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Socialisme utopique et socialisme scientifique

Chủ đề trong 'Pháp (Club de Francais)' bởi Angelique, 19/05/2001.

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  1. Angelique

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    17/04/2001
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    <TITRE Socialisme utopique et socialisme scientifique>

    <AUTEUR Engels, F.>


    ------------------------- DEBUT DU FICHIER utopique2 --------------------------------

    PRẫFACE A LA PREMIẩRE ẫ***ION ALLEMANDE
    ---------------------------------------

    La brochure qu'on va lire a pour origine trois chapitres de mon travail: M. E Dỹhring bouleverse la science, Leipzig 1878. Je l'ai composộe pour mon ami Paul Lafargue aux fins de traduction en franỗais et j'ai ajoute quelques dộveloppements nouveaux. La traduction franỗaise, que j'avais revue, parut d'abord dans la Revue socialiste, puis en brochure sous le titre Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris 1880. Une transposition en polonais, d'aprốs la traduction franỗaise, vient de paraợtre Genốve sous le titre: Socyjalism utopijny a naukowy, Imprimerie de l'Aurore, Genốve 1882.

    Le succốs surprenant de la traduction de Lafargue dans les pays de langue franỗaise et particuliốrement en France mờme allait nộcessairement m'imposer la question: est-ce qu'une ộ***ion allemande sộparộe de ces trois chapitres ne serait pas ộgalement utile ? C'est alors que la rộdaction du Sozialdemokrat de Zurich me fit savoir que dans le parti social-dộmocrate allemand on rộclamait d'une maniốre gộnộrale l'ộ***ion de nouvelles brochures de propagande et on me demanda si je ne voulais pas y destiner ces trois chapitres. J'en fus naturellement d'accord et mis mon travail disposition.

    Mais l'origine il n'ộtait pas du tout rộdigộ en vue de la propagande populaire directe. Comment un travail du premier chef purement scientifique allait-il s'y prờter ? Quelles modifications ộtaient nộcessaires, dans la forme et dans le contenu ?

    Pour la forme, seuls les nombreux mots ộtrangers pouvaient faire scrupule. Mais Lassalle lui-mờme n'avait absolument pas ộpargnộ les mots ộtrangers dans ses discours et ses ộcrits de propagande, et, ma connaissance, on ne s'en est pas plaint. Depuis cette ộpoque nos ouvriers ont lu beaucoup plus de journaux et beaucoup plus rộguliốrement et se sont ainsi d'autant plus familiarisộs avec les mots ộtrangers. Je me suis bornộ ộcarter les mots ộtrangers inutiles. Pour ceux qui sont inộvitables, j'ai renoncộ y adjoindre des traductions ***es explicatives. Les mots ộtrangers inộvitables, pour la plupart des expressions scientifiques et techniques gộnộralement reỗues, ne seraient prộcisộment pas inộvitables si on pouvait les traduire. La traduction fausse donc le sens; au lieu d'expliquer, elle embrouille. L'information orale est dans ce cas bien plus utile.

    Par contre le contenu -< je crois pouvoir l'affirmer -< offrira peu de difficultộs aux ouvriers allemands. Aprốs tout, seul est difficile le troisiốme chapitre, mais il l'est beaucoup moins pour les ouvriers dont il rộsume les con***ions gộnộrales d'existence que pour les bourgeois ô cultivộs ằ. Dans les nombreux commentaires ad***ifs que j'ai donnộs ici, j'ai effectivement moins pensộ aux ouvriers qu' des lecteurs ô cultivộs ằ; des gens, disons, comme Monsieur le Dộputộ von Eynern, Monsieur le Conseiller secret Heinrich von Sybel et autres Treitschke, en proie la soif irrộsistible de nous rộgaler sans cesse par ộcrit de leur atroce ignorance et de leur colossale incomprộhension du socialisme -< l'une explique l'autre. Si Don Quichotte rompt des lances contre des moulins vent, c'est de sa fonction et dans son rụle; mais nous ne pouvons permettre chose semblable Sancho Panỗa.

    Ce genre de lecteurs s'ộtonnera aussi de rencontrer dans une esquisse de l'histoire du dộveloppement du socialisme la cosmogonie de Kant et Laplace, les sciences modernes de la nature et Darwin, la philosophie classique allemande et Hegel. Or il se trouve que le socialisme scientifique est un produit essentiellement allemand, et il ne pouvait naợtre que dans la nation dont la philosophie classique avait maintenu vivante la tra***ion de la dialectique consciente: en Allemagne. La conception matộrialiste de l'histoire et son application particuliốre la lutte de classes moderne entre prolộtariat et bourgeoisie n'ộtait possible qu'au moyen de la dialectique. Mais si les maợtres d'ộcole de la bourgeoisie allemande ont noyộ les grands philosophes allemands et la dialectique dont ils ộtaient les reprộsentants dans le bourbier d'un sinistre ộclectisme, au point que nous sommes contraints de faire appel aux sciences modernes de la nature pour tộmoigner de la confirmation de la dialectique dans la rộalitộ<nous, les socialistes allemands sommes fiers de ne pas descendre seulement de Saint Simon, de Fourier et d'Owen, mais aussi de Kant, de Fichte et de Hegel.

    Londres, le 21 septembre 1882. Friedrich ENGELS.


    PRẫFACE A LA QUATRIẩME ẫ***ION ALLEMANDE
    ----------------------------------------

    Ce que je supposais -< le contenu de cet ouvrage devait offrir peu de difficultộs pour nos ouvriers allemands -< s'est vộrifiộ. Tout au moins, depuis mars 1883, date de parution de la premiốre ộ***ion, trois tirages d'en tout 10000 exemplaires ont ộtộ ộcoulộs, et cela sous le rốgne de la dộfunte loi antisocialiste< ce qui constitue en mờme temps un nouvel exemple de l'impuissance des interdictions policiốres face un mouvement comme celui du prolộtariat moderne.

    Depuis la premiốre ộ***ion, diverses traductions en langues ộtrangốres ont encore paru: une ộ***ion italienne de Pasquale Martignetti Il Socialismo utopico e il Socialismo scientifico, Bộnộvent 1883; une ộ***ion russe: Razvitie naucznago Socializma, Genốve 1884; une ộ***ion danoise: Socialismens Udvikling fra Utopi til Videnskab, dans la ô Socialistik Bibliothek ằ, I. Bind, Copenhague 1885; une ộ***ion espagnole: Socialismo utopico y Socialismo cientifico, Madrid 1886; et une ộ***ion hollandaise: De Ontwikkeling van het Socialisme van Utopie tot Wetenschap, La Haye 1886.

    La prộsente ộ***ion a subi diverses petites modifications: des ad***ions de quelque importance n'ont ộtộ faites qu'en deux endroits: dans le premier chapitre propos de Saint-Simon qui ộtait tout de mờme un peu dộsavantagộ par rapport Fourier et Owen, et vers la fin du troisiốme chapitre propos de la forme de production des ôtrusts ằ qui avait pris entre temps de l'importance.

    Londres, le 12 mai 1891. Friedrich ENGELS.


    INTRODUCTION A LA PREMIẩRE ẫ***ION ANGLAISE
    -------------------------------------------

    La prộsente brochure est, l'origine, une partie d'un ensemble plus vaste. Vers 1875, le Dr E. Dỹhring, privat dozent l'universitộ de Berlin, annonỗa soudain et avec quelque bruit sa conversion au socialisme et offrit au public allemand non seulement une thộorie socialiste minutieusement ộlaborộe, mais aussi un projet complet de rộorganisation pratique de la sociộtộ; comme de juste, il tomba bras raccourcis sur ses prộdộcesseurs; il fit surtout Marx l'honneur de dộverser sur lui les flots de sa colốre.

    Cela se passait peu prốs au temps oự les deux fractions du Parti socialiste allemand -< le groupe d'Eisenach et les lassalliens -< venaient d'opộrer leur fusion et d'acquộrir ainsi, non seulement un immense accroissement de forces mais ce qui ộtait plus encore, la possibilitộ de mettre en jeu toute cette force contre l'ennemi commun. Le Parti socialiste ộtait en train de devenir rapidement en Allemagne une puissance. Mais pour en faire une puissance la premiốre con***ion ộtait que l'unitộ nouvellement conquise ne fut pas menacộe. Or le Dr Dỹhring se mit ouvertement grouper autour de sa personne une secte, noyau d'un futur parti. Il devenait donc nộcessaire de relever le gant qui nous ộtait jetộ et, bon grộ mal grộ, de mener le combat son terme.

    Or, bien qu'elle ne prộsentõt pas trop de difficultộs, c'ộtait l une affaire de longue haleine. Nous autres Allemands, c'est bien connu, avons la manie terriblement pesante d'aller au fond des choses; nous sommes d'une profondeur radicale ou d'un radicalisme profond, comme il vous plaira de l'appeler. Chaque fois que l'un de nous expose ce qu'il considốre comme une thộorie nouvelle, il faut d'abord qu'il l'ộlabore pour en faire un systốme universel. Il lui faut prouver qu' la fois les premiers principes de la logique et les lois fondamentales de l'univers n'ont existộ de toute ộternitộ une fin autre que de conduire en derniốre analyse la doctrine qu'il vient de dộcouvrir et qui en est le couronnement. Sous ce rapport le Dr Dỹhring ne dộparait pas le niveau national. Rien de moins qu'un Systốme de philosophie complet, avec philosophie de l'esprit, de la morale, de la nature et de l'histoire; qu'un Systốme d'ộconomie politique et du socialisme complet; et enfin qu'une Histoire critique de l'ộconomie politique trois gros in- octavo, extrinsốquement et intrinsốquement pesants, trois corps d'armộe d'arguments mobilisộs contre tous les philosophes et ộconomistes antộrieurs en gộnộral, et contre Marx en particulier, en fait une tentative de complet ô bouleversement de la science ằ voil ce quoi il me fallait me mesurer. J'ai eu traiter de tous les sujets possibles et imaginables; depuis les concepts de temps et d'espace jusqu'au bimộtallisme, depuis l'ộternitộ de la matiốre et du mouvement jusqu' la pộrissable nature de nos idộes morales, depuis la sộlection naturelle de Darwin jusqu' l'ộducation de la jeunesse dans une sociộtộ future. Nộanmoins, l'universalitộ systộmatique de mon adversaire m'a donnộ l'occasion de dộvelopper en opposition lui, et pour la premiốre fois dans leur enchaợnement, les opinions que nous avions, Marx et moi, sur cette grande variộtộ de sujets. Telle fut la principale raison qui me fit entreprendre cette tõche, par ailleurs ingrate.

    Ma rộponse, d'abord publiộe en une sộrie d'articles dans le Vorwọrts de Leipzig, organe principal du Parti socialiste, fut ensuite imprimộe en un volume sous le titre: M. Eugốne Dỹhring bouleverse la science. Une deuxiốme ộ***ion parut Zurich en 1886.

    A la demande de mon ami Paul Lafargue, actuellement dộputộ de Lille la Chambre des Dộputộs, je transformai trois chapitres de ce volume et en fis une brochure qu'il traduisit et publia en 1880 sous le titre de Socialisme utopique et socialisme scientifique. Une ộ***ion polonaise et une ộ***ion espagnole furent prộparộes d'aprốs le texte franỗais. En 1883 nos amis d'Allemagne firent paraợtre la brochure dans sa langue originale. Depuis, des traductions faites sur le texte allemand ont ộtộ publiộes en italien, en russe, en danois, en hollandais et en roumain, de telle sorte qu'avec la prộsente ộ***ion anglaise, ce petit volume circule en dix langues. Je ne connais aucun autre ouvrage socialiste, pas mờme notre Manifeste communiste de 1848 et Le Capital de Marx, qui ait ộtộ si souvent traduit. En Allemagne il a eu quatre ộ***ions formant un total de 20000 exemplaires.

    L'appendice, ô La Marche ằ, a ộtộ ộcrit dans l'intention de rộpandre dans le Parti socialiste allemand quelque connaissance ộlộmentaire de l'histoire et du dộveloppement de la propriộtộ terrienne en Allemagne. Cela paraissait d'autant plus nộcessaire une ộpoque oự ce parti ộtait en passe d'ộtendre son influence l'ensemble des travailleurs des villes et oự il fallait gagner les travailleurs agricoles et les paysans Cet appendice a ộtộ englobộ dans la traduction, car les formes originelles de possession de la terre, communes toutes les tribus germaniques et l histoire de leur dộclin sont encore moins connues en Angleterre qu'en Allemagne. J'ai laissộ le texte tel qu'il ộtait dans l'original. sans me rộfộrer l'hypothốse rộcemment ộmise par Maxime Kovalevsky selon laquelle le partage des terres arables et des põtures entre les membres de la Marche n ộtộ prộcộdộ par leur culture compte commun par une grande famille patriarcale englobant plusieurs gộnộrations (la Zadruga qui existe encore chez les Slaves du Sud en est un exemple) et le partage se fit plus tard, lorsque la communautộ eut grandi au point de devenir trop lourde pour une gestion compte commun. Kovalevsky a probablement raison mais l'affaire est encore en suspens.

    Les termes ộconomiques employộs dans ce livre correspondent, dans la mesure oự ils sont nouveaux, ceux de l'ộ***ion anglaise du Capital de Marx. Nous dộsignons par ô production marchande ằ cette phase de l'ộconomie dans laquelle les denrộes ne sont pas produites seulement pour l'usage du producteur, mais en vue de l'ộchange, c'est--dire comme marchandises, et non comme valeurs d'usage. Cette phase s'ộtend depuis les premiers dộbuts de la production pour l'ộchange jusqu' nos jours; elle n'atteint son plein dộveloppement qu'avec la production capitaliste, c'est--dire avec les con***ions dans lesquelles le capitaliste, propriộtaire des moyens de production, occupe en ộchange d'un salaire des ouvriers, gens privộs de tout moyen de production l'exception de leur propre force de travail, et empoche l'excộdent du prix de vente des produits sur ses dộpenses. Nous divisons l'histoire de la production industrielle, depuis le moyen õge, en trois pộriodes: (1) L'artisanat, petits maợtres-artisans assistộs de quelques compagnons et apprentis, oự chaque ouvrier fabrique l'article entier; (2) La manufacture, oự un assez grand nombre d'ouvriers, rassemblộs dans un grand atelier, fabrique l'article entier selon le principe de la division du travail, c'est--dire que chaque ouvrier n'exộcute qu'une opộration partielle, de sorte que le produit n'est terminộ qu'aprốs avoir passộ successivement entre les mains de tous; (3) L'industrie moderne, oự le produit est fabriquộ l'aide de machines actionnộes par une source d'ộnergie, et oự le travail de l'ouvrier se borne surveiller et corriger les opộrations accomplies par la mộcanique.

    Je sais parfaitement que le contenu de ce livre va soulever les objections d'une partie considộrable du public anglais. Mais si nous, continentaux, nous avions fait le moindre cas de la ô respectabilitộ ằ britannique et de tout ce qu'elle recouvre de prộjugộs, nous serions encore plus mal lotis que nous ne le sommes. Cette brochure dộfend ce que nous appelons ô matộrialisme historique ằ et le mot matộrialisme ộcorche les oreilles de l'immense majoritộ des lecteurs anglais. Passe encore pour ô agnosticisme ằ mais le matộrialisme leur est totalement inacceptable.

    Et pourtant le berceau du matộrialisme moderne n'est, depuis le XVIIe siốcle, nulle part ailleurs... qu'en Angleterre.

    ôLe matộrialisme est le vrai fils de la Grande-Bretagne. Dộj son scolastique Duns Scot s'ộtait demandộ ô si la matiốre ne pouvait pas penser ằ.

    ôPour opộrer ce miracle, il eut recours la toute-puissance de Dieu; autrement ***, il forỗa la thộologie elle-mờme prờcher le matộrialisme. Il ộtait de surcroợt nominaliste. Chez les matộrialistes anglais, le nominalisme est un ộlộment capital, et il constitue d'une faỗon gộnộrale la premiốre expression du matộrialisme.

    ôLe vộritable ancờtre du matộrialisme anglais et de toute science expộrimentale moderne, c'est Bacon. La science basộe sur l'expộrience de la nature constitue ses yeux la vraie science, et la physique sensible en est la partie la plus noble. Il se rộfốre souvent Anaxagore et ses homoiomộries, ainsi qu' Dộmocrite et ses atomes. D'aprốs sa doctrine, les sens sont infaillibles et la source de toutes les connaissances. La science est la science de l'expộrience et consiste dans l'application d'une mộthode rationnelle au donnộ sensible. Induction, analyse, comparaison, observation, expộrimentation, telles sont les con***ions principales d'une mộthode rationnelle. Parmi les propriộtộs innộes de la matiốre, le mouvement est la premiốre et la plus ộminente, non seulement en tant que mouvement mộcanique et mathộmatique, mais plus encore comme instinct, esprit vital, force expansive, tourment de la matiốre<pour employer l'expression de Jacob Boehme. Les formes primitives de la matiốre sont des forces essentielles vivantes, individualisantes, inhộrentes elle, et ce sont elles qui produisent les diffộrences spộcifiques.

    ô Chez Bacon, son fondateur, le matộrialisme recốle encore, de naùve faỗon, les germes d'un dộveloppement multiple. La matiốre sourit l'homme total dans l'ộclat de sa poộtique sensualitộ; par contre, la doctrine aphoristique, elle, fourmille encore d'inconsộquences thộologiques.

    ô Dans la suite de son ộvolution, le matộrialisme devient ộtroit. C'est Hobbes qui systộmatise le matộrialisme de Bacon. Le monde sensible perd son charme original et devient le sensible abstrait du gộomốtre. Le mouvement physique est sacrifiộ au mouvement mộcanique ou mathộmatique; la gộomộtrie est proclamộe science principale. Le matộrialisme se fait misanthrope. Pour pouvoir battre sur son propre terrain l'esprit misanthrope et dộsincarnộ, le matộrialisme est forcộ de mortifier lui-mờme sa chair et de se faire ascốte. Il se prộsente comme un ờtre de raison, mais dộveloppe aussi bien la logique inexorable de l'entendement.

    ô Partant de Bacon, Hobbes procốde la dộmonstration suivante: si leurs sens fournissent aux hommes toutes leurs connaissances, il en rộsulte que l'intuition, l'idộe, la reprộsentation, etc., ne sont que les fantụmes du monde corporel plus ou moins dộpouillộ de sa forme sensible. Tout ce que la science peut faire, c'est donner un nom ces fantụmes. Un seul et mờme nom peut ờtre appliquộ plusieurs fantụmes. Il peut mờme y avoir des noms de noms. Mais il serait contradictoire d'affirmer d'une part que toutes les idộes ont leur origine dans le monde sensible et de soutenir d'autre part qu'un mot est plus qu'un mot et qu'en dehors des entitộs reprộsentộes, toujours singuliốres, il existe encore des entitộs universelles. Au contraire, une substance incorporelle est tout aussi contradictoire qu'un corps incorporel. Corps, ờtre, substance, tout cela est une seule et mờme idộe rộelle. On ne peut sộparer la pensộe d'une matiốre qui pense. Elle est le sujet de tous les changements. Le mot infini n'a pas de sens, moins de signifier la capacitộ de notre esprit d'ad***ionner sans fin. C'est parce que la matộrialitộ seule peut faire l'objet de la perception et du savoir que nous ne savons rien de l'existence de Dieu. Seule est certaine ma propre existence. Toute passion humaine est un mouvement mộcanique, qui finit ou commence. Les objets des instincts, voil le bien. L'homme est soumis aux mờmes lois que la nature. Pouvoir et libertộ sont identiques.

    ô Hobbes avait systộmatisộ Bacon, mais sans avoir fondộ plus prộcisộment son principe de base, aux termes duquel les connaissances et les idộes ont leur origine dans le monde sensible. C'est Locke qui, dans son Essai sur l'entendement humain, a donnộ un fondement au principe de Bacon et de Hobbes.

    ô De mờme que Hobbes anộantissait les prộjugộs thộistes du matộrialisme baconien, de mờme Collins, Dodwell, Coward, Hartley, Priestley, etc., firent tomber la derniốre barriốre thộologique qui entourait le sensualisme de Locke. Pour le matộrialiste tout au moins, le dộisme n'est qu'un moyen commode et paresseux de se dộbarrasser de la religion ằ

    Voil ce qu'ộcrivait Marx propos de l'origine britannique du matộrialisme moderne. Si les Anglais d'aujourd'hui n'apprộcient pas particuliốrement l'hommage ainsi rendu leurs ancờtres, ce n'en est que plus triste ! Il n'en reste pas moins indộniable que Bacon, Hobbes et Locke sont les pốres de cette brillante plộiade de matộrialistes franỗais qui, en dộpit des victoires sur terre et sur mer remportộes sur la France par les Anglais et les Allemands, firent du XVIIle siốcle le siốcle franỗais par excellence, mờme avant son couronnement par la Rộvolution franỗaise, dont nous essayons encore, tant en Angleterre qu'en Allemagne, d'acclimater les rộsultats

    Il n'y a pas le nier: l'ộtranger cultivộ qui, vers le milieu du siốcle, ộlisait domicile en Angleterre, ộtait frappộ d'une chose, et c'ộtait ce qu'il ne pouvait s'empờcher de tenir alors pour la stupi***ộ et la bigoterie religieuse de la respectable classe moyenne anglaise. Quant nous, nous ộtions cette ộpoque tous matộrialistes ou tout au moins des libres penseurs trốs avancộs; il nous paraissait inconcevable que presque tous les gens cultivộs pussent ajouter foi toutes sortes d'impossibles miracles et que mờme des gộologues, comme Buckland et Mantell, fassent violence aux objets de leur science pour qu'ils ne soient pas trop en contradiction avec les mythes de la Genốse: tandis que pour rencontrer des hommes osant se servir de leurs facultộs intellectuelles en matiốre religieuse, il fallait aller parmi les gens incultes, le peuple des ô crasseux ằ, comme on les dộnommait, parmi les travailleurs spộcialement parmi les socialistes oweniens.

