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Vingt mille lieues sous les mers (Jules Verne - Hai vạn dặm dưới biển)

Chủ đề trong 'Tác phẩm Văn học' bởi JogReloaded, 25/08/2004.

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  1. JogReloaded

    JogReloaded Thành viên mới

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    IX - LES COLERES DE NED LAND
    Quelle fut la durée de ce sommeil, je l''ignore; mais il dut être long, car il nous reposa complètement de nos fatigues. Je me réveillai le premier. Mes compagnons n''avaient pas encore bougé, et demeuraient étendus dans leur coin comme des masses inertes.
    A peine relevé de cette couche passablement dure, je sentis mon cerveau dégagé, mon esprit net. Je recommençai alors un examen attentif de notre cellule.
    Rien n''était changé à ses dispositions intérieures. La prison était restée prison, et les prisonniers, prisonniers. Cependant le stewart, profitant de notre sommeil, avait desservi la table. Rien n''indiquait donc une modification prochaine dans cette situation, et je me demandai sérieusement si nous étions destinés à vivre indéfiniment dans cette cage.
    Cette perspective me sembla d''autant plus pénible que, si mon cerveau était libre de ses obsessions de la veille, je me sentais la poitrine singulièrement oppressée. Ma respiration se faisait difficilement. L''air lourd ne suffisait plus au jeu de mes poumons. Bien que la cellule fût vaste, il était évident que nous avions consommé en grande partie l''oxygène qu''elle contenait. En effet, chaque homme dépense en une heure, l''oxygène renfermé dans cent litres d''air et cet air, chargé alors d''une quantité presque égale d''acide carbonique, devient irrespirable.
    Il était donc urgent de renouveler l''atmosphère de notre prison, et, sans doute aussi, L''atmosphère du bateau sous-marin.
    Là se posait une question à mon esprit. Comment procédait le commandant de cette demeure flottante? Obtenait-il de l''air par des moyens chimiques, en dégageant par la chaleur l''oxygène contenu dans du chlorate de potasse, et en absorbant l''acide carbonique par la potasse caustique? Dans ce cas, il devait avoir conservé quelques relations avec les continents, afin de se procurer les matières nécessaires à cette opération. Se bornait-il seulement à emmagasiner l''air sous de hautes pressions dans des réservoirs, puis à le répandre suivant les besoins de son équipage? Peut-être. Ou, procédé plus commode. plus économique, et par conséquent plus probable, se contentait-il de revenir respirer à la surface des eaux, comme un cétacé. et de renouveler pour vingt-quatre heures sa provision d''atmosphère? Quoi qu''il en soit. et quelle que fût la méthode, il me paraissait prudent de l''employer sans retard.
    En effet, j''étais déjà réduit à multiplier mes inspirations pour extraire de cette cellule le peu d''oxygène qu''elle renfermait, quand, soudain, je fus rafraîchi par un courant d''air pur et tout parfumé d''émanations salines. C''était bien la brise de mer, vivifiante et chargée d''iode! J''ouvris largement la bouche, et mes poumons se saturèrent de fraîches molécules. En même temps, je sentis un balancement, un roulis de médiocre amplitude, mais parfaitement déterminable. Le bateau, le monstre de tôle venait évidemment de remonter à la surface de l''Océan pour y respirer à la façon des baleines. Le mode de ventilation du navire était donc parfaitement reconnu.
    Lorsque j''eus absorbé cet air pur à pleine poitrine, je cherchai le conduit, l''" aérifère ", si l''on veut, qui laissait arriver jusqu''à nous ce bienfaisant effluve. et je ne tardai pas à le trouver. Au-dessus de la porte s''ouvrait un trou d''aérage laissant passer une fraîche colonne d''air, qui renouvelait ainsi l''atmosphère appauvrie de la cellule.
    J''en étais là de mes observations, quand Ned et Conseil s''éveillèrent presque en même temps, sous l''influence de cette aération revivifiante. Ils se frottèrent les yeux, se détirèrent les bras et furent sur pied en un instant.
    " Monsieur a bien dormi? me demanda Conseil avec sa politesse quotidienne.
    - Fort bien, mon brave garçon, répondis-je. Et, vous, maître Ned Land?
    - Profondément, monsieur le professeur. Mais, je ne sais si je me trompe, il me semble que je respire comme une brise de mer? "
    Un marin ne pouvait s''y méprendre, et je racontai au Canadien ce qui s''était passé pendant son sommeil.
    " Bon! ***-il, cela explique parfaitement ces mugissements que nous entendions,
    lorsque le prétendu narwal se trouvait en vue de l''Abraham-Lincoln.
    - Parfaitement, maître Land, c''était sa respiration!
    - Seulement, monsieur Aronnax, je n''ai aucune idée de l''heure qu''il est, à moins que ce ne soit l''heure du dîner?
    - L''heure du dîner, mon digne harponneur? ***es, au moins, l''heure du déjeuner, car nous sommes certainement au lendemain d''hier.
    - Ce qui démontre, répon*** Conseil, que nous avons pris vingt-quatre heures de sommeil.
    - C''est mon avis. répondis-je.
    - Je ne vous contredis point, répliqua Ned Land. Mais dîner ou déjeuner, le stewart sera le bienvenu, qu''il apporte l''un ou l''autre.
    - L''un et l''autre, *** Conseil
    - Juste, répon*** le Canadien, nous avons droit à deux repas, et pour mon compte, je ferai honneur à tous les deux.
    - Eh bien! Ned, attendons, répondis-je. Il est évident que ces inconnus n''ont pas l''intention de nous laisser mourir de faim, car, dans ce cas, le dîner d''hier soir n''aurait aucun sens.
    - A moins qu''on ne nous engraisse! riposta Ned.
    - Je proteste, répondis-je. Nous ne sommes point tombés entre les mains de cannibales!
    Une fois n''est pas coutume, répon*** sérieusement le Canadien. Qui sait si ces
    gens-là ne sont pas privés depuis longtemps de chair fraîche, et dans ce cas, trois particuliers sains et bien constitués comme monsieur le professeur, son domestique et moi...
    - Chassez ces idées, maître Land, répondis-je au harponneur, et surtout. ne partez pas de là pour vous emporter contre nos hôtes, ce qui ne pourrait qu''aggraver la situation.
    - En tout cas, *** le harponneur, j''ai une faim de tous les diables, et dîner ou déjeuner, le repas n''arrive guère!
    - Maître Land, répliquai-je, il faut se conformer au règlement du bord, et je suppose que notre estomac avance sur la cloche du maître-coq.
    - Eh bien! on le mettra à l''heure, répon*** tranquillement Conseil.
    - Je vous reconnais là, ami Conseil, riposta l''impatient Canadien. Vous usez peu votre bile et vos nerfs! Toujours calme! Vous seriez capable de dire vos grâces avant votre bénédicité, et de mourir de faim plutôt que de vous plaindre!
    - A quoi cela servirait-il? demanda Conseil.
    Mais cela servirait à se plaindre! C''est déjà quelque chose. Et si ces pirates
    je dis pirates par respect, et pour ne pas contrarier monsieur le professeur qui défend de les appeler cannibales - , si ces pirates se figurent qu''ils vont me garder dans cette cage où j''étouffe, sans apprendre de quels jurons j''assaisonne mes emportements, ils se trompent! Voyons, monsieur Aronnax. parlez franchement. Croyez-vous qu''ils nous tiennent longtemps dans cette boîte de fer?
    - A dire vrai, je n''en sais pas plus long que vous, ami Land.
    - Mais enfin, que supposez-vous?
    - Je suppose que le hasard nous a rendus maîtres d''un secret important. Or, l''équipage de ce bateau sous-marin a intérêt à le garder, et si cet intérêt est plus grave que la vie de trois hommes, je crois notre existence très compromise. Dans le cas contraire, à la première occasion, le monstre qui nous a engloutis nous rendra au monde habité par nos semblables.
    - A moins qu''il ne nous enrôle parmi son équipage, *** Conseil, et qu''il nous garde ainsi...
    - Jusqu''au moment, répliqua Ned Land, où quelque frégate, plus rapide ou plus adroite que l''Abraham-Lincoln, s''emparera de ce nid de forbans, et enverra son équipage et nous respirer une dernière fois au bout de sa grand''vergue.
    - Bien raisonné, maître Land, répliquai-je. Mais on ne nous a pas encore fait, que je sache, de proposition à cet égard. Inutile donc de discuter le parti que nous devrons prendre, le cas échéant. Je vous le répète, attendons, prenons conseil des circonstances, et ne faisons rien, puisqu''il n''y a rien à faire.
    - Au contraire! monsieur le professeur, répon*** le harponneur, qui n''en voulait pas démordre, il faut faire quelque chose.
    - Eh! quoi donc, maître Land?
    - Nous sauver.
    - Se sauver d''une prison "terrestre" est souvent difficile, mais d''une prison sous-marine, cela me paraît absolument impraticable.
    - Allons, ami Ned, demanda Conseil, que répondez-vous à l''objection de monsieur? Je ne puis croire qu''un Américain soit jamais à bout de ressources! "
    Le harponneur. visiblement embarrassé, se taisait. Une fuite, dans les con***ions où le hasard nous avait jetés, était absolument impossible. Mais un Canadien est à demi français, et maître Ned Land le fit bien voir par sa réponse.
    " Ainsi, monsieur Aronnax, reprit-il après quelques instants de réflexion, vous ne devinez pas ce que doivent faire des gens qui ne peuvent s''échapper de leur prison?
    - Non, mon ami.
    - C''est bien simple, il faut qu''ils s''arrangent de manière à y rester.
    - Parbleu! fit Conseil, vaut encore mieux être dedans que dessus ou dessous!
    - Mais après avoir jeté dehors geôliers, porte-clefs et gardiens, ajouta Ned Land.
    - Quoi, Ned? vous songeriez sérieusement à vous emparer de ce bâtiment?
    - Très sérieusement, répon*** le Canadien.
    - C''est impossible.
    - Pourquoi donc, monsieur? Il peut se présenter quelque chance favorable, et je ne vois pas ce qui pourrait nous empêcher d''en profiter. S''ils ne sont qu''une vingtaine d''hommes à bord de cette machine, ils ne feront pas reculer deux Français et un Canadien, je suppose! "
    Mieux valait admettre la proposition du harponneur que de la discuter. Aussi, me contentai-je de répondre:
    " Laissons venir les circonstances, maître Land, et nous verrons. Mais, jusque-là, je vous en prie, contenez votre impatience. On ne peut agir que par ruse, et ce n''est pas en vous emportant que vous ferez naître des chances favorables. Promettez-moi donc que vous accepterez la situation sans trop de colère.
    - Je vous le promets, monsieur le professeur, répon*** Ned Land d''un ton peu rassurant. Pas un mot violent ne sortira de ma bouche, pas un geste brutal ne me trahira, quand bien même le service de la table ne se ferait pas avec toute la régularité désirable.
    - J''ai votre parole, Ned ", répondis-je au Canadien.
    Puis, la conversation fut suspendue, et chacun de nous se mit à réfléchir à part soi. J''avouerai que, pour mon compte, et malgré l''assurance du harponneur, je ne conservais aucune illusion. Je n''admettais pas ces chances favorables dont Ned Land avait parlé. Pour être si sûrement manoeuvré, le bateau sous-marin exigeait un nombreux équipage, et conséquemment, dans le cas d''une lutte, nous aurions affaire à trop forte partie. D''ailleurs, il fallait, avant tout, être libres, et nous ne l''étions pas. Je ne voyais même aucun moyen de fuir cette cellule de tôle si hermétiquement fermée. Et pour peu que l''étrange commandant de ce bateau eût un secret à garder - ce qui paraissait au moins probable il ne nous laisserait pas agir librement à son bord. Maintenant, se débarrasserait-il de nous par la violence, ou nous jetterait-il un jour sur quelque coin de terre? C''était là l''inconnu. Toutes ces hypothèses me semblaient extrêmement plausibles, et il fallait être un harponneur pour espérer de reconquérir sa liberté.
    Je compris d''ailleurs que les idées de Ned Land s''aigrissaient avec les réflexions qui s''emparaient de son cerveau. J''entendais peu à peu les jugements gronder au fond de son gosier, et je voyais ses gestes redevenir menaçants. Il se levait, tournait comme une bête fauve en cage, frappait les murs du pied et du poing. D''ailleurs, le temps s''écoulait, la faim se faisait cruellement sentir, et, cette fois, le stewart ne paraissait pas. Et c''était oublier trop longtemps notre position de naufragés, si l''on avait réellement de bonnes intentions à notre égard.
    Ned Land, tourmenté par les tiraillements de son robuste estomac, se montait de plus en plus, et, malgré sa parole, je craignais véritablement une explosion, lorsqu''il se trouverait en présence de l''un des hommes du bord.
    Pendant deux heures encore, la colère de Ned Land s''exalta. Le Canadien appelait, il criait, mais en vain. Les murailles de tôle étaient sourdes. Je n''entendais même aucun bruit à l''intérieur de ce bateau, qui semblait mort. Il ne bougeait pas, car j''aurais évidemment senti les frémissements de la coque sous l''impulsion de l''hélice. Plongé sans doute dans l''abîme des eaux, il n''appartenait plus à la terre. Tout ce morne silence était effrayant.
    Quant à notre abandon, notre isolement au fond de cette cellule, je n''osais estimer ce qu''il pourrait durer. Les espérances que j''avais conçues après notre entrevue avec le commandant du bord s''effaçaient peu à peu. La douceur du regard de cet homme, l''expression généreuse de sa physionomie, la noblesse de son maintien, tout disparaissait de mon souvenir. Je revoyais cet énigmatique personnage tel qu''il devait être, nécessairement impitoyable, cruel. Je le sentais en dehors de l''humanité, inaccessible à tout sentiment de pitié, implacable ennemi de ses semblables auxquels il avait dû vouer une impérissable haine!
    Mais, cet homme, allait-il donc nous laisser périr d''inanition, enfermés dans cette prison étroite livrés à ces horribles tentations auxquelles pousse la faim farouche? Cette affreuse pensée prit dans mon esprit une intensité terrible, et l''imagination aidant, je me sentis envahir par une épouvante insensée. Conseil restait calme, Ned Land rugissait.
    En ce moment, un bruit se fit entendre extérieurement.
    Des pas résonnèrent sur la dalle de métal. Les serrures furent fouillées, la porte s''ouvrit, le stewart parut.
    Avant que j''eusse fait un mouvement pour l''en empêcher, le Canadien s''était précipité sur ce malheureux; il l''avait renversé; il le tenait à la gorge. Le stewart étouffait sous sa main puissante.
    Conseil cherchait déjà à retirer des mains du harponneur sa victime à demi suffoquée, et j''allais joindre mes efforts aux siens, quand, subitement, je fus cloué à ma place par ces mots prononcés en français:
    " Calmez-vous, maître Land, et vous, monsieur le professeur, veuillez m''écouter! "
    ------------------------------
    Fin du chapitre IX
  2. JogReloaded

    JogReloaded Thành viên mới

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    X - L''HOMME DES EAUX
    C''était le commandant du bord qui parlait ainsi.
    A ces mots, Ned Land se releva subitement. Le stewart, presque étranglé sortit en chancelant sur un signe de son maître; mais tel était l''empire du commandant à son bord, que pas un geste ne trahit le ressentiment dont cet homme devait être animé contre le Canadien. Conseil, intéressé malgré lui, moi stupéfait, nous attendions en silence le dénouement de cette scène.
    Le commandant, appuyé sur l''angle de la table, les bras croisés, nous observait avec une profonde attention. Hésitait-il à parler? Regrettait-il ces mots qu''il venait de prononcer en français? On pouvait le croire.
    Après quelques instants d''un silence qu''aucun de nous ne songea à interrompre:
    " Messieurs, ***-il d''une voix calme et pénétrante, je parle également le français, l''anglais, l''allemand et le latin. J''aurais donc pu vous répondre dès notre première entrevue, mais je voulais vous connaître d''abord, réfléchir ensuite. Votre quadruple récit, absolument semblable au fond, m''a affirmé l''identité de vos personnes. Je sais maintenant que le hasard a mis en ma présence monsieur Pierre Aronnax, professeur d''histoire naturelle au Muséum de Paris, chargé d''une mission scientifique à l''étranger, Conseil son domestique, et Ned Land, d''origine canadienne, harponneur à bord de la frégate l''Abraham-Lincoln, de la marine nationale des États-Unis d''Amérique. "
    Je m''inclinai d''un air d''assentiment. Ce n''était pas une question que me posait le commandant. Donc, pas de réponse à faire. Cet homme s''exprimait avec une aisance parfaite, sans aucun accent. Sa phrase était nette, ses mots justes, sa facilité d''élocution remarquable. Et cependant, je ne " sentais " pas en lui un compatriote.
    Il reprit la conversation en ces termes:
    " Vous avez trouvé sans doute, monsieur, que j''ai longtemps tardé à vous rendre cette seconde visite. C''est que, votre identité reconnue, je voulais peser mûrement le parti à prendre envers vous. J''ai beaucoup hésité. Les plus fâcheuses circonstances vous ont mis en présence d''un homme qui a rompu avec l''humanité. Vous êtes venu troubler mon existence...
