
    " D'avoir les coups de la guerre
    " Quand ils en ont le profit.
    " Foin des beaux portails de marbre
    " De la Flèche et de Saint-Cyr !
    " Lorsqu'avril fait pousser l'arbre,
    " Je n'éprouve aucun plaisir,
    " En voyant la branche, où flambe
    " L'aurore qui m'éveilla,
    " À dire : " C'est une jambe
    " Peut-être qui me vient là ! "
    " L'invalide altier se traîne,
    " Du poids d'un bras déchargé ;
    " Mais moi je n'ai nulle haine
    " Pour tous les membres que j'ai.
    " Recevoir des coups de sabre,
    " Choir sous les pieds furieux
    " D'un escadron qui se cabre,
    " C'est charmant ; boire vaut mieux.
    " Plutôt gambader sur l'herbe
    " Que d'être criblé de plomb !
    " Le nez coupé, c'est superbe ;
    " J'aime autant mon nez trop long.
    " Décoré par mon monarque,
    " Je m'en reviens, ébloui,
    " Mais bancal, et je remarque
    " Qu'il a ses deux pattes, lui.
    " Manchot, fier, l'hymen m'attire ;
    " Je vois celle qui me plaît
    " En lorgner d'autres et dire :
    " Je l'aimerais mieux complet. "
    " Fils, c'est vrai, je ne savoure
    " Qu'en douteur voltairien
    " Cet effet de ma bravoure
    " De n'être plus bon à rien.
    " La jambe de bois est noire ;
    " La guerre est un dur sentier ;
    " Quant à ce qu'on nomme gloire,
    " La gloire, c'est d'être entier.
    " L'infirme adosse son râble,
    " En trébuchant, aux piliers ;
    " C'est une chose admirable,
    " Fils, que d'user deux souliers.
    " Fils, j'aimerais que mon prince,
    " En qui je mets mon orgueil,
    " Pût gagner une province
    " Sans me faire perdre un oeil.
    " Un discours de cette espèce
    " Sortant de mon hiatus,
    " Prouve que la langue épaisse
    " Ne fait pas l'esprit obtus. "
    Ainsi parla Jean Sévère,
    Ayant dans son coeur sans fiel
    La justice, et dans son verre
    Un vin bleu comme le ciel.
    L'ivresse mit dans sa tête
    Ce bon sens qu'il nous versa.
    Quelquefois Silène prête
    Son âne à Sancho Pança.
    III
    Célébration du 14 Juillet
    Dans la forêt
    Qu'il est joyeux aujourd'hui
    Le chêne aux rameaux sans nombre,
    Mystérieux point d'appui
    De toute la forêt sombre !
    Comme quand nous triomphons,
    Il frémit, l'arbre civique ;
    Il répand à plis profonds
    Sa grande ombre magnifique.
    D'où lui vient cette gaieté ?
    D'où vient qu'il vibre et se dresse,
    Et semble faire à l'été
    Une plus fière caresse ?
    C'est le quatorze juillet.
    À pareil jour, sur la terre
    La liberté s'éveillait
    Et riait dans le tonnerre.
    Peuple, à pareil jour râlait
    Le passé, ce noir pirate ;
    Paris prenait au collet
    La Bastille scélérate.
    À pareil jour, un décret
    Chassait la nuit de la France,
    Et l'infini s'éclairait
    Du côté de l'espérance.
    Tous les ans, à pareil jour,
    Le chêne au Dieu qui nous crée
    Envoie un frisson d'amour,
    Et rit à l'aube sacrée.
    Il se souvient, tout joyeux,
    Comme on lui prenait ses branches !
    L'âme humaine dans les cieux,
    Fière, ouvrait ses ailes blanches.
    Car le vieux chêne est gaulois :
    Il hait la nuit et le cloître ;
    Il ne sait pas d'autres lois
    Que d'être grand et de croître.
    Il est grec, il est romain ;
    Sa cime monte, âpre et noire,
    Au-dessus du genre humain
    Dans une lueur de gloire.
    Sa feuille, chère aux soldats,
    Va, sans peur et sans reproche,
    Du front d'Epaminondas
    À l'uniforme de Hoche.
    Il est le vieillard des bois ;
    Il a, richesse de l'âge,
    Dans sa racine Autrefois,
    Et Demain dans son feuillage.
    Les rayons, les vents, les eaux,
    Tremblent dans toutes ses fibres ;
    Comme il a besoin d'oiseaux,
    Il aime les peuples libres.
    C'est son jour. Il est content.
    C'est l'immense anniversaire.
    Paris était haletant.
    La lumière était sincère.
    Au loin roulait le tambour... -
    Jour béni ! jour populaire,
    Où l'on vit un chant d'amour
    Sortir d'un cri de colère !
    Il tressaille, aux vents bercé,
    Colosse où dans l'ombre austère
    L'avenir et le passé
    Mêlent leur double mystère.
    Les éclipses, s'il en est,
    Ce vieux naïf les ignore.
    Il sait que tout ce qui naît,
    L'oeuf muet, le vent sonore,
    Le nid rempli de bonheur,
    La fleur sortant des décombres,
    Est la parole d'honneur
    Que Dieu donne aux vivants sombres.
    Il sait, calme et souriant,
    Sérénité formidable !
    Qu'un peuple est un orient,
    Et que l'astre est imperdable.
    Il me salue en passant,
    L'arbre auguste et centenaire ;
    Et dans le bois innocent
    Qui chante et que je vénère,
    Étalant mille couleurs,
    Autour du chêne superbe
    Toutes les petites fleurs
    Font leur toilette dans l'herbe.
    L'aurore aux pavots dormants
    Verse sa coupe enchantée ;
    Le lys met ses diamants ;
    La rose est décolletée.
    Aux chenilles de velours
    Le jasmin tend ses aiguières ;
    L'arum conte ses amours,
    Et la garance ses guerres.
    Le moineau-franc, gai, taquin,
    Dans le houx qui se pavoise,
    D'un refrain républicain
    Orne sa chanson grivoise.
    L'ajonc rit près du chemin ;
    Tous les buissons des ravines
    Ont leur bouquet à la main ;
    L'air est plein de voix divines.
    Et ce doux monde charmant,
    Heureux sous le ciel prospère,
    Épanoui, *** gaiement :
    C'est la fête du grand-père.
    IV
    Souvenir des vieilles guerres
    Pour la France et la république,
    En Navarre nous nous battions.
    Là parfois la balle est oblique ;
    Tous les rocs sont des bastions.
    Notre chef, une barbe grise,
    Le capitaine, était tombé,
    Ayant reçu près d'une église
    Le coup de fusil d'un abbé.
    La blessure parut malsaine.
    C'était un vieux et fier garçon,
    En France, à Marine-sur-Seine,
    On peut voir encor sa maison.