    Mais, depuis. l'Angleterre s'est ô civilisộe ằ. L'exposition de 1851 sonna le glas de son exclusivisme insulaire: elle s'est graduellement internationalisộe pour la nourriture, les moeurs et les idộes; tel point que je me prends ;i souhaiter que certaines coutumes et habitudes anglaises fassent autant de chemin sur le continent, que d'autres coutumes continentales en ont fait ici. N'importe, l'introduction et les progrốs de l'huile salade, (que seule l'aristocratie connaissait avant 1851, se sont accompagnộs d'une fõcheuse propagation du scepticisme continental en matiốre religieuse et le rộsultat en est que l agnosticisme, sans ờtre encore tenu pour aussi ô comme il faut ằ que l'ẫglise d'Angleterre, est placộ, en ce qui regarde la respectabilitộ, presque sur le mờme plan que le baptisme, mais incontestablement au-dessus de l'Armộe du salut. Je ne puis m'empờcher de songer que, dans ces circonstances, ce sera une consolation pour beaucoup qui dộplorent et maudissent sincốrement les progrốs de l'incroyance d'apprendre que ces ô lubies de fraợche date ằ ne sont pas d'origine ộtrangốre et ô fabriquộes en Allemagne ằ, ainsi que beaucoup d'autres objets d'usage courant, mais qu'elles sont incontestablement tout ce qu'il y a de plus Vieille Angleterre et que les Anglais d'il y a deux cents ans qui les mirent au monde allaient bien plus loin que n'osent le faire leurs descendants d'aujourd'hui.

    En fait, qu'est-ce que l'agnosticisme, sinon un matộrialisme ô qui n'ose pas dire son nom ằ ? La conception de la nature qu a l'agnostique est de part en part matộrialiste. Le monde naturel tout entier est gouvernộ par des lois et exclut absolument l'intervention d'une action extộrieure. Mais, ajoute-t-il, nous n'avons aucun moyen d'affirmer ou de nier l'existence de quelque ấtre suprờme au-del de l'univers connu. Cette attitude pouvait encore se justifier l'ộpoque oự Laplace rộpondait fiốrement Napolộon, qui lui demandait pourquoi, dans sa Mộcanique cộleste, il n'avait pas mờme mentionnộ le crộateur: ô Je n'avais pas besoin de cette hypothốse. ằ Mais aujourd'hui, dans la conception que nous avons d'un univers en ộvolution, il n'y a absolument plus de place pour un crộateur ou un ordonnateur; et parler d'un ấtre suprờme exclu de tout l'univers existant, implique une contradiction dans les termes et me semble par surcroợt une injure gratuite aux sentiments des croyants.

    Notre agnostique admet aussi que toute notre connaissance est basộe sur les informations fournies par les sens. Mais il s'empresse d'ajouter: ô Comment savoir si nos sens nous fournissent des images exactes des objets perỗus par leur intermộdiaire ? ằ Et il se met en devoir de nous indiquer que, quand il parle d'objets ou de leurs qualitộs, il n'entend pas en rộalitộ ces objets et ces qualitộs dont on ne peut rien savoir de certain, mais simplement les impressions qu'ils ont produites sur ses sens. Voil certes une faỗon de voir sur laquelle il semble incontestablement difficile d'avoir prise par la simple argumentation. Mais avant l'argumentation ộtait l'action. Im Anfang war die Tat. Et l'action humaine avait rộsolu la difficultộ bien avant que la subtilitộ humaine l'eỷt inventộe. La preuve du pudding, c'est qu'on le mange. Dốs l'instant oự nous employons ces objets notre propre usage d'aprốs les qualitộs que nous percevons en eux, nous soumettons une ộpreuve infaillible l'exactitude ou l'inexactitude de nos perceptions sensorielles. Si ces perceptions ộtaient fausses, notre apprộciation de l'usage qu'on peut faire de l'objet doit aussi ờtre fausse et notre tentative doit ộchouer. Mais si nous rộussissons atteindre notre but, si nous constatons que l'objet correspond la reprộsentation que nous en avons, qu'il donne ce que nous attendions de son usage, c'est la preuve positive que, dans le cadre de ces limites, nos perceptions de l'objet et de ses qualitộs concordent avec la rộalitộ en dehors de nous. Et si par contre nous ộchouons, nous ne sommes gộnộralement pas longs dộcouvrir la cause de notre insuccốs; nous nous apercevons que la perception sur laquelle se fondait notre tentative, ou bien ộtait par elle-mờme incomplốte et superficielle, ou bien avait ộtộ rattachộe aux rộsultats d'autres perceptions d'une faỗon qu'elles ne justifiaient pas, -< ce que nous appelons une erreur de raisonnement. Tant que nous prenons soin d'ộduquer et d'utiliser correctement nos sens et de contenir notre action dans les limites prescrites par nos perceptions correctement obtenues et correctement utilisộes, nous nous apercevrons que le rộsultat de notre action dộmontre la conformitộ de nos perceptions avec la nature objective des objets perỗus. Jusqu'ici il n'y a pas un seul exemple qui nous ait amenộs conclure que les perceptions de nos sens, scientifiquement contrụlộes, aient engendrộ dans notre cerveau des reprộsentations du monde extộrieur, qui soient, par leur nature mờme, en dộsaccord avec la rộalitộ ou qu'il y ait incompatibilitộ immanente entre le monde extộrieur et les perceptions sensibles que nous en avons.

    Mais voici que paraợt l'agnostique nộo-kantien qui dộclare: Il se peut certes que nous percevions correctement les qualitộs d'une chose, mais par aucun processus des sens ou de la pensộe, nous ne pouvons saisir la chose en soi. La ô chose en soi ằ est au-del de notre connaissance. Hegel, il y a longtemps, a dộj rộpondu: ô Si vous connaissez toutes les qualitộs d'une chose, vous connaissez la chose elle-mờme; il ne reste que le fait que la***e chose existe en dehors de vous, et dốs que vos sens vous ont appris ce fait, vous avez saisi le dernier reste de la chose en soi, la cộlốbre chose en soi inconnaissable de Kant. A quoi on peut ajouter que, du temps de Kant, notre connaissance des objets naturels ộtait si fragmentaire qu'il pouvait se croire en droit de supposer, au-del du peu que nous connaissions de chacun d'eux, une mystộrieuse ô chose en soi ằ. Mais ces insaisissables choses ont ộtộ les unes aprốs les autres saisies, analysộes et, qui plus est, reproduites par les progrốs gigantesques de la science; or ce que nous pouvons produire, il nous est coup sỷr inter*** de le considộrer comme inconnaissable. Pour la chimie de la premiốre moitiộ du siốcle, les substances organiques ộtaient des objets mystộrieux de ce genre; aujourd'hui, nous apprenons les reconstituer les unes aprốs les autres partir de leurs ộlộments chimiques et sans l'aide d'aucun processus organique. Les chimistes modernes dộclarent que, dốs que la constitution chimique de n'importe quel corps est connue, il peut ờtre reconstituộ partir de ses ộlộments. Nous sommes encore loin de connaợtre exactement la constitution des substances organiques les plus ộlevộes, les corps abluminoùdes; mais il n'y a pas de raison que nous ne parvenions cette connaissance, aprốs des siốcles s'il le faut, et qu'ainsi armộs, nous ne puissions produire de l'albumine artificielle. Mais si nous y parvenons, nous aurons du mờme coup produit de la vie organique, car la vie, de ses formes les plus simples aux plus ộlevộes, n'est que le mode d'existence normal des corps abluminoùdes.

    Cependant, dốs que notre agnostique a fait ces rộserves de pure forme, il parle et agit comme le fieffộ matộrialiste qu'il est au fond. Il dira bien: ô Pour autant que nous le sachions, la matiốre et le mouvement -< l'ộnergie, comme on *** prộsent -< ne peuvent ờtre ni crộộs ni dộtruits, mais nous n'avons aucune preuve qu'ils n'aient pas ộtộ crộộs m moment quelconque. ằ Mais si vous essayez de retourner cette concession contre lui dans quelque cas particulier, il s'empresse de vous ộconduire et de vous imposer silence. S'il admet la possibilitộ du spiritualisme in abstracto, il ne veut pas en entendre parler in concreto. Il vous dira: ô Autant que nous le sachions et puissions le savoir, il n'existe pas de crộateur et d'ordonnateur de l'univers; en ce qui nous concerne, la matiốre et l'ộnergie ne peuvent ờtre ni crộộes ni dộtruites; pour nous, la pensộe est une forme de l'ộnergie, une fonction du cerveau; tout ce que nous savons, c'est que le monde matộriel est gouvernộ par des lois immuables et ainsi de suite. ằ Donc, dans la mesure oự il est un homme de science, oự il sait quelque chose, il est matộrialiste; mais hors de sa science, dans les sphốres oự il ne sait rien, il traduit son ignorance en grec et l'appelle agnosticisme.

    En tout cas, une chose paraợt claire: mờme si j'ộtais un agnostique, il est ộvident que je ne pourrais qualifier la conception de l'histoire esquissộe dans ce petit livre d'ô agnosticisme historique ằ. Les gens pieux se moqueraient de moi, et les agnostiques s'indigneraient et me demanderaient si je veux les tourner en ridicule. J'espốre donc que mờme la respectabilitộ britannique ne sera pas trop scandalisộe si je me sers en anglais, ainsi que je le fais en plusieurs autres langues du mot ô matộrialisme historique ằ pour dộsigner une conception du cours de l'histoire qui recherche la cause premiốre et la force motrice dộcisive de tous les ộvộnements historiques importants dans le dộveloppement ộconomique de la sociộtộ, dans la transformation des modes de production et d'ộchange, dans la division de la sociộtộ en classes distinctes qui en rộsulte et dans les luttes de ces classes entre elles.

    On m'accordera d'autant plus rapidement cette permission si je montre que le matộrialisme historique peut ờtre de quelque avantage mờme pour la respectabilitộ britannique. J'ai dộj remarquộ qu'il y a quelque quarante ou cinquante ans de cela, l'ộtranger cultivộ qui s'ộtablissait en Angleterre ộtait frappộ par ce qu'il ộtait contraint de considộrer comme la bigoterie religieuse et la stupi***ộ de la respectable classe moyenne anglaise. Je vais dộmontrer maintenant que la respectable classe moyenne de l'Angleterre de cette ộpoque n'ộtait pas aussi stupide qu'elle paraissait l'ờtre l'intelligent ộtranger. On peut expliquer ses penchants religieux.

    Quand l'Europe ộmergea du moyen õge, la bourgeoisie montante; des villes constituait chez elle l'ộlộment rộvolutionnaire. Cette classe avait conquis dans l'organisation fộodale une position reconnue, mais qui, elle-mờme, ộtait devenue trop ộtroite pour sa force d'expansion. Le dộveloppement de la classe moyenne, de la bourgeoisie, devenait incompatible avec le maintien du systốme fộodal: le systốme fộodal devait donc ờtre dộtruit.

    Or le grand centre international du fộodalisme ộtait l'ẫglise catholique romaine. Elle rassemblait toute l'Europe fộodale de l'Occident, malgrộ ses guerres intestines nombreuses, en un grand systốme politique, opposộ aux Grecs schismatiques aussi bien qu'aux pays musulmans. Elle couronnait les institutions fộodales de l'aurộole d'une consộcration divine. Elle avait organisộ sa propre hiộrarchie sur le modốle fộodal et elle avait fini par devenir le seigneur fộodal de loin le plus puissant, propriộtaire d'un bon tiers au moins des terres du monde catholique. Avant que le fộodalisme profane pỷt ờtre attaquộ dans chaque pays avec succốs et par le menu, il fallait que son organisation centrale sacrộe fỷt dộtruite.

    De plus, parallốlement la montộe de la bourgeoisie, se produisit le grand essor de la science; de nouveau on cultivait l'astronomie, la mộcanique, la physique, l'anatomie et la physiologie. Et la bourgeoisie avait besoin, pour le dộveloppement de sa production industrielle, d'une science qui ộtablợt les propriộtộs physiques des objets naturels et les modes d'action des forces de la nature. Or jusque-l, la science n'avait ộtộ que l'humble servante de l'ẫglise, qui ne lui avait jamais permis de franchir les limites posộes par la foi; c'est la raison pour laquelle elle ộtait tout, sauf une science. Elle s'insurgea contre l'ẫglise; la bourgeoisie, ne pouvant se passer de la science, fut donc contrainte de se joindre au mouvement de rộvolte.

    Ces remarques, bien qu'intộressant seulement deux des points oự la bourgeoisie montante devait fatalement entrer en collision avec la religion ộtablie, suffisent pour dộmontrer, d'abord que la classe la plus directement intộressộe dans la lutte contre les prộtentions de l'ẫglise catholique ộtait la bourgeoisie, et ensuite que toute lutte contre le fộodalisme devait l'ộpoque revờtir un dộguisement religieux et ờtre dirigộe en premier lieu contre l'ẫglise. Mais si les Universitộs et les marchands des villes lancốrent le cri de guerre, il ộtait certain qu'il trouverait<et il trouva en effet<un puissant ộcho dans les masses populaires des campagnes, chez les paysans, qui partout devaient durement lutter pour leur existence mờme contre leurs seigneurs fộodaux, tant spirituels que temporels.

    La longue lutte de la bourgeoisie contre le fộodalisme atteignit son point culminant dans trois grandes batailles dộcisives.

    La premiốre fut ce qu'on appelle la Rộforme protestante en Allemagne. Au cri de guerre de Luther contre l'ẫglise, deux insurrections politiques rộpondirent: d'abord l'insurrection de la petite noblesse dirigộe par Franz de Sickingen (1523) puis la grande guerre des Paysans (1525). Toutes les deux furent vaincues, surtout cause de l'indộcision des bourgeois des villes, qui y ộtaient cependant les plus intộressộs; nous ne pouvons examiner ici les causes de cette indộcision. Dốs ce moment, la lutte dộgộnộra en une querelle entre les princes locaux et le pouvoir central, et elle eut pour consộquence de rayer pour deux siốcles l'Allemagne du nombre des nations europộennes jouant un rụle politique. La rộforme luthộrienne enfanta certes un nouveau credo, mais une religion adaptộe aux besoins de la monarchie absolue. Les paysans allemands du Nord- Est ne s'ộtaient pas plutụt convertis au luthộranisme, que d'hommes libres ils furent ramenộs au rang de serfs.

    Mais l oự Luther ộchoua, Calvin remporta la victoire. Le dogme calviniste convenait particuliốrement bien aux ộlộments les plus hardis de la bourgeoisie de l'ộpoque. Sa doctrine de la prộdestination ộtait l'expression religieuse du fait que, dans le monde commercial de la concurrence, le succốs et l'insuccốs ne dộpendent ni de l'activitộ, ni de l'habiletộ de l'homme, mais de circonstances ộchappant son contrụle. Succốs ou insuccốs ne sont pas ceux de qui veut ou de qui dirige: ils tiennent la grõce de puissances ộconomiques supộrieures l'individu et inconnues de lui. Cela ộtait particuliốrement vrai une ộpoque de rộvolution ộconomique, alors que de nouveaux centres commerciaux et de nouvelles routes de commerce remplaỗaient tous les anciens, que les Indes et l'Amộrique ộtaient ouvertes au monde, et que les articles de foi ộconomiques les plus respectables la valeur de l'or et de l'argent<commenỗaient chanceler et s'ộcrouler. De plus la constitution de l'ẫglise de Calvin ộtait absolument dộmocratique et rộpublicaine, et l oự le royaume de Dieu ộtait rộpublicains, les royaumes de ce monde pouvaient-ils rester sous la domination de monarques, d'ộvờques et de seigneurs fộodaux ? Tandis que le luthộranisme allemand devenait un instrument docile entre les mains des princes, le calvinisme fonda une Rộpublique en Hollande et d'actifs partis rộpublicains en Angleterre et, surtout, en ẫcosse.

    Le deuxiốme grand soulốvement de la bourgeoisie trouva dans le calvinisme une doctrine toute prờte. Ce soulốvement eut lieu en Angleterre. La bourgeoisie des villes mit le mouvement en train, et la yeomanry des campagnes le fit triompher. Il est assez curieux que, dans les trois grandes rộvolutions de la bourgeoisie, la paysannerie fournisse les armộes pour soutenir le combat et qu'elle soit prộcisộment la classe qui, la victoire acquise, doive ờtre le plus sỷrement ruinộe par ses consộquences ộconomiques. Un siốcle aprốs Cromwell, la yeomanry avait pratiquement disparu. Cependant sans cette yeomanry et sans l'ộlộment plộbộien des villes, jamais la bourgeoisie livrộe ses propres forces n'aurait pu continuer la lutte jusqu'au bout et n'aurait pu faire monter Charles Ire sur l'ộchafaud. Pour que la bourgeoisie pỷt consolider jusqu' ces conquờtes qui ộtaient alors portộe de sa main, il fallut que la rộvolution dộpassõt de beaucoup le but qui lui ộtait assignộ exactement comme en France en 1793 et en Allemagne en 1848. Il semble que ce soit l une des lois de l'ộvolution de la sociộtộ bourgeoise.

    Quoi qu'il en soit, cet excốs d'activitộ rộvolutionnaire fut nộcessairement suivi en Angleterre par l'inộvitable rộaction, qui, son tour, dộpassa le point oự elle aurait pu s'arrờter. Aprốs une sộrie d'oscillations, le nouveau centre de gravitộ finit par ờtre atteint et il devint un nouveau point de dộpart. La grande pộriode de l'histoire anglaise, que la ô respectabilitộ ằ nomme la grande rộbellion ằ, et les luttes qui suivirent parvinrent leur achốvement avec cet ộvộnement relativement insignifiant de 1689 que les historiens libộraux appellent ô la glorieuse rộvolution ằ.

    Le nouveau point de dộpart fut un compromis entre la bourgeoisie montante et les ci-devant propriộtaires fộodaux. Ces derniers, bien que nommộs alors comme aujourd'hui l'aristocratie, ộtaient depuis longtemps en train de devenir ce que Louis-Philippe ne devint que beaucoup plus tard: ô le premier bourgeois du royaume ằ. Heureusement pour l'Angleterre, les vieux barons fộodaux s'ộtaient entre-tuộs durant la guerre des Deux-Roses. Leurs successeurs, quoique issus pour la plupart des mờmes vieilles familles, provenaient cependant de branches collatộrales si ộloignộes qu'ils constituốrent un corps tout fait nouveau; leurs habitudes et leurs goỷts ộtaient plus bourgeois que fộodaux; ils connaissaient parfaitement la valeur de l'argent et ils se mirent immộdiatement augmenter leurs rentes fonciốres, en expulsant des centaines de petits fermiers qu'ils remplaỗaient par des moutons. Henry VIII, en dissipant en donations et prodigalitộs les terres de l'ẫglise crộa une lộgion de nouveaux propriộtaires fonciers bourgeois: les innombrables confiscations de grands domaines puis leur octroi des demi ou de parfaits parvenus par le biais de concessions, qui furent renouvelộes pendant tout le XVIIe siốcle, aboutirent au mờme rộsultat. C'est pourquoi partir de Henry VII, l' ô aristocratie ằ anglaise, loin de contrecarrer le dộveloppement de la production industrielle, avait au contraire cherchộ en bộnộficier indirectement; et de mờme il s'ộtait toujours trouvộ une fraction de grands propriộtaires fonciers disposộs, pour des raisons ộconomiques et politiques, coopộrer avec les dirigeants de la bourgeoisie industrielle et financiốre. Le compromis de 1689 se rộalisa donc aisộment. Les dộpouilles politiques -- postes, sinộcures, gros traitements, furent abandonnộes aux grandes familles de la noblesse terrienne, sans que, pour autant, on nộgligeõt le moins du monde les intộrờts ộconomiques de la bourgeoisie commerỗante, industrielle et financiốre. Et ces intộrờts ộconomiques ộtaient dộj l'ộpoque suffisamment puissants pour dộterminer la politique gộnộrale de la nation. Il pouvait bien y avoir des querelles sur les questions de dộtail, mais, dans l ensemble, l'oligarchie aristocratique ne savait que trop bien que sa prospộritộ ộconomique ộtait irrộvocablement liộe ự celle de la bourgeoisie industrielle et commerỗante.