    - Involontairement, dis-je.
    - Involontairement? répon*** l''inconnu, en forçant un peu sa voix. Est-ce involontairement que l''Abraham-Lincoln me chasse sur toutes les mers? Est-ce involontairement que vous avez pris passage à bord de cette frégate? Est-ce involontairement que vos boulets ont rebondi sur la coque de mon navire? Est-ce involontairement que maître Ned Land m''a frappé de son harpon? "
    Je surpris dans ces paroles une irritation contenue. Mais, à ces récriminations j''avais une réponse toute naturelle à faire, et je la fis.
    " Monsieur, dis-je, vous ignorez sans doute les discussions qui ont eu lieu à votre sujet en Amérique et en Europe. Vous ne savez pas que divers accidents, provoqués par le choc de votre appareil sous-marin, ont ému l''opinion publique dans les deux continents. Je vous fais grâce des hypothèses sans nombre par lesquelles on cherchait à expliquer l''inexplicable phénomène dont seul vous aviez le secret. Mais sachez qu''en vous poursuivant jusque sur les hautes mers du Pacifique, I''Abraham-Lincoln croyait chasser quelque puissant monstre marin dont il fallait à tout prix délivrer l''Océan. "
    Un demi-sourire déten*** les lèvres du commandant, puis, d''un ton plus calme:
    " Monsieur Aronnax, répon***-il, oseriez-vous affirmer que votre frégate n''aurait pas poursuivi et canonné un bateau sous-marin aussi bien qu''un monstre? "
    Cette question m''embarrassa, car certainement le commandant Farragut n''eût pas hésité. Il eût cru de son devoir de détruire un appareil de ce genre tout comme un narwal gigantesque.
    " Vous comprenez donc, monsieur, reprit l''inconnu, que j''ai le droit de vous traiter en ennemis. "
    Je ne répondis rien, et pour cause. A quoi bon discuter une proposition semblable, quand la force peut détruire les meilleurs arguments.
    " J''ai longtemps hésité, reprit le commandant. Rien ne m''obligeait à vous donner l''hospitalité. Si je devais me séparer de vous, je n''avais aucun intérêt à vous revoir. Je vous remettais sur la plate-forme de ce navire qui vous avait servi de refuge. Je m''enfonçais sous les mers, et j''oubliais que vous aviez jamais existé. N''était-ce pas mon droit?
    - C''était peut-être le droit d''un sauvage, répondis-je, ce n''était pas celui d''un homme civilisé.
    - Monsieur le professeur, répliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé! J''ai rompu avec la société tout entière pour des raisons que moi seul j''ai le droit d''apprécier. Je n''obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les invoquer devant moi! "
    Ceci fut *** nettement. Un éclair de colère et de dédain avait allumé les yeux de l''inconnu, et dans la vie de cet homme, j''entrevis un passé formidable. Non seulement il s''était mis en dehors des lois humaines, mais il s''était fait indépendant, libre dans la plus rigoureuse acception du mot, hors de toute atteinte! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui? Quel navire résisterait au choc de son monitor sous-marin? Quelle cuirasse, si épaisse qu''elle fût, supporterait les coups de son éperon? Nul, entre les hommes, ne pouvait lui demander compte de ses oeuvres. Dieu, s''il y croyait, sa conscience, s''il en avait une, étaient les seuls juges dont il put dépendre.
    Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit. pendant que l''étrange personnage se taisait, absorbé et comme retiré en lui-même. Je le considérais avec un effroi mélangé d''intérêt, et sans doute, ainsi qu''Oedipe considérait le Sphinx.
    Après un assez long silence, le commandant reprit la parole.
    " J''ai donc hésité, ***-il, mais j''ai pensé que mon intérêt pouvait s''accorder avec cette pitié naturelle à laquelle tout être humain a droit. Vous resterez à mon bord, puisque la fatalité vous y a jetés. Vous y serez libres, et, en échange de cette liberté, toute relative d''ailleurs, je ne vous imposerai qu''une seule con***ion. Votre parole de vous y soumettre me suffira.
    - Parlez, monsieur, répondis-je, je pense que cette con***ion est de celles qu''un honnête homme peut accepter?
    - Oui, monsieur, et la voici. Il est possible que certains événements imprévus m''obligent à vous consigner dans vos cabines pour quelques heures ou quelques jours, suivant le cas. Désirant ne jamais employer la violence, j''attends de vous, dans ce cas, plus encore que dans tous les autres, une obéissance passive. En agissant ainsi, je couvre votre responsabilité, je vous dégage entièrement, car c''est à moi de vous mettre dans l''impossibilité de voir ce qui ne doit pas être vu. Acceptez-vous cette con***ion? "
    Il se passait donc à bord des choses tout au moins singulières, et que ne devaient point voir des gens qui ne s''étaient pas mis hors des lois sociales! Entre les surprises que l''avenir me ménageait, celle-ci ne devait pas être la moindre.
    " Nous acceptons, répondis-je. Seulement, je vous demanderai, monsieur, la permission de vous adresser une question, une seule.
    - Parlez, monsieur.
    - Vous avez *** que nous serions libres à votre bord?
    - Entièrement.
    - Je vous demanderai donc ce que vous entendez par cette liberté.
    - Mais la liberté d''aller, de venir, de voir, d''observer même tout ce qui se passe ici - sauf en quelques circonstances graves - , la liberté enfin dont nous jouissons nous-mêmes, mes compagnons et moi. "
    Il était évident que nous ne nous entendions point.
    " Pardon, monsieur, repris-je, mais cette liberté, ce n''est que celle que tout prisonnier a de parcourir sa prison! Elle ne peut nous suffire.
    - Il faudra, cependant, qu''elle vous suffise!
    - Quoi! nous devons renoncer à jamais de revoir notre patrie, nos amis, nos parents!
    - Oui, monsieur. Mais renoncer à reprendre cet insupportable joug de la terre, que les hommes croient être la liberté, n''est peut-être pas aussi pénible que vous le pensez!
    - Par exemple, s''écria Ned Land, jamais je ne donnerai ma parole de ne pas chercher à me sauver!
    - Je ne vous demande pas de parole, maître Land répon*** froidement le commandant.
    - Monsieur, répondis-je, emporté malgré moi, vous abusez de votre situation envers nous! C''est de la cruauté!
    - Non, monsieur, c''est de la clémence! Vous êtes mes prisonniers après combat! Je vous garde, quand je pourrais d''un mot vous replonger dans les abîmes de l''Océan! Vous m''avez attaqué! Vous êtes venus surprendre un secret que nul homme au monde ne doit pénétrer, le secret de toute mon existence! Et vous croyez que Je vais vous renvoyer sur cette terre qui ne doit plus me connaître! Jamais! En vous retenant, ce n''est pas vous que je garde, c''est moi-même! "
    Ces paroles indiquaient de la part du commandant un parti pris contre lequel ne prévaudrait aucun argument.
    " Ainsi, monsieur, repris-je, vous nous donnez tout simplement à choisir entre la vie ou la mort?
    - Tout simplement.
    - Mes amis, dis-je, à une question ainsi posée, il n''y a rien à répondre. Mais aucune parole ne nous lie au maître de ce bord.
    - Aucune, monsieur ", répon*** l''inconnu.
    Puis, d''une voix plus douce, il reprit:
    " Maintenant, permettez-moi d''achever ce que j''ai à vous dire. Je vous connais, monsieur Aronnax. Vous, sinon vos compagnons, vous n''aurez peut-être pas tant à vous plaindre du hasard qui vous lie à mon sort. Vous trouverez parmi les livres qui servent à mes études favorites cet ouvrage que vous avez publié sur les grands fonds de la mer. Je l''ai souvent lu. Vous avez poussé votre oeuvre aussi loin que vous le permettait la science terrestre. Mais vous ne savez pas tout, vous n''avez pas tout vu. Laissez-moi donc vous dire, monsieur le professeur, que vous ne regretterez pas le temps passé à mon bord. Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L''étonnement, la stupéfaction seront probablement l''état habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert à vos yeux. Je vais revoir dans un nouveau tour du monde sous-marin - qui sait? le dernier peut-être - tout ce que j''ai pu étudier au fond de ces mers tant de fois parcourues, et vous serez mon compagnon d''études. A partir de ce jour, vous entrez dans un nouvel élément, vous verrez ce que n''a vu encore aucun homme car moi et les miens nous ne comptons plus - et notre planète, grâce à moi, va vous livrer ses derniers secrets. "
    Je ne puis le nier; ces paroles du commandant firent sur moi un grand effet.
    J''étais pris là par mon faible, et j''oubliai, pour un instant, que la contemplation de ces choses sublimes ne pouvait valoir la liberté perdue. D''ailleurs, je comptais sur l''avenir pour trancher cette grave question. Ainsi, je me contentai de répondre:
    " Messieurs, si vous avez brisé avec l''humanité, je veux croire que vous n''avez pas renié tout sentiment humain. Nous sommes des naufragés charitablement recueillis à votre bord, nous ne l''oublierons pas. Quant à moi, je ne méconnais pas que, si l''intérêt de la science pouvait absorber jusqu''au besoin de liberté, ce que me promet notre rencontre m''offrirait de grandes compensations. "
    Je pensais que le commandant allait me tendre la main pour sceller notre traité. Il n''en fit rien. Je le regrettai pour lui.
    " Une dernière question, dis-je, au moment où cet être inexplicable semblait vouloir se retirer.
    - Parlez, monsieur le professeur.
    - De quel nom dois-je vous appeler?
    - Monsieur, répon*** le commandant, je ne suis pour vous que le capitaine Nemo, et vos compagnons et vous, n''êtes pour moi que les passagers du Nautilus. "
    Le capitaine Nemo appela. Un stewart parut. Le capitaine lui donna ses ordres dans cette langue étrangère que je ne pouvais reconnaître. Puis, se tournant vers le Canadien et Conseil:
    " Un repas vous attend dans votre cabine, leur ***-il. Veuillez suivre cet homme.
    - ?a n''est pas de refus! " répon*** le harponneur.
    Conseil et lui sortirent enfin de cette cellule où ils étaient renfermés depuis plus de trente heures.
    " Et maintenant, monsieur Aronnax, notre déjeuner est prêt. Permettez-moi de vous précéder.
    - A vos ordres, capitaine. "
    Je suivis le capitaine Nemo, et dès que j''eus franchi la porte, je pris une sorte de couloir électriquement éclairé, semblable aux coursives d''un navire. Après un parcours d''une dizaine de mètres. une seconde porte s''ouvrit devant moi.
    J''entrai alors dans une salle à manger ornée et meublée avec un goût sévère. De hauts dressoirs de chêne, incrustés d''ornements d''ébène, s''élevaient aux deux extrémités de cette salle, et sur leurs rayons à ligne ondulée étincelaient des faïences, des porcelaines, des verreries d''un prix inestimable. La vaisselle plate y resplendissait sous les rayons que versait un plafond lumineux, dont de fines peintures tamisaient et adoucissaient l''éclat.
    Au centre de la salle était une table richement servie. Le capitaine Nemo m''indiqua la place que je devais occuper.
    " Asseyez-vous, me ***-il, et mangez comme un homme qui doit mourir de faim. "
    Le déjeuner se composait d''un certain nombre de plats dont la mer seule avait fourni le contenu, et de quelques mets dont j''ignorais la nature et la provenance. J''avouerai que c''était bon, mais avec un goût particulier auquel je m''habituai facilement. Ces divers aliments me parurent riches en phosphore, et je pensai qu''ils devaient avoir une origine marine.
    Le capitaine Nemo me regardait. Je ne lui demandai rien, mais il devina mes pensées, et il répon*** de lui-même aux questions que je brûlais de lui adresser.
    " La plupart de ces mets vous sont inconnus, me ***-il. Cependant, vous pouvez en user sans crainte. Ils sont sains et nourrissants. Depuis longtemps, j''ai renoncé aux aliments de la terre, et je ne m''en porte pas plus mal. Mon équipage, qui est vigoureux, ne se nourrit pas autrement que moi.
    - Ainsi, dis-je, tous ces aliments sont des produits de la mer?
    - Oui, monsieur le professeur, la mer fournit à tous mes besoins. Tantôt, je mets mes filets a la traîne, et je les retire, prêts à se rompre. Tantôt, je vais chasser au milieu de cet élément qui paraît être inaccessible à l''homme, et je force le gibier qui gîte dans mes forêts sous-marines. Mes troupeaux, comme ceux du vieux pasteur de Neptune, paissent sans crainte les immenses prairies de l''Océan. J''ai là une vaste propriété que j''exploite moi-même et qui est toujours ensemencée par la main du Créateur de toutes choses. "
    Je regardai le capitaine Nemo avec un certain étonnement, et je lui répondis:
    " Je comprends parfaitement, monsieur, que vos filets fournissent d''excellents poissons à votre table; je comprends moins que vous poursuiviez le gibier aquatique dans vos forêts sous-marines; mais je ne comprends plus du tout qu''une parcelle de viande, si petite qu''elle soit, figure dans votre menu.
    - Aussi, monsieur, me répon*** le capitaine Nemo, ne fais-je jamais usage de la chair des animaux terrestres.
    - Ceci, cependant, repris-je, en désignant un plat où restaient encore quelques tranches de filet.
    - Ce que vous croyez être de la viande, monsieur le professeur, n''est autre chose que du filet de tortue de mer. Voici également quelques foies de dauphin que vous prendriez pour un ragoût de porc. Mon cuisinier est un habile préparateur, qui excelle à conserver ces produits variés de l''Océan. Goûtez à tous ces mets. Voici une conserve d''holoturies qu''un Malais déclarerait sans rivale au monde, voilà une crème dont le lait a été fourni par la mamelle des cétacés, et le sucre par les grands fucus de la mer du Nord, et enfin, permettez-moi de vous offrir des confitures d''anémones qui valent celles des fruits les plus savoureux. "
    Et je goûtais, plutôt en curieux qu''en gourmet, tandis que le capitaine Nemo m''enchantait par ses invraisemblables récits.
    " Mais cette mer, monsieur Aronnax, me ***-il, cette nourrice prodigieuse, inépuisable, elle ne me nourrit pas seulement; elle me vêtit encore. Ces étoffes qui vous couvrent sont tissées avec le byssus de certains coquillages; elles sont teintes avec la pourpre des anciens et nuancées de couleurs violettes que j''extrais des aplysis de la Mé***erranée. Les parfums que vous trouverez sur la toilette de votre cabine sont le produit de la distillation des plantes marines. Votre lit est fait du plus doux zostère de l''Océan. Votre plume sera un fanon de baleine, votre encre la liqueur sécrétée par la seiche ou l''encornet. Tout me vient maintenant de la mer comme tout lui retournera un jour!
    - Vous aimez la mer, capitaine.
    - Oui! je l''aime! La mer est tout! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C''est l''immense désert où l''homme n''est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. La mer n''est que le véhicule d''une surnaturelle et prodigieuse existence; elle n''est que mouvement et amour; c''est l''infini vivant, comme l''a *** un de vos poètes. Et en effet, monsieur le professeur, la nature s''y manifeste par ses trois règnes, minéral, végétal, animal. Ce dernier y est largement représenté par les quatre groupes des zoophytes, par trois classes des articulés, par cinq classes des mollusques, par trois classes des vertébrés, les mammifères, les reptiles et ces innombrables légions de poissons, ordre infini d''animaux qui compte plus de treize mille espèces, dont un dixième seulement appartient à l''eau douce. La mer est le vaste réservoir de la nature. C''est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s''il ne finira pas par elle! Là est la suprême tranquillité. La mer n''appartient pas aux despotes. A sa surface, ils peuvent encore exercer des droits iniques, s''y battre, s''y dévorer, y transporter toutes les horreurs terrestres. Mais à trente pieds au-dessous de son niveau, leur pouvoir cesse, leur influence s''éteint, leur puissance disparaît! Ah! monsieur, vivez, vivez au sein des mers! Là seulement est l''indépendance! Là je ne reconnais pas de maîtres! Là je suis libre! "
    Le capitaine Nemo se tut subitement au milieu de cet enthousiasme qui débordait de lui. S''était-il laissé entraîner au-delà de sa réserve habituelle? Avait-il trop parlé? Pendant quelques instants, il se promena, très agité. Puis, ses nerfs se calmèrent, sa physionomie reprit sa froideur accoutumée, et, se tournant vers moi:
    " Maintenant, monsieur le professeur, ***-il, si vous voulez visiter le Nautilus, je suis a vos ordres. "
    -----------------------------
    Fin du chapitre X
  3. JogReloaded

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    XI - LE NAUTILUS
    Le capitaine Nemo se leva. Je le suivis. Une double porte, ménagée à l''arrière de la salle, s''ouvrit, et j''entrai dans une chambre de dimension égale à celle que je venais de quitter.