    On emporta le capitaine
    Dont on sentait plier les os ;
    On l'assit près d'une fontaine
    D'où s'envolèrent les oiseaux.
    Nous lui criâmes : -- Guerre ! fête !
    Forçons le camp ! prenons le fort ! -
    Mais il laissa pencher sa tête,
    Et nous vîmes qu'il était mort.
    L'aide-major avec sa trousse
    N'y put rien faire et s'en alla ;
    Nous ramassâmes de la mousse ;
    De grands vieux chênes étaient là.
    On fit au mort une jonchée
    De fleurs et de branches de houx ;
    Sa bouche n'était point fâchée,
    Son oeil intrépide était doux.
    L'abbé fut pris. -- Qu'on nous l'amène !
    Qu'il meure ! - On forma le carré ;
    Mais on vit que le capitaine
    Voulait faire grâce au curé.
    On chassa du pied le jésuite ;
    Et le mort semblait dire : Assez !
    Quoiqu'il dût regretter la suite
    De nos grands combats commencés.
    Il avait sans doute à Marine
    Quelques bons vieux amours tremblants ;
    Nous trouvâmes sur sa poitrine
    Une boucle de cheveux blancs.
    Une fosse lui fut creusée
    À la baïonnette, en priant ;
    Puis on laissa sous la rosée
    Dormir ce brave souriant.
    Le bataillon reprit sa marche,
    À la brune, entre chien et loup ;
    Nous marchions. Les ponts n'ont qu'une arche.
    Des pâtres au loin sont debout.
    La montagne est assez maussade ;
    La nuit est froide et le jour chaud ;
    Et l'on rencontre l'embrassade
    Des grands ours de huit pieds de haut.
    L'homme en ces monts naît trabucaire ;
    Prendre et pendre est tout l'alphabet ;
    Et tout se règle avec l'équerre
    Que font les deux bras du gibet.
    On est ban*** en paix, en guerre
    On s'appelle guerillero.
    Le peuple au roi laisse tout faire ;
    Cet ânier mène ce taureau.
    Dans les ravins, dans les rigoles
    Que creusent les eaux et les ans,
    De longues files d'espingoles
    Rampaient comme des vers luisants.
    Nous tenions tous nos armes prêtes
    À cause des pièges du soir ;
    Le croissant brillait sur nos têtes.
    Et nous, pensifs, nous croyions voir,
    Tout en cheminant dans la plaine
    Vers Pampelune et Teruel
    Le hausse-col du capitaine
    Qui reparaissait dans le ciel.
    V
    L'ascension humaine
    Tandis qu'au loin des nuées,
    Qui semblent des paradis,
    Dans le bleu sont remuées,
    Je t'écoute, et tu me dis :
    " Quelle idée as-tu de l'homme,
    " De croire qu'il aide Dieu ?
    " L'homme est-il donc l'économe
    " De l'eau, de l'air et du feu ?
    " Est-ce que, dans son armoire,
    " Tu l'aurais vu de tes yeux
    " Serrer les rouleaux de moire
    " Que l'aube déploie aux cieux ?
    " Est-ce lui qui gonfle et ride
    " La vague, et lui *** : Assez !
    " Est-ce lui qui tient la bride
    " Des éléments hérissés ?
    " Sait-il le secret de l'herbe ?
    " Parle-t-il au nid vivant ?
    " Met-il sa note superbe
    " Dans le noir clairon du vent ?
    " La marée âpre et sonore
    " Craint-elle son éperon ?
    " Connaît-il le météore ?
    " Comprend-il le moucheron ?
    " L'homme aider Dieu ! lui, ce songe,
    " Ce spectre en fuite et tremblant !
    " Est-ce grâce à son éponge
    " Que le cygne reste blanc ?
    " Le fait veut, l'homme acquiesce.
    " Je ne vois pas que sa main
    " Découpe à l'emporte-pièce
    " Les pétales du jasmin.
    " Donne-t-il l'odeur aux sauges,
    " Parce qu'il sait faire un trou
    " Pour mêler le grès des Vosges
    " Au salpêtre du Pérou ?
    " Règle-t-il l'onde et la brise,
    " Parce qu'il disséquera
    " De l'argile qu'il a prise
    " Près de Rio-Madera ?
    " Ôte Dieu ; puis imagine,
    " Essaie, invente ; épaissis
    " L'idéal subtil d'Égine
    " Par les dogmes d'Éleusis ;
    " Soude Orphée à Lamettrie ;
    " Joins, pour ne pas être à court,
    " L'école d'Alexandrie
    " À l'école d'Edimbourg ;
    " Va du conclave au concile,
    " D'Anaximandre à Destutt ;
    " Dans quelque cuve fossile
    " Exprime tout l'institut ;
    " Démaillote la momie ;
    " Presse 'dipe et Montyon ;
    " Mets en pleine académie
    " Le sphinx à la question ;
    " Fouille le doute et la grâce ;
    " Amalgame en ton guano
    " À la Sybaris d'Horace
    " Les Chartreux de saint Bruno ;
    " Combine Genève et Rome ;
    " Fais mettre par ton fermier
    " Toutes les vertus de l'homme
    " Dans une fosse à fumier ;
    " Travaille avec patience
    " En puisant au monde entier ;
    " Prends pour pilon la science
    " Et l'abîme pour mortier ;
    " Va, forge ! je te défie
    " De faire de ton savoir
    " Et de ta philosophie
    " Sortir un grain de blé noir !
    " Dieu, de sa droite, étreint, fauche,
    " Sème, et tout est rajeuni ;
    " L'homme n'est qu'une main gauche
    " Tâtonnant dans l'infini.
    " Aux heures mystérieuses,
    " Quand l'eau se change en miroir,
    " Rôdes-tu sous les yeuses,
    " L'esprit plongé dans le soir ?
    " Te dis-tu : -- Qu'est-ce que l'homme ? -
    " Sonde, ami, sa nullité ;
    " Cherche, de quel chiffre, en somme,
    " Il accroît l'éternité !
    " L'homme est vain. Pourquoi, poète,
    " Ne pas le voir tel qu'il est,
    " Dans le sépulcre squelette,
    " Et sur la terre valet !
    " L'homme est nu, stérile, blême,
    " Plus frêle qu'un passereau ;
    " C'est le puits du néant même
    " Qui s'ouvre dans ce zéro.
    " Va, Dieu crée et développe
    " Un lion très réussi,
    " Un bélier, une antilope,
    " Sans le concours de Poissy.
    " Il fait l'aile de la mouche
    " Du doigt dont il façonna
    " L'immense taureau farouche
    " De la Sierra Morena ;
    " Et dans l'herbe et la rosée
    " Sa génisse au fier sabot
    " Règne, et n'est point éclipsée
    " Par la vache Sarlabot.
    " Oui, la graine dans l'espace
    " Vole à travers le brouillard,
    " Et de toi le vent se passe,
    " Semoir Jacquet-Robillard !