    Dốs lors la bourgeoisie fut une partie intộgrante, modeste certes, mais reconnue comme telle, des classes dirigeantes de l'Angleterre. Avec toutes les autres, elle avait un intộrờt commun au maintien de la sujộtion de la grande masse ouvriốre de la nation. Le marchand ou le manufacturier lui-mờme occupait la position de maợtre ou, comme on disait jusqu' ces derniers temps, de ô supộrieur naturel ằ envers ses ouvriers, commis et domestiques. Son intộrờt lui commandait de leur soutirer autant de bon travail que possible; pour cela il devait les former la soumission convenable. Il ộtait lui-mờme religieux, la religion lui avait fourni le drapeau sous lequel il avait combattu le roi et les seigneurs; il ne fut pas long dộcouvrir les avantages que l'on pouvait tirer de cette mờme religion pour agir sur l'esprit de ses infộrieurs naturels et pour les rendre dociles aux ordres des maợtres qu'il avait plu Dieu de placer au- dessus d'eux. Bref, la bourgeoisie anglaise avait dộsormais prendre sa part dans l'oppression des ô classes infộrieures ằ, de la grande masse productrice de la nation, et un de ses instruments d'oppression fut l'influence de la religion.

    Un autre fait contribua renforcer les penchants religieux de la bourgeoisie: la montộe du matộrialisme en Angleterre. Cette nouvelle doctrine non seulement scandalisait les dộvots de la bourgeoisie, mais elle s'annonỗait comme une philosophie qui ne convenait qu'aux lettrộs et aux gens du monde cultivộs, par opposition la religion qui ộtait tout juste bonne pour la grande masse inculte, y compris la bourgeoisie. Avec Hobbes, le matộrialisme apparut sur la scốne, comme dộfenseur de l'omnipotence et des prộrogatives royales; il faisait appel la monarchie absolue pour maintenir sous le joug ce puer robustus sed malitiosus qu'ộtait le peuple. Il en fut de mờme avec les successeurs de Hobbes, avec Bolingbroke, Shaftesbury, etc.; la nouvelle forme dộiste du matộrialisme demeura une doctrine aristocratique, ộsotộrique et par consộquent odieuse la bourgeoisie et par son hộrộsie religieuse, et par ses associations politiques anti-bourgeoises. Par consộquent, en opposition ce matộrialisme et ce dộisme aristocratiques, les sectes protestantes qui avaient fourni son drapeau et ses combattants la guerre contre les Stuarts, continuốrent constituer la force principale dộ la classe moyenne progressive et forment aujourd'hui encore l'ộpine dorsale du ô grand Parti libộral ằ.

    Cependant, le matộrialisme passait d'Angleterre en France oự il rencontra une autre ộcole philosophique matộrialiste, issue du cartộsianisme, avec laquelle il se fon***. Tout d'abord, il demeura en France aussi une doctrine exclusivement aristocratique; mais son caractốre rộvolutionnaire ne tarda pas s'affirmer. Les matộrialistes franỗais ne limitốrent pas leurs critiques aux seules questions religieuses, ils s'attaquốrent toutes les tra***ions scientifiques ou institutions politiques qu'ils rencontraient; et afin de prouver que leur doctrine pouvait avoir une application universelle, ils prirent au plus court et l'appliquốrent hardiment tous les objets du savoir dans l'oeuvre gigantesque qui leur valut leur nom l'Encyclopộdie. Ainsi sous l'une ou l'autre de ses deux formes matộrialisme dộclarộ ou dộisme ce matộrialisme devint la profession de foi de toute la jeunesse cultivộe de France, tel point que lorsque la Rộvolution ộclata, la doctrine philosophique, mise au monde en Angleterre par les royalistes, donna leur ộtendard thộorique aux rộpublicains et aux terroristes franỗais, et fournit le texte de la Dộclaration des droits de l'homme.

    La Rộvolution franỗaise fut le troisiốme soulốvement de la bourgeoisie; mais elle fut le premier qui rejeta totalement l'accoutrement religieux et livra toutes ses batailles sur le terrain ouvertement politique; elle fut aussi le premier qui poussa la lutte jusqu' l'anộantissement de l'un des combattants, l'aristocratie, et jusqu'au complet triomphe de l'autre, la bourgeoisie. En Angleterre, la continuitộ des institutions prộ rộvolutionnaires et post rộvolutionnaires et le compromis entre les grands propriộtaires fonciers et les capitalistes trouvốrent leur expression dans la continuitộ des prộcộdents juridiques et dans le maintien religieux des formes fộodales de la loi. La Rộvolution franỗaise opộra une rupture complốte avec les tra***ions du passộ, elle balaya les derniers vestiges du fộodalisme et crộa, avec le Code civil, une magistrale adaptation de l'ancien droit romain aux con***ions du capitalisme moderne; il est l'expression presque parfaite des relations juridiques correspondant au stade de dộveloppement ộconomique que Marx appelle la production marchande; si magistrale, que ce code de la France rộvolutionnaire sert aujourd'hui encore de modốle pour la rộforme du droit de propriộtộ dans tous les pays, sans en excepter l'Angleterre. N'oublions pas cependant que si la loi anglaise continue exprimer les relations ộconomiques de la sociộtộ capitaliste dans cette langue barbare de la fộodalitộ, qui correspond la chose exprimer exactement comme l'orthographe anglaise correspond la prononciation anglaise, -< Vous ộcrivez Londres et vous prononcez Constantinople, disait un Franỗais -< cette mờme loi anglaise est aussi la seule qui ait conservộ intacte et transmis l'Amộrique et aux colonies la meilleure part de cette libertộ personnelle, de cette autonomie locale et de cette indộpendance l'ộgard de toute intervention, celle des cours de justice exceptộe, bref de ces vieilles libertộs germaniques qui sur le continent ont ộtộ perdues pendant l'ộpoque de la monarchie absolue et n'ont encore ộtộ pleinement reconquises nulle part.

    Mais revenons notre bourgeois anglais. La Rộvolution franỗaise lui procura une splendide occasion de dộtruire, avec le concours des monarchies continentales, le commerce maritime franỗais, d'annexer des colonies franỗaises et d'ộcraser les derniốres prộtentions de la France la rivalitộ sur mer. C'est une des raisons pour lesquelles il combattit la Rộvolution. L'autre ộtait que les mộthodes de cette Rộvolution lui ộtaient profondộment dộplaisantes. Non seulement son ô exộcrable ằ terrorisme, mais mờme sa tentative de pousser jusqu'au bout la domination bourgeoise. Que deviendrait le bourgeois sans son aristocratie, qui lui enseignait les belles maniốres (pour vilaines qu'elles fussent), qui inventait pour lui ses modes, qui fournissait des officiers l'armộe, pour le maintien de l'ordre l'intộrieur, et la flotte, pour la conquờte de nouvelles colonies et de nouveaux marchộs ? Il est vrai qu'il y avait une minoritộ progressive de la bourgeoisie, dont les intộrờts n'ộtaient pas tellement bien servis avec ce compromis; cette fraction, recrutộe principalement dans la classe moyenne la moins riche, sympathisa avec la Rộvolution, mais elle ộtait impuissante au Parlement.

    Ainsi, tandis que le matộrialisme devenait le credo de la Rộvolution franỗaise, le bourgeois anglais, vivant dans la crainte du Seigneur, resta d'autant plus fermement attachộ sa religion. Le rốgne de la Terreur Paris n'avait-il pas montrộ quoi on en arriverait si les instincts religieux des masses se perdaient ? Plus le matộrialisme se propageait de la France aux pays voisins, renforcộ par des courants thộoriques similaires, en particulier par la philosophie allemande, plus le matộrialisme et la libre-pensộe en gộnộral devenaient, sur le continent, les qualitộs requises de tout homme cultivộ, et plus opiniõtrement la classe moyenne d'Angleterre se cramponnait ses multiples confessions religieuses. Ces confessions pouvaient diffộrer les unes des autres, mais toutes ộtaient rộsolument religieuses et chrộtiennes.

    Tandis que la Rộvolution assurait en France le triomphe politique de la bourgeoisie, en Angleterre Watt, ArkWright, Cartwright et d'autres amorỗaient une rộvolution industrielle qui dộplaỗa totalement le centre de gravitộ de la puissance ộconomique. La richesse de la bourgeoisie gran*** une vitesse considộrablement plus rapide que celle de l'aristocratie fonciốre. Au sein de la bourgeoisie elle-mờme, l'aristocratie financiốre, les banquiers, etc., furent relộguộs au second plan par les manufacturiers. Le compromis de 1689, mờme aprốs les changements graduels qu'il avait subis l'avantage de la bourgeoisie, ne correspondait plus aux positions relatives des parties contractantes. Le caractốre de ces parties s'ộtait ộgalement modifiộ; la bourgeoisie de 1830 diffộrait grandement de celle du siốcle prộcộdent. Le pouvoir politique, demeurộ entre les mains de l'aristocratie, qui l'employait pour rộsister aux prộtentions de la nouvelle bourgeoisie industrielle, devint incompatible avec les nouveaux intộrờts ộconomiques. Une lutte nouvelle contre l'aristocratie s'imposait, qui ne pouvait se terminer que par la victoire de la nouvelle puissance ộconomique. D'abord, sous l'impulsion imprimộe par la rộvolution franỗaise de 1830, le _Reform act_ passa en dộpit de toutes les oppositions. Il donna la bourgeoisie un position puissante et reconnue dans le Parlement. Puis l'abrogation des lois sur les cộrộales assura jamais la suprộmatie de la bourgeoisie sur l'aristocratie fonciốre, principalement de sa fraction la plus active, les manufacturiers. C'ộtait la plus grande victoire de la bourgeoisie; mais ce fut aussi la derniốre qu'elle remporta pour son profit exclusif. Tous ses autres triomphes, par la suite, elle dut en partager les bộnộfices avec une nouvelle puissance sociale, d'abord son alliộe, mais bientụt sa rivale.

    La rộvolution industrielle avait donnộ naissance a une classe de grands capitalistes industriels mais aussi une classe d'ouvriers d'industrie -- bien plus nombreuse encore. Cette classe gran*** en nombre au fur et mesure que la rộvolution industrielle mettait la main sur de nouvelles tranches d'industries, et sa puissance gran*** en proportion. Cette puissance, elle la fit sentir, dốs 1824, en obligeant un Parlement rộcalcitrant abroger les lois interdisant les coalitions ouvriốres. Pendant l'agitation pour le Reform Act, les ouvriers constituốrent l'aile radicale du parti de la rộforme: la loi de 1832 les ayant exclus du droit de vote, ils formulốrent leurs revendications dans la Charte du peuple et s'organisốrent, en opposition au grand parti bourgeois rộclamant l'abrogation des lois sur les cộrộales, en un parti indộpendant, le Parti chartiste, le premier parti ouvrier des temps modernes.

    Alors ộclatốrent les rộvolutions continentales de fộvrier mars 1848, dans lesquelles le peuple ouvrier joua un rụle si prộpondộrant et formula, du moins Paris, des revendications qui, coup sỷr, ộtaient inadmissibles du point de vue de la sociộtộ capitaliste. Et ce fut ensuite la rộaction gộnộrale. D'abord la dộfaite des chartistes, le 10 avril 1848; puis l'ộcrasement de l'insurrection des ouvriers parisiens, en juin; puis les dộfaites de 1849 en Italie, en Hongrie, dans l'Allemagne du Sud, et finalement la victoire de Louis Bonaparte sur Paris, le 2 dộcembre 1851. Pour un temps au moins, l'ộpouvantail des revendications ouvriốres ộtait chassộ, mais quel prix ! Si le bourgeois anglais ộtait dộj convaincu de la nộcessitộ de maintenir les gens du peuple dans une humeur religieuse, combien plus impộrieusement cette nộcessitộ doit s'imposer lui aprốs toutes ces expộriences ! Sans se soucier des sarcasmes de ses compốres continentaux, il continua dộpenser bon an mal an des milliers et des dizaines de milliers de livres pour l'ộvangộlisation des classes infộrieures; comme si sa propre machine religieuse n'y suffisait, il fit appel Frốre Jonathan, le plus grand organisateur l'ộpoque de l'entreprise religieuse, importa d'Amộrique le revivalisme, Moody et Sankey et consorts, et finalement il accepta l'aide dangereuse de l'Armộe du Salut, qui fait revivre la propagande du christianisme primitif, s'adresse aux pauvres comme des ộlus, combat le capitalisme d'une maniốre religieuse et entretient ainsi un ộlộment d'antagonisme de classe propre au christianisme primitif, susceptible de devenir un jour gờnant pour les gens aisộs qui sont aujourd'hui ses bailleurs de fonds consentants.

    Il semble que ce soit une loi du dộveloppement historique, que la bourgeoisie ne puisse, en aucun pays d'Europe, s'emparer du pouvoir politique -< du moins pour une pộriode assez longue la maniốre exclusive dont l'aristocratie fộodale l'a conservộ au moyen õge. Mờme en France, oự la fộodalitộ fut complốtement extirpộe, la bourgeoisie dans sa totalitộ n'a dộtenu pleinement le pouvoir que pendant les pộriodes trốs courtes. Pendant le rốgne de Louis-Philippe (1830<1848), une trốs petite fraction de la bourgeoisie gouverna le royaume, la fraction la plus nombreuse ộtant exclue du suffrage par un cens trốs ộlevộ. Sous la deuxiốme Rộpublique (1848<1851), la bourgeoisie tout entiốre rộgna, mais trois ans seulement; son incapacitộ fraya la roule l'Empire. C'est seulement maintenant sous la troisiốme Rộpublique que la bourgeoisie, en son entier, a conservộ le pouvoir pendant plus de vingt ans; elle donne dộj les signes rộconfortants de dộcadence. Un rốgne durable de la bourgeoisie n'a ộtộ possible que dans des pays comme l'Amộrique, oự il n'y avait pas de fộodalitộ et oự, d'emblộe, la sociộtộ est partie d'une base bourgeoise. Cependant en Amộrique, comme en France, les successeurs de la bourgeoisie, les ouvriers, frappent dộj la porte.

    En Angleterre la bourgeoisie ne possộda jamais le pouvoir sans partage. Mờme la victoire de 1832 laissa l'aristocratie fonciốre la possession presque exclusive de toutes les hautes fonctions gouvernementales. La mansuộtude avec laquelle la riche classe moyenne acceptait cette situation demeura pour moi incomprộhensible, jusqu' ce que j'eusse entendu dans un discours public le grand industriel libộral, M. W. A. Forster, supplier les jeunes gens de Bradford d'apprendre le franỗais pour faire leur chemin dans le monde; il citait sa propre expộrience et racontait qu'il s'ộtait senti tout penaud, quand, en sa qualitộ de ministre, il dut frộquenter une sociộtộ oự le franỗais ộtait au moins aussi nộcessaire que l'anglais. De fait, les bourgeois anglais ộtaient en rốgle gộnộrale cette ộpoque des parvenus absolument sans culture, et ne pouvaient faire autrement que d'abandonner bon grộ mal grộ l'aristocratie ces postes ộlevộs du gouvernement, qui exigeaient d'autres qualitộs qu'une ộtroitesse insulaire et une suffisance insulaire, ộpicộes de roublardise commerciale. Mờme aujourd'hui les dộbats interminables de la presse sur l'ộducation bourgeoise dộmontrent que la classe moyenne anglaise ne se croit pas encore assez bonne pour une ộducation supộrieure et ambitionne quelque chose de plus modeste Ainsi, mờme aprốs l'abrogation des lois sur les cộrộales, on considộra comme tout naturel, que les hommes qui avaient remportộ la victoire, les Cobden, les Bright, les Forster, etc., fussent exclus de toute participation au gouvernement officiel du pays, jusqu' ce qu'enfin, vingt ans aprốs, un nouveau Reform act leur ouvrợt les portes du ministốre La bourgeoisie anglaise est encore aujourd'hui si pộnộtrộe du sentiment de son infộrioritộ sociale qu'elle entretient ses propres frais et ceux de la nation une classe de parasites dộcoratifs pour reprộsenter dignement la nation dans toutes les circonstances solennelles, et qu'elle s'estime fort honorộe quand un de ses membres est jugộ assez digne pour ờtre admis dans ce corps choisi et privilộgiộ, fabriquộ aprốs tout par elle-mờme.

    La classe moyenne industrielle et commerciale n'ộtait donc pas encore parvenue ộliminer complốtement l'aristocratie fonciốre du pouvoir politique, quand un nouveau rival, la classe ouvriốre, entra en scốne. La rộaction qui suivit le mouvement chartiste et les rộvolutions continentales, aussi bien que le dộveloppement sans prộcộdent du commerce anglais de 1848 1866 (communộment attribuộ au seul libre -- ộchange, mais dỷ bien davantage au colossal dộveloppement des chemins de fer, de la navigation vapeur et des moyens de communication en gộnộral) avaient une fois encore fait passer la classe ouvriốre sous la dộpendance du Parti libộral, dont elle avait formộ dans les temps prộ chartistes l'aile radicale. Nộanmoins, la revendication du droit de vote pour les ouvriers devint peu peu irrộsistible; tandis que les dirigeants whigs du Parti libộral ô avaient la frousse ằ, Disraeli montra sa supộrioritộ en amenant les tories saisir le moment favorable et introduire une extension du droit de vote tous ceux qui rộsidaient dans des villes en mờme temps qu'un remaniement des circonscriptions ộlectorales. Puis vint le scrutin secret et, en 1884, l'extension du droit de vote tous ceux qui rộsidaient la campagne en mờme temps qu'un nouveau remaniement des circonscriptions ộlectorales tendant les rendre peu prốs ộgales. Toutes ces mesures augmentốrent considộrablement la puissance ộlectorale de la classe ouvriốre, au point que dans au moins 150 200 circonscriptions ộlectorales, les ouvriers forment maintenant la majoritộ des ộlecteurs. Mais le parlementarisme est une excellente ộcole -< oh combien ! -< pour enseigner le respect de la tra***ion; si la bourgeoisie regarde avec crainte et respect ce que lord Manners a appelộ plaisamment ô notre vieille noblesse ằ, la masse des ouvriers regardaient alors avec respect et dộfộrence ceux qu'on avait coutume de dộsigner comme ô leurs supộrieurs ằ, la bourgeoisie. A coup sỷr l'ouvrier anglais ộtait, il y a une quinzaine d'annộes, l'ouvrier modốle, dont l'estime respectueuse pour la situation de son maợtre et la rộserve qu'il s'imposait pour rộclamer ses droits consolaient nos ộconomistes allemands appartenant l'ộcole des socialistes de la chaire des incurables tendances communistes et rộvolutionnaires du prolộtariat de leur propre nation.

    Mais les bourgeois anglais, qui ộtaient de bons hommes d'affaires et le sont encore, virent plus loin que les professeurs allemands. Ce n'est qu' contrecoeur qu'ils avaient partagộ leur pouvoir avec la classe ouvriốre. Ils avaient appris ự l'ộpoque du chartisme de quoi ộtait capable le peuple, ce puer robustus sed malitiosus; et depuis ils avaient ộtộ contraints d'accepter la plus grande partie de la charte du peuple et de l'incorporer dans la Constitution de la Grande- Bretagne. Maintenant, plus que jamais, le peuple doit ờtre tenu en bride par des moyens moraux, et le premier et le principal moyen d'action sur les masses est et reste encore. . la religion. De l cette prộsence majoritaire d'ecclộsiastiques au sein des commissions chargộes d'administrer les ộcoles, de l ces dộpenses sans cesse grandissantes que la bourgeoisie s'impose pour encourager toutes les espốces de revivalisme, depuis le ritualisme jusqu' l'Armộe du Salut.

    Et c'est alors qu'ộclata le triomphe de la respectabilitộ britannique sur la libre pensộe et le relõchement religieux du bourgeois continental. Les ouvriers de France et d'Allemagne ộtaient devenus des rộvoltộs. Ils ộtaient complốtement contaminộs par le socialisme; et pour de bonnes raisons ils n'ộtaient pas du tout regardants quant la lộgalitộ des moyens permettant de conquộrir le pouvoir. Le puer robustus ộtait devenu de jour en jour plus malitiosus. Il ne restait qu'une ressource aux bourgeoisies franỗaise et allemande: laisser tomber discrốtement leur libre pensộe, ainsi que le jeune homme, l'heure oự il sent venir le mal de mer, jette l'eau le cigare avec lequel il se pavanait en s'embarquant: l'un aprốs l'autre, les esprits forts adoptốrent les dehors de la piộtộ, parlốrent avec respect de l'ẫglise, de ses dogmes et de ses rites et en observốrent eux-mờmes le minimum qu'il ộtait impossible d'ộviter. La bourgeoisie franỗaise fit maigre le vendredi et les bourgeois allemands ộcoutốrent religieusement leurs bancs d'ộglise le dimanche les interminables sermons protestants. Ils s'ộtaient fourvoyộs s avec leur matộrialisme. ô Die Religion muss dem Volk erhalten werden ằ -- il faut conserver la religion pour le peuple, <- c'ộtait le seul moyen qui restait de sauver la sociộtộ de la ruine totale. Malheureusement pour eux. ils ne firent cette dộcouverte qu'aprốs avoir travaillộ de leur mieux dộtruire la religion pour toujours. Et, maintenant, c'ộtait au bourgeois britannique de ricaner et de s'ộcrier: ô Imbộciles ! Il y a deux siốcles que j'aurais pu vous dire cela ! ằ

    Cependant, je crains que ni la religieuse stupi***ộ du bourgeois anglais, ni la conversion aprốs coup du bourgeois du continent ne puissent opposer une digue la marộe montante du prolộtariat. La tra***ion est une grande force retardatrice, elle est la force d'inertie de l'histoire mais comme elle est simplement passive, elle est .sỷre d'ờtre brisộe; la religion ne sera pas non plus une sauvegarde durable pour la sociộtộ capitaliste. Si nos idộes juridiques philosophiques et religieuses sont les rejetons plus ou moins ộloignộs des rapports ộconomiques rộgnant dans une sociộtộ donnộe, ces idộes ne peuvent pas rộsister la longue a un changement complet de ces rapports. Et moins de croire une rộvộlation surnaturelle. nous devons admettre qu'aucune doctrine religieuse ne suffira jamais ộtayer une sociộtộ qui chancelle.