    C''était une bibliothèque. De hauts meubles en palissandre noir, incrustés de cuivres, supportaient sur leurs larges rayons un grand nombre de livres uniformément reliés. Ils suivaient le contour de la salle et se terminaient à leur partie inférieure par de vastes divans, capitonnés de cuir marron, qui offraient les courbes les plus confortables. De légers pupitres mobiles, en s''écartant ou se rapprochant à volonté, permettaient d''y poser le livre en lecture. Au centre se dressait une vaste table, couverte de brochures, entre lesquelles apparaissaient quelques journaux déjà vieux. La lumière électrique inondait tout cet harmonieux ensemble, et tombait de quatre globes dépolis à demi engagés dans les volutes du plafond. Je regardais avec une admiration réelle cette salle si ingénieusement aménagée, et je ne pouvais en croire mes yeux.
    " Capitaine Nemo, dis-je à mon hôte, qui venait de s''étendre sur un divan, voilà une bibliothèque qui ferait honneur à plus d''un palais des continents, et je suis vraiment émerveillé, quand je songe qu''elle peut vous suivre au plus profond des mers.
    - Où trouverait-on plus de solitude, plus de silence, monsieur le professeur? répon*** le capitaine Nemo. Votre cabinet du Muséum vous offre-t-il un repos aussi complet?
    - Non, monsieur, et je dois ajouter qu''il est bien pauvre auprès du vôtre. Vous possédez la six ou sept mille volumes...
    - Douze mille, monsieur Aronnax. Ce sont les seuls liens qui me rattachent à la terre. Mais le monde a fini pour moi le jour où mon Nautilus s''est plongé pour la première fois sous les eaux. Ce jour-là, j''ai acheté mes derniers volumes, mes dernières brochures, mes derniers journaux, et depuis lors, je veux croire que l''humanité n''a plus ni pensé, ni écrit. Ces livres, monsieur le professeur, sont d''ailleurs à votre disposition, et vous pourrez en user librement. "
    Je remerciai le capitaine Nemo, et je m''approchai des rayons de la bibliothèque. Livres de science, de morale et de littérature, écrits en toute langue, y abondaient; mais je ne vis pas un seul ouvrage d''économie politique; ils semblaient être sévèrement proscrits du bord. Détail curieux, tous ces livres étaient indistinctement classés, en quelque langue qu''ils fussent écrits, et ce mélange prouvait que le capitaine du Nautilus devait lire couramment les volumes que sa main prenait au hasard.
    Parmi ces ouvrages, je remarquai les chefs-d''oeuvre des maîtres anciens et modernes, c''est-à-dire tout ce que l''humanité a produit de plus beau dans l''histoire, la poésie, le roman et la science, depuis Homère jusqu''à Victor Hugo, depuis Xénophon jusqu''à Michelet, depuis Rabelais jusqu''à madame Sand. Mais la science, plus particulièrement, faisait les frais de cette bibliothèque; les livres de mécanique, de balistique. d''hydrographie, de météorologie, de géographie, de géologie, etc., y tenaient une place non moins importante que les ouvrages d''histoire naturelle, et je compris qu''ils formaient la principale étude du capitaine. Je vis là tout le Humboldt, tout l''Arago, les travaux de Foucault, d''Henry Sainte-Claire Deville, de Chasles, de Milne-Edwards, de Quatrefages, de Tyndall, de Faraday, de Berthelot, de l''abbé Secchi, de Petermann, du commandant Maury, d''Agassis etc. Les mémoires de l''Académie des sciences, les bulletins des diverses sociétés de géographie, etc., et, en bon rang, les deux volumes qui m''avaient peut-être valu cet accueil relativement charitable du capitaine Nemo. Parmi les oeuvres de Joseph Bertrand, son livre intitulé les Fondateurs de l''Astronomie me donna même une date certaine; et comme je savais qu''il avait paru dans le courant de 1865, je pus en conclure que l''installation du Nautilus ne remontait pas à une époque postérieure. Ainsi donc, depuis trois ans, au plus, le capitaine Nemo avait commencé son existence sous-marine. J''espérai, d''ailleurs, que des ouvrages plus récents encore me permettraient de fixer exactement cette époque; mais j''avais le temps de faire cette recherche, et je ne voulus pas retarder davantage notre promenade à travers les merveilles du Nautilus.
    " Monsieur, dis-je au capitaine, je vous remercie d''avoir mis cette bibliothèque à ma disposition. Il y a là des trésors de science, et j''en profiterai.
    - Cette salle n''est pas seulement une bibliothèque, *** le capitaine Nemo, c''est aussi un fumoir.
    - Un fumoir? m''écriai-je. On fume donc à bord?
    - Sans doute.
    - Alors, monsieur, je suis forcé de croire que vous avez conservé des relations avec La Havane.
    - Aucune, répon*** le capitaine. Acceptez ce cigare, monsieur Aronnax, et, bien qu''il ne vienne pas de La Havane, vous en serez content, si vous êtes connaisseur. "
    Je pris le cigare qui m''était offert, et dont la forme rappelait celle du londrès; mais il semblait fabriqué avec des feuilles d''or. Je l''allumai à un petit brasero que supportait un élégant pied de bronze, et j''aspirai ses premières bouffées avec la volupté d''un amateur qui n''a pas fumé depuis deux jours.
    " C''est excellent, dis-je, mais ce n''est pas du tabac.
    - Non, répon*** le capitaine, ce tabac ne vient ni de La Havane ni de l''Orient. C''est une sorte d''algue, riche en nicotine, que la mer me fournit, non sans quelque parcimonie. Regrettez-vous les londrès, monsieur?
    - Capitaine, je les méprise à partir de ce jour.
    - Fumez donc à votre fantaisie, et sans discuter l''origine de ces cigares. Aucune régie ne les a contrôlés, mais ils n''en sont pas moins bons, j''imagine.
    - Au contraire. "
    A ce moment le capitaine Nemo ouvrit une porte qui faisait face à celle par laquelle j''étais entré dans la bibliothèque, et je passai dans un salon immense et splendidement éclairé.
    C''était un vaste quadrilatère, à pans coupés, long de dix mètres, large de six, haut de cinq. Un plafond lumineux, décoré de légères arabesques, distribuait un jour clair et doux sur toutes les merveilles entassées dans ce musée. Car, c''était réellement un musée dans lequel une main intelligente et prodigue avait réuni tous les trésors de la nature et de l''art, avec ce pêle-mêle artiste qui distingue un atelier de peintre.
    Une trentaine de tableaux de maîtres, à cadres uniformes, séparés par d''étincelantes panoplies, ornaient les parois tendues de tapisseries d''un dessin sévère. Je vis là des toiles de la plus haute valeur, et que, pour la plupart, j''avais admirées dans les collections particulières de l''Europe et aux expositions de peinture. Les diverses écoles des maîtres anciens étaient représentées par une madone de Raphaël, une vierge de Léonard de Vinci, une nymphe du Corrège, une femme du Titien, une adoration de Véronèse, une assomption de Murillo, un portrait d''Holbein, un moine de Vélasquez, un martyr de Ribeira, une kermesse de Rubens, deux paysages flamands de Téniers, trois petits tableaux de genre de Gérard Dow, de Metsu, de Paul Potter, deux toiles de Géricault et de Prudhon, quelques marines de Backuysen et de Vernet. Parmi les oeuvres de la peinture moderne, apparaissaient des tableaux signés Delacroix, Ingres, Decamps, Troyon, Meissonnier, Daubigny, etc., et quelques admirables réductions de statues de marbre ou de bronze, d''après les plus beaux modèles de l''antiquité, se dressaient sur leurs piédestaux dans les angles de ce magnifique musée. Cet état de stupéfaction que m''avait pré*** le commandant du Nautilus commençait déjà à s''emparer de mon esprit.
    " Monsieur le professeur, *** alors cet homme étrange, vous excuserez le sans-gêne avec lequel je vous reçois, et le désordre qui règne dans ce salon.
    - Monsieur, répondis-je, sans chercher à savoir qui vous êtes, m''est-il permis de reconnaître en vous un artiste?
    - Un amateur, tout au plus, monsieur. J''aimais autrefois à collectionner ces belles oeuvres créées par la main de l''homme. J''étais un chercheur avide, un fureteur infatigable, et j''ai pu réunir quelques objets d''un haut prix. Ce sont mes derniers souvenirs de cette terre qui est morte pour moi. A mes yeux, vos artistes modernes ne sont déjà plus que des anciens; ils ont deux ou trois mille ans d''existence, et je les confonds dans mon esprit. Les maîtres n''ont pas d''âge.
    - Et ces musiciens? dis-je, en montrant des partitions de Weber, de Rossini, de Mozart, de Beethoven, d''Haydn, de Meyerbeer, d''Herold, de Wagner, d''Auber, de Gounod, et nombre d''autres, éparses sur un pianoorgue de grand modèle qui occupait un des panneaux du salon.
    - Ces musiciens, me répon*** le capitaine Nemo, ce sont des contemporains d''Orphée, car les différences chronologiques s''effacent dans la mémoire des morts - et je suis mort, monsieur le professeur, aussi bien mort que ceux de vos amis qui reposent à six pieds sous terre! "
    Le capitaine Nemo se tut et sembla perdu dans une rêverie profonde. Je le considérais avec une vive émotion, analysant en silence les étrangetés de sa physionomie. Accoudé sur l''angle d''une précieuse table de mosaïque, il ne me voyait plus, il oubliait ma présence.
    Je respectai ce recueillement, et je continuai de passer en revue les curiosités qui enrichissaient ce salon.
    Auprès des oeuvres de l''art, les raretés naturelles tenaient une place très importante. Elles consistaient principalement en plantes, en coquilles et autres productions de l''Océan, qui devaient être les trouvailles personnelles du capitaine Nemo. Au milieu du salon, un jet d''eau, électriquement éclairé, retombait dans une vasque faite d''un seul tridacne. Cette coquille, fournie par le plus grand des mollusques acéphales, mesurait sur ses bords, délicatement festonnés, une circonférence de six mètres environ; elle dépassait donc en grandeur ces beaux tridacnes qui furent donnés à François 1er par la République de Venise, et dont l''église Saint-Sulpice, à Paris, a fait deux bénitiers gigantesques.
    Autour de cette vasque, sous d''élégantes vitrines fixées par des armatures de cuivre, étaient classés et étiquetés les plus précieux produits de la mer qui eussent jamais été livrés aux regards d''un naturaliste. On conçoit ma joie de professeur.
    L''embranchement des zoophytes offrait de très curieux spécimens de ses deux groupes des polypes et des échinodermes. Dans le premier groupe, des tubipores, des gorgones disposées en éventail, des éponges douces de Syrie, des isis des Molluques, des pennatules, une virgulaire admirable des mers de Norvège, des ombellulaires variées, des alcyonnaires, toute une série de ces madrépores que mon maître Milne-Edwards a si sagacement classés en sections, et parmi lesquels je remarquai d''adorables flabellines, des oculines de l''île Bourbon, le " char de Neptune " des Antilles, de superbes variétés de coraux, enfin toutes les espèces de ces curieux polypiers dont l''assemblage forme des îles entières qui deviendront un jour des continents. Dans les échinodermes, remarquables par leur enveloppe épineuse, les astéries, les étoiles de mer, les pantacrines, les comatules, les astérophons, les oursins, les holoturies, etc., représentaient la collection complète des individus de ce groupe.
    Un conchyliologue un peu nerveux se serait pâmé certainement devant d''autres vitrines plus nombreuses où étaient classés les échantillons de l''embranchement des mollusques. Je vis là une collection d''une valeur inestimable, et que le temps me manquerait à décrire tout entière. Parmi ces produits, je citerai, pour mémoire seulement, - l''élégant marteau royal de l''Océan indien dont les régulières taches blanches ressortaient vivement sur un fond rouge et brun, - un spondyle impérial, aux vives couleurs, tout hérissé d''épines, rare spécimen dans les muséums européens, et dont j''estimai la valeur à vingt mille francs, un marteau commun des mers de la Nouvelle-Hollande, qu''on se procure difficilement, - des buccardes exotiques du Sénégal, fragiles coquilles blanches à doubles valves, qu''un souffle eût dissipées comme une bulle de savon, - plusieurs variétés des arrosoirs de Java, sortes de tubes calcaires bordés de replis foliacés, et très disputés par les amateurs, - toute une série de troques, les uns jaune verdâtre, pêchés dans les mers d''Amérique, les autres d''un brun roux, amis des eaux de la Nouvelle-Hollande, ceux-ci, venus du golfe du Mexique, et remarquables par leur coquille imbriquée, ceux-là, des stellaires trouvés dans les mers australes, et enfin, le plus rare de tous, le magnifique éperon de la Nouvelle-Zélande; - puis, d''admirables tellines sulfurées, de précieuses espèces de cythérées et de Vénus, le cadran treillissé des côtes de Tranquebar, le sabot marbré à nacre resplendissante, les perroquets verts des mers de Chine, le cône presque inconnu du genre Coenodulli, toutes les variétés de porcelaines qui servent de monnaie dans l''Inde et en Afrique, la " Gloire de la Mer ", la plus précieuse coquille des Indes orientales; - enfin des littorines, des dauphinules, des turritelles des janthines, des ovules, des volutes, des olives, des mitres, des casques, des pourpres, des buccins, des harpes, des rochers, des tritons, des cérites, des fuseaux, des strombes, des pterocères, des patelles, des hyales, des cléodores, coquillages délicats et fragiles, que la science a baptisés de ses noms les plus charmants.
    A part, et dans des compartiments spéciaux, se déroulaient des chapelets de perles de la plus grande beauté, que la lumière électrique piquait de pointes de feu, des perles roses, arrachées aux pinnes marines de la mer Rouge, des perles vertes de l''haliotyde iris, des perles jaunes, bleues, noires. curieux produits des divers mollusques de tous les océans et de certaines moules des cours d''eau du Nord, enfin plusieurs échantillons d''un prix inappréciable qui avaient été distillés par les pintadines les plus rares. Quelques-unes de ces perles surpassaient en grosseur un oeuf de pigeon; elles valaient, et au-delà, celle que le voyageur Tavernier ven*** trois millions au shah de Perse, et primaient cette autre perle de l''iman de Mascate, que je croyais sans rivale au monde.
    Ainsi donc, chiffrer la valeur de cette collection était, pour ainsi dire, impossible. Le capitaine Nemo avait dû dépenser des millions pour acquérir ces échantillons divers, et je me demandais à quelle source il puisait pour satisfaire ainsi ses fantaisies de collectionneur, quand je fus interrompu par ces mots:
    " Vous examinez mes coquilles, monsieur le professeur. En effet, elles peuvent intéresser un naturaliste; mais, pour moi, elles ont un charme de plus, car je les ai toutes recueillies de ma main, et il n''est pas une mer du globe qui ait échappé à mes recherches.
    - Je comprends, capitaine, je comprends cette joie de se promener au milieu de telles richesses. Vous êtes de ceux qui ont fait eux-mêmes leur trésor. Aucun muséum de l''Europe ne possède une semblable collection des produits de l''Océan. Mais si j''épuise mon admiration pour elle, que me restera-t-il pour le navire qui les porte! Je ne veux point pénétrer des secrets qui sont les vôtres!
    Cependant, j''avoue que ce Nautilus, la force motrice qu''il renferme en lui, les appareils qui permettent de le manoeuvrer, l''agent si puissant qui l''anime, tout cela excite au plus haut point ma curiosité. Je vois suspendus aux murs de ce salon des instruments dont la destination m''est inconnue. Puis-je savoir?...
    - Monsieur Aronnax, me répon*** le capitaine Nemo, je vous ai *** que vous seriez libre à mon bord, et par conséquent, aucune partie du Nautilus ne vous est inter***e. Vous pouvez donc le visiter en détail et je me ferai un plaisir d''être votre cicérone.
    - Je ne sais comment vous remercier, monsieur, mais je n''abuserai pas de votre complaisance. Je vous demanderai seulement à quel usage sont destinés ces instruments de physique...
    - Monsieur le professeur, ces mêmes instruments se trouvent dans ma chambre, et c''est là que j''aurai le plaisir de vous expliquer leur emploi. Mais auparavant, venez visiter la cabine qui vous est réservée. Il faut que vous sachiez comment vous serez installé à bord du Nautilus. "
    Je suivis le capitaine Nemo, qui, par une des portes percées à chaque pan coupé du salon, me fit rentrer dans les coursives du navire. Il me conduisit vers l''avant, et là je trouvai, non pas une cabine, mais une chambre élégante, avec lit, toilette et divers autres meubles.
    Je ne pus que remercier mon hôte.
    " Votre chambre est contiguë à la mienne, me ***-il, en ouvrant une porte, et la mienne donne sur le salon que nous venons de quitter. "
    J''entrai dans la chambre du capitaine. Elle avait un aspect sévère, presque cénobitique. Une couchette de fer, une table de travail, quelques meubles de toilette. Le tout éclairé par un demi-jour. Rien de confortable. Le strict nécessaire, seulement.
    Le capitaine Nemo me montra un siège.
    " Veuillez vous asseoir ", me ***-il.