    " Ce laboureur, la tempête,
    " N'a pas, dans les gouffres noirs,
    " Besoin que Grignon lui prête
    " Sa charrue à trois versoirs.
    " Germinal, dans l'atmosphère,
    " Soufflant sur les prés fleuris,
    " Sait encor mieux son affaire
    " Qu'un maraîcher de Paris.
    " Quand Dieu veut teindre de flamme
    " Le scarabée ou la fleur,
    " Je ne vois point qu'il réclame
    " La lampe de l'émailleur.
    " L'homme peut se croire prêtre,
    " L'homme peut se dire roi,
    " Je lui laisse son peut-être,
    " Mais je doute, quant à moi,
    " Que Dieu, qui met mon image
    " Au lac où je prends mon bain,
    " Fasse faire l'étamage
    " Des étangs, à Saint-Gobain.
    " Quand Dieu pose sur l'eau sombre
    " L'arc-en-ciel comme un siphon,
    " Quand au tourbillon plein d'ombre
    " Il attelle le typhon,
    " Quand il maintient d'âge en âge
    " L'hiver, l'été, mai vermeil,
    " Janvier triste, et l'engrenage
    " De l'astre autour du soleil,
    " Quand les zodiaques roulent,
    " Amarrés solidement,
    " Sans que jamais elles croulent,
    " Aux poutres du firmament,
    " Quand tournent, rentrent et sortent
    " Ces effrayants cabestans
    " Dont les extrémités portent
    " Le ciel, les saisons, le temps ;
    " Pour combiner ces rouages
    " Précis comme l'absolu,
    " Pour que l'urne des nuages
    " Bascule au moment voulu,
    " Pour que la planète passe,
    " Tel jour, au point indiqué,
    " Pour que la mer ne s'amasse
    " Que jusqu'à l'ourlet du quai,
    " Pour que jamais la comète
    " Ne rencontre un univers,
    " Pour que l'essaim sur l'Hymète
    " Trouve en juin les lys ouverts,
    " Pour que jamais, quand approche
    " L'heure obscure où l'azur luit,
    " Une étoile ne s'accroche
    " À quelque angle de la nuit,
    " Pour que jamais les effluves
    " Les forces, le gaz, l'aimant,
    " Ne manquent aux vastes cuves
    " De l'éternel mouvement,
    " Pour régler ce jeu sublime,
    " Cet équilibre béni,
    " Ces balancements d'abîme,
    " Ces écluses d'infini,
    " Pour que, courbée ou grandie,
    " L'oeuvre marche sans un pli,
    " Je crois peu qu'il étudie
    " La machine de Marly ! "
    Ton ironie est amère,
    Mais elle se trompe, ami.
    Dieu compte avec l'éphémère,
    Et s'appuie à la fourmi.
    Dieu n'a rien fait d'inutile.
    La terre, hymne où rien n'est vain,
    Chante, et l'homme est le dactyle
    De l'hexamètre divin.
    L'homme et Dieu sont parallèles :
    Dieu créant, l'homme inventant.
    Dieu donne à l'homme ses ailes.
    L'éternité fait l'instant.
    L'homme est son auxiliaire
    Pour le bien et la vertu.
    L'arbre est Dieu, l'homme est le lierre ;
    Dieu de l'homme s'est vêtu.
    Dieu s'en sert, donc il s'en aide.
    L'astre apparaît dans l'éclair ;
    Zeus est dans Archimède,
    Et Jéhovah dans Képler.
    Jusqu'à ce que l'homme meure,
    Il va toujours en avant.
    Sa pensée a pour demeure
    L'immense idéal vivant.
    Dans tout génie il s'incarne ;
    Le monde est sous son orteil ;
    Et s'il n'a qu'une lucarne,
    Il y pose le soleil.
    Aux terreurs inabordable,
    Coupant tous les fatals noeuds,
    L'homme marche formidable,
    Tranquille et vertigineux.
    De limon il se fait lave,
    Et colosse d'embryon ;
    Epictète était esclave,
    Molière était histrion,
    Ésope était saltimbanque,
    Qu'importe ! - il n'est arrêté
    Que lorsque le pied lui manque
    Au bord de l'éternité.
    L'homme n'est pas autre chose
    Que le prête-nom de Dieu.
    Quoi qu'il fasse, il sent la cause
    Impénétrable, au milieu.
    Phidias cisèle Athènes ;
    Michel-Ange est surhumain ;
    Cyrus, Rhamsès, capitaines,
    Ont une flamme à la main ;
    Euclide trouve le mètre,
    Le rythme sort d'Amphion ;
    Jésus-Christ vient tout soumettre,
    Même le glaive, au rayon ;
    Brutus fait la délivrance ;
    Platon fait la liberté ;
    Jeanne d'Arc sacre la France
    Avec sa virginité ;
    Dans le bloc des erreurs noires
    Voltaire ses coins ;
    Luther brise les mâchoires
    De Rome entre ses deux poings ;
    Dante ouvre l'ombre et l'anime ;
    Colomb fend l'océan bleu... -
    C'est Dieu sous un pseudonyme,
    C'est Dieu masqué, mais c'est Dieu.
    L'homme est le fanal du monde.
    Ce puissant esprit banni
    Jette une lueur profonde
    Jusqu'au seuil de l'infini.
    Cent carrefours se partagent
    Ce chercheur sans point d'appui ;
    Tous les problèmes étagent
    Leurs sombres voûtes sur lui.
    Il dissipe les ténèbres ;
    Il montre dans le lointain
    Les promontoires funèbres
    De l'abîme et du destin.
    Il fait voir les vagues marches
    Du sépulcre, et sa clarté
    Blanchit les premières arches
    Du pont de l'éternité.
    Sous l'effrayante ****rne
    Il rayonne, et l'horreur fuit.
    Quelqu'un tient cette lanterne ;
    Mais elle t'éclaire, ô nuit !
    Le progrès est en litige
    Entre l'homme et Jéhovah ;
    La greffe ajoute à la tige ;
    Dieu cacha, l'homme trouva.
    De quelque nom qu'on la nomme,
    La science au vaste voeu
    Occupe le pied de l'homme
    À faire les pas de Dieu.
    La mer tient l'homme et l'isole,
    Et l'égare loin du port ;
    Par le doigt de la boussole
    Il se fait montrer le nord.
    Dans sa morne casemate,
    Penn rend ce damné meilleur ;
    Jenner *** : Va-t'en, stigmate !
    Jackson *** : Va-t'en, douleur !
    Dieu fait l'épi, nous la gerbe ;
    Il est grand, l'homme est fécond ;
    Dieu créa le premier verbe
    Et Gutenberg le second.
    La pesanteur, la distance,
    Contre l'homme aux luttes prêt,
    Prononcent une sentence ;
    Montgolfier casse l'arrêt.