    De fait, mờme en Angleterre, la classe ouvriốre a recommencộ se mettre en mouvement. Elle est sans doute entravộe par des tra***ions de toute sorte. Tra***ions bourgeoises: telle cette croyance si rộpandue qu'il ne peut y avoir que deux partis, les conservateurs et les libộraux, et que la classe ouvriốre doit conquộrir son ộmancipation l'aide du grand Parti libộral. Tra***ions ouvriốres, hộritộes des premiốres et timides tentatives d'action indộpendante: tel le refus de tant de vieux syndicats d'admettre en leur sein tous ceux qui n'ont pas accompli un apprentissage rộglementaire, ce qui aboutit la crộation par chacune de ces trade-unions de ses propres briseurs de grốve. Malgrộ tout, la classe ouvriốre est en mouvement; mờme le professeur Brentano a ộtộ dans la pộnible obligation d'en informer ses confrốres du ô socialisme de la chaire ằ. Elle se meut, comme toute chose en Angleterre, d'un pas lent et mesurộ, ici avec hộsitation, l avec des tentatives timides, plus ou moins infructueuses; elle se. meut de temps en temps avec un excốs de mộfiance du mot socialisme, tandis qu'elle en absorbe peu peu la substance, et le mouvement s'ộtend et s'empare des couches ouvriốres, l'une aprốs l'autre. Il a dộj secouộ de leur torpeur les manoeuvres de l'East-End de Londres et, tous, nous avons vu quelle ộnergique impulsion ces nouvelles forces lui ont leur tour imprimộe. Si la marche du mouvement est trop lente au grộ des impatiences de tel ou tel, qu'ils n'oublient pas que c'est la classe ouvriốre qui maintient vivantes les plus belles qualitộs du caractốre anglais, et quand un terrain est conquis en Angleterre, il n'est d'ordinaire jamais reperdu. Si, pour les raisons ***es plus haut, les fils des vieux Chartistes n'ont pas ộtộ la hauteur de la situation, les petits-fils promettent d'ờtre dignes de leurs ancờtres.

    Mais le triomphe de la classe ouvriốre europộenne ne dộpend pas seulement de l'Angleterre: il ne pourra ờtre obtenu que par la coopộration au moins de l'Angleterre, de la France et de l'Allemagne. Dans ces deux derniers pays, le mouvement ouvrier est bien en avant de celui de l'Angleterre. En Allemagne, on peut dộj mesurer la distance qui le sộpare du succốs: ses progrốs, depuis vingt-cinq ans, sont sans prộcộdents; il avance avec une vitesse toujours croissante. Si la bourgeoisie allemande s'est montrộe lamentablement dộpourvue de capacitộs politiques, de discipline, de courage, d'ộnergie et de persộvộrance, la classe ouvriốre allemande a donne de nombreuses preuves de toutes ces qualitộs. Il y a prốs de quatre siốcles, l'Allemagne fut le point de dộpart du premier soulốvement de la bourgeoisie europộenne; au point oự en sont les choses, serait- il impossible que l'Allemagne soit encore le thộõtre de la premiốre grande victoire du prolộtariat europộen?