    Je m''assis, et il prit la parole en ces termes:
    ----------------------------
    Fin du chapitre XI
  4. JogReloaded

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    XII - TOUT PAR L''ÉLECTRICITÉ
    " Monsieur, *** le capitaine Nemo, me montrant les instruments suspendus aux parois de sa chambre, voici les appareils exigés par la navigation du Nautilus. Ici comme dans le salon, je les ai toujours sous les yeux, et ils m''indiquent ma situation et ma direction exacte au milieu de l''Océan. Les uns vous sont connus, tels que le thermomètre qui donne la température intérieure du Nautilus; le baromètre, qui pèse le poids de l''air et pré*** les changements de temps; l''hygromètre, qui marque le degré de sécheresse de l''atmosphère; le storm-glass, dont le mélange, en se décomposant, annonce l''arrivée des tempêtes; la boussole, qui dirige ma route; le ***tant, qui par la hauteur du soleil m''apprend ma latitude; les chronomètres, qui me permettent de calculer ma longitude; et enfin des lunettes de jour et de nuit, qui me servent à scruter tous les points de l''horizon, quand le Nautilus est remonté à la surface des flots.
    - Ce sont les instruments habituels au navigateur, répondis-je, et j''en connais l''usage. Mais en voici d''autres qui répondent sans doute aux exigences particulières du Nautilus. Ce cadran que j''aperçois et que parcourt une aiguille mobile, n''est-ce pas un manomètre?
    - C''est un manomètre, en effet. Mis en communication avec l''eau dont il indique la pression extérieure, il me donne par là même la profondeur à laquelle se maintient mon appareil.
    - Et ces sondes d''une nouvelle espèce?
    - Ce sont des sondes thermométriques qui rapportent la température des diverses couches d''eau.
    - Et ces autres instruments dont je ne devine pas l''emploi?
    - Ici, monsieur le professeur, je dois vous donner quelques explications, *** le capitaine Nemo. Veuillez donc m''écouter. "
    Il garda le silence pendant quelques instants, puis il ***:
    " Il est un agent puissant, obéissant, rapide, facile, qui se plie à tous les usages et qui règne en maître à mon bord. Tout se fait par lui. Il m''éclaire, il m''échauffe, il est l''âme de mes appareils mécaniques. Cet agent, c''est l''électricité.
    - L''électricité! m''écriai-je assez surpris.
    - Oui, monsieur.
    - Cependant, capitaine, vous possédez une extrême rapi***é de mouvements qui s''accorde mal avec le pouvoir de l''électricité. Jusqu''ici, sa puissance dynamique est restée très restreinte et n''a pu produire que de petites forces!
    - Monsieur le professeur, répon*** le capitaine Nemo, mon électricité n''est pas celle de tout le monde, et c''est là tout ce que vous me permettrez de vous en dire.
    - Je n''insisterai pas. monsieur, et je me contenterai d''être très étonné d''un tel résultat. Une seule question, cependant, à laquelle vous ne répondrez pas si elle est indiscrète. Les éléments que vous employez pour produire ce merveilleux agent doivent s''user vite. Le zinc, par exemple, comment le remplacez-vous, puisque vous n''avez plus aucune communication avec la terre?
    - Votre question aura sa réponse, répon*** le capitaine Nemo. Je vous dirai, d''abord, qu''il existe au fond des mers des mines de zinc, de fer, d''argent, d''or, dont l''exploitation serait très certainement praticable. Mais je n''ai rien emprunté à ces métaux de la terre, et j''ai voulu ne demander qu''à la mer elle-même les moyens de produire mon électricité.
    - A la mer?
    - Oui, monsieur le professeur, et les moyens ne me manquaient pas. J''aurais pu, en effet, en établissant un circuit entre des fils plongés à différentes profondeurs, obtenir l''électricité par la diversité de températures qu''ils éprouvaient; mais j''ai préféré employer un système plus pratique.
    - Et lequel?
    - Vous connaissez la composition de l''eau de mer. Sur mille grammes on trouve quatre-vingt-seize centièmes et demi d''eau, et deux centièmes deux tiers environ de chlorure de sodium; puis. en petite quantité, des chlorures de magnésium et de potassium, du bromure de magnésium, du sulfate de magnésie, du sulfate et du carbonate de chaux. Vous voyez donc que le chlorure de sodium s''y rencontre dans une proportion notable. Or, c''est ce sodium que j''extrais de l''eau de mer et dont je compose mes éléments.
    - Le sodium?
    - Oui, monsieur. Mélangé avec le mercure, il forme un amalgame qui tient lieu du zinc dans les éléments Bunzen. Le mercure ne s''use jamais. Le sodium seul se consomme, et la mer me le fournit elle-même. Je vous dirai, en outre, que les piles au sodium doivent être considérées comme les plus énergiques, et que leur force électromotrice est double de celle des piles au zinc.
    - Je comprends bien, capitaine, l''excellence du sodium dans les con***ions où vous vous trouvez. La mer le contient. Bien. Mais il faut encore le fabriquer, l''extraire en un mot. Et comment faites-vous? Vos piles pourraient évidemment servir à cette extraction; mais, si je ne me trompe, la dépense du sodium nécessitée par les appareils électriques dépasserait la quantité extraite. Il arriverait donc que vous en consommeriez pour le produire plus que vous n''en produiriez!
    - Aussi, monsieur le professeur, je ne l''extrais pas par la pile, et j''emploie tout simplement la chaleur du charbon de terre.
    - De terre? dis-je en insistant.
    Disons le charbon de mer, si vous voulez, répon*** le capitaine Nemo.
    - Et vous pouvez exploiter des mines sous-marines de houille?
    - Monsieur Aronnax, vous me verrez à l''oeuvre. Je ne vous demande qu''un peu de patience, puisque vous avez le temps d''être patient. Rappelez-vous seulement ceci: je dois tout à l''Océan; il produit l''électricité, et l''électricité donne au Nautilus la chaleur, la lumière, le mouvement, la vie en un mot.
    - Mais non pas l''air que vous respirez?
    - Oh! je pourrais fabriquer l''air nécessaire à ma consommation, mais c''est inutile puisque je remonte à la surface de la mer, quand il me plaît. Cependant, si l''électricité ne me fournit pas l''air respirable, elle manoeuvre, du moins, des pompes puissantes qui l''emmagasinent dans des réservoirs spéciaux, ce qui me permet de prolonger, au besoin, et aussi longtemps que je le veux, mon séjour dans les couches profondes.
    - Capitaine, répondis-je, je me contente d''admirer. Vous avez évidemment trouvé ce que les hommes trouveront sans doute un jour, la véritable puissance dynamique de l''électricité.
    - Je ne sais s''ils la trouveront, répon*** froidement le capitaine Nemo. Quoi qu''il en soit, vous connaissez déjà la première application que j''ai faite de ce précieux agent. C''est lui qui nous éclaire avec une égalité, une continuité que n''a pas la lumière du soleil. Maintenant, regardez cette horloge; elle est électrique, et marche avec une régularité qui défie celle des meilleurs chronomètres. Je l''ai divisée en vingt-quatre heures, comme les horloges italiennes, car pour moi, il n''existe ni nuit, ni jour, ni soleil, ni lune, mais seulement cette lumière factice que j''entraîne jusqu''au fond des mers! Voyez, en ce moment, il est dix heures du matin.
    - Parfaitement.
    - Autre application de l''électricité. Ce cadran, suspendu devant nos yeux, sert à indiquer la vitesse du Nautilus. Un fil électrique le met en communication avec l''hélice du loch, et son aiguille m''indique la marche réelle de l''appareil. Et, tenez, en ce moment, nous filons avec une vitesse modérée de quinze milles à l''heure.
    - C''est merveilleux, répondis-je, et je vois bien, capitaine, que vous avez eu raison d''employer cet agent, qui est destiné à remplacer le vent, l''eau et la vapeur.
    - Nous n''avons pas fini, monsieur Aronnax, *** le capitaine Nemo en se levant, et si vous voulez me suivre, nous visiterons l''arrière du Nautilus. "
    En effet, je connaissais déjà toute la partie antérieure de ce bateau sous-
    marin, dont voici la division exacte, en allant du centre à l''éperon: la salle à manger de cinq mètres, séparée de la bibliothèque par une cloison étanche, c''est-à-dire ne pouvant être pénétrée par l''eau, la bibliothèque de cinq mètres, le grand salon de dix mètres, séparé de la chambre du capitaine par une seconde cloison étanche, la***e chambre du capitaine de cinq mètres, la mienne de deux mètres cinquante, et enfin un réservoir d''air de sept mètres cinquante, qui s''étendait jusqu''à l''étrave. Total, trente-cinq mètres de longueur. Les cloisons étanches étaient percées de portes qui se fermaient hermétiquement au moyen d''obturateurs en caoutchouc, et elles assuraient toute sécurité à bord du Nautilus, au cas où une voie d''eau se fût déclarée.
    Je suivis le capitaine Nemo. à travers les coursives situées en abord, et j''arrivai au centre du navire. Là, se trouvait une sorte de puits qui s''ouvrait entre deux cloisons étanches. Une échelle de fer, cramponnée à la paroi, conduisait à son extrémité supérieure. Je demandai au capitaine à quel usage servait cette échelle.
    " Elle aboutit au canot, répon***-il.
    - Quoi! vous avez un canot? répliquai-je, assez étonné.
    - Sans doute. Une excellente embarcation, légère et insubmersible, qui sert à la promenade et à la pêche.
    - Mais alors, quand vous voulez vous embarquer, vous êtes forcé de revenir à la surface de la mer?
    - Aucunement. Ce canot adhère à la partie supérieure de la coque du Nautilus, et occupe une cavité disposée pour le recevoir. Il est entièrement ponté, absolument étanche, et retenu par de solides boulons. Cette échelle conduit à un trou d''homme percé dans la coque du Nautilus, qui correspond à un trou pareil percé dans le flanc du canot. C''est par cette double ouverture que je m''introduis dans l''embarcation. On referme l''une, celle du Nautilus; je referme l''autre, celle du canot, au moyen de vis de pression; je largue les boulons, et l''embarcation remonte avec une prodigieuse rapi***é à la surface de la mer. J''ouvre alors le panneau du pont, soigneusement clos jusque-là, je mâte, je hisse ma voile ou je prends mes avirons, et je me promène.
    - Mais comment revenez-vous à bord?
    - Je ne reviens pas, monsieur Aronnax, c''est le Nautilus qui revient.
    - A vos ordres!
    - A mes ordres. Un fil électrique me rattache à lui. Je lance un télégramme, et cela suffit.
    - En effet, dis-je, grisé par ces merveilles, rien n''est plus simple! "
    Après avoir dépassé la cage de l''escalier qui aboutissait à la plate-forme, je vis une cabine longue de deux mètres, dans laquelle Conseil et Ned Land, enchantés de leur repas, s''occupaient à le dévorer à belles dents. Puis, une porte s''ouvrit sur la cuisine longue de trois mètres, située entre les vastes cambuses du bord.
    Là, l''électricité, plus énergique et plus obéissante que le gaz lui-même, faisait tous les frais de la cuisson. Les fils, arrivant sous les fourneaux, communiquaient à des éponges de platine une chaleur qui se distribuait et se maintenait régulièrement. Elle chauffait également des appareils distillatoires qui, par la vaporisation, fournissaient une excellente eau potable. Auprès de cette cuisine s''ouvrait une salle de bains, confortablement disposée, et dont les robinets fournissaient l''eau froide ou l''eau chaude, à volonté.
    A la cuisine succédait le poste de l''équipage, long de cinq mètres. Mais la porte en était fermée, et je ne pus voir son aménagement, qui m''eût peut-être fixé sur le nombre d''hommes nécessité par la manoeuvre du Nautilus.
    Au fond s''élevait une quatrième cloison étanche qui séparait ce poste de la chambre des machines. Une porte s''ouvrit, et je me trouvai dans ce compartiment où le capitaine Nemo - ingénieur de premier ordre, à coup sûr - avait disposé ses appareils de locomotion.
    Cette chambre des machines, nettement éclairée, ne mesurait pas moins de vingt mètres en longueur. Elle était naturellement divisée en deux parties; la première renfermait les éléments qui produisaient l''électricité. et la seconde, le mécanisme qui transmettait le mouvement à l''hélice.
    Je fus surpris, tout d''abord, de l''odeur sui generis qui emplissait ce compartiment. Le capitaine Nemo s''aperçut de mon impression.
    " Ce sont, me ***-il, quelques dégagements de gaz, produits par l''emploi du sodium; mais ce n''est qu''un léger inconvénient. Tous les matins, d''ailleurs, nous purifions le navire en le ventilant à grand air. "
    Cependant, j''examinais avec un intérêt facile à concevoir la machine du Nautilus.
    " Vous le voyez, me *** le capitaine Nemo, j''emploie des éléments Bunzen, et non des éléments Ruhmkorff. Ceux-ci eussent été impuissants. Les éléments Bunzen sont peu nombreux, mais forts et grands, ce qui vaut mieux, expérience faite. L''électricité produite se rend à l''arrière, où elle agit par des électro-aimants de glande dimension sur un système particulier de leviers et d''engrenages qui transmettent le mouvement à l''arbre de l''hélice. Celle-ci. dont le diamètre est de six mètres et le pas de sept mètres cinquante, peut donner jusqu''à cent vingt tours par seconde.
    - Et vous obtenez alors?
    - Une vitesse de cinquante milles à l''heure. "
    Il y avait là un mystère, mais je n''insistai pas pour le connaître. Comment l''électricité pouvait-elle agir avec une telle puissance? Où cette force presque illimitée prenait-elle son origine? Etait-ce dans sa tension excessive obtenue par des bobines d''une nouvelle sorte? Était-ce dans sa transmission qu''un système de leviers inconnus pouvait accroître à l''infini? C''est ce que je ne pouvais comprendre.
    " Capitaine Nemo, dis-je, je constate les résultats et je ne cherche pas à les expliquer. J''ai vu le Nautilus manoeuvrer devant l''Abraham-Lincoln, et je sais à quoi m''en tenir sur sa vitesse. Mais marcher ne suffit pas. Il faut voir où l''on va! Il faut pouvoir se diriger à droite, à gauche, en haut, en bas! Comment atteignez-vous les grandes profondeurs, où vous trouvez une résistance croissante qui s''évalue par des centaines d''atmosphères? Comment remontez-vous à la surface de l''Océan? Enfin, comment vous maintenez-vous dans le milieu qui vous convient? Suis-je indiscret en vous le demandant?
    - Aucunement, monsieur le professeur, me répon*** le capitaine, après une légère hésitation. puisque vous ne devez jamais quitter ce bateau sous-marin. Venez dans le salon. C''est notre véritable cabinet de travail, et là, vous apprendrez tout ce que vous devez savoir sur le Nautilus! "
    --------------------------
    Fin du chapitre XII
  5. JogR

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    XIII - QUELQUES CHIFFRES
    Un instant après, nous étions assis sur un divan du salon, le cigare aux lèvres. Le capitaine mit sous mes yeux une épure qui donnait les plan, coupe et élévation du Nautilus. Puis il commença sa description en ces termes:
    " Voici. monsieur Aronnax, les diverses dimensions du bateau qui vous porte. C''est un cylindre très allongé, à bouts coniques. Il affecte sensiblement la forme d''un cigare, forme déjà adoptée à Londres dans plusieurs constructions du même genre. La longueur de ce cylindre. de tête en tête, est exactement de soixante-dix mètres, et son bau. à sa plus grande largeur, est de huit mètres. Il n''est donc pas construit tout à fait au dixième comme vos steamers de grande marche, mais ses lignes sont suffisamment longues et sa coulée assez prolongée, pour que l''eau déplacée s''échappe aisément et n''oppose aucun obstacle a sa marche.
    " Ces deux dimensions vous permettent d''obtenir par un simple calcul la surface et le volume du Nautilus. Sa surface comprend mille onze mètres carrés et quarante-cinq centièmes; son volume, quinze cents mètres cubes et deux dixièmes - ce qui revient à dire qu''entièrement immergé, il déplace ou pèse quinze cents mètres cubes ou tonneaux.
    " Lorsque j''ai fait les plans de ce navire destiné à une navigation sous-marine, j''ai voulu, qu''en équilibre dans l''eau il plongeât des neuf dixièmes, et qu''il émergeât d''un dixième seulement. Par conséquent, il ne devait déplacer dans ces con***ions que les neuf dixièmes de son volume, soit treize cent cinquante-six mètres cubes et quarante-huit centièmes, c''est-à-dire ne peser que ce même nombre de tonneaux. J''ai donc dû ne pas dépasser ce poids en le construisant suivant les dimensions sus-***es.
    " Le Nautilus se compose de deux coques, l''une intérieure, l''autre extérieure, réunies entre elles par des fers en T qui lui donnent une rigi***é extrême. En effet, grâce à cette disposition cellulaire, il résiste comme un bloc, comme s''il était plein. Son bordé ne peut céder; il adhère par lui-même et non par le serrage des rivets, et l''homogénéité de sa construction, due au parfait assemblage des matériaux, lui permet de défier les mers les plus violentes.