    Tous les anciens maux tenaces,
    Hurlant sous le ciel profond,
    Ne sont plus que des menaces
    De fantômes qui s'en vont.
    Le tonnerre au bruit difforme
    Gronde... - on raille sans péril
    La marionnette énorme
    Que Franklin tient par un fil.
    Nemrod était une bête
    Chassant aux hommes, parmi
    La démence et la tempête
    De l'ancien monde ennemi.
    Dracon était un cerbère
    Qui grince encor sous le ciel
    Avec trois têtes : Tibère,
    Caïphe et Machiavel.
    Nemrod s'appelait la Force,
    Dracon s'appelait la Loi ;
    On les sentait sous l'écorce
    Du vieux prêtre et du vieux roi.
    Tous deux sont morts. Plus de haines !
    Oh ! ce fut un puissant bruit
    Quand se rompirent les chaînes
    Qui liaient l'homme à la nuit !
    L'homme est l'appareil austère
    Du progrès mystérieux ;
    Dieu fait par l'homme sur terre
    Ce qu'il fait par l'ange aux cieux.
    Dieu sur tous les êtres pose
    Son reflet prodigieux,
    Créant le bien par la chose,
    Créant par l'homme le mieux.
    La nature était terrible,
    Sans pitié, presque sans jour ;
    L'homme la vanne en son crible,
    Et n'y laisse que l'amour.
    Toutes sortes de lois sombres
    Semblaient sortir du destin ;
    Le mal heurtait aux décombres
    Le pied de l'homme incertain.
    Pendant qu'à travers l'espace
    Elle roule en hésitant ;
    Un flot de ténèbres passe
    Sur la terre à chaque instant ;
    Mais des foyers y flamboient,
    Tout s'éclaircit, on le sent,
    Et déjà les anges voient
    Ce noir globe blanchissant.
    Sous l'urne des jours sans nombre
    Depuis qu'il suit son chemin,
    La décroissance de l'ombre
    Vient des yeux du genre humain.
    L'autel n'ose plus proscrire ;
    La misère est morte enfin ;
    Pain à tous ! on voit sourire
    Les sombres dents de la faim.
    L'erreur tombe ; on l'évacue ;
    Les dogmes sont muselés ;
    La guerre est une vaincue ;
    Joie aux fleurs et paix aux blés !
    L'ignorance est terrassée ;
    Ce monstre, à demi dormant,
    Avait la nuit pour pensée
    Et pour voix le bégaiement.
    Oui, voici qu'enfin recule
    L'affreux groupe des fléaux !
    L'homme est l'invincible hercule,
    Le balayeur du chaos.
    Sa massue est la justice,
    Sa colère est la bonté.
    Le ciel s'appuie au solstice
    Et l'homme à sa volonté.
    Il veut. Tout cède et tout plie.
    Il construit quand il détruit ;
    Et sa science est remplie
    Des lumières de la nuit.
    Il enchaîne les désastres,
    Il tord la rébellion,
    Il est sublime ; et les astres
    Sont sur sa peau de lion.
    VI
    Le grand siècle
    Ce siècle a la forme
    D'un monstrueux char.
    Sa croissance énorme
    Sous un nain césar,
    Son air de prodige,
    Sa gloire qui ment,
    Mêlent le vertige
    À l'écrasement.
    Louvois pour ministre,
    Scarron pour griffon,
    C'est un chant sinistre
    Sur un air bouffon.
    Sur sa double roue
    Le grand char descend ;
    L'une est dans la boue,
    L'autre est dans le sang.
    La Mort au carrosse
    Attelle, - où va-t-il ? -
    Lavrillière atroce,
    Roquelaure vil.
    Comme un geai dans l'arbre,
    Le roi s'y tient fier ;
    Son coeur est de marbre,
    Son ventre est de chair.
    On a, pour sa nuque
    Et son front vermeil,
    Fait une perruque
    Avec le soleil.
    Il règne et végète,
    Effrayant zéro
    Sur qui se projette
    L'ombre du bourreau.
    Ce trône est la tombe ;
    Et sur le pavé
    Quelque chose en tombe
    Qu'on n'a point lavé.
    VII
    Égalité
    Dans un grand jardin en cinq actes,
    Conforme aux préceptes du goût,
    Où les branches étaient exactes,
    Où les fleurs se tenaient debout,
    Quelques clématites sauvages
    Poussaient, pauvres bourgeons pensifs,
    Parmi les nobles esclavages
    Des buis, des myrtes et des ifs.
    Tout près, croissait, sur la terrasse
    Pleine de dieux bien copiés,
    Un rosier de si grande race
    Qu'il avait du marbre à ses pieds.
    La rose sur les clématites
    Fixait ce regard un peu sec
    Que Rachel jette à ces petites
    Qui font le choeur du drame grec.
    Ces fleurs, tremblantes et pendantes,
    Dont Zéphyre tenait le fil,
    Avaient des airs de confidentes
    Autour de la reine d'avril.
    La haie, où s'ouvraient leurs calices
    Et d'où sortaient ces humbles fleurs,
    Écoutait du bord des coulisses
    Le rire des bouvreuils siffleurs.
    Parmi les brises murmurantes
    Elle n'osait lever le front ;
    Cette mère de figurantes
    Était un peu honteuse au fond.
    Et je m'écriai : -- Fleurs éparses
    Près de la rose en ce beau lieu,
    Non, vous n'êtes pas les comparses
    Du grand théâtre du bon Dieu.
    Tout est de Dieu l'oeuvre visible.
    La rose, en ce drame fécond,
    *** le premier vers, c'est possible,
    Mais le bleuet *** le second.
    Les esprits vrais, que l'aube arrose,
    Ne donnent point dans ce travers
    Que les campagnes sont en prose
    Et que les jardins sont en vers.
    Avril dans les ronces se vautre,
    Le faux art que l'ennui couva
    Lâche le critique Lenôtre
    Sur le poète Jéhovah.
    Mais cela ne fait pas grand-chose
    À l'immense sérénité,
    Au ciel, au calme grandiose
    Du philosophe et de l'été.
    Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles !
    Soeurs, couvrez la terre aux flancs bruns,
    L'hésitation des abeilles
    *** l'égalité des parfums.
    Croissez, plantes, tiges sans nombre !
    Du verbe vous êtes les mots.
    Les immenses frissons de l'ombre
    Ont besoin de tous vos rameaux.
    Laissez, broussailles étoilées,
    Bougonner le vieux goût boudeur ;
    Croissez, et sentez-vous mêlées
    À l'inexprimable grandeur !
    Rien n'est haut et rien n'est infime.
    Une goutte d'eau pèse un ciel ;
    Et le mont Blanc n'a pas de cime
    Sous le pouce de l'Éternel.
    Toute fleur est un premier rôle ;
    Un ver peut être une clarté ;
    L'homme et l'astre ont le même pôle ;
    L'infini, c'est l'égalité.