    Londres, 20 avril 1892. F. ENGELS.
  2. Angelique

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    Socialisme utopique et socialisme scientifique
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    --- I ---
    Par son contenu, le socialisme moderne est, avant tout, le produit de la vue immộdiate, d'une part, des oppositions de classes qui rốgnent dans la sociộtộ moderne entre possộdants et non possộdants, bourgeois et salariộs, d'autre part, de l'anarchie qui rốgne dans la production. Mais, par sa forme thộorique, il apparaợt au dộbut comme une poursuite plus avant et qui se veut plus consộquente, des principes ộtablis par les grands philosophes des lumiốres dans la France du XVIIIe siốcle. Comme toute thộorie nouvelle, il a dỷ d'abord se rattacher au fonds d'idộes prộexistant si profondộment que ses racines plongent dans les faits ộconomiques.
    Les grands hommes qui, en France, ont ộclairộ les esprits pour la rộvolution qui venait, faisaient eux mờmes figure de rộvolutionnaires au plus haut degrộ. Ils ne reconnaissaient aucune autoritộ extộrieure, de quelque genre qu'elle fỷt. Religion, conception de la nature, sociộtộ, rộgime politique, tout fut soumis ? la critique la plus impitoyable; tout dut justifier son existence devant le tribunal de la raison ou renoncer ? l'existence. La raison pensante fut le seul et unique critốre appliquộ ? toute chose. Ce fut le temps, oự, comme *** Hegel, le monde ộtait mis sur sa tờte, en premier lieu dans ce sens que le cerveau humain et les principes dộcouverts par sa pensộe prộtendaient servir de base ? toute action et ? toute association humaines, et, plus tard, en ce sens plus large, que la rộalitộ en contradiction avec ces principes fut bouleversộe en fait de fond en comble. Toutes les formes antộrieures de sociộtộ et d'ẫtat, toutes les vieilles idộes tra***ionnelles furent dộclarộes dộraisonnables et jetộes au rebut; le monde ne s'ộtait jusque l? laissộ conduire que par des prộjugộs; tout ce qui appartenait au passộ ne mộritait que pitiộ et mộpris. Enfin se levait le jour, le rốgne de la raison; dộsormais, la superstition, l'injustice, le privilốge et l'oppression devaient ờtre dộtrụnộs par la vộritộ ộternelle, la justice ộternelle, l'ộgalitộ fondộe sur la nature, et les droits inaliộnables de l'homme.
    Nous savons aujourd'hui que ce rốgne de la raison n'ộtait rien d autre que le rốgne idộalise de la bourgeoisie; que la justice ộternelle trouva sa rộalisation dans la justice bourgeoise; que l'ộgalitộ aboutit ? l'ộgalitộ bourgeoise devant la loi; que l'on proclama comme l'un des droits essentiels de l'homme ... La propriộtộ bourgeoise; et que l'ẩtat rationnel, le contrat social de Rousseau ne vint au monde, et ne pouvait venir au monde. que sous la forme d'une Rộpublique dộmocratique bourgeoise. Pas plus qu'aucun de leurs prộdộcesseurs, les grands penseurs du XIIIe siốcle ne pouvaient transgresser les barriốres que leur propre ộpoque leur avait fixộes.
    Mais, ? cụtộ de l'opposition entre la noblesse fộodale et la bourgeoisie qui se donnait pour le reprộsentant de tout le reste de la sociộtộ, existait l'opposition universelle contre exploiteurs et exploitộs, riches oisifs et pauvres laborieux. Et c'est justement celle circonstance qui permit aux reprộsentants de la bourgeoisie de se poser en reprộsentants non pas d'une classe particuliốre, mais de toute l'humanitộ souffrante. Il y a plus. Dốs sa naissance, la bourgeoisie ộtait grevộe de son contraire: les capitalistes ne peuvent pas exister sans salariộs et ? mesure que le bourgeois des corporations du moyen õge devenait le bourgeois moderne, dans la mờme mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenaient le prolộtaire. Et mờme si. dans l'ensemble, la bourgeoisie pouvait prộtendre reprộsenter ộgalement, dans la lutte contre la noblesse, les intộrờts des diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, ? chaque grand mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indộpendants de la classe qui ộtait la devanciốre plus ou moins dộveloppộe du prolộtariat moderne. Ainsi, au temps de la Rộforme et de la guerre des Paysans en Allemagne, les anabaptistes et Thomas Mỹnzer; dans la grande Rộvolution anglaise, les niveleurs; dans la Rộvolution franỗaise, Babeuf. A ces levộes de boucliers rộvolutionnaires d'une classe encore embryonnaire, correspondaient des manifestations thộoriques; au XVIe et au XVIIe siốcle, des peintures utopiques d'une sociộtộ idộale; au XIIIe, des thộories dộj? franchement communistes (Morelly et Mably). La revendication de l'ộgalitộ ne se limitait plus aux droits politiques, elle devait s'ộtendre aussi ? la situation sociale des individus; ce n'ộtaient plus seulement les privilốges de classes qu'on devait supprimer, mais les diffộrences de classes elles mờmes. Le premier visage de la nouvelle doctrine fut ainsi un communisme aseptique se rattachant ? Sparte, interdisant toute joie de l'existence. Puis vinrent les trois grands utopistes: Saint-Simon, chez qui la tendance bourgeoise garde encore un certain poids ? cụtộ de l'orientation prolộtarienne; Fourier et Owen: ce dernier, dans le pays de la production capitaliste la plus ộvoluộe et sous l'impression des contradictions qu'elle engendre, dộveloppa systộmatiquement ses propositions d'abolition des diffộrences de classes, en se rattachant directement au matộrialisme franỗais.
    Tous trois ont ceci de commun qu'ils ne se donnent pas comme les reprộsentants des intộrờts du prolộtariat que l'histoire avait engendrộ dans l'intervalle. Comme les philosophes de l'ốre des lumiốres, ils veulent affranchir non pas en premier une classe dộterminộe, mais immộdiatement l'humanitộ entiốre. Comme eux, ils veulent instaurer le royaume de la raison et de la justice ộternelle; mais il y a un abợme entre leur royaume et celui des philosophes des lumiốres. Lui aussi, le monde bourgeois, organisộ d'aprốs les principes de ces philosophes, est irrationnel et injuste, et c'est pourquoi il doit ờtre condamnộ et mis dans le mờme sac que le fộodalisme et les autres con***ions sociales antộrieures. Si, jusqu'ici, la raison et la justice effectives n'ont pas rộgnộ dans le monde, c'est qu'on ne les avait pas encore exactement reconnues. Il manquait prộcisộment l'individu gộnial qui est venu maintenant et qui a reconnu la vộritộ; qu'il se soit prộsentộ maintenant, que la vộritộ soit reconnue juste maintenant, ce fait ne rộsulte, pas avec nộcessitộ de l'enchaợnement du dộveloppement historique comme un ộvộnement inộluctable, c'est une simple chance. L'individu de gộnie aurait tout aussi bien pu naợtre cinq cents ans plus tụt, et il aurait ộpargnộ ? l'humanitộ cinq cents ans d'erreur, de luttes et de souffrances.
    Les philosophes franỗais du XIIIe siốcle, eux qui prộparaient la Rộvolution, en appelaient, nous l'avons vu, ? la raison comme juge unique de tout ce qui existait. On devait instituer un ẫtat raisonnable, une sociộtộ raisonnable; tout ce qui contredisait la raison ộternelle devait ờtre ộliminộ sans pitiộ. Nous avons vu ộgalement que cette raison ộternelle n'ộtait en rộalitộ rien d'autre que l'entendement idộalisộ du citoyen de la classe moyenne, dont son ộvolution faisait justement alors un bourgeois. Or, lorsque la Rộvolution franỗaise eut rộalisộ cette sociộtộ de raison et cet ẫtat de raison, les nouvelles institutions, si rationnelles qu'elles fussent par rapport aux con***ions antộrieures, n'apparurent pas du tout comme absolument raisonnables. L'ẩtat de raison avait fait complốte faillite, le Contrat social de Rousseau avait trouvộ sa rộalisation dans l'ốre de la Terreur; et pour y ộchapper, la bourgeoisie, qui avait perdu la foi dans sa propre capacitộ politique, s'ộtait rộfugiộe d'abord dans la corruption du Directoire et, finalement, sous la protection du despotisme napolộonien; la paix ộternelle qui avait ộtộ promise s'ộtait convertie en une guerre de conquờtes sans fin. La sociộtộ de raison n'avait pas connu un sort meilleur. L'opposition des riches et des pauvres, au lieu de se rộsoudre dans le bien ờtre gộnộral, avait ộtộ aggravộe par l'ộlimination des privilốges corporatifs et autres qui la palliaient, et par celle des ộtablissements de bienfaisance de l'ẫglise qui l'adoucissaient; l' ô affranchissement de la propriộtộ ằ de ses entraves fộodales, une fois inscrit dans les faits, se manifestait, pour le petit bourgeois et le petit paysan, comme la libertộ de vendre cette petite propriộtộ ộcrasộe par la concurrence trop puissante du grand capital et de la grande propriộtộ fonciốre, et de la vendre prộcisộment ? ces puissants seigneurs; cet affranchissement se transformait ainsi pour le petit bourgeois et le petit paysan en affranchissement de toute propriộtộ; l'essor de l'industrie sur une base capitaliste ộrigea la pauvretộ et la misốre des masses ouvriốres en con***ion de vie de la sociộtộ. Le paiement au comptant devint de plus en plus, selon l'expression de Carlyle, le seul lien de la sociộtộ. Le nombre des crimes augmenta d'annộe en annộe. Si les vices fộodaux qui, autrefois, s'ộtalaient sans pudeur au grand jour avaient ộtộ, sinon supprimộs, du moins provisoirement repoussộs au second plan, les vices bourgeois, nourris jusque l? dans le secret, n'en fleurirent qu'avec plus d'exubộrance. Le commerce tourne de plus en plus ? l'escroquerie. La ô fraternitộ ằ de la devise rộvolutionnaire se rộalisa dans les chicanes et les jalousies de la concurrence. L'oppression violente fit place ? la corruption; l'ộpộe comme premier levier de puissance sociale fit place ? l'argent. Le droit de cuissage passa des seigneurs fộodaux aux fabricants bourgeois. La prostitution se rộpan*** ? un degrộ inconnu jusqu'alors. Le mariage lui-mờme, qui restait comme devant une forme lộgalement reconnue, une couverture officielle de la prostitution, se complộta par un adultốre abondant. Bref, comparộes aux pompeuses promesses des philosophes des lumiốres, les institutions sociales et politiques ộtablies par la ô victoire de la raison ằ se rộvộlốrent des caricatures amốrement dộcevantes. Il ne manquait plus que des hommes pour constater cette dộception, et ces hommes vinrent avec le tournant du siốcle. En 1802 parurent les lettres de Genốve de Saint-Simon; en 1808, la premiốre oeuvre de Fourier, bien que la base de sa thộorie datõt dộj? de 1799; le 1er janvier 1800, Robert Owen prit la direction de New Lanark.
    Mais en ce temps, le mode de production capitaliste et, avec lui, l'opposition entre la bourgeoisie et le prolộtariat ộtaient encore trốs peu dộveloppộs. La grande industrie, qui venait de naợtre en Angleterre, ộtait encore inconnue en France. Or, seule la grande industrie dộveloppe, d'une part, les conflits qui font d'un bouleversement du mode de production, d'une ộlimination de son caractốre capitaliste une nộcessitộ inộluctable, conflits non seulement entre les classes qu'elle engendre, mais encore entre les forces productives et les formes d'ộchange qu'elle crộe; et, d'autre part, elle seule dộveloppe, dans ces gigantesques forces productives elles mờmes, les moyens de rộsoudre aussi ces conflits. Si donc, vers 1800, les conflits issus du nouvel ordre social n'ộtaient encore qu'en devenir, ? plus forte raison les moyens de les rộsoudre. Si les masses non possộdantes de Paris avaient pu, pendant l'ốre de la Terreur, conquộrir un moment la domination et ainsi conduire ? la victoire la Rộvolution bourgeoise contre la bourgeoisie elle mờme, elles n'avaient fait par l? que dộmontrer combien cette domination ộtait impossible ? la longue dans les con***ions d'alors. Le prolộtariat, qui commenỗait seulement ? se dộtacher de ces masses non possộdantes comme souche d'une nouvelle classe, tout ? fait incapable encore d'une action politique indộpendante, se prộsentait comme un ordre opprimộ, souffrant, qui, dans son incapacitộ ? s'aider lui mờme, pouvait tout au plus recevoir une aide de l'extộrieur, d'en haut.
    Cette situation historique domina aussi les fondateurs du socialisme. A l'immaturitộ de la production capitaliste, ? l'immaturitộ de la situation des classes, rộpon*** l'immaturitộ des thộories. La solution des problốmes sociaux, qui restait encore cachộe dans les rapports ộconomiques embryonnaires, devait jaillir du cerveau. La sociộtộ ne prộsentait que des anomalies; leur ộlimination ộtait la mission de la raison pensante. Il s'agissait d'inventer un nouveau systốme plus parfait de rộgime social et de l'octroyer de l'extộrieur ? la sociộtộ, par la propagande et, si possible, par l'exemple d'expộriences modốles. Ces nouveaux systốmes sociaux ộtaient d'avance condamnộs ? l'utopie. Plus ils ộtaient ộlaborộs dans le dộtail, plus ils devaient se perdre dans la fantaisie pure.
    Cela une fois ộtabli, ne nous arrờtons pas un instant de plus ? cet aspect qui appartient maintenant tout entier au passộ. Que des regrattiers livresques ộpluchent solennellement des fantaisies qui ne sont plus aujourd'hui que divertissantes; laissons les faire valoir la supộrioritộ de leur esprit posộ en face de telles ô folies ằ. Nous prộfộrons nous rộjouir des germes d'idộes de gộnie et des idộes de gộnie qui percent partout sous l'enveloppe fantastique et auxquels ces philistins sont aveugles.
    Saint-Simon ộtait fils de la Rộvolution franỗaise; il n'avait pas encore trente ans lorsqu'elle ộclata. La Rộvolution ộtait la victoire du tiers ộtat, c'est ? dire de la grande masse de la nation qui ộtait active dans la production et le commerce, sur les ordres privilộgiộs, oisifs jusqu'alors: la noblesse et le clergộ. Mais la victoire du tiers ộtat s'ộtait bientụt rộvộlộe comme la victoire exclusive d'une petite partie de cet ordre, comme la conquờte du pouvoir politique par la couche socialement privilộgiộe de ce mờme ordre: la bourgeoisie possộdante. Et, ? vrai dire, cette bourgeoisie s'ộtait encore dộveloppộe rapidement pendant la Rộvolution en spộculant sur la propriộtộ fonciốre de la noblesse et de l'ẫglise confisquộe, puis vendue, ainsi qu'en fraudant la nation par les fournitures aux armộes. Ce fut prộcisộment la domination de ces escrocs qui, sous le Directoire, amena la France et la Rộvolution au bord de la ruine et donna ainsi ? Napolộon le prộtexte de son coup d'ẫtat. De la sorte, dans l'esprit de Saint-Simon, l'opposition du tiers ộtat et des ordres privilộgiộs prit la forme de l'opposition entre ô travailleurs ằ et ô oisifs ằ. Les oisifs, ce n'ộtaient pas seulement les anciens privilộgiộs, mais aussi tous ceux qui vivaient de rentes, sans prendre part ? la production et au commerce. Et les ô ouvriers ằ, ce n'ộtaient pas seulement les salariộs, mais aussi les fabricants, les nộgociants, les banquiers. Il ộtait patent que les oisifs avaient perdu la capacitộ de direction intellectuelle et de domination politique, et c'ộtait dộfinitivement confirmộ par la Rộvolution. Que les non possộdants n'eussent pas cette capacitộ, ce point semblait ? Saint-Simon dộmontrộ par les expộriences de la Terreur. Dốs lors, qui devait diriger et dominer ? D'aprốs Saint-Simon, la science et l'industrie, qu'unirait entre elles un nouveau lien religieux, destinộ ? restaurer l'unitộ des conceptions religieuses rompue depuis la Rộforme, un ô nouveau christianisme ằ, nộcessairement mystique et strictement hiộrarchisộ. Mais la science, c'ộtait les hommes d'ộtudes, et l'industrie, c'ộtait en premiốre ligne les bourgeois actifs, fabricants, nộgociants, banquiers. Ces bourgeois devaient, certes, se transformer en une espốce de fonctionnaires publics, d'hommes de confiance de la sociộtộ, mais garder cependant vis ? vis des ouvriers une position de commandement, pourvue aussi de privilốges ộconomiques. Les banquiers surtout devaient ờtre appelộs ? rộgler, par la rộglementation du crộ***, l'ensemble de la production sociale. Cette conception correspondait tout ? fait ? une pộriode oự, en France, la grande industrie, et avec elle l'opposition entre bourgeoisie et prolộtariat, ộtaient seulement en train de naợtre.
    Mais il est un point sur lequel Saint-Simon insiste tout particuliốrement: partout et toujours ce qui lui in importe en premier lieu, c'est le sort de ô la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ằ.
    Dộj? dans ses lettres de Genốve, Saint-Simon pose le principe que ô tous les hommes travailleront ằ. Dans le mờme ouvrage, il sait dộj? que la Terreur a ộtộ la domination des masses non possộdantes.
    ôRegardez, leur crie t il, ce qui est arrivộ en France pendant le temps que vos camarades y ont dominộ; ils y ont fait naợtre la famine.ằ
    Or, concevoir la Rộvolution franỗaise comme une lutte de classes, et qui plus est non seulement entre la noblesse et la bourgeoisie, mais entre la noblesse, la bourgeoisie et les non possộdants ộtait, en 1802, une dộcouverte des plus gộniales. En 1816, il proclame la politique science de la production et il prộ*** la rộsorption entiốre de la politique dans l'ộconomie. Si la notion que la situation ộconomique est la base des institutions politiques n'apparaợt ici qu'en germe, le passage du gouvernement politique des hommes ? une administration des choses et ? une direction des opộrations de production, donc l'ô abolition de l'ẩtat ằ, dont on a fait derniốrement tant de bruit, se trouve dộj? clairement ộnoncộe ici. C'est avec la mờme supộrioritộ sur ses contemporains qu'il proclame, en 1814, immộdiatement aprốs l'entrộe des Alliộs ? Paris, et encore en 1815, pendant la guerre des Cent Jours, l'alliance de la France avec l'Angleterre et en deuxiốme ligne, celle de ces deux pays avec l'Allemagne comme la seule garantie du dộveloppement prospốre et de la paix pour l'Europe. Prờcher aux Franỗais de 1815 l'alliance avec les vainqueurs de Waterloo exigeait certes autant de courage que de sens de la perspective historique.
    Si nous trouvons chez Saint-Simon une largeur de vues gộniale qui fait que presque toutes les idộes non strictement ộconomiques des socialistes postộrieurs sont contenues en germe chez lui, nous trouvons chez Fourier une critique des con***ions sociales existantes qui, pour ờtre faite avec une verve toute franỗaise, n'en est pas moins pộnộtrante. Fourier prend au mot la bourgeoisie, ses prophốtes enthousiastes d'avant la Rộvolution et ses flagorneurs intộressộs d'aprốs. Il dộvoile sans pitiộ la misốre matộrielle et morale du monde bourgeois et il la confronte avec les brillantes promesses des philosophes des lumiốres, sur la sociộtộ oự devait rộgner la raison seule, sur la civilisation apportant le bonheur universel, sur la perfectibilitộ illimitộe de l'homme, aussi bien qu'avec les expressions couleur de rose des idộologues bourgeois, ses contemporains; il dộmontre comment, partout, la rộalitộ la plus lamentable correspond ? la phrasộologie la plus grandiloquente et il dộverse son ironie mordante sur ce fiasco irrộmộdiable de la phrase. Fourier n'est pas seulement un critique; sa nature ộternellement enjouộe fait de lui un satirique, et un des plus grands satiriques de tous les temps. Il peint avec autant de maestria que d'agrộment la folle spộculation qui fleurit au dộclin de la Rộvolution ainsi que l'esprit boutiquier universellement rộpandu dans le commerce franỗais de ce temps. Plus magistrale encore est la critique qu'il fait du tour donnộ par la bourgeoisie aux relations ***uelles et de la position de la femme dans la sociộtộ bourgeoise. Il est le premier ? ộnoncer que, dans une sociộtộ donnộe, le degrộ d'ộmancipation de la femme est la mesure naturelle de l'ộmancipation gộnộrale. Mais l? ou il apparaợt le plus grand, c'est dans sa conception de l'histoire de la sociộtộ. Il divise toute son ộvolution passộe en quatre phases: sauvagerie, barbarie, patriarcat, civilisation, laquelle coùncide avec ce qu'on appelle maintenant la sociộtộ bourgeoise, donc avec le rộgime social instaurộ depuis le XVIe siốcle, et il dộmontre
    ô que l'ordre civilisộ donne ? chacun des vices auxquels la barbarie se livre avec simplicitộ, une forme complexe, ambiguở et hypocrite ằ,
    que la civilisation se meut dans un ô cercle vicieux ằ, dans des contradictions qu'elle reproduit sans cesse, sans pouvoir les surmonter, de sorte qu'elle atteint toujours le contraire de ce qu'elle veut obtenir ou prộtend vouloir obtenir; de sorte que, par exemple: ô la pauvretộ naợt en civilisation de l'abondance mờmeằ.
    Fourier, comme on le voit, manie la dialectique avec la mờme maợtrise que son contemporain Hegel. Avec une ộgale dialectique, il fait ressortir que, contrairement au bavardage sur la perfectibilitộ indộfinie de l'homme, toute phase historique a sa branche ascendante, mais aussi sa branche descendante, et il applique aussi cette conception ? l'avenir de l'humanitộ dans son ensemble. De mờme que Kant a introduit la fin ? venir de la terre dans la science de la nature, Fourier introduit dans l'ộtude de l'histoire la fin ? venir de l'humanitộ.
    Tandis qu'en France l'ouragan de la Rộvolution balayait le pays, un bouleversement plus silencieux, mais non moins puissant, s'accomplissait en Angleterre. La vapeur et le machinisme nouveau transformốrent la manufacture en grande industrie moderne et rộvolutionnốrent ainsi tout le fondement de la sociộtộ bourgeoise. La marche somnolente de la pộriode manufacturiốre se transforma en une pộriode d'ardeur irrộsistible de la production. A une vitesse constamment accrue s'opộra la division de la sociộtộ en grands capitalistes et en prolộtaires non possộdants, entre lesquels, au lieu de la classe moyenne stable d'autrefois, une masse mouvante d'artisans et de petits commerỗants avaient maintenant une existence mal assurộe, en formant la partie la plus fluctuante de la population. Le nouveau mode de production n'ộtait encore qu'au dộbut de sa branche ascendante; il ộtait encore le mode de production normal, rộgulier, le seul possible dans ces circonstances. Mais dộj? il engendrait des anomalies sociales criantes: agglomộration d'une population dộracinộe dans les pires taudis des grandes villes, dissolution de tous les liens tra***ionnels de filiation, de subordination patriarcale, de famille, surtravail, surtout pour les femmes et les enfants, ? une ộchelle ộpouvantable, dộpravation massive de la classe travailleuse jetộe brusquement dans des con***ions tout ? fait nouvelles, passant de la campagne ? la ville, de l'agriculture ? l'industrie, de con***ions stables dans des con***ions prộcaires qui changeaient chaque jour. C'est alors qu'apparut en rộformateur un fabricant de vingt neuf ans, homme d'une simplicitộ de caractốre enfantine qui allait jusqu'au sublime et, en mờme temps, conducteur d'hommes nộ comme il en existe peu. Robert Owen s'ộtait assimilộ la doctrine des philosophes matộrialistes de l'ốre des lumiốres, selon laquelle le caractốre de l'homme est le produit, d'une part, de son organisation native et, d'autre part, des circonstances qui entourent l'homme durant sa vie, mais surtout pendant la pộriode oự il se forme. Dans la rộvolution industrielle, la plupart des hommes de son groupe social ne voyaient que confusion et chaos, oự il faisait bon pờcher en eau trouble et s'enrichir rapidement. Il y vit l'occasion d'appliquer sa thốse favorite et de mettre par l? de l'ordre dans le chaos. Il s'y ộtait dộj? essayộ avec succốs ? Manchester, comme dirigeant des 500 ouvriers d'une fabrique; de 1800 ? 1829, il rộgit comme associộ gộrant la grande filature de coton de New Lanark en ẫcosse et il le fit dans le mờme esprit, mais avec une plus grande libertộ d'action et un succốs qui lui valut une rộputation europộenne. Une population qui monta peu ? peu jusqu'? 2500 õmes et se composait ? l'origine des ộlộments les plus mờlộs, pour la plupart fortement dộmoralisộs, fut transformộe par lui en une parfaite colonie modốle oự ivrognerie, police, justice pộnale, procốs, assistance publique et besoin de charitộ ộtaient choses inconnues. Et cela tout simplement en plaỗant les gens dans des circonstances plus dignes de l'homme, et surtout en faisant donner une ộducation soignộe ? la gộnộration grandissante. Il fut l'inventeur des ộcoles maternelles et le premier ? les introduire. Dốs l'õge de deux ans, les enfants allaient ? l'ộcole, oự ils s'amusaient tellement qu'on avait peine ? les ramener ? la maison. Tandis que ses concurrents faisaient travailler de treize ? quatorze heures par jour, on ne travaillait ? New Lanark que dix heures et demie. Lorsqu'une crise cotonnerie arrờta le travail pendant quatre mois, les ouvriers chụmeurs continuốrent ? toucher leur salaire entier. Ce qui n'empờcha pas l'ộtablissement d'augmenter en valeur de plus du double et de donner jusqu'au bout de gros bộnộfices aux propriộtaires.
    Mais tout cela ne satisfait pas Owen l'existence qu'il avait faite ? ses ouvriers ộtait, ? ses yeux, loin encore d'ờtre digne de l'homme; ô les gens ộtaient mes esclaves ằ: les circonstances relativement favorables dans lesquelles il les avait placộs, ộtaient encore loin de permettre un dộveloppement complet et rationnel du caractốre et de l'intelligence, et encore moins une libre activitộ vitale.
    ô Et, pourtant, la partie laborieuse de ces 2500 hommes produisait autant de richesse rộelle pour la sociộtộ qu'? peine un demi siốcle auparavant une population de 600000 õmes pouvait en produire. Je me demandais: qu'advient il de la diffộrence entre la richesse consommộe par 2500 personnes et celle qu'il aurait fallu pour la consommation des 600000? ằ