    " Ces deux coques sont fabriquées en tôle d''acier dont la densité par rapport à l''eau est de sept, huit dixièmes. La première n''a pas moins de cinq centimètres d''épaisseur, et pèse trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux quatre-vingt-seize centièmes. La seconde enveloppe, la quille, haute de cinquante centimètres et large de vingt-cinq, pesant, à elle seule, soixante-deux tonneaux, la machine, le lest, les divers accessoires et aménagements, les cloisons et les étrésillons intérieurs, ont un poids de neuf cent soixante et un tonneaux soixante-deux centièmes, qui, ajoutés aux trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux et quatre-vingt-seize centièmes, forment le total exigé de treize cent cinquante-six tonneaux et quarante-huit centièmes. Est-ce entendu?
    - C''est entendu, répondis-je.
    - Donc, reprit le capitaine, lorsque le Nautilus se trouve à flot dans ces con***ions, il émerge d''un dixième. Or, si j''ai disposé des réservoirs d''une capacité égale à ce dixième, soit d''une contenance de cent cinquante tonneaux et soixante-douze centièmes, et si je les remplis d''eau, le bateau déplaçant alors quinze cent sept tonneaux, ou les pesant, sera complètement immergé. C''est ce qui arrive, monsieur le professeur. Ces réservoirs existent en abord dans les parties inférieures du Nautilus.
    J''ouvre des robinets, ils se remplissent, et le bateau s''enfonçant vient affleurer la surface de l''eau.
    - Bien, capitaine, mais nous arrivons alors à la véritable difficulté. Que vous puissiez affleurer la surface de l''Océan, je le comprends. Mais plus bas, en plongeant au-dessous de cette surface, votre appareil sous-marin ne va-t-il pas rencontrer une pression et par conséquent subir une poussée de bas en haut qui doit être évaluée à une atmosphère par trente pieds d''eau, soit environ un kilogramme par centimètre carré?
    - Parfaitement, monsieur.
    - Donc, à moins que vous ne remplissiez le Nautilus en entier, je ne vois pas comment vous pouvez l''entraîner au sein des masses liquides.
    - Monsieur le professeur, répon*** le capitaine Nemo, il ne faut pas confondre la statique avec la dynamique, sans quoi l''on s''expose à de graves erreurs. Il y a très peu de travail à dépenser pour atteindre les basses régions de l''Océan, car les corps ont une tendance à devenir "fondriers". Suivez mon raisonnement.
    - Je vous écoute, capitaine.
    - Lorsque j''ai voulu déterminer l''accroissement de poids qu''il faut donner au Nautilus pour l''immerger, je n''ai eu à me préoccuper que de la réduction du volume que l''eau de mer éprouve à mesure que ses couches deviennent de plus en plus profondes.
    - C''est évident, répondis-je.
    - Or, si l''eau n''est pas absolument incompressible, elle est, du moins, très peu compressible. En effet, d''après les calculs les plus récents, cette réduction n''est que de quatre cent trente-six dix millionièmes par atmosphère, ou par chaque trente pieds de profondeur. S''agit-il d''aller à mille mètres, je tiens compte alors de la réduction du volume sous une pression équivalente à celle d''une colonne d''eau de mille mètres, c''est-à-dire sous une pression de cent atmosphères. Cette réduction sera alors de quatre cent trente-six cent millièmes. Je devrai donc accroître le poids de façon à peser quinze cent treize tonneaux soixante-dix-sept centièmes, au lieu de quinze cent sept tonneaux deux dixièmes. L''augmentation ne sera conséquemment que de six tonneaux cinquante-sept centièmes.
    - Seulement?
    - Seulement, monsieur Aronnax, et le calcul est facile à vérifier. Or, j''ai des réservoirs supplémentaires capables d''embarquer cent tonneaux. Je puis donc descendre à des profondeurs considérables. Lorsque je veux remonter à la surface et l''affleurer, il me suffit de chasser cette eau, et de vider entièrement tous les réservoirs, si je désire que le Nautilus émerge du dixième de sa capacité totale. "
    A ces raisonnements appuyés sur des chiffres, je n''avais rien à objecter.
    " J''admets vos calculs, capitaine, répondis-je, et j''aurais mauvaise grâce à les contester, puisque l''expérience leur donne raison chaque jour. Mais je pressens actuellement en présence une difficulté réelle.
    - Laquelle, monsieur?
    - Lorsque vous êtes par mille mètres de profondeur, les parois du Nautilus supportent une pression de cent atmosphères. Si donc, à ce moment, vous voulez vider les réservoirs supplémentaires pour alléger votre bateau et remonter à la surface, il faut que les pompes vainquent cette pression de cent atmosphères, qui est de cent kilogrammes par centimètre carré. De là une puissance...
    - Que l''électricité seule pouvait me donner, se hâta de dire le capitaine Nemo. Je vous répète, monsieur, que le pouvoir dynamique de mes machines est à peu près infini. Les pompes du Nautilus ont une force prodigieuse, et vous avez dû le voir, quand leurs colonnes d''eau se sont précipitées comme un torrent sur l''Abraham-Lincoln. D''ailleurs, je ne me sers des réservoirs supplémentaires que pour atteindre des profondeurs moyennes de quinze cent à deux mille mètres, et cela dans le but de ménager mes appareils. Aussi, lorsque la fantaisie me prend de visiter les profondeurs de l''Océan à deux ou trois lieues au-dessous de sa surface, j''emploie des manoeuvres plus longues, mais non moins infaillibles.
    - Lesquelles, capitaine? demandai-je.
    - Ceci m''amène naturellement à vous dire comment se manoeuvre le Nautilus.
    - Je suis impatient de l''apprendre.
    - Pour gouverner ce bateau sur tribord, sur bâbord, pour évoluer, en un mot, suivant un plan horizontal, je me sers d''un gouvernail ordinaire à large safran, fixé sur l''arrière de l''étambot, et qu''une roue et des palans font agir. Mais je puis aussi mouvoir le Nautilus de bas en haut et de haut en bas, dans un plan vertical, au moyen de deux plans inclinés, attachés à ses flancs sur son centre de flottaison, plans mobiles, aptes à prendre toutes les positions, et qui se manoeuvrent de l''intérieur au moyen de leviers puissants. Ces plans sont-ils maintenus parallèles au bateau, celui-ci se meut horizontalement. Sont-ils inclinés, le Nautilus, suivant la disposition de cette inclinaison et sous la poussée de son hélice, ou s''enfonce suivant une diagonale aussi allongée qu''il me convient, ou remonte suivant cette diagonale. Et même, si je veux revenir plus rapidement à la surface, j''embraye l''hélice, et la pression des eaux fait remonter verticalement le Nautilus comme un ballon qui, gonflé d''hydrogène, s''élève rapidement dans les airs.
    - Bravo! capitaine, m''écriais-je. Mais comment le timonier peut-il suivre la route que vous lui donnez au milieu des eaux?
    - Le timonier est placé dans une cage vitrée, qui fait saillie à la partie supérieure de la coque du Nautilus, et que garnissent des verres lenticulaires.
    - Des verres capables de résister à de telles pressions?
    - Parfaitement. Le cristal, fragile au choc, offre cependant une résistance considérable. Dans des expériences de pêche à la lumière électrique faites en 1864, au milieu des mers du Nord, on a vu des plaques de cette matière, sous une épaisseur de sept millimètres seulement, résister à une pression de seize atmosphères, tout en laissant passer de puissants rayons calorifiques qui lui répartissaient inégalement la chaleur. Or, les verres dont je me sers n''ont pas moins de vingt et un centimètres à leur centre, c''est-à-dire trente fois cette épaisseur.
    - Admis, capitaine Nemo; mais enfin, pour voir, il faut que la lumière chasse les ténèbres, et je me demande comment au milieu de l''obscurité des eaux...
    - En arrière de la cage du timonier est placé un puissant réflecteur électrique, dont les rayons illuminent la mer à un demi-mille de distance.
    - Ah! bravo, trois fois bravo! capitaine. Je m''explique maintenant cette phosphorescence du prétendu narval, qui a tant intrigué les savants! A ce propos, je vous demanderai si l''abordage du Nautilus et du Scotia, qui a eu un si grand retentissement, a été le résultat d''une rencontre fortuite?
    - Purement fortuite, monsieur. Je naviguais à deux mètres au-dessous de la surface des eaux, quand le choc s''est produit. J''ai d''ailleurs vu qu''il n''avait eu aucun résultat fâcheux.
    - Aucun, monsieur. Mais quant à votre rencontre avec l''Abraham-Lincoln?...
    - Monsieur le professeur, j''en suis fâché pour l''un des meilleurs navires de cette brave marine américaine mais on m''attaquait et j''ai dû me défendre! Je me suis contenté, toutefois, de mettre la frégate hors d''état de me nuire - elle ne sera pas gênée de réparer ses avaries au port le plus prochain.
    - Ah! commandant, m''écriai-je avec conviction, c''est vraiment un merveilleux bateau que votre Nautilus!
    - Oui, monsieur le professeur, répon*** avec une véritable émotion le capitaine Nemo, et je l''aime comme la chair de ma chair! Si tout est danger sur un de vos navires soumis aux hasards de l''Océan, si sur cette mer, la première impression est le sentiment de l''abîme, comme l''a si bien *** le Hollandais Jansen, au-dessous et à bord du Nautilus, le coeur de l''homme n''a plus rien à redouter. Pas de déformation à craindre, car la double coque de ce bateau a la rigi***é du fer; pas de gréement que le roulis ou le tangage fatiguent; pas de voiles que le vent emporte; pas de chaudières que la vapeur déchire; pas d''incendie à redouter, puisque cet appareil est fait de tôle et non de bois; pas de charbon qui s''épuise, puisque l''électricité est son agent mécanique; pas de rencontre à redouter, puisqu''il est seul à naviguer dans les eaux profondes; pas de tempête à braver, puisqu''il trouve à quelques mètres au-dessous des eaux l''absolue tranquillité! Voilà, monsieur. Voilà le navire par excellence! Et s''il est vrai que l''ingénieur ait plus de confiance dans le bâtiment que le constructeur, et le constructeur plus que le capitaine lui-même, comprenez donc avec quel abandon je me fie à mon Nautilus, puisque j''en suis tout à la fois le capitaine, le constructeur et l''ingénieur! "
    Le capitaine Nemo parlait avec une éloquence entraînante. Le feu de son regard, la passion de son geste, le transfiguraient. Oui! il aimait son navire comme un père aime son enfant!
    Mais une question, indiscrète peut-être, se posait naturellement, et je ne pus me retenir de la lui faire.
    " Vous êtes donc ingénieur, capitaine Nemo?
    - Oui, monsieur le professeur, me répon***-il, j''ai étudié à Londres, à Paris, à New York, du temps que j''étais un habitant des continents de la terre.
    - Mais comment avez-vous pu construire, en secret, cet admirable Nautilus?
    - Chacun de ses morceaux, monsieur Aronnax, m''est arrivé d''un point différent du globe, et sous une destination déguisée. Sa quille a été forgée au Creusot, son arbre d''hélice chez Pen et C°, de Londres, les plaques de tôle de sa coque chez Leard, de Liverpool, son hélice chez Scott, de Glasgow. Ses réservoirs ont été fabriqués par Cail et Co, de Paris, sa machine par Krupp, en Prusse, son éperon dans les ateliers de Motala, en Suède, ses instruments de précision chez Hart frères, de New York, etc., et chacun de ces fournisseurs a reçu mes plans sous des noms divers.
    - Mais, repris-je, ces morceaux ainsi fabriqués, il a fallu les monter, les ajuster?
    - Monsieur le professeur, j''avais établi mes ateliers sur un îlot désert, en plein Océan. Là, mes ouvriers c''est-à-dire mes braves compagnons que j''ai instruits et formés, et moi, nous avons achevé notre Nautilus. Puis, l''opération terminée, le feu a détruit toute trace de notre passage sur cet îlot que j''aurais fait sauter, si je l''avais pu.
    - Alors il m''est permis de croire que le prix de revient de ce bâtiment est excessif?
    - Monsieur Aronnax, un navire en fer coûte onze cent vingt-cinq francs par tonneau. Or, le Nautilus en jauge quinze cents. Il revient donc à seize cent quatre-vingt-sept mille francs, soit deux millions y compris son aménagement, soit quatre ou cinq millions avec les oeuvres d''art et les collections qu''il renferme.
    - Une dernière question, capitaine Nemo.
    - Faites, monsieur le professeur.
    - Vous êtes donc riche?
    - Riche à l''infini, monsieur, et je pourrais, sans me gêner, payer les dix milliards de dettes de la France! "
    Je regardai fixement le bizarre personnage qui me parlait ainsi. Abusait-il de ma crédulité? L''avenir devait me l''apprendre.
    ----------------------------
    Fin du chapitre XIII
  6. JogR

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    XIV - LE FLEUVE NOIR (I)
    La portion du globe terrestre occupée par les eaux est évaluée à trois millions huit cent trente-deux milles cinq cent cinquante-huit myriamètres carrés, soit plus de trente-huit millions d''hectares. Cette masse liquide comprend deux milliards deux cent cinquante millions de milles cubes, et formerait une sphère d''un diamètre de soixante lieues dont le poids serait de trois quintillions de tonneaux. Et, pour comprendre ce nombre, il faut se dire que le quintillion est au milliard ce que le milliard est à l''unité, c''est-à-dire qu''il y a autant de milliards dans un quintillion que d''unités dans un milliard. Or, cette masse liquide, c''est à peu près la quantité d''eau que verseraient tous les fleuves de la terre pendant quarante mille ans.
    Durant les époques géologiques, à la période du feu succéda la période de l''eau. L''Océan fut d''abord universel. Puis, peu à peu, dans les temps siluriens, des sommets de montagnes apparurent, des îles émergèrent, disparurent sous des déluges partiels, se montrèrent à nouveau, se soudèrent. formèrent des continents et enfin les terres se fixèrent géographiquement telles que nous les voyons. Le solide avait conquis sur le liquide trente-sept millions six cent cinquante-sept milles carrés, soit douze mille neuf cent seize millions d''hectares.
    La configuration des continents permet de diviser les eaux en cinq grandes parties: l''Océan glacial arctique, l''Océan glacial antarctique, l''Océan indien, l''Océan atlantique, l''Océan pacifique.
    L''Océan pacifique s''étend du nord au sud entre les deux cercles polaires, et de l''ouest a l''est entre l''Asie et l''Amérique sur une étendue de cent quarante-cinq degrés en longitude. C''est la plus tranquille des mers; ses courants sont larges et lents, ses marées médiocres, ses pluies abondantes. Tel était l''Océan que ma destinée m''appelait d''abord à parcourir dans les plus étranges con***ions.
    " Monsieur le professeur, me *** le capitaine Nemo, nous allons, si vous le voulez bien, relever exactement notre position, et fixer le point de départ de ce voyage. Il est midi moins le quart. Je vais remonter à la surface des eaux. "
    Le capitaine pressa trois fois un timbre électrique. Les pompes commencèrent à chasser l''eau des réservoirs; l''aiguille du manomètre marqua par les différentes pressions le mouvement ascensionnel du Nautilus, puis elle s''arrêta.
    " Nous sommes arrivés ", *** le capitaine.
    Je me rendis à l''escalier central qui aboutissait à la plate-forme. Je gravis les marches de métal, et, par les panneaux ouverts, j''arrivai sur la partie supérieure du Nautilus.
    La plate-forme émergeait de quatre-vingts centimètres seulement. L''avant et l''arrière du Nautilus présentaient cette disposition fusiforme qui le faisait justement comparer à un long cigare. Je remarquai que ses plaques de tôles, imbriquées légèrement, ressemblaient aux écailles qui revêtent le corps des grands reptiles terrestres. Je m''expliquai donc très naturellement que, malgré les meilleures lunettes, ce bateau eût toujours été pris pour un animal marin.
    Vers le milieu de la plate-forme, le canot, à demi-engagé dans la coque du navire, formait une légère extumescence. En avant et en arrière s''élevaient deux cages de hauteur médiocre, à parois inclinées, et en partie fermées par d''épais verres lenticulaires: l''une destinée au timonier qui dirigeait le Nautilus, l''autre où brillait le puissant fanal électrique qui éclairait sa route.
    La mer était magnifique, le ciel pur. A peine si le long véhicule ressentait les larges ondulations de l''Océan. Une légère brise de l''est ridait la surface des eaux. L''horizon, dégagé de brumes, se prêtait aux meilleures observations.
    Nous n''avions rien en vue. Pas un écueil, pas un îlot. Plus d''Abraham-Lincoln. L''immensité déserte.
    Le capitaine Nemo, muni de son ***tant, prit la hauteur du soleil, qui devait lui donner sa latitude. Il atten*** pendant quelques minutes que l''astre vint affleurer le bord de l''horizon. Tandis qu''il observait, pas un de ses muscles ne tressaillait, et l''instrument n''eût pas été plus immobile dans une main de marbre.
    " Midi, ***-il. Monsieur le professeur, quand vous voudrez?... "
    Je jetai un dernier regard sur cette mer un peu jaunâtre des atterrages japonais, et je redescendis au grand salon.
    Là, le capitaine fit son point et calcula chronométriquement sa longitude, qu''il contrôla par de précédentes observations d''angle horaires. Puis il me ***:
    " Monsieur Aronnax, nous sommes par cent trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l''ouest...