    L'incommensurable harmonie,
    Si tout n'avait pas sa beauté,
    Serait insultée et punie
    Dans tout être déshérité.
    Dieu, dont les cieux sont les pilastres,
    Dans son grand regard jamais las
    Confond l'éternité des astres
    Avec la saison des lilas.
    Les prés, où chantent les cigales,
    Et l'Ombre ont le même cadran.
    Ô fleurs, vous êtes les égales
    Du formidable Aldébaran.
    L'intervalle n'est qu'apparence.
    Ô bouton d'or tremblant d'émoi,
    Dieu ne fait pas de différence
    Entre le zodiaque et toi.
    L'être insondable est sans frontière.
    Il est juste, étant l'unité.
    La création tout entière
    Attendrit sa paternité.
    Dieu, qui fit le souffle et la roche,
    Oeil de feu qui voit nos combats,
    Oreille d'ombre qui s'approche
    De tous les murmures d'en bas,
    Dieu, le père qui mit dans les fêtes
    Dans les éthers, dans les sillons,
    Qui fit pour l'azur les comètes
    Et pour l'herbe les papillons,
    Et qui veut qu'une âme accompagne
    Les êtres de son flanc sortis,
    Que l'éclair vole à la montagne
    Et la mouche au myosotis,
    Dieu, parmi les mondes en fuite,
    Sourit, dans les gouffres du jour,
    Quand une fleur toute petite
    Lui conte son premier amour.
    VIII
    La méridienne du lion
    Le lion dort, seul sous sa voûte.
    Il dort de ce puissant sommeil
    De la sieste, auquel s'ajoute,
    Comme un poids sombre, le soleil.
    Les déserts, qui de loin écoutent,
    Respirent ; le maître est rentré.
    Car les solitudes redoutent
    Ce promeneur démesuré.
    Son souffle soulève son ventre ;
    Son oeil de brume est submergé,
    Il dort sur le pavé de l'antre,
    Formidablement allongé.
    La paix est sur son grand visage,
    Et l'oubli même, car il dort.
    Il a l'altier sourcil du sage
    Et l'ongle tranquille du fort.
    Midi sèche l'eau des citernes ;
    Rien du sommeil ne le distrait ;
    Sa gueule ressemble aux ****rnes,
    Et sa crinière à la forêt.
    Il entrevoit des monts difformes,
    Des Ossas et des Pélions,
    À travers les songes énormes
    Que peuvent faire les lions.
    Tout se tait sur la roche plate
    Où ses pas tout à l'heure erraient.
    S'il remuait sa grosse patte,
    Que de mouches s'envoleraient !
  2. Angelique

    Angelique Thành viên quen thuộc

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    17/04/2001
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    IV
    NIVÔSE
    ------
    I
    -- Va-t'en, me *** la bise.
    C'est mon tour de chanter. -
    Et, tremblante, surprise,
    N'osant pas résister,
    Fort décontenancée
    Devant un Quos ego,
    Ma chanson est chassée
    Par cette virago.
    Pluie. On me congédie
    Partout, sur tous les tons.
    Fin de la comédie.
    Hirondelles, partons.
    Grêle et vent. La ramée
    Tord ses bras rabougris ;
    Là-bas fuit la fumée,
    Blanche sur le ciel gris.
    Une pâle dorure
    Jaunit les coteaux froids.
    Le trou de ma serrure
    Me souffle sur les doigts.
    II
    Pendant une maladie
    On *** que je suis fort malade,
    Ami ; j'ai déjà l'oeil terni ;
    Je sens la sinistre accolade
    Du squelette de l'infini.
    Sitôt levé, je me recouche ;
    Et je suis comme si j'avais
    De la terre au fond de la bouche ;
    Je trouve le souffle mauvais.
    Comme une voile entrant au havre,
    Je frissonne ; mes pas sont lents,
    J'ai froid ; la forme du cadavre,
    Morne, apparaît sous mes draps blancs.
    Mes mains sont en vain réchauffées ;
    Ma chair comme la neige fond ;
    Je sens sur mon front des bouffées
    De quelque chose de profond.
    Est-ce le vent de l'ombre obscure ?
    Ce vent qui sur Jésus passa !
    Est-ce le grand Rien d'Épicure,
    Ou le grand Tout de Spinosa ?
    Les médecins s'en vont moroses ;
    On parle bas autour de moi,
    Et tout penche, et même les choses
    Ont l'attitude de l'effroi.
    Perdu ! voilà ce qu'on murmure.
    Tout mon corps vacille, et je sens
    Se déclouer la sombre armure
    De ma raison et de mes sens.
    Je vois l'immense instant suprême
    Dans les ténèbres arriver.
    L'astre pâle au fond du ciel blême
    Dessine son vague lever.
    L'heure réelle, ou décevante,
    Dresse son front mystérieux.
    Ne crois pas que je m'épouvante ;
    J'ai toujours été curieux.
    Mon âme se change en prunelle ;
    Ma raison sonde Dieu voilé ;
    Je tâte la porte éternelle,
    Et j'essaie à la nuit ma clé.
    C'est Dieu que le fossoyeur creuse ;
    Mourir, c'est l'heure de savoir ;
    Je dis à la mort : Vieille ouvreuse,
    Je viens voir le spectacle noir.
    III
    À un ami
    Sur l'effrayante falaise,
    Mur par la vague entrouvert,
    Roc sombre où fleurit à l'aise
    Un charmant petit pré vert,
    Ami, puisque tu me laisses
    Ta maison loin des vivants
    Entre ces deux allégresses,
    Les grands flots et les grands vents,
    Salut ! merci ! les fortunes
    Sont fragiles, et nos temps,
    Comme l'algue sous les dunes,
    Sont dans l'abîme, et flottants.
    Nos âmes sont des nuées
    Qu'un vent pousse, âpre ou béni,
    Et qui volent, dénouées,
    Du côté de l'infini.
    L'énorme bourrasque humaine,
    Dont l'étoile est la raison,
    Prend, quitte, emporte et ramène
    L'espérance à l'horizon.
    Cette grande onde inquiète
    Dont notre siècle est meurtri
    Écume et gronde, et me jette
    Parfois mon nom dans un cri.
    La haine sur moi s'arrête.
    Ma pensée est dans ce bruit
    Comme un oiseau de tempête
    Parmi les oiseaux de nuit.
    Pendant qu'ici je cultive
    Ton champ comme tu le veux,
    Dans maint journal l'invective
    Grince et me prend aux cheveux.
    La diatribe m'écharpe ;
    Je suis âne ou scélérat ;
    Je suis Pradon pour Laharpe,
    Et pour de Maistre Marat.
    Qu'importe ! les coeurs sont ivres.
    Les temps qui viennent feront
    Ce qu'ils pourront de mes livres
    Et de moi ce qu'ils voudront.