    La rộponse ộtait claire. La richesse avait ộtộ employộe ? assurer aux propriộtaires de l'ộtablissement 5 % d'intộrờt sur leur mise de fonds et, en outre, un bộnộfice de plus de 300000 livres sterling (6 millions de marks). Et ce qui ộtait vrai pour New Lanark l'ộtait ? plus forte raison pour toutes les fabriques d'Angleterre.
    ôSans cette nouvelle richesse crộộe par les machines, on n'aurait pas pu mener ? bonne fin les guerres pour renverser Napolộon et maintenir les principes aristocratiques de la sociộtộ. Et pourtant, cette puissance nouvelle ộtait la crộation de la classe ouvriốreằ.
    C'est donc ? elle qu'en revenaient les fruits. Les forces de production nouvelles et puissantes, qui n'avaient servi jusque l? qu'? l'enrichissement de quelques uns et ? l asservissement des masses, offraient pour Owen la base d'une rộorganisation sociale et ộtaient destinộes ? ne travailler que pour le bien ờtre commun, comme propriộtộ commune de tous.
    C'est de cette pure rộflexion de l'homme d'affaires, comme fruit pour ainsi dire du calcul commercial, que naquit le communisme oweniens. Il conserve toujours ce mờme caractốre tournộ vers la pratique. C'est ainsi qu'en 1823, Owen proposa de remộdier ? la misốre de l'Irlande par des colonies communistes et joignit ? son projet un devis complet des frais d'ộtablissement, des dộpenses annuelles et des gains prộvisibles. Ainsi encore, dans son plan dộfinitif d'avenir, l'ộlaboration technique des dộtails, y compris le tracộ, l'ộlộvation et la vue cavaliốre, est faite avec une telle compộtence que, une fois admise la mộthode de reforme sociale d'Owen, il y a peu de chose ? dire contre le dộtail de l'organisation, mờme du point de vue technique.
    Le passage au communisme fut le tournant de la vie d'Owen. Tant qu'il s'ộtait contentộ du rụle de philanthrope, il n'avait rộcoltộ que richesse, approbation, honneur et gloire. Il ộtait l'homme le plus populaire d'Europe; non seulement ses collốgues, mais aussi des hommes d'ẫtat et des princes l'ộcoutaient et l'approuvaient. Mais lorsqu'il se prộsenta avec ses thộories communistes, tout changea. Il y avait trois grands obstacles qui lui semblaient surtout barrer la route de la rộforme sociale: la propriộtộ privộe, la religion et la forme actuelle du mariage. Il savait ce qui l'attendait s'il les attaquait: universelle mise au ban de la sociộtộ officielle, perte de toute sa situation sociale. Mais il ne se laissa pas dộtourner de les attaquer sans mộnagement, et il arriva ce qu'il avait prộvu. Banni de la sociộtộ officielle, enseveli sous la conspiration du silence de la presse, ruinộ par ses expộriences communistes manquộes en Amộrique, expộriences dans lesquelles il avait sacrifiộ toute sa fortune, il se tourna directement vers la classe ouvriốre et continua trente ans encore d'agir dans son sein. Tous les mouvements sociaux, tous les progrốs rộels qui furent rộalisộs en Angleterre dans l'intộrờt des travailleurs se rattachent au nom d'Owen. C'est ainsi qu'aprốs cinq ans d'efforts, il fit passer en 1819 la premiốre loi limitant le travail des femmes et des enfants dans les fabriques . C'est ainsi qu'il prộsida le premier congrốs au cours duquel les trade unions de toute l'Angleterre s'assemblốrent en une seule grande association syndicale. C'est ainsi qu'il introduisit, comme mesure de transition menant ? une organisation entiốrement communiste de la sociộtộ, d'une part, les sociộtộs coopộratives (coopộratives de consommation et de production) qui, depuis, ont au moins fourni la preuve pratique que le marchand ainsi que le fabricant sont des personnages dont on peut trốs bien se passer; d'autre part, les bazars du travail, ộtablissements pour l'ộchange de produits du travail au moyen d'une monnaie papier du travail, dont l'unitộ ộtait constituộe par l'heure de travail; ces ộtablissements, nộcessairement vouộs ? l'ộchec, ộtaient une anticipation complốte de la banque d'ộchange que Proudhon devait instituer bien plus tard, mais s'en distinguaient prộcisộment par le fait qu'ils ne reprộsentaient pas la panacộe des maux sociaux, mais seulement un premier pas vers une transformation bien plus radicale de la sociộtộ.
    La maniốre de voir des utopistes a longtemps dominộ les idộes socialistes du XIXe siốcle et les domine encore en partie. Elle ộtait encore, il y a peu de temps, celle de tous les socialistes anglais et franỗais; c'est ? elle que se rattachent les dộbuts du communisme allemand, Weitling, compris. Le socialisme est pour eux tous l'expression de la vộritộ, de la raison et de la justice absolues, et il suffit qu'on le dộcouvre pour qu'il conquiốre le monde par la vertu de sa propre force; comme la vộritộ absolue est indộpendante du temps, de l'espace et du dộveloppement de l'histoire humaine, la date et le lieu de sa dộcouverte sont un pur hasard. Cela ộtant, la vộritộ, la raison et la justice absolues redeviennent diffộrentes avec chaque fondateur d'ộcole; et comme l'espốce de vộritộ, de raison et de justice absolues qui est particuliốre ? chacun d'eux dộpend de son entendement subjectif, de ses con***ions de vie, du degrộ de ses connaissances et de la formation de sa pensộe, la seule solution possible ? ce conflit de vộritộs absolues, c'est qu'elles s'usent l'une contre l'autre. Rien d'autre ne pouvait sortir de l? qu'une espốce de socialisme ộclectique moyen, comme celui qui rốgne, aujourd'hui encore, en fait, dans l'esprit de la plupart des ouvriers socialistes de France et d'Angleterre: un mộlange, admettant la plus grande variộtộ de nuances, oự entrent, dans ce qu'elles ont de moins insolite, les observations critiques des divers fondateurs de secte, leurs thốses ộconomiques et leurs peintures de ]a sociộtộ future; et ce mộlange s'opốre d'autant plus facilement que, dans chaque ộlộment composant, les arờtes vives de la prộcision ont ộtộ ộmoussộes au fil des dộbats comme les galets au fil du ruisseau. Pour faire du socialisme une science, il fallait d'abord le placer sur un terrain rộel.
    --- II ---
    Cependant, ? cụtộ et ? la suite de la philosophie franỗaise du XIIIe siốcle, la philosophie allemande moderne ộtait nộe et avait trouvộ son achốvement en Hegel. Son plus grand mộrite fut de revenir ? la dialectique comme ? la forme suprờme de la pensộe. Les philosophes grecs de l'antiquitộ ộtaient tous dialecticiens par naissance, par excellence de nature, et l'esprit le plus encyclopộdique d'entre eux, Aristote, a aussi dộj? ộtudiộ les formes les plus essentielles de la pensộe dialectique. La philosophie moderne, par contre, bien que la dialectique y eỷt aussi de brillants reprộsentants (par exemple Descartes et Spinoza) s'ộtait de plus en plus embourbộe, surtout sous l'influence anglaise, dans le mode de pensộe *** mộtaphysique, qui domine aussi presque sans exception les Franỗais du XIIIe siốcle, du moins dans leurs oeuvres spộcialement philosophiques. En dehors de la philosophie proprement ***e, ils ộtaient nộanmoins en mesure de produire des chefsd'oeuvre de dialectique; nous rappellerons seulement le Neveu de Rameau de Diderot et le Discours sur l'origine et les fondements de l'inộgalitộ parmi les hommes de Rousseau. Indiquons ici, briốvement, l'essentiel des deux mộthodes.
    Lorsque nous soumettons ? l'examen de la pensộe la nature ou l'histoire humaine ou notre propre activitộ mentale, ce qui s'offre d'abord ? nous, c'est le tableau d'un enchevờtrement infini de relations et d'actions rộciproques oự rien ne reste ce qu'il ộtait, l? oự il ộtait et comme il ộtait, mais oự tout se meut, change, devient et pộrit. Nous voyons donc d'abord le tableau d'ensemble, dans lequel les dộtails s'effacent encore plus ou moins; nous prờtons plus d'attention au mouvement, aux passages de l'un ? l'autre, aux enchaợnements qu'? ce qui se meut, passe et s'enchaợne. Cette maniốre primitive, naùve, mais correcte quant au fond, d'envisager le monde est celle des philosophes grecs de l'antiquitộ, et le premier ? la formuler clairement fut Hộraclite: Tout est et n'est pas car tout est fluent, tout est sans cesse en train de se transformer, de devenir et de pộrir. Mais cette maniốre de voir, si correctement qu'elle saisisse le caractốre gộnộral du tableau que prộsente l'ensemble des phộnomốnes, ne suffit pourtant pas ? expliquer les dộtails dont ce tableau d'ensemble se compose; et tant que nous ne sommes pas capables de les expliquer, nous n'avons pas non plus une idộe nette du tableau d'ensemble. Pour connaợtre ces dộtails, nous sommes obligộs de les dộtacher de leur enchaợnement naturel ou historique et de les ộtudier individuellement dans leurs qualitộs, leurs causes et leurs effets particuliers, etc.. C'est au premier chef la tõche des sciences de la nature et de la recherche historique, branches d'investigation qui, pour d'excellentes raisons, ne prenaient chez les Grecs de la pộriode classique qu'une place subordonnộe puisque les Grecs avaient auparavant ? rassembler les matộriaux. Il faut d'abord avoir rộuni, jusqu'? un certain point, des donnộes naturelles et historiques pour pouvoir passer au dộpouillement critique, ? la comparaison ou ? la division en classes, ordres et genres. Les rudiments de l'ộtude exacte de la nature ne sont donc dộveloppộs que par les Grecs de la pộriode alexandrine, et plus tard, au moyen õge? par les Arabes; encore, une science effective de la nature ne se rencontre-t-elle que dans la deuxiốme moitiộ du XVe siốcle, date depuis laquelle elle a progressộ ? une vitesse sans cesse croissante. La dộcomposition de la nature en ses parties singuliốres, la sộparation de divers processus et objets naturels en classes dộterminộes, l'ộtude de la constitution interne des corps organiques dans la variộtộ de leurs aspects anatomiques, telles ộtaient les con***ions fondamentales des progrốs gigantesques que les quatre derniers siốcles nous ont apportộs dans la connaissance de la nature. Mais cette mộthode nous a ộgalement lộguộ l'habitude d'apprộhender les objets et les processus naturels dans leur isolement, en dehors de la grande connexion d'ensemble, par consộquent non dans leur mouvement, mais dans leur repos; comme des ộlộments non essentiellement variables, mais fixes; non dans leur vie, mais dans leur mort. Et quand, grõce ? Bacon et ? Locke, cette maniốre de voir passa des sciences de la nature ? la philosophie, elle produisit l'ộtroitesse d'esprit spộcifique des derniers siốcles, le mode de pensộe mộtaphysique.
    Pour le mộtaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensộe, les concepts, sont des objets d'ộtude isolộs, ? considộrer l'un aprốs l'autre et l'un sans l'autre, fixes, rigides, donnộs une fois pour toutes. Il ne pense que par antithốses sans moyen terme: il *** oui, oui, non, non; ce qui va au del? ne vaut rien. Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n'existe pas; une chose ne peut pas non plus ờtre ? la fois elle mờme et une autre. Le positif et le nộgatif s'excluent absolument; la cause et l'effet s'opposent de faỗon tout aussi rigide. Si ce mode de penser nous paraợt au premier abord tout ? fait ộvident, c'est qu'il est celui de ce qu'on appelle le bon sens. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu'il reste cantonnộ dans le domaine prosaùque de ses quatre murs, le bon sens connaợt des aventures tout ? fait ộtonnantes dốs qu'il se risque dans le vaste monde de la recherche; et la maniốre de voir mộtaphysique, si justifiộe et mờme si nộcessaire soit elle dans de vastes domaines dont l'ộtendue varie selon la nature de l'objet, se heurte toujours, tụt ou tard, ? une barriốre au del? de laquelle elle devient ộtroite, bornộe, abstraite, et se perd en contradictions insolubles: la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaợnement; devant leur ờtre, leur devenir et leur pộrir: devant leur repos, leur mouvement; les arbres l'empờchent de voir la forờt. Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non; mais une ộtude plus prộcise nous fait trouver que ce problốme est parfois des plus embrouillộs, et les juristes le savent trốs bien, qui se sont ộvertuộs en vain ? dộcouvrir la limite rationnelle ? partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mốre est un meurtre; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie dộmontre que la mort n'est pas un ộvộnement unique et instantanộ, mais un processus de trốs longue durộe. Pareillement, tout ờtre organique est, ? chaque instant, le mờme et non le mờme; ? chaque instant, il assimile des matiốres ộtrangốres et en ộlimine d'autres, ? chaque instant des cellules de son corps dộpộrissent et d'autres se forment; au bout d'un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s'est totalement renouvelộe, elle a ộtộ remplacộe par d'autres atomes de matiốre de sorte que tout ờtre organisộ est constamment le mờme et cependant un autre. A considộrer les choses d'un peu prốs, nous trouvons encore que les deux pụles d'une contradiction, comme positif et nộgatif, sont tout aussi insộparables qu'opposộs et qu'en dộpit de toute leur valeur d'antithốse, ils se pộnốtrent mutuellement; pareillement, que cause et effet sont des reprộsentations qui ne valent comme telles qu'appliquộes ? un cas particulier, mais que, dốs que nous considộrons ce cas particulier dans sa connexion gộnộrale avec l'ensemble du monde, elles se fondent, elles se rộsolvent dans la vue de l'universelle action rộciproque, oự causes et effets permutent continuellement, oự ce qui ộtait effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite et vice versa.
    Tous ces processus, toutes ces mộthodes de pensộe n'entrent pas dans le cadre de la pensộe mộtaphysique. Pour la dialectique, par contre, qui apprộhende les choses et leurs reflets conceptuels essentiellement dans leur connexion, leur enchaợnement, leur mouvement, leur naissance et leur fin, les processus mentionnộs plus haut sont autant de confirmations du comportement qui lui est propre. La nature est le banc d'essai de la dialectique et nous devons dire ? l'honneur des sciences modernes de la nature qu'elle a fourni pour ce banc d'essai une moisson extrờmement riche de faits qui s'accroợt tous les jours, en prouvant ainsi que dans la nature les choses se passent, en derniốre analyse, dialectiquement et non mộtaphysiquement, que la nature ne se meut pas dans l'ộternelle monotonie d'un cycle sans cesse rộpộtộ, mais parcourt une histoire effective. Avant tout autre il faut citer ici Darwin, qui a portộ le coup le plus puissant ? la conception mộtaphysique de la nature en dộmontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par consộquent, l'homme aussi, est le produit d'un processus d'ộvolution qui s'est poursuivi pendant des millions d'annộes. Mais comme jusqu'ici on peut compter les savants qui ont appris ? penser dialectiquement, le conflit entre les rộsultats dộcouverts et le mode de pensộe tra***ionnel explique l'infinie confusion qui rốgne actuellement dans la thộorie des sciences de la nature et qui met au dộsespoir maợtres et ộlốves, auteurs et lecteurs.
    Une reprộsentation exacte de l'univers, de son ộvolution et de celle de l'humanitộ, ainsi que du reflet de cette ộvolution dans le cerveau des hommes, ne peut donc se faire que par voie dialectique, en tenant constamment compte des actions rộciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et rộgressifs. Et c'est aussi dans ce sens que s'est immộdiatement manifestộe la philosophie allemande moderne. Kant a commencộ sa carriốre en rộsolvant le systốme solaire stable de Newton et sa durộe ộternelle une fois donnộ le fameux choc initial en un processus historique: la naissance du soleil et de toutes les planốtes ? partir d'une masse nộbuleuse en rotation. Et il en tirait dộj? cette conclusion qu'ộtant donnộ qu'il ộtait nộ, le systốme solaire devait nộcessairement mourir un jour. Cette vue, un demi siốcle plus tard, a ộtộ confirmộe mathộmatiquement par Laplace et, aprốs encore un demi siốcle, le spectroscope a dộmontrộ l'existence dans l'univers de semblables masses gazeuses incandescentes ? diffộrents degrộs de condensation.
    Cette philosophie allemande moderne a trouvộ sa conclusion dans le systốme de Hegel, dans lequel, pour la premiốre fois et c'est son grand mộrite le monde entier de la nature, de l'histoire et de l'esprit ộtait reprộsentộ comme un processus, c'est ? dire comme ộtant engagộ dans un mouvement, un changement, une transformation et une ộvolution constants, et oự l'on tentait de dộmontrer l'enchaợnement interne de ce mouvement et de cette ộvolution. De ce point de vue, l'histoire de l'humanitộ n'apparaissait plus comme un enchevờtrement chaotique de violences absurdes, toutes ộgalement condamnables devant le tribunal de la raison philosophique arrivộe ? maturitộ et qu'il est prộfộrable d'oublier aussi rapidement que possible, mais comme le processus ộvolutif de l'humanitộ lui mờme; et la pensộe avait maintenant pour tõche d'en suivre la lente marche progressive ? travers tous ses dộtours et d'en dộmontrer la logique interne ? travers toutes les contingences apparentes.
    Que le systốme de Hegel n'ait pas rộsolu le problốme qu'il s'ộtait posộ importe peu ici. Son mộrite, qui fait ộpoque, ộtait de l'avoir posộ. Ce problốme est prộcisộment de ceux qu'aucun individu ? lui seul ne pourra jamais rộsoudre. Bien que Hegel fỷt avec Saint-Simon la tờte la plus encyclopộdique de son temps, il ộtait tout de mờme limitộ, d'abord par l'ộtendue nộcessairement restreinte de ses propres connaissances, ensuite par l'ộtendue et la profondeur ộgalement restreintes des connaissances et des vues de son ộpoque. Mais il faut tenir compte encore d'une troisiốme circonstance. Hegel ộtait idộaliste, ce qui veut dire qu'au lieu de considộrer les idộes de son esprit comme les reflets plus ou moins abstraits des choses et des processus rộels, il ne considộrait ? l'inverse les objets et leur dộveloppement que comme de simples copies rộalisộes de l'ô Idộe ằ existant de quelque maniốre dốs avant le monde. De ce fait, tout ộtait mis sur la tờte et l'enchaợnement rộel du monde entiốrement inversộ. Et en consộquence, bien que Hegel eỷt apprộhendộ mainte relation particuliốre avec tant de justesse et de gộnie, les raisons indiquộes rendaient inộvitable que le dộtail aussi tournõt souvent au ravaudage, ? l'article, ? la construction, bref, ? la perversion du vrai. Le systốme de Hegel comme tel a ộtộ un colossal avortement bien que le dernier du genre. En effet, ne souffrait-il pas toujours d'une contradiction interne incurable ? D'une part, son postulat essentiel ộtait la conception historique selon laquelle l'histoire de l'humanitộ est un processus ộvolutif qui, par nature, ne peut trouver sa conclusion intellectuelle dans la dộcouverte d'une prộtendue vộritộ absolue; mais, d'autre part, il prộtend ờtre prộcisộment la somme de cette vộritộ absolue. Un systốme de connaissance de la nature et de l'histoire embrassant tout et qui constitue une conclusion dộfinitive est en contradiction avec les lois fondamentales de la pensộe dialectique; ce qui toutefois n'exclut nullement, mais implique, au contraire, que la connaissance systộmatique de l'ensemble du monde extộrieur puisse progresser ? pas de gộant de gộnộration en gộnộration.
    Une fois dộmờlộe la totale perversion caractộristique de l'idộalisme allemand du passộ, il fallait forcộment revenir au matộrialisme, mais notons le non pas au matộrialisme purement mộtaphysique, exclusivement mộcanique du XIIIe siốcle. En face de la condamnation pure et simple, naùvement rộvolutionnaire de toute l'histoire antộrieure, le matộrialisme moderne voit, dans l'histoire, le processus d'ộvolution de l'humanitộ, et sa tõche est de dộcouvrir ses lois motrices. En face de la reprộsentation de la nature qui rộgnait tant chez les Franỗais du XIIIe siốcle que chez Hegel encore, et qui en faisait un tout restant constamment semblable ? lui mờme et se mouvant en cycles ộtroits, avec des corps cộlestes ộternels, ainsi que l'avait enseignộ Newton, et des espốces organiques immuables, ainsi que l'avait enseignộ Linnộ, le matộrialisme moderne synthộtise, au contraire, les progrốs modernes des sciences de la nature, d'aprốs lesquels la nature, elle aussi, a son histoire dans le temps; les corps cộlestes, comme les espốces vivantes susceptibles d'y vivre dans des circonstances favorables, naissent et pộrissent, et les cycles de rộvolution, dans la mesure oự en gộnộral on peut encore les admettre, prennent des dimensions infiniment plus grandioses. Dans les deux cas, il est essentiellement dialectique et n'a que faire d'une philosophie placộe au dessus des autres sciences. Dốs lors que chaque science spộciale est invitộe ? se rendre un compte exact de la place qu'elle occupe dans l'enchaợnement gộnộral des choses et de la connaissance des choses, toute science particuliốre de l'enchaợnement gộnộral devient superflue. De toute l'ancienne philosophie, il ne reste plus alors ? l'ộtat indộpendant, que la doctrine de la pensộe et de ses lois, la logique formelle et la dialectique. Tout le reste se rộsout dans la science positive de la nature et de l'histoire.
    Mais tandis que le revirement dans la conception de la nature ne pouvait s'accomplir que dans la mesure oự la recherche fournissait la quantitộ correspondante de connaissances positives, des faits historiques s'ộtaient dộj? imposộs beaucoup plus tụt, qui amenốrent un tournant dộcisif dans la conception de l'histoire. En 1831 avait eu lieu ? Lyon la premiốre insurrection ouvriốre; de 1838 ? 1842, le premier mouvement ouvrier national, celui des chartistes anglais, atteignait son point culminant. La lutte de classe entre le prolộtariat et la bourgeoisie passait au premier plan de l'histoire des pays les plus avancộs d'Europe, proportionnellement au dộveloppement de la grande industrie d'une part, de la domination politique nouvellement conquise par la bourgeoisie d'autre part. Les enseignements de l'ộconomie bourgeoise sur l'identitộ des intộrờts du capital et du travail, sur l'harmonie universelle et la prospộritộ universelle rộsultant de la libre concurrence, ộtaient dộmentis de faỗon de plus en plus brutale par les faits. Il n'ộtait plus possible de rộfuter tous ces faits, pas plus que le socialisme franỗais et anglais qui, malgrộ toutes ses imperfections, en ộtait l'expression thộorique. Mais l'ancienne conception idộaliste de l'histoire qui n'ộtait pas encore dộtrụnộe, ne connaissait pas de luttes de classes reposant sur des intộrờts matộriels, ni mờme, en gộnộral, d'intộrờts matộriels; la production et toutes les relations ộconomiques n'y apparaissaient qu'? titre accessoire, comme ộlộments secondaires de l'ôhistoire de la civilisation ằ.
    Les faits nouveaux obligốrent ? soumettre toute l'histoire du passộ ? un nouvel examen et il apparut que toute histoire passộe, ? l'exception des origines, ộtait l'histoire de luttes de classes, que ces classes sociales en lutte l'une contre l'autre sont toujours des produits des rapports de production et d'ộchange, en un mot des rapports ộconomiques de leur ộpoque; que, par consộquent, la structure ộconomique de la sociộtộ constitue chaque fois la base rộelle qui permet, en derniốre analyse, d'expliquer toute la superstructure des institutions juridiques et politiques, aussi bien que des idộes religieuses, philosophiques et autres de chaque pộriode historique. Hegel avait libộrộ de la mộtaphysique la conception de l'histoire, il l'avait rendue dialectique, mais sa conception de l'histoire ộtait essentiellement idộaliste. Maintenant l'idộalisme ộtait chassộ de son dernier refuge, la conception de l'histoire; une conception matộrialiste de l'histoire ộtait donnộe et la voie ộtait trouvộe pour expliquer la conscience des hommes en partant de leur ờtre, au lieu d'expliquer leur ờtre en partant de leur conscience, comme on l'avait fait jusqu'alors.
    En consộquence, le socialisme n'apparaissait plus maintenant comme une dộcouverte fortuite de tel ou tel esprit de gộnie, mais comme le produit nộcessaire de la lutte de deux classes produites par l'histoire, le prolộtariat et la bourgeoisie. Sa tõche ne consistait plus ? fabriquer un systốme social aussi parfait que possible, mais ? ộtudier le dộveloppement historique de l'ộconomie qui avait engendrộ d'une faỗon nộcessaire ces classes et leur antagonisme, et ? dộcouvrir dans la situation ộconomique ainsi crộộe les moyens de rộsoudre le conflit. Mais le socialisme antộrieur ộtait tout aussi incompatible avec cette conception matộrialiste de l'histoire que la conception de la nature du matộrialisme franỗais l'ộtait avec la dialectique et les sciences modernes de la nature. Certes, le socialisme antộrieur critiquait le mode de production capitaliste existant et ses consộquences, mais il ne pouvait pas l'expliquer, ni par consộquent en venir ? bout; il ne pouvait que le rejeter purement et simplement comme mauvais. Plus il s'emportait avec violence contre l'exploitation de la classe ouvriốre qui en est insộparable, moins il ộtait en mesure d'indiquer avec nettetộ en quoi consiste cette exploitation et quelle en est la source. Or le problốme ộtait, d'une part, de reprộsenter ce mode de production capitaliste dans sa connexion historique et sa nộcessitộ pour une pộriode dộterminộe de l'histoire, avec par consộquent, la nộcessitộ de sa chute, d'autre part, de mettre ? nu aussi son caractốre interne encore cachộ. C'est ce que fit la dộcouverte de la plus value. Il fut prouvộ que l'appropriation de travail non payộ est la forme fondamentale du mode de production capitaliste et de l'exploitation de l'ouvrier qui en rộsulte; que mờme lorsque le capitalisme paie la force de travail de son ouvrier ? la pleine valeur qu'elle a sur le marchộ en tant que marchandise, il en tire pourtant plus de valeur qu'il n'en a payộ pour elle; et que cette plus-value constitue, en derniốre analyse, la somme de valeur d'oự provient la masse de capital sans cesse croissante accumulộe entre les mains des classes possộdantes. La marche de la production capitaliste, aussi bien que de la production de capital, se trouvait expliquộe.