    - De quel méridien? demandai-je vivement, espérant que la réponse du capitaine m''indiquerait peut-être sa nationalité.
    - Monsieur, me répon***-il, j''ai divers chronomètres réglés sur les méridiens de Paris, de Greenwich et de Washington. Mais, en votre honneur je me servirai de celui de Paris. "
    Cette réponse ne m''apprenait rien. Je m''inclinai, et le commandant reprit:
    " Trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l''ouest du méridien de Paris, et par trente degrés et sept minutes de latitude nord, c''est-à-dire à trois cents milles environ des côtes du Japon. C''est aujourd''hui 8 novembre, à midi, que commence notre voyage d''exploration sous les eaux.
    - Dieu nous garde! répondis-je.
    - Et maintenant, monsieur le professeur, ajouta le capitaine, je vous laisse à vos études. J''ai donné la route à l''est-nord-est par cinquante mètres de profondeur. Voici des cartes à grands points, où vous pourrez la suivre. Le salon est à votre disposition, et je vous demande la permission de me retirer. "
    Le capitaine Nemo me salua. Je restai seul, absorbé dans mes pensées. Toutes se portaient sur ce commandant du Nautilus. Saurais-je jamais à quelle nation appartenait cet homme étrange qui se vantait de n''appartenir à aucune? Cette haine qu''il avait vouée à l''humanité, cette haine qui cherchait peut-être des vengeances terribles, qui l''avait provoquée? Etait-il un de ces savants méconnus, un de ces génies " auxquels on a fait du chagrin ", suivant l''expression de Conseil, un Galilée moderne, ou bien un de ces hommes de science comme l''Américain Maury, dont la carrière a été brisée par des révolutions politiques? Je ne pouvais encore le dire. Moi que le hasard venait de jeter à son bord, moi dont il tenait la vie entre les mains, il m''accueillait froidement, mais hospitalièrement. Seulement, il n''avait jamais pris la main que je lui tendais. Il ne m''avait jamais tendu la sienne.
    Une heure entière, je demeurai plongé dans ces réflexions, cherchant à percer ce mystère si intéressant pour moi. Puis mes regards se fixèrent sur le vaste planisphère étalé sur la table, et je plaçai le doigt sur le point même où se croisaient la longitude et la latitude observées.
    La mer a ses fleuves comme les continents. Ce sont des courants spéciaux, reconnaissables à leur température, à leur couleur, et dont le plus remarquable est connu sous le nom de courant du Gulf Stream. La science a déterminé, sur le globe, la direction de cinq courants principaux: un dans l''Atlantique nord, un second dans l''Atlantique sud, un troisième dans le Pacifique nord, un quatrième dans le Pacifique sud, et un cinquième dans l''Océan indien sud. Il est même probable qu''un sixième courant existait autrefois dans l''Océan indien nord, lorsque les mers Caspienne et d''Aral, réunies aux grands lacs de l''Asie, ne formaient qu''une seule et même étendue d''eau.
    Or, au point indiqué sur le planisphère, se déroulait l''un de ces courants, le Kuro-Scivo des Japonais, le Fleuve-Noir, qui, sorti du golfe du Bengale où le chauffent les rayons perpendiculaires du soleil des Tropiques, traverse le détroit de Malacca, prolonge la côte d''Asie, s''arron*** dans le Pacifique nord jusqu''aux îles Aléoutiennes, charriant des troncs de camphriers et autres produits indigènes, et tranchant par le pur indigo de ses eaux chaudes avec les flots de l''Océan. C''est ce courant que le Nautilus allait parcourir. Je le suivais du regard, je le voyais se perdre dans l''immensité du Pacifique, et je me sentais entraîner avec lui, quand Ned Land et Conseil apparurent à la porte du salon.
    Mes deux braves compagnons restèrent pétrifiés à la vue des merveilles entassées devant leurs yeux.
    " Où sommes-nous? où sommes-nous? s''écria le Canadien. Au muséum de Québec?
    - S''il plaît à monsieur, répliqua Conseil, ce serait plutôt à l''hôtel du Sommerard!
    - Mes amis, répondis-je en leur faisant signe d''entrer, vous n''êtes ni au Canada ni en France, mais bien à bord du Nautilus, et à cinquante mètres au-dessous du niveau de la mer.
    - Il faut croire monsieur, puisque monsieur l''affirme. répliqua Conseil; mais franchement, ce salon est fait pour étonner même un Flamand comme moi.
    - Etonne-toi, mon ami. et regarde, car, pour un classificateur de ta force. il y a de quoi travailler ici. "
    Je n''avais pas besoin d''encourager Conseil. Le brave garçon, penché sur les vitrines. murmurait déjà des mots de la langue des naturalistes: classe des Gastéropodes, famille des Buccinoïdes, genre des Porcelaines, espèces des Cyproea Madagascariensis, etc.
    Pendant ce temps, Ned Land, assez peu conchyliologue, m''interrogeait sur mon entrevue avec le capitaine Nemo. Avais-je découvert qui il était, d''où il venait, où il allait, vers quelles profondeurs il nous entraînait? Enfin mille questions auxquelles je n''avais pas le temps de répondre.
    Je lui appris tout ce que je savais, ou plutôt, tout ce que je ne savais pas, et je lui demandai ce qu''il avait entendu ou vu de son côté.
    " Rien vu, rien entendu! répon*** le Canadien. Je n''ai pas même aperçu l''équipage de ce bateau. Est-ce que, par hasard, il serait électrique aussi, lui?
    - Electrique!
    - Par ma foi! on serait tenté de le croire. Mais vous, monsieur Aronnax, demanda Ned Land, qui avait toujours son idée, vous ne pouvez me dire combien d''hommes il y a à bord? Dix, vingt, cinquante, cent?
    - Je ne saurais vous répondre, maître Land. D''ailleurs, croyez-moi, abandonnez, pour le moment, cette idée de vous emparer du Nautilus ou de le fuir. Ce bateau est un des chefs-d''oeuvre de l''industrie moderne, et je regretterais de ne pas l''avoir vu! Bien des gens accepteraient la situation qui nous est faite, ne fût-ce que pour se promener à travers ces merveilles. Ainsi. tenez-vous tranquille, et tâchons de voir ce qui se passe autour de nous.
    - Voir! s''écria le harponneur, mais on ne voit rien, on ne verra rien de cette prison de tôle! Nous marchons, nous naviguons en aveugles... "
    - Ned Land prononçait ces derniers mots, quand l''obscurité se fit subitement, mais une obscurité absolue. Le plafond lumineux s''éteignit, et si rapidement, que mes yeux en éprouvèrent une impression douloureuse, analogue à celle que produit le passage contraire des profondes ténèbres à la plus éclatante lumière.
    Nous étions restés muets, ne remuant pas, ne sachant quelle surprise, agréable ou désagréable, nous attendait. Mais un glissement se fit entendre. On eût *** que des panneaux se manoeuvraient sur les flancs du Nautilus.
    " C''est la fin de la fin! *** Ned Land.
    - Ordre des Hydroméduses! " murmura Conseil.
    Soudain, le jour se fit de chaque côté du salon, à travers deux ouvertures oblongues. Les masses liquides apparurent vivement éclairées par les effluences électriques. Deux plaques de cristal nous séparaient de la mer. Je frémis, d''abord, à la pensée que cette fragile paroi pouvait se briser; mais de fortes armatures de cuivre la maintenaient et lui donnaient une résistance presque infinie.
    La mer était distinctement visible dans un rayon d''un mille autour du Nautilus. Quel spectacle! Quelle plume le pourrait décrire! Qui saurait peindre les effets de la lumière à travers ces nappes transparentes, et la douceur de ses dégradations successives jusqu''aux couchés inférieures et supérieures de l''Océan!
    On connaît la diaphanéité de la mer. On sait que sa limpi***é l''emporte sur celle de l''eau de roche. Les substances minérales et organiques, qu''elle tient en suspension, accroissent même sa transparence. Dans certaines parties de l''Océan, aux Antilles, cent quarante-cinq mètres d''eau laissent apercevoir le lit de sable avec une surprenante netteté, et la force de pénétration des rayons solaires ne paraît s''arrêter qu''à une profondeur de trois cents mètres. Mais, dans ce milieu fluide que parcourait le Nautilus, l''éclat électrique se produisait au sein même des ondes. Ce n''était plus de l''eau lumineuse, mais de la lumière liquide.
    Si l''on admet l''hypothèse d''Erhemberg, qui croit à une illumination phosphorescente des fonds sous-marins, la nature a certainement réservé pour les habitants de la mer l''un de ses plus prodigieux spectacles, et j''en pouvais juger ici par les mille jeux de cette lumière. De chaque côté, j''avais une fenêtre ouverte sur ces abîmes inexplorés. L''obscurité du salon faisait valoir la clarté extérieure, et nous regardions comme si ce pur cristal eût été la vitre d''un immense aquarium.
    Le Nautilus ne semblait pas bouger. C''est que les points de repère manquaient. Parfois, cependant, les lignes d''eau, divisées par son éperon, filaient devant nos regards avec une vitesse excessive.
    Emerveillés, nous étions accoudés devant ces vitrines, et nul de nous n''avait encore rompu ce silence de stupéfaction, quand Conseil ***:
    " Vous vouliez voir. ami Ned, eh bien, vous voyez!
    - Curieux! curieux! faisait le Canadien - qui oubliant ses colères et ses projets d''évasion, subissait une attraction irrésistible - et l''on viendrait de plus loin pour admirer ce spectacle!
    - Ah! m''écriai-je, je comprends la vie de cet homme! Il s''est fait un monde à part qui lui réserve ses plus étonnantes merveilles!
    - Mais les poissons? fit observer le Canadien. Je ne vois pas de poissons!
    - Que vous importe, ami Ned, répon*** Conseil, puisque vous ne les connaissez pas.
    - Moi! un pêcheur! s''écria Ned Land.
    Et sur ce sujet, une discussion s''éleva entre les deux amis, car ils connaissaient les poissons, mais chacun d''une façon très différente.
  7. JogR

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    XIV - LE FLEUVE NOIR (II)
    Tout le monde sait que les poissons forment la quatrième et dernière classe de l''embranchement des vertébrés. On les a très justement définis: " des vertébrés à circulation double et à sang froid, respirant par des branchies et destinés à vivre dans l''eau ". Ils composent deux séries distinctes: la série des poissons osseux. c''est-à-dire ceux dont l''épine dorsale est faite de vertèbres osseuses, et les poissons cartilagineux. c''est-à-dire ceux dont l''épine dorsale est faite de vertèbres cartilagineuses.
    Le Canadien connaissait peut-être cette distinction, mais Conseil en savait bien davantage, et maintenant, lié d''amitié avec Ned. il ne pouvait admettre qu''il fût moins instruit que lui. Aussi lui ***-il:
    " Ami Ned, vous êtes un tueur de poissons, un très habile pêcheur. Vous avez pris un grand nombre de ces intéressants animaux. Mais je gagerais que vous ne savez pas comment on les classe.
    - Si. répon*** sérieusement le harponneur. On les classe en poissons qui se mangent et en poissons qui ne se mangent pas!
    - Voilà une distinction de gourmand, répon*** Conseil.
    Mais ***es-moi si vous connaissez la différence qui existe entre les poissons osseux et les poissons cartilagineux?
    - Peut-être bien, Conseil.
    - Et la subdivision de ces deux grandes classes?
    - Je ne m''en doute pas, répon*** le Canadien.
    - Eh bien, ami Ned, écoutez et retenez! Les poissons osseux se subdivisent en six ordres: Primo. Les acanthoptérygiens, dont la mâchoire supérieure est complète. mobile. et dont les branchies affectent la forme d''un peigne. Cet ordre comprend quinze familles, c''est-à-dire les trois quarts des poissons connus. Type: la perche commune.
    - Assez bonne à manger, répon*** Ned Land.
    - Secundo, reprit Conseil, les abdominaux, qui ont les nageoires ventrales suspendues sous l''abdomen et en arrière des pectorales, sans être attachées aux os de l''épaule - ordre qui se divise en cinq familles, et qui comprend la plus grande partie des poissons d''eau douce. Type: la carpe, le brochet.
    - Peuh! fit le Canadien avec un certain mépris, des poissons d''eau douce!
    - Tertio, *** Conseil, les subrachiens, dont les ventrales sont attachées sous les pectorales et immédiatement suspendues aux os de l''épaule. Cet ordre contient quatre familles. Type: plies, limandes, turbots, barbues, soles, etc.
    - Excellent! excellent! s''écriait le harponneur, qui ne voulait considérer les poissons qu''au point de vue comestible.
    - Quarto, reprit Conseil, sans se démonter, les apodes, au corps allongé, dépourvus de nageoires ventrales, et revêtus d''une peau épaisse et souvent gluante
    ordre qui ne comprend qu''une famille. Type: l''anguille, le gymnote.
    - Médiocre! médiocre! répon*** Ned Land.
    - Quinto, *** Conseil, les lophobranches, qui ont les mâchoires complètes et libres, mais dont les branchies sont formées de petites houppes. disposées par paires le long des arcs branchiaux. Cet ordre ne compte qu''une famille. Type: les hippocampes, les pégases dragons.
    - Mauvais! mauvais! répliqua le harponneur.
    - ***to, enfin, *** Conseil, les plectognathes, dont l''os maxillaire est attaché fixement sur le côte de l''intermaxillaire qui forme la mâchoire, et dont l''arcade palatine s''engrène par suture avec le crâne, ce qui la rend immobile ordre qui manque de vraies ventrales, et qui se compose de deux familles. Types: les tétrodons, les poissons-lunes.
    - Bons à déshonorer une chaudière! s''écria le Canadien.
    - Avez-vous compris, ami Ned? demanda le savant Conseil.
    - Pas le moins du monde, ami Conseil, répon*** le harponneur. Mais allez toujours, car vous êtes très intéressant.
    - Quant aux poissons cartilagineux, reprit imperturbablement Conseil, ils ne comprennent que trois ordres.
    - Tant mieux, fit Ned.
    - Primo, les cyclostomes, dont les mâchoires sont soudées en un anneau mobile, et dont les branchies s''ouvrent par des trous nombreux - ordre ne comprenant qu''une seule famille. Type: la lamproie.
    - Faut l''aimer. répon*** Ned Land.
    - Secundo, les sélaciens, avec branchies semblables à celles des cyclostomes, mais dont la mâchoire inférieure est mobile. Cet ordre, qui est le plus important de la classe, comprend deux familles. Types: la raie et les squales.
    - Quoi! s''écria Ned, des raies et des requins dans le même ordre! Eh bien, ami Conseil, dans l''intérêt des raies, je ne vous conseille pas de les mettre ensemble dans le même bocal!
    - Tertio, répon*** Conseil, les sturioniens, dont les branchies sont ouvertes, comme à l''ordinaire, par une seule fente garnie d''un opercule ordre qui comprend quatre genres. Type: l''esturgeon.
    - Ah! ami Conseil, vous avez gardé le meilleur pour la fin à mon avis, du moins. Et c''est tout?
    - Oui, mon brave Ned, répon*** Conseil, et remarquez que quand on sait cela, on ne sait rien encore. car les familles se subdivisent en genres, en sous-genres. en espèces, en variétés...
    - Eh bien. ami Conseil, *** le harponneur, se penchant sur la vitre du panneau, voici des variétés qui passent!
    - Oui! des poissons, s''écria Conseil. On se croirait devant un aquarium!
    - Non, répondis-je, car l''aquarium n''est qu''une cage, et ces poissons-là sont libres comme l''oiseau dans l''air.
    - Eh bien, ami Conseil, nommez-les donc, nommez-les donc! disait Ned Land.
    - Moi, répon*** Conseil, je n''en suis pas capable! Cela regarde mon maître! "
    Et en effet, le digne garçon. classificateur enragé, n''était point un naturaliste, et je ne sais pas s''il aurait distingué un thon d''une bonite. En un mot, le contraire du Canadien, qui nommait tous ces poissons sans hésiter.
    - Un baliste, avais-je ***.
    - Et un baliste chinois! répondait Ned Land.
    - Genre des balistes, famille des sclérodermes, ordre des plectognathes ". murmurait Conseil.
    Décidément, à eux deux, Ned et Conseil auraient fait un naturaliste distingué.
    Le Canadien ne s''était pas trompé. Une troupe de balistes, à corps comprimé. à peau grenue, armés d''un aiguillon sur leur dorsale, se jouaient autour du Nautilus, et agitaient les quatre rangées de piquants qui hérissent chaque côté de leur queue. Rien de plus admirable que leur enveloppe, grise par-dessus, blanche par-dessous dont les taches d''or scintillaient dans le sombre remous des lames. Entre eux ondulaient des raies, comme une nappe abandonnée aux vents. et parmi elles, j''aperçus, à ma grande joie, cette raie chinoise, jaunâtre à sa partie supérieure, rose tendre sous le ventre et munie de trois aiguillons en arrière de son oeil: espèce rare, et même douteuse au temps de Lacépède, qui ne l''avait jamais vue que dans un recueil de dessins japonais.