    J'ai pour joie et pour merveille
    De voir, dans ton pré d'Honfleur,
    Trembler au poids d'une abeille
    Un brin de lavande en fleur.
    IV
    Clôture
    À mon ami ****
    I
    La sainte chapelle
    Tu sais ? tu connais ma chapelle,
    C'est la maison des passereaux.
    L'abeille aux offices m'appelle
    En bourdonnant dans les sureaux.
    Là, mon coeur prend sa nourriture.
    Dans ma stalle je vais m'asseoir.
    Oh ! quel bénitier, la nature !
    Quel cierge, l'étoile du soir !
    Là, je vais prier ; je m'enivre
    De l'idéal dans le réel ;
    La fleur, c'est l'âme ; et je sens vivre,
    À travers la terre, le ciel.
    Et la rosée est mon baptême.
    Et le vrai m'apparaît ! je crois.
    Je dis : viens ! à celle que j'aime.
    Elle, moi, Dieu, nous sommes trois.
    (Car j'ai dans des bribes latines
    Lu que Dieu veut le nombre impair.)
    Je vais chez l'aurore à matines,
    Je vais à vêpres chez Vesper.
    La religion naturelle
    M'ouvre son livre où Job lisait,
    Où luit l'astre, où la sauterelle
    Saute de verset en verset.
    C'est le seul temple. Tout l'anime.
    Je veux Christ ; un rayon descend ;
    Et si je demande un minime,
    L'infusoire me *** : Présent.
    La lumière est la sainte hostie ;
    Le lévite est le lys vermeil ;
    Là, resplen*** l'eucharistie
    Qu'on appelle aussi le soleil.
    La bouche de la primevère
    S'ouvre, et reçoit le saint rayon ;
    Je regarde la rose faire
    Sa première communion.
    II
    Amour de l'eau
    Je récite mon bréviaire
    Dans les champs, et j'ai pour souffleur
    Tantôt le jonc sur la rivière,
    Tantôt la mouche dans la fleur.
    Le poète aux torrents se plonge ;
    Il aime un roc des vents battu ;
    Ce qui coule ressemble au songe,
    Et ce qui lave à la vertu.
    Pas de ruisseau qui, sur sa rive
    Où l'air jase, où germinal rit,
    N'attire un bouvreuil, une grive,
    Un merle, un poète, un esprit.
    Le poète, assis sous l'yeuse,
    Dans les fleurs, comme en un sérail,
    Aime l'eau, cette paresseuse
    Qui fait un si profond travail.
    Que ce soit l'Erdre ou la Durance,
    Pourvu que le flot soit flâneur,
    Il se donne la transparence
    D'une rivière pour bonheur.
    Elle erre ; on dirait qu'elle écoute ;
    Recevant de tout un tribut,
    Oubliant comme lui sa route,
    Et, comme lui, sachant son but.
    Et sur sa berge il mène en laisse
    Ode, roman, ou fabliau.
    George Sand a la Gargilesse
    Comme Horace avait l'Anio.
    III
    Le poète est un riche
    Nous avons des bonnes fortunes
    Avec le bleuet dans les blés ;
    Les halliers pleins de pâles lunes
    Sont nos appartement meublés.
    Nous y trouvons sous la ramée,
    Où chante un pinson, gai marmot,
    De l'eau, du vent, de la fumée,
    Tout le nécessaire, en un mot.
    Nous ne produirions rien qui vaille
    Sans l'ormeau, le frêne et le houx ;
    L'air nous aide ; et l'oiseau travaille
    À nos poèmes avec nous.
    Le pluvier, le geai, la colombe,
    Nous accueillent dans le buisson,
    Et plus d'un brin de mousse tombe
    De leur nid dans notre chanson.
    Nous habitons chez les pervenches
    Des chambres de fleurs, à cré*** ;
    Quand la fougère a, sous les branches,
    Une idée, elle nous la ***.
    L'autan, l'azur, le rameau frêle,
    Nous conseillent sur les hauteurs,
    Et jamais on n'a de querelle
    Avec ces collaborateurs.
    Nous trouvons dans les eaux courantes
    Maint hémistiche, et les lacs verts,
    Les prés généreux, font des rentes
    De rimes à nos pauvres vers.
    Mon patrimoine est la chimère,
    Sillon riche, ayant pour engrais
    Les vérités, d'où vient Homère,
    Et les songes, d'où sort Segrais.
    Le poète est propriétaire
    Des rayons, des parfums, des voix ;
    C'est à ce songeur solitaire
    Qu'appartient l'écho dans les bois.
    Il est, dans le bleu, dans le rose,
    Millionnaire, étant joyeux ;
    L'illusion étant la chose
    Que l'homme possède le mieux.
    C'est pour lui qu'un ver luisant rampe ;
    C'est pour lui que, sous le bouleau,
    Le cheval de halage trempe
    Par moments sa corde dans l'eau.
    Sous la futaie où l'herbe est haute,
    Il est le maître du logis
    Autant que l'écureuil qui saute
    Dans les pins par l'aube rougis.
    Avec ses stances, il achète
    Au bon Dieu le nuage noir,
    L'astre, et le bruit de la clochette
    Mêlée aux feuillages le soir.
    Il achète le feu de forge,
    L'écume des écueils grondants,
    Le cou gonflé du rouge-gorge
    Et les hymnes qui sont dedans.
    Il achète le vent qui râle,
    Les lichens du cloître détruit,
    Et l'effraction sépulcrale
    Du vitrail par l'oiseau de nuit,
    Et l'espace où les souffles errent,
    Et, quand hurlent les chiens méchants,
    L'effroi des moutons qui se serrent
    L'un contre l'autre dans les champs.
    Il achète la roue obscure
    Du char des songes dans l'horreur
    Du ciel sombre, où rit Épicure
    Et dont Horace est le doreur.
    Il achète les rocs incultes,
    Le mont chauve, et la quantité
    D'infini qui sort des tumultes
    D'un vaste branchage agité.
    Il achète tous ces murmures,
    Tout ce rêve, et, dans les taillis,
    L'écrasement des fraises mûres
    Sous les pieds nus d'Amaryllis.
    Il achète un cri d'alouette,
    Les diamants de l'arrosoir,
    L'herbe, l'ombre et la silhouette
    Des danses autour du pressoir.
    Jadis la naïade à Boccace
    Vendait le reflet d'un étang,
    Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse,
    Pour un sonnet, payé comptant.
    Le poète est une hirondelle
    Qui sort des eaux, que l'air attend,
    Qui laisse parfois de son aile
    Tomber des larmes en chantant.
    L'or du genêt, l'or de la gerbe,
    Sont à lui ; le monde est son champ ;
    Il est le possesseur superbe
    De tous les haillons du couchant.