    Ces deux grandes dộcouvertes: la conception matộrialiste de l histoire et la rộvộlation du mystốre de la production capitaliste au moyen de la plus value, nous les devons ? Marx. C'est grõce ? elles que le socialisme est devenu une science, qu'il s'agit maintenant d'ộlaborer dans tous ses dộtails et ses connexions.
    --- III ---
    La conception matộrialiste de l'histoire part de la thốse que la production, et aprốs la production, l'ộchange de ses produits, constituent le fondement de tout rộgime social; que dans toute sociộtộ qui apparaợt dans l'histoire, la rộpartition des produits, et, avec elle, l'articulation sociale en classes ou en ordres se rốgle sur ce qui est produit et sur la faỗon dont cela est produit ainsi que sur la faỗon dont on ộchange les choses produites. En consộquence, ce n'est pas dans la tờte des hommes, dans leur comprộhension croissante de la vộritộ et de la justice ộternelles, mais dans les modifications du mode de production et d'ộchange qu'il faut chercher les causes derniốres de toutes les modifications sociales et de tous les bouleversements politiques; il faut les chercher non dans la philosophie, mais dans l'ộconomie de l'ộpoque intộressộe. Si l'on s'ộveille ? la comprộhension que les institutions sociales existantes sont dộraisonnables et injustes, que la raison est devenue sottise et le bienfait flộau, ce n'est l? qu'un indice qu'il s'est opộrộ en secret dans les mộthodes de production et les formes d'ộchange des transformations avec lesquelles ne cadre plus le rộgime social adaptộ ? des con***ions ộconomiques antộrieures. Cela signifie, en mờme temps, que les moyens d'ộliminer les anomalies dộcouvertes existent forcộment, eux aussi, ? l'ộtat plus ou moins dộveloppộ, dans les rapports de production modifiộs. Il faut donc non pas, disons, inventer ces moyens dans sa tờte, mais les dộcouvrir ? l'aide de son cerveau dans les faits matộriels de production qui sont l?.
    Quelle est en consộquence la position du socialisme moderne ?
    Le rộgime social existant, ceci est maintenant assez gộnộralement admis, a ộtộ crộộ par la classe actuellement dominante, la bourgeoisie. Le mode de production propre ? la bourgeoisie, appelộ depuis Marx mode de production capitaliste, ộtait incompatible avec les privilốges des localitộs et des ordres, de mờme qu'avec les liens personnels rộciproques du rộgime fộodal. La bourgeoisie a mis en piốces le rộgime fộodal et ộdifiộ sur ses ruines la constitution bourgeoise de la sociộtộ, empire de la libre concurrence, de la libertộ d'aller et venir, de l'ộgalitộ juridique des possesseurs de marchandises et autres splendeurs bourgeoises. Le mode de production capitaliste pouvait maintenant se dộployer librement. Les rapports de production ộlaborộs sous la direction de la bourgeoisie se sont dộveloppộs, depuis que la vapeur et le nouveau machinisme ont transformộ la vieille manufacture en grande industrie, avec une rapi***ộ et une ampleur inouùes jusque l?. Mais de mờme que, en leur temps, la manufacture et l'artisanat, dộveloppộ sous son influence, ộtaient entrộs en conflit avec les entraves fộodales des corporations, de mờme la grande industrie, une fois dộveloppộe plus complốtement, entre en conflit avec les barriốres dans lesquelles le mode de production capitaliste la tient enserrộe. Les forces de production nouvelles ont dộj? dộbordộ la forme bourgeoise de leur emploi; et ce conflit entre les forces productives et le mode de production n'est pas un conflit nộ dans la tờte des hommes comme, par exemple, celui du pộchộ originel et de la justice divine: il est l?, dans les faits, objectivement, en dehors de nous, indộpendamment de la volontộ ou de la marche mờme de ceux des hommes qui l'ont provoquộ. Le socialisme moderne n'est rien d'autre que le reflet dans la pensộe de ce conflit effectif, sa rộflexion, sous forme d'idộes, tout d'abord dans les cerveaux de la classe qui en souffre directement, la classe ouvriốre.
    Or, en quoi consiste ce conflit ?
    Avant la production capitaliste, donc au moyen õge, on ộtait en prộsence partout de la petite production, que fondait la propriộtộ privộe des travailleurs sur leurs moyens de production: agriculture des petits paysans libres ou serfs, artisanat des villes. Les moyens de travail, terre, instruments aratoires, atelier, outils de l'artisan, ộtaient des moyens de travail de l'individu, calculộs seulement pour l'usage individuel; ils ộtaient donc nộcessairement mesquins, minuscules, limitộs. Mais, pour cette raison mờme, ils appartenaient normalement au producteur mờme. Concentrer, ộlargir ces moyens de production dispersộs et ộtriquộs, en faire les leviers puissants de la production actuelle, tel fut prộcisộment le rụle historique du mode de production capitaliste et de la classe qui en est le support, la bourgeoisie. Dans la quatriốme section du Capital, Marx a dộcrit dans le dộtail comment elle a menộ cette oeuvre ? bonne fin depuis le XVe siốcle, aux trois stades de la coopộration simple, de la manufacture et de la grande industrie. Mais, comme il le prouve ộgalement au mờme endroit, la bourgeoisie ne pouvait pas transformer ces moyens de production limitộs en puissantes forces productives sans transformer les moyens de production de l'individu en moyens de production sociaux, utilisables seulement par un ensemble d'hommes. Au lieu du rouet, du mộtier de tisserand ? la main, du marteau de forgeron sont apparus la machine ? filer, le mộtier mộcanique, le marteau ? vapeur; au lieu de l'atelier individuel, la fabrique qui commande la coopộration de centaines et de milliers d'hommes. Et de mờme que les moyens de production, la production elle mờme s'est transformộe d'une sộrie d'actes individuels en une sộrie d'actes sociaux et les produits, de produits d'individus, en produits sociaux. Le fil, le tissu, la quincaillerie qui sortaient maintenant de la fabrique ộtaient le produit collectif de nombreux ouvriers, par les mains desquels ils passaient forcộment tour ? tour avant d'ờtre finis. Pas un individu qui puisse dire d'eux: c'est moi qui ai fait cela, c'est mon produit.
    Mais l? oự la division naturelle du travail ? l'intộrieur de la sociộtộ, celle qui est nộe spontanộment peu ? peu, est la forme fondamentale de la production, elle imprime aux produits la forme de marchandises, dont l'ộchange rộciproque, l'achat et la vente mettent les producteurs individuels en ộtat de satisfaire leurs multiples besoins. Et c'ộtait le cas au moyen õge. Le paysan, par exemple, vendait ? l'artisan des produits des champs et lui achetait en compensation des produits de l'artisanat. C'est dans cette sociộtộ de producteurs individuels, de producteurs de marchandises, que s'est donc infiltrộ le mode de production nouveau. On l'a vu introduire au beau milieu de cette division du travail naturelle, sans mộthode, qui rộgnait dans toute la sociộtộ, la division mộthodique du travail telle qu'elle ộtait organisộe dans la fabrique individuelle; ? cụtộ de la production individuelle apparut la production sociale. Les produits de l'une et de l'autre se vendaient sur le mờme marchộ, donc ? des prix ộgaux au moins approximativement. Mais l'organisation mộthodique ộtait plus puissante que la division du travail naturelle; les fabriques travaillant socialement produisaient ? meilleur marchộ que les petits producteurs isolộs. La production individuelle succomba dans un domaine aprốs l'autre, la production sociale rộvolutionna tout le vieux mode de production. Mais ce caractốre rộvolutionnaire, qui lui est propre, fut si peu reconnu qu'on l'introduisit, au contraire, comme moyen d'ộlever et de favoriser la production marchande. Elle naquit en se rattachant directement ? certains leviers dộj? existants de la production marchande et de l'ộchange des marchandises: capital commercial, artisanat, travail salariộ. Du fait qu'elle se prộsentait elle- mờme comme une forme nouvelle de production marchande, les formes d'appropriation de la production marchande restốrent pleinement valables pour elle aussi.
    Dans la production marchande telle qu'elle s'ộtait dộveloppộe au moyen õge, la question ne pouvait mờme pas se poser de savoir ? qui devait appartenir le produit du travail. En rốgle gộnộrale, le producteur individuel l'avait fabriquộ avec des matiốres premiốres qui lui appartenaient et qu'il produisait souvent lui mờme, ? l'aide de ses propres moyens de travail et de son travail manuel personnel ou de celui de sa famille. Le produit n'avait nullement besoin d'ờtre appropriộ d'abord par lui, il lui appartenait de lui mờme. La propriộtộ du produit reposait donc sur le travail personnel. Mờme l? oự l'on utilisait l'aide d'autrui, celle ci restait en rốgle gộnộrale accessoire et, en plus du salaire, elle recevait frộquemment une autre rộmunộration: l'apprenti ou le compagnon de la corporation travaillaient moins pour la nourriture et le salaire que pour leur propre prộparation ? la maợtrise. C'est alors que vint la concentration des moyens de production dans de grands ateliers et des manufactures, leur transformation en moyens de production effectivement sociaux. Mais les moyens de production et les produits sociaux furent traitộs comme si, aprốs comme avant, ils ộtaient les moyens de production et les produits d'individus. Si, jusqu'alors, le possesseur des moyens de travail s'ộtait appropriộ le produit parce que, en rốgle gộnộrale, il ộtait son propre produit et que l'appoint du travail d'autrui ộtait l'exception, le possesseur des moyens de travail continua maintenant ? s'approprier le produit bien qu'il ne fỷt plus son produit, mais exclusivement le produit du travail d'autrui. Ainsi, les produits dộsormais crộộs socialement ne furent pas appropriộs par ceux qui avaient mis rộellement en oeuvre les moyens de production et avaient rộellement fabriquộ les produits, mais par le capitaliste. Moyens de production et production sont devenus essentiellement sociaux; mais on les assujettit ? une forme d'appropriation qui prộsuppose la production privộe d'individus, dans laquelle donc chacun possốde et porte au marchộ son propre produit. On assujettit le mode de production ? cette forme d'appropriation bien qu'il en supprime la con***ion prộalable. Dans cette contradiction qui confốre au nouveau mode de production son caractốre capitaliste gợt dộj? en germe toute la grande collision du prộsent. A mesure que le nouveau mode de production arrivait ? dominer dans tous les secteurs dộcisifs de la production et dans tous les pays ộconomiquement dộcisifs, et par suite ộvinỗait la production individuelle jusqu'? la rộduire ? des restes insignifiants, on voyait forcộment apparaợtre d'autant plus crỷment l'incompatibilitộ de la production sociale et de l'appropriation capitaliste.
    Les premiers capitalistes trouvốrent dộj?, comme nous l'avons ***, toute prờte la forme du travail salariộ. Mais ils la trouvốrent comme exception, occupation accessoire. ressource provisoire, situation transitoire. Le travailleur rural qui, de temps ? autre, allait travailler ? la journộe. avait ses quelques arpents de terre qu'il possộdait en propre et dont ? la rigueur il pouvait vivre. Les rốglements des corporations veillaient ? ce que le compagnon d'aujourd'hui devợnt le maợtre de demain. Mais dốs que les moyens de production se furent transformộs en moyens sociaux et furent concentrộs entre les mains de capitalistes, tout changea. Le moyen de production ainsi que le produit du petit producteur individuel se dộprộciốrent de plus en plus; il ne lui resta plus qu'? aller travailler pour un salaire chez le capitaliste. Le travail salariộ, autrefois exception et ressource provisoire, devint la rốgle et la forme fondamentale de toute la production; autrefois occupation accessoire, il devint alors l'activitộ exclusive du travailleur. Le salariộ ? temps se transforma en salariộ ? vie. La foule des salariộs ? vie fut, de plus, ộnormộment accrue par l'effondrement simultanộ du rộgime fộodal, la dissolution des suites des seigneurs fộodaux, l'expulsion des paysans hors de leurs fermes, etc. La sộparation ộtait accomplie entre les moyens de production concentrộs dans les mains des capitalistes d'un cụtộ, et les producteurs rộduits ? ne possộder que leur force de travail de l'autre. La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se manifeste comme l'antagonisme du prolộtariat et de la bourgeoisie.
    Nous avons vu que le mode de production capitaliste s'est infiltrộ dans une sociộtộ de producteurs de marchandises, producteurs individuels dont la cohộsion sociale avait pour intermộdiaire l ộchange de leurs produits. Mais toute sociộtộ reposant sur la production marchande a ceci de particulier que les producteurs y ont perdu la domination sur leurs propres relations sociales. Chacun produit pour soi, avec ses moyens de production dus au hasard et pour son besoin d'ộchange particulier. Nul ne sait quelle quantitộ de son article parviendra sur le marchộ ni mờme quelle quantitộ il en faudra; nul ne sait si son produit individuel trouvera ? son arrivộe un besoin rộel, s'il fera ses frais ou mờme s'il pourra vendre. C'est le rốgne de l'anarchie de la production sociale. Mais la production marchande comme toute autre forme de production a ses lois particuliốres, immanentes, insộparables d'elle; et ces lois s'imposent malgrộ l'anarchie, en elle, par elle. Elles se manifestent dans la seule forme qui subsiste de lien social, dans l'ộchange, et elles prộvalent en face des producteurs individuels comme lois coercitives de la concurrence. Elles sont donc, au dộbut, inconnues ? ces producteurs eux-mờmes et il faut d'abord qu'ils les dộcouvrent peu ? peu par une longue expộrience. Elles s'imposent donc sans les producteurs et contre les producteurs comme lois naturelles de leur forme de production, lois ? l'action aveugle. Le produit domine les producteurs.
    Dans la sociộtộ du moyen õge, surtout dans les premiers siốcles, ]a production ộtait essentiellement orientộe vers la consommation personnelle. Elle ne satisfaisait, en ordre principal, que les besoins du producteur et de sa famille. L? oự, comme ? la campagne, existaient des rapports personnels de dộpendance, elle contribuait aussi ? satisfaire les besoins du seigneur fộodal. Il ne se produisait donc l? aucun ộchange, et par suite, les produits ne prenaient pas non plus le caractốre de marchandise. La famille du paysan produisait presque tout ce dont elle avait besoin, aussi bien outils et vờtements que vivres. C'est seulement lorsqu'elle en vint ? produire un excộdent au del? de ses propres besoins et des redevances en nature dues au seigneur fộodal qu'elle produisit aussi des marchandises; cet excộdent jetộ dans l'ộchange social, mis en vente, devint marchandise. Les artisans des villes ont ộtộ certes forcộs de produire dốs le dộbut pour l'ộchange. Mais, eux aussi, couvraient par leur travail la plus grande partie de leurs propres besoins; ils avaient des jardins et de petits champs; ils envoyaient leur bộtail dans la forờt communale, qui leur donnait en outre du bois de construction et du combustible; les femmes filaient le lin, la laine, etc. La production en vue de l'ộchange, la production marchande n'ộtait qu'? ses dộbuts. D'oự ộchange limitộ, marchộ limitộ, mode de production stable, isolộment du cụtộ de l'extộrieur, association locale du cụtộ de l'intộrieur: la Marche (communautộ agraire) dans la campagne, la corporation dans la ville.
    Mais avec l'extension de la production marchande et surtout l'avốnement du mode de production capitaliste, les lois de la production marchande, qui sommeillaient jusque l?, entrốrent aussi en action d'une maniốre plus ouverte et plus puissante. Les vieilles associations se relõchốrent, les vieilles barriốres d'isolement furent percộes, les producteurs transformộs de plus en plus en producteurs de marchandises indộpendants et isolộs. L'anarchie de la production sociale vint au jour et fut de plus en plus poussộe ? son comble. Mais l'instrument principal avec lequel le mode de production capitaliste accrut cette anarchie dans la production sociale ộtait juste le contraire de l'anarchie: l'organisation croissante de la production en tant que production sociale dans chaque ộtablissement de production isolộ.
    C'est avec ce levier qu'il mit fin ? la paisible stabilitộ d'autrefois. L? oự elle fut introduite dans une branche d'industrie, elle ne souffrit ? cụtộ d'elle aucune mộthode d'exploitation plus ancienne. L? oự elle s'empara de l'artisanat, elle anộantit le vieil artisanat. Le champ du travail devint un terrain de bataille. Les grandes dộcouvertes gộographiques et les entreprises de colonisation qui les suivirent multipliốrent les dộbouchộs et accộlộrốrent la transformation de l'artisanat en manufacture. La lutte n'ộclata pas seulement entre les producteurs locaux individuels; les luttes locales grandirent de leur cụtộ jusqu'? devenir des luttes nationales: les guerres commerciales du XVIIe et du XIIIe siốcle. La grande industrie, enfin, et l'ộtablissement du marchộ mondial ont universalisộ la lutte et lui ont donnộ en mờme temps une violence inouùe. Entre capitalistes isolộs, de mờme qu'entre industries entiốres et pays entiers, ce sont les con***ions naturelles ou artificielles de la production qui, selon qu'elles sont plus ou moins favorables, dộcident de l'existence. Le vaincu est ộliminộ sans mộnagement. C'est la lutte darwinienne pour l'existence de l'individu, transposộe de la nature dans la sociộtộ avec une rage dộcuplộe. La con***ion de l'animal dans la nature apparaợt comme l'apogộe du dộveloppement humain. La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se prộsente alors comme l'antagonisme entre l'organisation de la production dans la fabrique individuelle et l'anarchie de la production dans l'ensemble de la sociộtộ.
    C'est dans ces deux formes d'apparition de la contradiction immanente au mode de production capitaliste de par son origine que se meut ce mode de production, en dộcrivant sans pouvoir en sortir ce ô cercle vicieux ằ que Fourier dộcouvrait dộj? en lui. Toutefois, ce que Fourier ne pouvait encore voir de son temps, c'est que ce cercle se rộtrộcit peu ? peu, que le mouvement reprộsente plutụt une spirale, laquelle, comme celle des planốtes, doit atteindre sa fin en entrant en collision avec le centre. C'est la force motrice de l'anarchie sociale de la production qui transforme de plus en plus la grande majoritộ des hommes en prolộtaires et ce sont ? leur tour les masses prolộtariennes qui finiront par mettre un terme ? l'anarchie de la production. C'est la force motrice de l'anarchie sociale de la production qui transforme la perfectibilitộ infinie des machines de la grande industrie en une loi impộrative pour chaque capitaliste industriel pris ? part, en l'obligeant ? perfectionner de plus en plus son machinisme sous peine de ruine. Mais perfectionner les machines, cela signifie rendre du travail humain superflu. Si introduction et accroissement des machines signifient ộviction de millions de travailleurs ? la main par un petit nombre de travailleurs ? la machine, amộlioration du machinisme signifie ộviction de travailleurs ? la machine de plus en plus nombreux et, en derniốre analyse, production d'un nombre de salariộs disponibles qui dộpasse le besoin d'emploi moyen du capital, d'une armộe de rộserve industrielle complốte, selon la dộnomination que j'ai employộe dốs 1845, armộe disponible pour les pộriodes oự l'industrie travaille ? haute pression, jetộe sur le pavộ par le krach qui suit nộcessairement, boulet que la classe ouvriốre traợne aux pieds en tout temps dans sa lutte pour l'existence contre le capital, rộgulateur qui maintient le salaire au bas niveau correspondant au besoin capitaliste. C'est ainsi que le machinisme devient, pour parler comme Marx, l'arme la plus puissante du capital contre la classe ouvriốre, que le moyen de travail arrache sans cesse le moyen de subsistance des mains de l'ouvrier, que le propre produit de l'ouvrier se transforme en un instrument d'asservissement de l'ouvrier. C'est ainsi que d'emblộe, l'ộconomie des moyens de travail devient, en mờme temps, la dilapidation la plus brutale de la force de travail, un vol sur les con***ions normales de la fonction du travail; que le machinisme, le moyen le plus puissant de rộduire le temps de travail, se convertit en le plus infaillible moyen de transformer l'entiốre durộe de la vie de l'ouvrier et de sa famille en temps de travail disponible pour faire valoir le capital; c'est ainsi que le surmenage des uns dộtermine le chụmage des autres et que la grande industrie, qui va ? la chasse, par tout le globe, du consommateur nouveau, limite ? domicile la consommation des masses ? un minimum de famine et sape ainsi son propre marchộ intộrieur.
    ô la loi qui toujours ộquilibre le progrốs de l'accumulation du capital et celui de la surpopulation relative ou de l'armộe de rộserve industrielle, rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Promộthộe ? son rocher. C'est cette loi qui ộtablit une corrộlation fatale entre l'accumulation du capital et l'accumulation de la misốre, de telle sorte qu'accumulation de richesse ? un pụle ộgale accumulation de pauvretộ, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de dộgradation morale, d'esclavage au pụle opposộ, du cụtộ de la classe qui produit le capital mờme. ằ (Marx: le Capital).
    Quant ? attendre du mode de production capitaliste une autre rộpartition des produits, ce serait demander aux ộlectrodes d'une batterie qu'elles ne dộcomposent pas l'eau et qu'elles ne dộveloppent pas de l'oxygốne au pụle positif et de l'hydrogốne ne au pụle nộgatif alors qu'elles sont reliộes ? la batterie.
    Nous avons vu comment la perfectibilitộ poussộe au maximum du machinisme moderne se transforme, par l'effet de l'anarchie de la production dans la sociộtộ, en une loi impộrative pour le capitaliste industriel isolộ, en l'obligeant ? amộliorer sans cesse son machinisme, ? accroợtre sans cesse sa force de production. La simple possibilitộ de fait d'agrandir le domaine de sa production se transforme pour lui en une autre loi tout aussi impộrative. J. ộnorme force d'expansion de la grande industrie, ? cụtộ de laquelle celle des gaz est un vộritable jeu d'enfant, se manifeste ? nous maintenant comme un besoin d'expansion qualitatif et quantitatif, qui se rit de toute contre pression la contre pression est constituộe par la consommation, le dộbouchộ, les marchộs pour les produits de la grande industrie. Mais la capacitộ d'expansion des marchộs, extensive aussi bien qu'intensive, est dominộe en premier lieu par des lois toutes diffộrentes, dont l'action est beaucoup moins ộnergique. L'expansion des marchộs ne peut pas aller de pair avec l'expansion de la production. La collision est inộluctable et comme elle ne peut engendrer de solution tant qu'elle ne fait pas ộclater le mode de production capitaliste lui mờme, elle devient pộriodique. La production capitaliste engendre un nouveau ô cercle vicieux ằ.
    En effet, depuis 1825, date oự ộclata la premiốre crise gộnộrale, la totalitộ du monde industriel et commercial, la production et l'ộchange de l'ensemble des peuples civilisộs et de leurs appendices plus ou moins barbares se dộtraquent environ une fois tous les dix ans. Le commerce s'arrờte, les marchộs sont encombrộs, les produits sont l? en quantitộs aussi massives qu'ils sont invendables, l'argent comptant devient invisible, le crộ*** s'ộvanouit, les fabriques s'arrờtent, les masses travailleuses manquent de moyens de subsistance pour avoir produit trop de moyens de subsistance, les faillites succốdent aux faillites, les ventes forcộes aux ventes forcộes. L'engorgement dure des annộes, forces productives et produits sont dilapidộs et dộtruits en masse jusqu'? ce que les masses de marchandises accumulộes s'ộcoulent enfin avec une dộprộciation plus ou moins forte, jusqu'? ce que production et ộchange reprennent peu ? peu leur marche. Progressivement l'allure s'accộlốre, passe au trot, le trot industriel se fait galop et ce galop augmente ? son tour jusqu'au ventre ? terre d'un steeple chase complet de l'industrie, du commerce, du crộ*** et de la spộculation, pour finir, aprốs les sauts les plus pộrilleux, par se retrouver ... dans le fossộ du krach. Et toujours la mờme rộpộtition. Voil? ce que nous n'avons pas vộcu moins de cinq fois depuis 1825, et ce que nous vivons en cet instant (1877) pour la sixiốme fois. Et le caractốre de ces crises est si nettement marquộ que Fourier a mis le doigt sur toutes en qualifiant la premiốre de crise plộthorique.