    Pendant deux heures toute une armée aquatique fit escorte au Nautilus. Au milieu de leurs jeux, de leurs bonds, tandis qu''ils rivalisaient de beauté, d''éclat et de vitesse, je distinguai le labre vert, le mulle barberin, marqué d''une double raie noire. Le gobie éléotre, à caudale arrondie, blanc de couleur et tacheté de violet sur le dos, le scombre japonais, admirable maquereau de ces mers, au corps bleu et à la tête argentée, de brillants azurors dont le nom seul emporte toute description des spares rayés, aux nageoires variées de bleu et de jaune, des spares fascés, relevés d''une bande noire sur leur caudale, des spares zonéphores élégamment corsetés dans leurs six ceintures, des aulostones, véritables bouches en flûte ou bécasses de mer, dont quelques échantillons atteignaient une longueur d''un mètre, des salamandres du Japon, des murènes échidnées, longs serpents de six pieds, aux yeux vifs et petits, et à la vaste bouche hérissée de dents, etc.
    Notre admiration se maintenait toujours au plus haut point. Nos interjections ne tarissaient pas. Ned nommait les poissons, Conseil les classait, moi, je m''extasiais devant la vivacité de leurs allures et la beauté de leurs formes. Jamais il ne m''avait été donné de surprendre ces animaux vivants, et libres dans leur élément naturel.
    Je ne citerai pas toutes les variétés qui passèrent ainsi devant nos yeux éblouis, toute cette collection des mers du Japon et de la Chine. Ces poissons accouraient, plus nombreux que les oiseaux dans l''air, attirés sans doute par l''éclatant foyer de lumière électrique.
    Subitement, le jour se fit dans le salon. Les panneaux de tôle se refermèrent. L''enchanteresse vision disparut. Mais longtemps, je rêvai encore, jusqu''au moment où mes regards se fixèrent sur les instruments suspendus aux parois. La boussole montrait toujours la direction au nord-nord-est, le manomètre indiquait une pression de cinq atmosphères correspondant à une profondeur de cinquante mètres, et le loch électrique donnait une marche de quinze milles à l''heure.
    J''attendais le capitaine Nemo. Mais il ne parut pas. L''horloge marquait cinq heures.
    Ned Land et Conseil retournèrent à leur cabine. Moi, je regagnai ma chambre. Mon dîner s''y trouvait préparé. Il se composait d''une soupe à la tortue faite des carets les plus délicats, d''un surmulet à chair blanche. un peu feuilletée, dont le foie préparé à part fit un manger délicieux, et de filets de cette viande de l''holocante empereur, dont la saveur me parut supérieure à celle du saumon.
    Je passai la soirée à lire, à écrire, à penser. Puis, le sommeil me gagnant, je m''étendis sur ma couche de zostère, et je m''endormis profondément, pendant que le Nautilus se glissait à travers le rapide courant du Fleuve Noir.
    ------------------------------
    Fin du chapitre XIV
  8. JogR

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    XV - UNE INVITATION PAR LETTRE
    Le lendemain, 9 novembre, je ne me réveillai qu''après un long sommeil de douze heures. Conseil vint, suivant son habitude, savoir " comment monsieur avait passé la nuit ". et lui offrir ses services. Il avait laissé son ami le Canadien dormant comme un homme qui n''aurait fait que cela toute sa vie.
    Je laissai le brave garçon babiller à sa fantaisie, sans trop lui répondre. J''étais préoccupé de l''absence du capitaine Nemo pendant notre séance de la veille, et j''espérais le revoir aujourd''hui.
    Bientôt j''eus revêtu mes vêtements de byssus. Leur nature provoqua plus d''une fois les réflexions de Conseil. Je lui appris qu''ils étaient fabriqués avec les filaments lustrés et soyeux qui rattachent aux rochers les " jambonneaux ", sortes de coquilles très abondantes sur les rivages de la Mé***erranée.
    Autrefois, on en faisait de belles étoffes, des bas, des gants, car ils étaient à la fois très moelleux et très chauds. L''équipage du Nautilus pouvait donc se vêtir à bon compte, sans rien demander ni aux cotonniers, ni aux moutons, ni aux vers à soie de la terre.
    Lorsque je fus habillé, je me rendis au grand salon. Il était désert.
    Je me plongeai dans l''étude de ces trésors de conchyliologie, entassés sous les vitrines. Je fouillai aussi de vastes herbiers, emplis des plantes marines les plus rares, et qui, quoique desséchées, conservaient leurs admirables couleurs. Parmi ces précieuses hydrophytes, je remarquai des cladostèphes verticillées, des padines-paon, des caulerpes à feuilles de vigne, des callithamnes granifères, de délicates céramies à teintes écarlates, des agares disposées en éventails, des acétabules, semblables à des chapeaux de champignons très déprimés, et qui furent longtemps classées parmi les zoophytes, enfin toute une série de varechs.
    La journée entière se passa, sans que je fusse honoré de la visite du capitaine Nemo. Les panneaux du salon ne s''ouvrirent pas. Peut-être ne voulait-on pas nous blaser sur ces belles choses.
    La direction du Nautilus se maintint à l''est-nord-est, sa vitesse à douze milles, sa profondeur entre cinquante et soixante mètres.
    Le lendemain, 10 novembre, même abandon, même solitude. Je ne vis personne de l''équipage. Ned et Conseil passèrent la plus grande partie de la journée avec moi. Ils s''étonnèrent de l''inexplicable absence du capitaine. Cet homme singulier était-il malade? Voulait-il modifier ses projets à notre égard?
    Après tout, suivant la remarque de Conseil. nous jouissions d''une entière liberté, nous étions délicatement et abondamment nourris. Notre hôte se tenait dans les termes de son traité. Nous ne pouvions nous plaindre, et d''ailleurs, la singularité même de notre destinée nous réservait de si belles compensations, que nous n''avions pas encore le droit de l''accuser.
    Ce jour-là, je commençai le journal de ces aventures, ce qui m''a permis de les raconter avec la plus scrupuleuse exactitude, et, détail curieux, je l''écrivis sur un papier fabriqué avec la zostère marine.
    Le 11 novembre, de grand matin, l''air frais répandu à l''intérieur du Nautilus m''apprit que nous étions revenus à la surface de l''Océan, afin de renouveler les provisions d''oxygène. Je me dirigeai vers l''escalier central, et je montai sur la plate-forme.
    Il était six heures. Je trouvai le temps couvert, la mer grise, mais calme. A peine de houle. Le capitaine Nemo, que j''espérais rencontrer là, viendrait-il? Je n''aperçus que le timonier, emprisonné dans sa cage de verre. Assis sur la saillie produite par la coque du canot, j''aspirai avec délices les émanations salines.
    Peu à peu, la brume se dissipa sous l''action des rayons solaires. L''astre radieux débordait de l''horizon oriental. La mer s''enflamma sous son regard comme une traînée de poudre. Les nuages, éparpillés dans les hauteurs, se colorèrent de tons vifs admirablement nuancés, et de nombreuses " langues de chat " annoncèrent du vent pour toute la journée.
    Mais que faisait le vent à ce Nautilus que les tempêtes ne pouvaient effrayer!
    J''admirai donc ce joyeux lever de soleil, si gai, si vivifiant, lorsque j''entendis quelqu''un monter vers la plate-forme.
    Je me préparais à saluer le capitaine Nemo, mais ce fut son second - que j''avais déjà vu pendant la première visite du capitaine - qui apparut. Il s''avança sur la plate-forme. et ne sembla pas s''apercevoir de ma présence. Sa puissante lunette aux yeux, il scruta tous les points de l''horizon avec une attention extrême. Puis, cet examen fait, il s''approcha du panneau, et prononça une phrase dont voici exactement les termes. Je l''ai retenue, car, chaque matin, elle se reproduisit dans des con***ions identiques. Elle était ainsi conçue:
    " Nautron respoc lorni virch. "
    Ce qu''elle signifiait, je ne saurais le dire.
    Ces mots prononcés, le second redescen***. Je pensai que le Nautilus allait reprendre sa navigation sous-marine. Je regagnai donc le panneau, et par les coursives je revins à ma chambre.
    Cinq jours s''écoulèrent ainsi, sans que la situation se modifiât. Chaque matin, je montais sur la plate-forme. La même phrase était prononcée par le même individu. Le capitaine Nemo ne paraissait pas.
    J''avais pris mon parti de ne plus le voir, quand, le 16 novembre, rentré dans ma chambre avec Ned et Conseil, je trouvai sur la table un billet à mon adresse.
    Je l''ouvris d''une main impatiente. Il était écrit d''une écriture franche et nette, mais un peu gothique et qui rappelait les types allemands.
    Ce billet était libellé en ces termes:
    Monsieur le professeur Aronnax, à bord du Nautilus.
    16 novembre 1867.
    Le capitaine Nemo invite monsieur le professeur Aronnax à une partie de chasse qui aura lieu demain matin dans ses forêts de l''île Crespo. Il espère que rien n''empêchera monsieur le professeur d''y assister, et il verra avec plaisir que ses compagnons se joignent à lui.
    Le commandant du Nautilus,
    Capitaine NEMO. "
    " Une chasse! s''écria Ned.
    - Et dans ses forêts de l''île Crespo! ajouta Conseil.
    - Mais il va donc à terre, ce particulier-là? reprit Ned Land.
    - Cela me paraît clairement indiqué, dis-je en relisant la lettre.
    - Eh bien! il faut accepter, répliqua le Canadien. Une fois sur la terre ferme, nous aviserons à prendre un parti. D''ailleurs, je ne serai pas fâché de manger quelques morceaux de venaison fraîche. "
    Sans chercher à concilier ce qu''il y avait de contradictoire entre l''horreur manifeste du capitaine Nemo pour les continents et les îles, et son invitation de chasser en forêt, je me contentai de répondre:
    " Voyons d''abord ce que c''est que l''île Crespo. "
    Je consultai le planisphère, et, par 32°40'' de latitude nord et 167°50'' de longitude ouest, je trouvai un îlot qui fut reconnu en 1801 par le capitaine Crespo, et que les anciennes cartes espagnoles nommaient Rocca de la Plata, c''est-à-dire " Roche d''Argent ". Nous étions donc à dix-huit cents milles environ de notre point de départ, et la direction un peu modifiée du Nautilus le ramenait vers le sud-est.
    Je montrai à mes compagnons ce petit roc perdu au milieu du Pacifique nord.
    " Si le capitaine Nemo va quelquefois à terre, leur dis-je, il choisit du moins des îles absolument désertes! "
    Ned Land hocha la tête sans répondre, puis Conseil et lui me quittèrent. Après un souper qui me fut servi par le stewart muet et impassible, je m''endormis, non sans quelque préoccupation.
    Le lendemain, 17 novembre, à mon réveil, je sentis que le Nautilus était absolument immobile. Je m''habillai lestement, et j''entrai dans le grand salon.
    Le capitaine Nemo était là. Il m''attendait, se leva, salua, et me demanda s''il me convenait de l''accompagner.
    Comme il ne fit aucune allusion à son absence pendant ces huit jours, je m''abstins de lui en parler, et je répondis simplement que mes compagnons et moi nous étions prêts à le suivre.
    " Seulement, monsieur, ajoutai-je, je me permettrai de vous adresser une question.
    - Adressez, monsieur Aronnax, et, si je puis y répondre, j''y répondrai.
    - Eh bien, capitaine, comment se fait-il que vous, qui avez rompu toute relation avec la terre, vous possédiez des forêts dans l''île Crespo?
    - Monsieur le professeur, me répon*** le capitaine, les forêts que je possède ne demandent au soleil ni sa lumière ni sa chaleur. Ni les lions, ni les tigres, ni les panthères, ni aucun quadrupède ne les fréquentent. Elles ne sont connues que de moi seul. Elles ne poussent que pour moi seul. Ce ne sont point des forêts terrestres, mais bien des forêts sous-marines.
    - Des forêts sous-marines! m''écriai-je.
    - Oui, monsieur le professeur.
    - Et vous m''offrez de m''y conduire?
    - Précisément.
    - A pied?
    - Et même à pied sec.
    - En chassant?
    - En chassant.
    - Le fusil à la main?
    - Le fusil à la main. "
    Je regardai le commandant du Nautilus d''un air qui n''avait rien de flatteur pour sa personne.
    " Décidément, il a le cerveau malade, pensai-je. Il a eu un accès qui a dure huit jours, et même qui dure encore. C''est dommage! Je l''aimais mieux étrange que fou! "
    Cette pensée se lisait clairement sur mon visage, mais le capitaine Nemo se contenta de m''inviter à le suivre, et je le suivis en homme résigné à tout.
    Nous arrivâmes dans la salle à manger, où le déjeuner se trouvait servi.
    " Monsieur Aronnax, me *** le capitaine, je vous prierai de partager mon déjeuner sans façon. Nous causerons en mangeant. Mais, si je vous ai promis une promenade en forêt, je ne me suis point engagé à vous y faire rencontrer un restaurant. Déjeunez donc en homme qui ne dînera probablement que fort tard. "
    Je fis honneur au repas. Il se composait de divers poissons et de tranches d''holoturies, excellents zoophytes, relevés d''algues très apéritives, telles que la Porphyria laciniata et la Laurentia primafetida. La boisson se composait d''eau limpide à laquelle, à l''exemple du capitaine, j''ajoutai quelques gouttes d''une liqueur fermentée, extraite, suivant la mode kamchatkienne, de l''algue connue sous le nom de " Rhodoménie palmée ".
    Le capitaine Nemo mangea, d''abord, sans prononcer une seule parole. Puis, il me ***:
    " Monsieur le professeur, quand je vous ai proposé de venir chasser dans mes forêts de Crespo, vous m''avez cru en contradiction avec moi-même. Quand je vous ai appris qu''il s''agissait de forêts sous-marines, vous m''avez cru fou. Monsieur le professeur, il ne faut jamais juger les hommes à la légère.
    - Mais, capitaine, croyez que...
    - Veuillez m''écouter, et vous verrez si vous devez m''accuser de folie ou de contradiction.
    - Je vous écoute.
    - Monsieur le professeur, vous le savez aussi bien que moi, l''homme peut vivre sous l''eau à la con***ion d''emporter avec lui sa provision d''air respirable. Dans les travaux sous-marins, l''ouvrier, revêtu d''un vêtement imperméable et la tête emprisonnée dans une capsule de métal, reçoit l''air de l''extérieur au moyen de pompes foulantes et de régulateurs d''écoulement.
    - C''est l''appareil des scaphandres, dis-je.
    - En effet, mais dans ces con***ions, l''homme n''est pas libre. Il est rattache à la pompe qui lui envoie l''air par un tuyau de caoutchouc, véritable chaîne qui le rive à la terre, et si nous devions être ainsi retenus au Nautilus, nous ne pourrions aller loin.
    - Et le moyen d''être libre? demandai-je.
    - C''est d''employer l''appareil Rouquayrol-Denayrouze, imaginé par deux de vos compatriotes, mais que j''ai perfectionné pour mon usage, et qui vous permettra de vous risquer dans ces nouvelles con***ions physiologiques, sans que vos organes en souffrent aucunement. Il se compose d''un réservoir en tôle épaisse, dans lequel j''emmagasine l''air sous une pression de cinquante atmosphères. Ce réservoir se fixe sur le dos au moyen de bretelles, comme un sac de soldat. Sa partie supérieure forme une boîte d''où l''air, maintenu par un mécanisme à soufflet, ne peut s''échapper qu''à sa tension normale. Dans l''appareil Rouquayrol, tel qu''il est employé, deux tuyaux en caoutchouc, partant de cette boîte, viennent aboutir à une sorte de pavillon qui emprisonne le nez et la bouche de l''opérateur; l''un sert à l''introduction de l''air inspiré, l''autre à l''issue de l''air expiré, et la langue ferme celui-ci ou celui-là, suivant les besoins de la respiration. Mais, moi qui affronte des pressions considérables au fond des mers, j''ai dû enfermer ma tête, comme celle des scaphandres, dans une sphère de cuivre, et c''est à cette sphère qu''aboutissent les deux tuyaux inspirateurs et expirateurs.
    - Parfaitement, capitaine Nemo, mais l''air que vous emportez doit s''user vite, et dès qu''il ne contient plus que quinze pour cent d''oxygène, il devient irrespirable.
    Sans doute, mais je vous l''ai ***, monsieur Aronnax, les pompes du Nautilus me permettent de l''emmagasiner sous une pression considérable, et, dans ces con***ions, le réservoir de l''appareil peut fournir de l''air respirable pendant neuf ou dix heures.
    - Je n''ai plus d''objection à faire, répondis-je. Je vous demanderai seulement, capitaine, comment vous pouvez éclairer votre route au fond de l''Océan?
    - Avec l''appareil Ruhmkorff, monsieur Aronnax. Si le premier se porte sur le dos, le second s''attache à la ceinture. Il se compose d''une pile de Bunzen que je mets en activité, non avec du bichromate de potasse, mais avec du sodium. Une bobine d''induction recueille l''électricité produite, et la dirige vers une lanterne d''une disposition particulière. Dans cette lanterne se trouve un serpentin de verre qui contient seulement un résidu de gaz carbonique. Quand l''appareil fonctionne, ce gaz devient lumineux, en donnant une lumière blanchâtre et continue. Ainsi pourvu, je respire et je vois.