    Le soir, quand luit la brume informe,
    Quand les brises dans les clartés
    Balancent une pourpre énorme
    De nuages déchiquetés,
    Quand les heures font leur descente
    Dans la nue où le jour passa,
    Il voit la strophe éblouissante
    Pendre à ce Décroche-moi-ça.
    Maïa pour lui n'est pas défunte ;
    Dans son vers, de pluie imbibé,
    Il met la prairie ; il emprunte
    Souvent de l'argent à Phoebé.
    Pour lui le vieux saule se creuse.
    Il a tout, aimer, croire et voir.
    Dans son âme mystérieuse
    Il agite un vague encensoir.
    IV
    Notre ancienne dispute
    Te souviens-tu qu'en l'âge tendre
    Où tu n'étais qu'un citadin,
    Tu me raillais toujours de prendre
    La nature pour mon jardin ?
    Un jour, tu t'armas d'un air rogue,
    Et moi d'accents très convaincus,
    Et nous eûmes ce dialogue,
    Alterné, comme dans Moschus :
    TOI
    " Si tu fais ce qu'on te conseille,
    " Tu n'iras point dans ce vallon
    " Affronter l'aigreur de l'oseille
    " Et l'épigramme du frelon.
    MOI
    " J'irai.
    TOI
    La nature est morose
    " Souvent, pour l'homme fourvoyé.
    " Si l'on est baisé par la rose,
    " Par l'épine on est tutoyé.
    MOI
    " Soit.
    TOI
    Paris à l'homme est propice.
    " Perlet joue au Gymnase, vois,
    " Ravignan prêche à Saint-Sulpice.
    MOI
    " Et la fauvette chante aux bois.
    TOI
    " Que viens-tu faire dans ces plaines ?
    " On ne te connaît pas ici.
    " Les bêtes parfois sont vilaines,
    " L'herbe est parfois mauvaise ; ainsi
    " Crois-moi, n'en franchis point la porte.
    " On n'y sait pas ton nom.
    MOI
    Pardon !
    " Vadius l'a *** au cloporte,
    " Trissotin l'a *** au chardon.
    TOI
    " Reste dans la ville où nous sommes,
    " Car les champs ne sont meilleurs.
    MOI
    " J'ai des ennemis chez les hommes,
    " Je n'en ai point parmi les fleurs. "
    V
    Ce jour-là, trouvaille de l'église
    Et ce même jour, jour insigne,
    Je trouvai ce temple humble et grand
    Dont Fénelon serait le cygne
    Et Voltaire le moineau-franc.
    Un moine, assis dans les coulisses,
    Aux papillons, grands et petits,
    Tâchait de vendre des calices
    Que l'églantier donnait gratis.
    Là, point d'orangers en livrée ;
    Point de grenadiers alignés ;
    Là, point d'ifs allant en soirée,
    Pas de buis, par Boileau peignés.
    Pas de lauriers dans des guérites ;
    Mais, parmi les prés et les blés,
    Les paysannes marguerites
    Avec leurs bonnets étoilés.
    Temple où les fronts se rassérènent,
    Où se dissolvent les douleurs,
    Où toutes les vérités prennent
    La forme de toutes les fleurs !
    C'est là qu'avril oppose au diable,
    Au pape, aux enfers, aux satans,
    Cet alléluia formidable,
    L'éclat de rire du printemps.
    Oh ! la vraie église divine !
    Au fond de tout il faisait jour.
    Une rose me *** : Devine.
    Et je lui répondis : Amour.
    VI
    L'hiver
    L'autre mois pourtant, je dois dire
    Que nous ne fûmes point reçus ;
    L'église avait cessé de rire ;
    Un brouillard sombre était dessus ;
    Plus d'oiseaux, plus de scarabées ;
    Et par des bourbiers, noirs fossés,
    Par toutes les feuilles tombées,
    Par tous les rameaux hérissés,
    Par l'eau qui détrempait l'argile,
    Nous trouvâmes barricadé
    Ce temple qu'eût aimé Virgile
    Et que n'eût point haï Vadé.
    On était au premier novembre.
    Un hibou, comme nous passions,
    Nous cria du fond de sa chambre :
    Fermé pour réparations.
    AU CHEVAL
    I
    Monstre, à présent reprends ton vol.
    Approche, que je te déboucle.
    Je te lâche, ôte ton licol,
    Rallume en tes yeux l'escarboucle.
    Quitte ces fleurs, quitte ce pré.
    Monstre, Tempé n'est point Capoue.
    Sur l'océan d'aube empourpré,
    Parfois l'ouragan calmé joue.
    Je t'ai quelque temps tenu là.
    Fuis ! - Devant toi les étendues,
    Que ton pied souvent viola,
    Tremblent, et s'ouvrent, éperdues.
    Redeviens ton maître, va-t'en !
    Cabre-toi, piaffe, redéploie
    Tes farouches ailes, titan,
    Avec la fureur de la joie.
    Retourne aux pâles profondeurs.
    Sois indomptable, recommence
    Vers l'idéal, loin des laideurs,
    Loin des hommes, la fuite immense.
    Cheval, devance l'aquilon,
    Toi, la raison et la folie,
    L'échappé du bois d'Apollon,
    Le dételé du char d'Élie.
    Vole au-dessus de nos combats,
    De nos succès, de nos désastres,
    Et qu'on aperçoive d'en bas
    Ta forme sombre sous les astres.
    II
    Mais il n'est plus d'astre aux sommets !
    Hélas, la brume sur les faîtes
    Rend plus lugubre que jamais
    L'échevèlement des prophètes.
    Toi, brave tout ! qu'au ciel terni
    Ton caprice énorme voltige ;
    Quadrupède de l'infini,
    Plane, aventurier du vertige.
    Fuis dans l'azur, noir ou vermeil.
    Monstre, au galop, ventre aux nuages !
    Tu ne connais ni le sommeil,
    Ni le sépulcre, nos péages.
    Sois plein d'un implacable amour.
    Il est nuit. Qu'importe. Nuit noire.
    Tant mieux, on y fera le jour.
    Pars, tremblant d'un frisson de gloire !
    Sans frein, sans trêve, sans flambeau,
    Cherchant les cieux hors de l'étable,
    Vers le vrai, le juste et le beau,
    Reprends ta course épouvantable.
    III
    Reprends ta course sans pitié,
    Si terrible et si débordée
    Que Néron se sent châtié
    Rien que pour l'avoir regardée.
    Va réveiller Démogorgon.
    Sois l'espérance et l'effroi, venge,
    Rassure et console, dragon
    Par une aile, et par l'autre, archange.
    Verse ton souffle auguste et chaud
    Jusque sur les plus humbles têtes.
    Porte des reproches là-haut,
    Égal aux dieux, frère des bêtes.
    Fuis, cours ! sois le monstre du bien,
    Le cheval démon qui délivre !
    Rebelle au despote, au lien,
    De toutes les vérités ivre !