    On voit, dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste arriver ? l'explosion violente. La circulation des marchandises est momentanộment anộantie; le moyen de circulation, l'argent, devient obstacle ? la circulation; toutes les lois de la production et de la circulation des marchandises sont mises sens dessus dessous. La collision ộconomique a atteint son point culminant: le mode de production se rebelle contre le mode d'ộchange.
    Le fait que l'organisation sociale de la production ? l'intộrieur de la fabrique s'est dộveloppộe jusqu'au point oự elle est devenue incompatible avec l'anarchie de la production dans la sociộtộ, qui subsiste ? cụtộ d'elle et au-dessus d'elle ce fait est rendu palpable aux capitalistes eux mờmes par la concentration violente des capitaux qui s'accomplit pendant les crises moyennant la ruine d'un nombre ộlevộ de grands capitalistes et d'un nombre plus ộlevộ encore de petits. L'ensemble du mộcanisme du mode de production capitaliste refuse le service sous la pression des forces productives qu'il a lui mờme engendrộes. Il ne peut plus transformer cette masse de moyens de production tout entiốre en capital; ils chụment, et c'est pourquoi l'armộe de rộserve industrielle doit chụmer aussi. Moyens de production, moyens de subsistance, travailleurs disponibles, tous les ộlộments de la production et de la richesse gộnộrale existent en excộdent. Mais ô la plộthore devient la source de la pộnurie et de la misốre ằ (Fourier), car c'est elle prộcisộment qui empờche la transformation des moyens de production et de subsistance en capital. Car, dans la sociộtộ capitaliste, les moyens de production ne peuvent entrer en activitộ ? moins qu'ils ne se soient auparavant transformộs en capital, en moyens pour l'exploitation de la force de travail humaine. La nộcessitộ pour les moyens de production et de subsistance de prendre la qualitộ de capital se dresse comme un spectre entre eux et les ouvriers. C'est elle seule qui empờche la conjonction des leviers matộriels et personnels de la production; c'est elle seule qui inter*** aux moyens de production de fonctionner, aux ouvriers de travailler et de vivre. D'une part, donc, le mode de production capitaliste a administrộ la preuve convaincante qu'il est incapable de continuer ? administrer ces forces productives. D'autre part, ces forces productives elles mờmes poussent avec une puissance croissante ? la suppression de la contradiction, ? leur affranchissement de leur qualitộ de capital, ? la reconnaissance effective de leur caractốre de forces productives sociales.
    C'est cette rộaction des forces productives en puissante croissance contre leur qualitộ de capital, c'est cette nộcessitộ grandissante oự l'on est de reconnaợtre leur nature sociale, qui obligent la classe des capitalistes elle mờme ? les traiter de plus en plus. dans la mesure tout au moins oự c'est en gộnộral possible ? l'intộrieur du rapport capitaliste, comme des forces de production sociales. La pộriode industrielle de haute pression, avec son gonflement illimitộ du crộ***, aussi bien que le krach lui mờme, par l'effondrement de grands ộtablissements capitalistes, poussent ? cette forme de socialisation de masses considộrables de moyens de production qui se prộsente ? nous dans les diffộrents genres de sociộtộs par actions. Beaucoup de ces moyens de production et de communication sont, d'emblộe, si colossaux qu'ils excluent, comme les chemins de fer, toute autre forme d'exploitation capitaliste. Mais, ? un certain degrộ de dộveloppement, cette forme elle mờme ne suffit plus; les gros producteurs nationaux d'une seule et mờme branche industrielle s'unissent en un ô trust ằ, union qui a pour but la rộglementation de la production; ils dộterminent la quantitộ totale ? produire, la rộpartissent entre eux et arrachent ainsi le prix de vente fixộ ? l'avance. Mais comme ces trusts, en gộnộral, se disloquent ? la premiốre pộriode de mauvaises affaires, ils poussent prộcisộment par l? ? une socialisation encore plus concentrộe; toute la branche industrielle se transforme en une seule grande sociộtộ par actions, la concurrence intộrieure fait place au monopole intộrieur de cette sociộtộ unique; c'est ce qui est arrivộ encore en 1890 avec la production anglaise de l'alcali qui, aprốs fusion des 48 grandes usines sans exception, est maintenant dans les mains d'une seule sociộtộ ? direction unique, avec un capital de 120 millions de marks.
    Dans les trusts, la libre concurrence se convertit en monopole, la production sans plan de la sociộtộ capitaliste capitule devant la production planifiộe de la sociộtộ socialiste qui s'approche. Tout d'abord, certes, pour le plus grand bien des capitalistes. Mais, ici, l'exploitation devient si palpable qu'il faut qu'elle s'effondre. Pas un peuple ne supporterait une production dirigộe par des trusts, une exploitation ? ce point cynique de l'ensemble par une petite bande d'encaisseurs de coupons.
    Quoi qu'il en soit, avec trusts ou sans trusts, il faut finalement que le reprộsentant officiel de la sociộtộ capitaliste, l'ẩtat, en prenne la direction. La nộcessitộ de la transformation en propriộtộ d'ẫtat apparaợt d'abord dans les grands organismes de communication: postes, tộlộgraphes, chemins de fer.
    Si les crises ont fait apparaợtre l'incapacitộ de la bourgeoisie ? continuer ? gộrer les forces productives modernes, la transformation des grands organismes de production et de communication en sociộtộs par actions, en trusts et en propriộtộs d'ẫtat montre combien on peut se passer de la bourgeoisie pour cette fin. Toutes les fonctions sociales du capitaliste sont maintenant assurộes par des employộs rộmunộrộs. Le capitaliste n'a plus aucune activitộ sociale hormis celle d'empocher les revenus, de dộtacher les coupons et de jouer ? la Bourse, oự les divers capitalistes se dộpouillent mutuellement de leur capital. Le mode de production capitaliste, qui a commencộ par ộvincer des ouvriers, ộvince maintenant les capitalistes et, tout comme les ouvriers, il les relốgue dans la population superflue, sinon dốs l'abord dans l'armộe industrielle de rộserve.
    Mais ni la transformation en sociộtộs par actions et en trusts, ni la transformation en propriộtộ d'ẫtat ne supprime la qualitộ de capital des forces productives. Pour les sociộtộs par actions et les trusts, cela est ộvident. Et l'ẩtat moderne n'est ? son tour que l'organisation que la sociộtộ bourgeoise se donne pour maintenir les con***ions extộrieures gộnộrales du mode de production capitaliste contre des empiộtements venant des ouvriers comme des capitalistes isolộs. L'ẩtat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste: l'ẩtat des capitalistes, le capitaliste collectif en idộe. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriộtộ, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariộs, des prolộtaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimộ, il est au contraire poussộ ? son comble. Mais, arrivộ ? ce comble, il se renverse. La propriộtộ d'ẫtat sur les forces productives n'est pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel de le rộsoudre, elle met la solution ? portộe de la main.
    Cette solution peut consister seulement dans le fait que la nature sociale des forces productives modernes est effectivement reconnue, que donc le mode de production, d'appropriation et d'ộchange est mis en harmonie avec le caractốre social des moyens de production. Et cela ne peut se produire que si la sociộtộ prend possession ouvertement et sans dộtours des forces productives qui sont devenues trop grandes pour toute autre direction que la sienne. Ainsi, les producteurs font prộvaloir en pleine conscience le caractốre social des moyens de production et des produits, qui se tourne aujourd'hui contre les producteurs eux-mờmes, qui fait ộclater pộriodiquement le mode de production et d'ộchange et ne s'impose que dans la violence et la destruction comme une loi de la nature ? l'action aveugle; dốs lors, de cause de trouble et d'effondrement pộriodique qu'il ộtait, il se transforme en un levier puissant entre tous de la production elle mờme.
    Les forces socialement agissantes agissent tout ? fait comme les forces de la nature: aveugles, violentes, destructrices tant que nous ne les connaissons pas et ne comptons pas avec elles. Mais une fois que nous les avons reconnues, que nous en avons saisi l'activitộ, la direction, les effets, il ne dộpend plus que de nous de les soumettre de plus en plus ? notre volontộ et d'atteindre nos buts grõce ? elles. Et cela est particuliốrement vrai des ộnormes forces productives actuelles. Tant que nous- nous refusons obstinộment ? en comprendre la nature et le caractốre, et c'est contre cette comprộhension que regimbent le mode de production capitaliste et ses dộfenseurs, ces forces produisent tout leur effet malgrộ nous, contre nous, elles nous dominent, comme nous l'avons exposộ dans le dộtail. Mais une fois saisies dans leur nature, elles peuvent, dans les mains des producteurs associộs, se transformer de maợtresses dộmoniaques en servantes dociles. C'est l? la diffộrence qu'il y a entre la force destructrice de l'ộlectricitộ dans l'ộclair de l'orage et l'ộlectricitộ domptộe du tộlộgraphe et de l'arc ộlectrique, la diffộrence entre l'incendie et le feu agissant au service de l'homme. En traitant de la mờme faỗon les forces productives actuelles aprốs avoir enfin reconnu leur nature, on voit l'anarchie sociale de la production remplacộe par une mise en ordre systộmatique et sociale de la production, selon les besoins de la communautộ comme de chaque individu. Ainsi le mode capitaliste d'appropriation, dans lequel le produit asservit d'abord le producteur, puis l'appropriateur lui mờme, est remplacộ par le mode d'appropriation des produits fondộ sur la nature des moyens modernes de production eux-mờmes: d'une part, appropriation sociale directe comme moyen d'entretenir et de dộvelopper la production, d'autre part, appropriation individuelle directe comme moyen d'existence et de jouissance.
    En transformant de plus en plus la grande majoritộ de la population en prolộtaires, le mode de production capitaliste crộe la puissance qui, sous peine de pộrir, est obligộe d'accomplir ce bouleversement. En poussant de plus en plus ? la transformation des grands moyens de production socialisộs en propriộtộs d'ẫtat, il montre lui mờme la voie ? suivre pour accomplir ce bouleversement. Le prolộtariat s'empare du pouvoir d'ẫtat et transforme les moyens de production d'abord en propriộtộ d'ẫtat. Mais par l?, il se supprime lui mờme en tant que prolộtariat, il supprime toutes les diffộrences de classes et oppositions de classes et ộgalement l'ẩtat en tant qu'ẫtat. La sociộtộ antộrieure, ộvoluant dans des oppositions de classes, avait besoin de l'ẩtat, c'est ? dire, dans chaque cas, d'une organisation de la classe exploiteuse pour maintenir ses con***ions de production extộrieures, donc surtout pour maintenir par la force la classe exploitộe dans les con***ions d'oppression donnộes par le mode de production existant (esclavage, servage, salariat). L'ẩtat ộtait le reprộsentant officiel de toute la sociộtộ, sa synthốse en un corps visible, mais cela, il ne l'ộtait que dans la mesure oự il ộtait l'ẩtat de la classe qui, pour son temps, reprộsentait elle mờme toute la sociộtộ: dans l'antiquitộ, l'ẩtat des citoyens propriộtaires d'esclaves; au moyen õge, de la noblesse fộodale; ? notre ộpoque, de la bourgeoisie. Quand il finit par devenir effectivement le reprộsentant de toute la sociộtộ, il se rend lui mờme superflu. Dốs qu'il n'y a plus de classe sociale ? tenir dans l'oppression; dốs que, avec la domination de classe et la lutte pour l'existence individuelle motivộe par l'anarchie antộrieure de la production, sont ộliminộs ộgalement les collisions et les excốs qui en rộsultent, il n'y a plus rien ? rộprimer qui rende nộcessaire un pouvoir de rộpression, un ẫtat. Le premier acte dans lequel l'ẩtat apparaợt rộellement comme reprộsentant de toute la sociộtộ, la prise de possession des moyens de production au nom de la sociộtộ, est en mờme temps son dernier acte propre en tant qu'ẫtat. L'intervention d'un pouvoir d'ẫtat dans des rapports sociaux devient superflue dans un domaine aprốs l'autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place ? l'administration des choses et ? la direction des processus de production. L'ẩtat n'est pas ô aboli ằ, il s'ộteint. Voil? qui permet de juger la phrase creuse sur l'ô ẫtat populaire libreằ, tant du point de vue de sa justification temporaire comme moyen d'agitation que du point de vue de son insuffisance dộfinitive comme idộe scientifique; de juger ộgalement la revendication de ceux qu'on appelle les anarchistes, d'aprốs laquelle l'ẩtat doit ờtre aboli du jour au lendemain.
    Depuis l'apparition historique du mode de production capitaliste, la prise de possession de l'ensemble des moyens de production par la sociộtộ a bien souvent flottộ plus ou moins vaguement devant les yeux tant d'individus que de sectes entiốres, comme idộal d'avenir. Mais elle ne pouvait devenir possible, devenir une nộcessitộ historique qu'une fois donnộes les con***ions effectives de sa rộalisation. Comme tout autre progrốs social, elle devient praticable non par la comprộhension acquise du fait que l'existence des classes contre*** ? la justice, ? l'ộgalitộ, etc., non par la simple volontộ d'abolir ces classes, mais par certaines con***ions ộconomiques nouvelles. La scission de la sociộtộ en une classe exploiteuse et une classe exploitộe, en une classe dominante et une classe opprimộe ộtait une consộquence nộcessaire du faible dộveloppement de la production dans le passộ. Tant que le travail total de la sociộtộ ne fournit qu'un rendement excộdant ? peine ce qui est nộcessaire pour assurer strictement l'existence de tous, tant que le travail rộclame donc tout ou presque tout le temps de la grande majoritộ des membres de la sociộtộ, celle ci se divise nộcessairement en classes. A cụtộ de cette grande majoritộ, exclusivement vouộe ? la corvộe du travail, il se forme une classe libộrộe du travail directement productif, qui se charge des affaires communes de la sociộtộ: direction du travail, affaires politiques, justice, sciences, beaux arts, etc. C'est donc la loi de la division du travail qui est ? la base de la division en classes. Cela n'empờche pas d'ailleurs que cette division en classes n'ait ộtộ accomplie par la violence et le vol, la ruse et la fraude, et que la classe dominante, une fois mise en selle, n'ait jamais manquộ de consolider sa domination aux dộpens de la classe travailleuse et de transformer la direction sociale en exploitation renforcộe des masses.
    Mais si, d'aprốs cela, la division en classes a une certaine lộgitimitộ historique, elle ne l'a pourtant que pour un temps donnộ, pour des con***ions sociales donnộes. Elle se fondait sur l'insuffisance de la production; elle sera balayộe par le plein dộploiement des forces productives modernes. Et en effet, l'abolition des classes sociales suppose un degrộ de dộveloppement historique oự l'existence non seulement de telle ou telle classe dominante dộterminộe, mais d'une classe dominante en gộnộral, donc de la distinction des classes elle mờme, est devenue un anachronisme, une vieillerie. Elle suppose donc un degrộ d'ộlộvation du dộveloppement de la production oự l'appropriation des moyens de production et des produits, et par suite, de la domination politique, du monopole de la culture et de la direction intellectuelle par une classe sociale particuliốre est devenue non seulement une superfộtation, mais aussi, au point de vue ộconomique, politique et intellectuel, un obstacle au dộveloppement. Ce point est maintenant atteint. Si la faillite politique et intellectuelle de la bourgeoisie n'est plus guốre un secret pour elle mờme, sa faillite ộconomique se rộpốte rộguliốrement tous les dix ans. Dans chaque crise, la sociộtộ ộtouffe sous le faix de ses propres forces productives et de ses propres produits inutilisables pour elle, et elle se heurte impuissante ? cette contradiction absurde: les producteurs n'ont rien ? consommer, parce qu'on manque de consommateurs. La force d'expansion des moyens de production fait sauter les chaợnes dont le mode de production capitaliste l'avait chargộe. Sa libộration de ces chaợnes est la seule con***ion requise pour un dộveloppement des forces productives ininterrompu, progressant ? un rythme toujours plus rapide, et par suite, pour un accroissement pratiquement sans bornes de la production elle mờme. Ce n'est pas tout. L'appropriation sociale des moyens de production ộlimine non seulement l'inhibition artificielle de la production qui existe maintenant, mais aussi le gaspillage et la destruction effectifs de forces productives et de produits, qui sont actuellement les corollaires inộluctables de la production et atteignent leur paroxysme dans les crises. En outre, elle libốre, une masse de moyens de production et de produits pour la collectivitộ en ộliminant la dilapidation stupide que reprộsente le luxe des classes actuellement dominantes et de leurs reprộsentants politiques. La possibilitộ d'assurer, au moyen de la production sociale, ? tous les membres de la sociộtộ une existence non seulement parfaitement suffisante au point de vue matộriel et s'enrichissant de jour en jour, mais leur garantissant aussi l'ộpanouissement et l'exercice libres et complets de leurs dispositions physiques et intellectuelles, cette possibilitộ existe aujourd'hui pour la premiốre fois, mais elle existe. [NOTE : Quelques chiffres pourront donner une idộe approximative de l'ộnorme force d'expansion des moyens de production modernes, mờme sous la pression capitaliste. D'aprốs les calculs de Giffen, la richesse totale de l'Angleterre et de l'Irlande atteignit en chiffres ronds:
    en 1814 2200 millions de livres = 44 milliards de marks
    en 1865 6100 = 122
    en 1875 8500 = 170
    Quant ? la dộvastation de moyens de production et de produits dans les crises, le IIe congrốs des industriels allemands ? Berlin, le 21 fộvrier 1878, a estimộ la perte totale rien que pour l'industrie Sidộrurgique allemande au cours du dernier krach, ? 455 millions de marks. (F. E.)
    Avec la prise de possession des moyens de production par la sociộtộ, la production marchande est ộliminộe, et par suite, la domination du produit sur le producteur. L'anarchie ? l'intộrieur de la production sociale est remplacộe par l'organisation mộthodique consciente. La lutte pour l'existence individuelle cesse. Par l?, pour la premiốre fois, l'homme se sộpare, dans un certain sens, dộfinitivement du rốgne animal, passe de con***ions animales d'existence ? des con***ions rộellement humaines. Le cercle des con***ions de vie entourant l'homme, qui jusqu'ici le dominait, passe maintenant sous la domination et le contrụle des hommes, qui, pour la premiốre fois, deviennent des maợtres rộels et conscients de la nature, parce que et en tant que maợtres de leur propre socialisation. Les lois de leur propre pratique sociale qui, jusqu'ici, se dressaient devant eux comme des lois naturelles, ộtrangốres et dominatrices, sont dốs lors appliquộes par les hommes en pleine connaissance de cause et par l? dominộes. La propre socialisation des hommes qui, jusqu'ici, se dressait devant eux comme octroyộe par la nature et l'histoire, devient maintenant leur acte libre. Les puissances ộtrangốres, objectives qui, jusqu'ici, dominaient l'histoire, passent sous le contrụle des hommes eux mờmes. Ce n'est qu'? partir de ce moment que les hommes feront eux mờmes leur histoire en pleine conscience; ce n'est qu'? partir de ce moment que les causes sociales mises par eux en mouvement auront aussi d'une faỗon prộpondộrante, et dans une mesure toujours croissante, les effets voulus par eux. C'est le bond de l'humanitộ, du rốgne de la nộcessitộ dans le rốgne de la libertộ.
    Pour conclure, rộsumons briốvement la marche de notre dộveloppement:
    I -- Sociộtộ mộdiộvale: Petite production individuelle. Moyens de production adaptộs ? l'usage individuel, donc d'une lourdeur primitive, mesquins, d'effet minuscule. Production pour la consommation immộdiate, soit du producteur lui mờme, soit de son seigneur fộodal. L? seulement oự on rencontre un excộdent de production sur cette consommation, cet excộdent est offert en vente et tombe dans l'ộchange: production marchande seulement ? l'ộtat naissant, mais elle contient dộj? en germe l'anarchie dans la production sociale.
    II -- Rộvolution capitaliste: Transformation de l'industrie, d'abord au moyen de la coopộration simple et de la manufacture. Concentration des moyens de production jusque l? dispersộs en de grands ateliers, par suite transformation des moyens de production de l'individu en moyens sociaux, transformation qui ne touche pas ? la forme de l'ộchange dans son ensemble. Les anciennes formes d'appropriation restent en vigueur. Le capitaliste apparaợt; en sa qualitộ de propriộtaire des moyens de production, il s'approprie aussi les produits et en fait des marchandises. La production est devenue un acte social; l'ộchange et avec lui l'appropriation restent des actes individuels, actes de l'homme singulier: le produit social est appropriộ par le capitaliste individuel. Contradiction fondamentale, d'oự jaillissent toutes les contradictions dans lesquelles se meut la sociộtộ actuelle et que la grande industrie fait apparaợtre en pleine lumiốre.
    A -- Sộparation du producteur d'avec les moyens de production. Condamnation de l'ouvrier au salariat ? vie Opposition du prolộtariat et de la bourgeoisie.
    B -- Manifestation de plus en plus nette et efficacitộ croissante des lois qui dominent la production des marchandises. Lutte de concurrence effrộnộe. Contradiction de l'organisation sociale dans chaque fabrique et de l'anarchie sociale dans l'ensemble de la production.
    C -- D'un cụtộ, perfectionnement du machinisme, dont la concurrence fait une loi impộrative pour tout fabricant et qui ộquivaut ? une ộlimination toujours croissante d'ouvriers: armộe industrielle de rộserve. De l'autre cụtộ, extension sans limite de la production, ộgalement loi coercitive de la concurrence pour chaque fabricant. Des deux cụtộs, dộveloppement inouù des forces productives, excộdent de l'offre sur la demande, surproduction, encombrement des marchộs, crises dộcennales, cercle vicieux: excộdent, ici, de moyens de production et de produits excộdent, l?, d'ouvriers sans emploi et sans moyens d'existence; mais ces deux rouages de la production et du bien-ờtre social ne peuvent s'engrener, du fait que la forme capitaliste de la production inter*** aux forces productives d'agir, aux produits de circuler, ? moins qu'ils ne soient prộcộdemment transformộs en capital: ce que leur propre surabondance mờme empờche. La contradiction s'est haussộe jusqu'au non sens: le mode de production se rebelle contre la forme d'ộchange, la bourgeoisie est convaincue d'incapacite ? diriger davantage ses propres forces productives sociales.
    D -- Reconnaissance partielle du caractốre social des forces productives s'imposant aux capitalistes eux mờme. Appropriation des grands organismes de production et de communication, d'abord par des sociộtộs par actions, puis par des trusts, ensuite par l'ẩtat. La bourgeoisie s'avốre une classe superflue; toutes ses fonctions sociales sont maintenant remplies par des employộs rộmunộrộs.
    III -- Rộvolution prolộtarienne. Rộsolution des contradictions: le prolộtariat s'empare du pouvoir public et, en vertu de ce pouvoir, transforme les moyens de production sociaux qui ộchappent des mains de la bourgeoisie en propriộtộ publique. Par cet acte, il libốre les moyens de production de leur qualitộ antộrieure de capital et donne ? leur caractốre social pleine libertộ de s'imposer. Une production sociale suivant un plan arrờtộ ? l'avance est dộsormais possible. Le dộveloppement de la production fait de l'existence ultộrieure de classes sociales diffộrentes un anachronisme. Dans la mesure oự l'anarchie de la production sociale disparaợt, l'autoritộ politique de l'ẩtat entre en sommeil. Les hommes, enfin maợtres de leur propre socialisation, deviennent aussi par l? mờme, maợtres de la nature, maợtres d'eux mờmes, libres.
    Accomplir cet acte libộrateur du monde, voil? la mission historique du prolộtariat moderne. En approfondir les con***ions historiques et par l?, la nature mờme, et ainsi donner ? la classe qui a mission d'agir, classe aujourd'hui opprimộe, la conscience des con***ions et de la nature de sa propre action, voil? la tõche du socialisme scientifique, expression thộorique du mouvement prolộtarien.
    ------------------------- FIN DU FICHIER utopique2 --------------------------------
  3. Odetta

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