    Quand vient le déclin d'un tyran,
    Quand vient l'instant des lois meilleures,
    Qu'au ciel sombre, éternel cadran,
    Ton pied frappe ces grandes heures,
    Donne à tout ce qui rampe en bas,
    Au barde qui vent Calliope,
    Au peuple voulant Barabbas,
    À la religion myope,
    Donne à quiconque ignore ou nuit,
    Aux fausses gloires, aux faux zèles,
    Aux multitudes dans la nuit,
    L'éblouissement de tes ailes.
    IV
    Va ! pour vaincre et pour transformer,
    Pour que l'homme se transfigure,
    Qu'il te suffise de fermer
    Et de rouvrir ton envergure.
    Sois la bonté, sois le dédain ;
    Qu'un incompréhensible Éole
    Fasse parfois sortir soudain
    Des foudres de ton auréole.
    Ton poitrail resplen***, on croit
    Que l'aube, aux tresses dénouées,
    Le dore, et sur ta croupe on voit
    Toutes les ombres des nuées.
    Jette au peuple un hennissement,
    À l'échafaud une ruade ;
    Fais une brèche au firmament
    Pour l'esprit humain s'évade.
    Soutiens le penseur, qui dément
    L'autel, l'augure et la sibylle,
    Et n'a pas d'autre adossement
    Que la conscience immobile.
    Plains les martyrs maintenant,
    Attendris ton regard sévère,
    Et contemple, tout en planant,
    Leur âpre montée au calvaire.
    V
    Cours sans repos, pense aux donjons,
    Pense aux murs hauts de cent coudées,
    Franchis, sans brouter les bourgeons,
    La forêt vierge des idées.
    Ne t'attarde pas, même au beau.
    S'il est traître ou froid, qu'il t'indigne.
    La nuit ne fait que le corbeau,
    La neige ne fait que le cygne,
    Le soleil seul fait l'aigle. Va !
    Le soleil au mal est hostile.
    Quand l'oeuf noir du chaos creva,
    Il en sortit, beau, mais utile.
    Immortel, protège l'instant.
    L'homme a besoin de toi, te dis-je.
    Précipite-toi, haletant,
    À la poursuite du prodige.
    Le prodige, c'est l'avenir ;
    C'est la vie idéalisée,
    Le ciel renonçant à punir,
    L'univers fleur et Dieu rosée.
    Plonge dans l'inconnu sans fond !
    Cours, passe à travers les trouées !
    Et, du vent que dans le ciel font
    Tes vastes plumes secouées,
    Tâche de renverser les tours,
    Les geôles, les temples athées,
    Et d'effaroucher les vautours
    Tournoyant sur les Prométhées.
    Vole, altier, rapide, insensé,
    Droit à la cible aux cieux fixée,
    Comme si je t'avais lancé,
    Flèche, de l'arc de ma pensée.
    VI
    Pourtant sur ton dos garde-moi ;
    Car tous mes songes font partie
    De ta crinière, et je voi
    Rien sur terre après ta sortie.
    Je veux de telles unions
    Avec toi, cheval météore,
    Que, nous mêlant, nous parvenions
    À ne plus être qu'un centaure.
    Retourne aux problèmes profonds.
    Brise Ananké, ce lourd couvercle
    Sous qui, tristes, nous étouffons ;
    Franchis la sphère, sors du cercle !
    Quand, l'oeil plein de vagues effrois,
    Tu viens regarder l'invisible,
    Avide et tremblant à la fois
    D'entrer dans ce silence horrible,
    La Nuit grince lugubrement ;
    Le Mal, qu'aucuns rayons n'éclairent,
    Fait en arrière un mouvement
    Devant tes naseaux qui le flairent ;
    La Mort, qu'importune un témoin,
    S'étonne, et rentre aux ossuaires ;
    On entrevoit partout au loin
    La fuite obscure des suaires.
    Tu ne peux, étant âme et foi,
    Apparaître à l'horizon sombre
    Sans qu'il se fasse autour de toi
    Un recul de spectres dans l'ombre.
    VII
    Tout se tait dans l'affreux lointain
    Vers qui l'homme effaré s'avance ;
    L'oubli, la tombe, le destin,
    Et la nuit, sont de connivence.
    Dans le gouffre, piège muet,
    D'où pas un conseil ne s'élance,
    Déjoue, ô toi ; grand inquiet,
    La méchanceté du silence.
    Tes pieds volants, tes yeux de lynx
    Peuvent sonder tous les peut-êtres ;
    Toi seul peux faire peur aux sphynx,
    Et leur dire : Ah çà, parlez, traîtres !
    D'en haut, jette à l'homme indécis
    Tous les mots des énigmes louches.
    Déchire la robe d'Isis.
    Fais retirer les doigts des bouches.
    Connaître, c'est là notre faim.
    Toi, notre esprit, presse et réclame.
    Que la matière avoue enfin,
    Mise à la question par l'âme.
    Et qu'on sache à quoi s'en tenir
    Sur la quantité de souffrance
    Dont il faut payer l'avenir,
    Dût pleurer un peu l'espérance !
    VIII
    Sois le trouble-fête du mal.
    Force le dessous à paraître.
    Tire du sultan l'animal,
    Du Dieu le nain, l'homme du prêtre.
    Lutte. Aiguillon contre aiguillon !
    La haine attaque, guette, veille ;
    Elle est le sinistre frelon,
    Mais n'es-tu pas la grande abeille !
    Extermine l'obstacle épais,
    L'antagonisme, la barrière.
    Mets au service de la paix
    La vérité, cette guerrière.
    L'inquisition souriant
    Rêve le glaive aidant la crosse ;
    Pour qu'elle s'éveille en criant,
    Mords jusqu'au sang l'erreur féroce.
    IX
    Si le passé se reconstruit
    Dans toute son horreur première,
    Si l'abîme fait de la nuit,
    Ô cheval, fais de la lumière.
    Tu n'as pas pour rien quatre fers.
    Galope sur l'ombre insondable ;
    Qu'un rejaillissement d'éclairs
    Sois ton annonce formidable.
    Traverse tout, enfers, tombeaux,
    Précipices, néants, mensonges,
    Et qu'on entende tes sabots
    Sonner sur le plafond des songes.
    Comme sur l'enclume un forgeur,
    Sur les brumes universelles,
    Abats-toi, fauve voyageur,
    Ô puissant faiseur d'étincelles !
    Sers les hommes en les fuyant.
    Au-dessus de leurs fronts funèbres,
    Si le zénith reste effrayant,
    Si le ciel s'obstine aux ténèbres,
    Si l'espace est une forêt,
    S'il fait nuit comme dans les Bibles,
    Si pas un rayon ne paraît,
    Toi, de tes quatre pieds terribles,
    Faisant subitement tout voir,
    Malgré l'ombre, malgré les voiles,
    Envoie à ce fatal ciel noir
    Une éclaboussure d'étoiles.

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