    - Capitaine Nemo, à toutes mes objections vous faites de si écrasantes réponses que je n''ose plus douter.
    Cependant, si je suis bien forcé d''admettre les appareils Rouquayrol et Ruhmkorff, je demande à faire des réserves pour le fusil dont vous voulez m''armer.
    - Mais ce n''est point un fusil à poudre, répon*** le capitaine.
    - C''est donc un fusil à vent?
    - Sans doute. Comment voulez-vous que je fabrique de la poudre à mon bord, n''ayant ni salpêtre, ni soufre ni charbon?
    - D''ailleurs, dis-je, pour tirer sous l''eau, dans un milieu huit cent cinquante-cinq fois plus dense que l''air il faudrait vaincre une résistance considérable.
    - Ce ne serait pas une raison. Il existe certains canons, perfectionnés après Fulton par les Anglais Philippe Coles et Burley, par le Français Furcy, par l''Italien Landi, qui sont munis d''un système particulier de fermeture, et qui peuvent tirer dans ces con***ions. Mais je vous le répète, n''ayant pas de poudre, je l''ai remplacée par de l''air à haute pression, que les pompes du Nautilus me fournissent abondamment.
    - Mais cet air doit rapidement s''user.
    - Eh bien, n''ai-je pas mon réservoir Rouquayrol, qui peut, au besoin, m''en fournir. Il suffit pour cela d''un robinet ad hoc. D''ailleurs, monsieur Aronnax, vous verrez par vous-même que, pendant ces chasses sous-marines, on ne fait pas grande dépense d''air ni de balles.
    - Cependant, il me semble que dans cette demi-obscurité, et au milieu de ce liquide très dense par rapport à l''atmosphère, les coups ne peuvent porter loin et sont difficilement mortels?
    - Monsieur, avec ce fusil tous les coups sont mortels, au contraire, et dès qu''un animal est touché, si légèrement que ce soit, il tombe foudroyé.
    - Pourquoi?
    - Parce que ce ne sont pas des balles ordinaires que ce fusil lance, mais de petites capsules de verre - inventées par le chimiste autrichien Leniebroek - et dont j''ai un approvisionnement considérable. Ces capsules de verre, recouvertes d''une armature d''acier, et alourdies par un culot de plomb, sont de véritables petites bouteilles de Leyde, dans lesquelles l''électricité est forcée à une très haute tension. Au plus léger choc, elles se déchargent, et l''animal, si puissant qu''il soit, tombe mort. J''ajouterai que ces capsules ne sont pas plus grosses que du numéro quatre, et que la charge d''un fusil ordinaire pourrait en contenir dix.
    - Je ne discute plus, répondis-je en me levant de table, et je n''ai plus qu''à prendre mon fusil. D''ailleurs, ou vous Irez, j''irai. "
    Le capitaine Nemo me conduisit vers l''arrière du Nautilus, et, en passant devant la cabine de Ned et de Conseil, j''appelai mes deux compagnons qui nous suivirent aussitôt.
    Puis, nous arrivâmes à une cellule située en abord près de la chambre des machines, et dans laquelle nous devions revêtir nos vêtements de promenade.
    ---------------------------
    Fin du chapitre XV
  9. JogR

    JogR Thành viên mới

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    XVI - PROMENADE EN PLAINE
    Cette cellule était, à proprement parler, l''arsenal et le vestiaire du Nautilus. Une douzaine d''appareils de scaphandres, suspendus à la paroi, attendaient les promeneurs.
    Ned Land, en les voyant, manifesta une répugnance évidente à s''en revêtir.
    " Mais, mon brave Ned, lui dis-je, les forêts de l''île de Crespo ne sont que des forêts sous-marines!
    - Bon! fit le harponneur désappointé, qui voyait s''évanouir ses rêves de viande fraîche. Et vous, monsieur Aronnax, vous allez vous introduire dans ces habits-là?
    - Il le faut bien, maître Ned.
    - Libre à vous, monsieur, répon*** le harponneur, haussant les épaules, mais quant à moi, à moins qu''on ne m''y force, je n''entrerai jamais là-dedans.
    - On ne vous forcera pas, maître Ned, *** le capitaine Nemo.
    - Et Conseil va se risquer? demanda Ned.
    - Je suis monsieur partout où va monsieur ", répon*** Conseil.
    Sur un appel du capitaine, deux hommes de l''équipage vinrent nous aider à revêtir ces lourds vêtements imperméables, faits en caoutchouc sans couture, et préparés de manière à supporter des pressions considérables. On eût *** une armure à la fois souple et résistante. Ces vêtements formaient pantalon et veste. Le pantalon se terminait par d''épaisses chaussures, garnies de lourdes semelles de plomb. Le tissu de la veste était maintenu par des lamelles de cuivre qui cuirassaient la poitrine, la défendaient contre la poussée des eaux, et laissaient les poumons fonctionner librement; ses manches finissaient en forme de gants assouplis, qui ne contrariaient aucunement les mouvements de la main.
    Il y avait loin, on le voit, de ces scaphandres perfectionnés aux vêtements informes, tels que les cuirasses de liège, les soubrevestes, les habits de mer, les coffres, etc., qui furent inventés et prônés dans le XVIIIe siècle.
    Le capitaine Nemo, un de ses compagnons - sorte d''Hercule, qui devait être d''une force prodigieuse - , Conseil et moi, nous eûmes bientôt revêtu ces habits de scaphandres. Il ne s''agissait plus que d''emboîter notre tête dans sa sphère métallique. Mais, avant de procéder à cette opération, je demandai au capitaine la permission d''examiner les fusils qui nous étaient destinés.
    L''un des hommes du Nautilus me présenta un fusil simple dont la crosse, faite en tôle d''acier et creuse à l''intérieur, était d''assez grande dimension. Elle servait de réservoir à l''air comprimé, qu''une soupape, manoeuvrée par une gâchette, laissait échapper dans le tube de métal. Une boîte à projectiles, évidée dans l''épaisseur de la crosse, renfermait une vingtaine de balles électriques, qui, au moyen d''un ressort, se plaçaient automatiquement dans le canon du fusil. Dès qu''un coup était tiré, l''autre était prêt à partir.
    " Capitaine Nemo, dis-je, cette arme est parfaite et d''un maniement facile. Je ne demande plus qu''à l''essayer. Mais comment allons-nous gagner le fond de la mer?
    - En ce moment, monsieur le professeur, le Nautilus est échoué par dix mètres d''eau, et nous n''avons plus qu''à partir.
    - Mais comment sortirons-nous?
    - Vous l''allez voir. "
    Le capitaine Nemo introduisit sa tête dans la calotte sphérique. Conseil et moi, nous en fîmes autant, non sans avoir entendu le Canadien nous lancer un " bonne chasse " ironique. Le haut de notre vêtement était terminé par un collet de cuivre taraudé, sur lequel se vissait ce casque de métal. Trois trous, protégés par des verres épais, permettaient de voir suivant toutes les directions, rien qu''en tournant la tête à l''intérieur de cette sphère. Dès qu''elle fut en place, les appareils Rouquayrol, placés sur notre dos, commencèrent à fonctionner, et, pour mon compte, je respirai à l''aise.
    La lampe Ruhmkorff suspendue à ma ceinture, le fusil à la main, j''étais prêt à partir. Mais, pour être franc, emprisonné dans ces lourds vêtements et cloué au tillac par mes semelles de plomb, il m''eût été impossible de faire un pas.
    Mais ce cas était prévu, car je sentis que l''on me poussait dans une petite chambre contiguë au vestiaire. Mes compagnons, également remorqués, me suivaient. J''entendis une porte, munie d''obturateurs, se refermer sur nous, et une profonde obscurité nous enveloppa.
    Après quelques minutes, un vif sifflement parvint à mon oreille. Je sentis une certaine impression de froid monter de mes pieds à ma poitrine. Évidemment, de l''intérieur du bateau on avait, par un robinet, donné entrée à l''eau extérieure qui nous envahissait, et dont cette chambre fut bientôt remplie. Une seconde porte, percée dans le flanc du Nautilus, s''ouvrit alors. Un demi-jour nous éclaira. Un instant après, nos pieds foulaient le fond de la mer.
    Et maintenant. comment pourrais-je retracer les impressions que m''a laissées cette promenade sous les eaux? Les mots sont impuissants à raconter de telles merveilles! Quand le pinceau lui-même est inhabile à rendre les effets particuliers à l''élément liquide, comment la plume saurait-elle les reproduire?
    Le capitaine Nemo marchait en avant, et son compagnon nous suivait à quelques pas en arrière. Conseil et moi, nous restions l''un près de l''autre, comme si un échange de paroles eût été possible à travers nos carapaces métalliques. Je ne sentais déjà plus la lourdeur de mes vêtements, de mes chaussures, de mon réservoir d''air, ni le poids de cette épaisse sphère, au milieu de laquelle ma tête ballottait comme une amande dans sa coquille.
    Tous ces objets, plongés dans l''eau, perdaient une partie de leur poids égale à celui du liquide déplacé. et je me trouvais très bien de cette loi physique reconnue par Archimède. Je n''étais plus une masse inerte, et j''avais une liberté de mouvement relativement grande.
    La lumière, qui éclairait le sol jusqu''à trente pieds au-dessous de la surface de l''Océan, m''étonna par sa puissance. Les rayons solaires traversaient aisément cette masse aqueuse et en dissipaient la coloration. Je distinguais nettement les objets à une distance de cent mètres. Au-delà, les fonds se nuançaient des fines dégradations de l''outremer, puis ils bleuissaient dans les lointains, et s''effaçaient au milieu d''une vague obscurité. Véritablement, cette eau qui m''entourait n''était qu''une sorte d''air, plus dense que l''atmosphère terrestre, mais presque aussi diaphane. Au-dessus de moi, j''apercevais la calme surface de la mer.
    Nous marchions sur un sable fin, uni, non ridé comme celui des plages qui conserve l''empreinte de la houle. Ce tapis éblouissant, véritable réflecteur, repoussait les rayons du soleil avec une surprenante intensité. De là, cette immense réverbération qui pénétrait toutes les molécules liquides. Serai-je cru si j''affirme, qu''à cette profondeur de trente pieds, j''y voyais comme en plein jour?
    Pendant un quart d''heure, je foulai ce sable ardent, semé d''une impalpable poussière de coquillages. La coque du Nautilus, dessinée comme un long écueil, disparaissait peu à peu, mais son fanal, lorsque la nuit se serait faite au milieu des eaux, devait faciliter notre retour à bord, en projetant ses rayons avec une netteté parfaite. Effet difficile à comprendre pour qui n''a vu que sur terre ces nappes blanchâtres si vivement accusées. Là, la poussière dont l''air est saturé leur donne l''apparence d''un brouillard lumineux; mais sur mer, comme sous mer, ces traits électriques se transmettent avec une incomparable pureté.
    Cependant, nous allions toujours, et la vaste plaine de sable semblait être sans bornes. J''écartais de la main les rideaux liquides qui se refermaient derrière moi, et la trace de mes pas s''effaçait soudain sous la pression de l''eau.
    Bientôt, quelques formes d''objets. à peine estompées dans l''éloignement, se dessinèrent à mes yeux. Je reconnus de magnifiques premiers plans de rochers, tapissés de zoophytes du plus bel échantillon, et je fus tout d''abord frappé d''un effet spécial à ce milieu.
    Il était alors dix heures du matin. Les rayons du soleil frappaient la surface des flots sous un angle assez oblique, et au contact de leur lumière décomposée par la réfraction comme à travers un prisme, fleurs, rochers, plantules, coquillages, polypes, se nuançaient sur leurs bords des sept couleurs du spectre solaire. C''était une merveille, une fête des yeux, que cet enchevêtrement de tons colorés, une véritable kaléidoscopie de vert, de jaune, d''orange, de violet, d''indigo, de bleu, en un mot, toute la palette d''un coloriste enragé! Que ne pouvais-je communiquer à Conseil les vives sensations qui me montaient au cerveau, et rivaliser avec lui d''interjections admiratives! Que ne savais-je, comme le capitaine Nemo et son compagnon, échanger mes pensées au moyen de signes convenus! Aussi, faute de mieux, je me parlais à moi-même. je criais dans la boîte de cuivre qui coiffait ma tête, dépensant peut-être en vaines paroles plus d''air qu''il ne convenait.
    Devant ce splendide spectacle, Conseil s''était arrête comme moi. Évidemment, le digne garçon. en présence de ces échantillons de zoophytes et de mollusques, classait, classait toujours. Polypes et échinodermes abondaient sur le sol. Les isis variées, les cornulaires qui vivent isolément, des touffes d''oculines vierges, désignées autrefois sous le nom de " corail blanc ", les fongies hérissées en forme de champignons, les anémones adhérant par leur disque musculaire, figuraient un parterre de fleurs, émaillé de porpites parées de leur collerette de tentacules azurés. d''étoiles de mer qui constellaient le sable, et d''astérophytons verruqueux, fines dentelles brodées par la main des naïades, dont les festons se balançaient aux faibles ondulations provoquées par notre marche. C''était un véritable chagrin pour moi d''écraser sous mes pas les brillants spécimens de mollusques qui jonchaient le sol par milliers, les peignes concentriques, les marteaux, les donaces, véritables coquilles bondissantes, les troques, les casques rouges, les strombes aile-d''ange, les aphysies, et tant d''autres produits de cet inépuisable Océan. Mais il fallait marcher, et nous allions en avant, pendant que voguaient au-dessus de nos têtes des troupes de physalies, laissant leurs tentacules d''outre-mer flotter à la traîne, des méduses dont l''ombrelle opaline ou rose tendre, festonnée d''un liston d''azur, nous abritait des rayons solaires, et des pélagies panopyres, qui, dans l''obscurité, eussent semé notre chemin de lueurs phosphorescentes!
    Toutes ces merveilles, je les entrevis dans l''espace d''un quart de mille, m''arrêtant à peine, et suivant le capitaine Nemo, qui me rappelait d''un geste. Bientôt, la nature du sol se modifia. A la plaine de sable succéda une couche de vase visqueuse que les Américains nomment " oaze ", uniquement composée de coquilies siliceuses ou calcaires. Puis, nous parcourûmes une prairie d''algues, plantes pélagiennes que les eaux n''avaient pas encore arrachées, et dont la végétation était fougueuse. Ces pelouses à tissu serré, douces au pied, eussent rivalisé avec les plus moelleux tapis tissés par la main des hommes. Mais, en même temps que la verdure s''étalait sous nos pas, elle n''abandonnait pas nos têtes. Un léger berceau de plantes marines, classées dans cette exubérante famille des algues, dont on connaît plus de deux mille espèces, se croisait à la surface des eaux. Je voyais flotter de longs rubans de fucus, les uns globuleux, les autres tubulés, des laurencies, des cladostèphes, au feuillage si délié, des rhodymènes palmés, semblables à des éventails de cactus. J''observai que les plantes vertes se maintenaient plus près de la surface de la mer, tandis que les rouges occupaient une profondeur moyenne, laissant aux hydrophytes noires ou brunes le soin de former les jardins et les parterres des couches reculées de l''Océan.
    Ces algues sont véritablement un prodige de la création, une des merveilles de la flore universelle. Cette famille produit à la fois les plus petits et les plus grands végétaux du globe. Car de même qu''on a compté quarante mille de ces imperceptibles plantules dans un espace de cinq millimètres carrés, de même on a recueilli des fucus dont la longueur dépassait cinq cents mètres.
    Nous avions quitté le Nautilus depuis une heure et demie environ. Il était près de midi. Je m''en aperçus à la perpendicularité des rayons solaires qui ne se réfractaient plus. La magie des couleurs disparut peu à peu, et les nuances de l''émeraude et du saphir s''effacèrent de notre firmament. Nous marchions d''un pas régulier qui résonnait sur le sol avec une intensité étonnante. Les moindres bruits se transmettaient avec une vitesse à laquelle l''oreille n''est pas habituée sur la terre. En effet, l''eau est pour le son un meilleur véhicule que l''air, et il s''y propage avec une rapi***é quadruple.
    En ce moment, le sol s''abaissa par une pente prononcée. La lumière prit une teinte uniforme. Nous atteignîmes une profondeur de cent mètres, subissant alors une pression de dix atmosphères. Mais mon vêtement de scaphandre était établi dans des con***ions telles que je ne souffrais aucunement de cette pression. Je sentais seulement une certaine gêne aux articulations des doigts, et encore ce malaise ne tarda-t-il pas à disparaître. Quant à la fatigue que devait amener cette promenade de deux heures sous un harnachement dont j''avais si peu l''habitude, elle était nulle. Mes mouvements, aidés par l''eau, se produisaient avec une surprenante facilité.
    Arrivé à cette profondeur de trois cents pieds, je percevais encore les rayons du soleil, mais faiblement. A leur éclat intense avait succédé un crépuscule rougeâtre. moyen terme entre le jour et la nuit. Cependant, nous voyions suffisamment à nous conduire. et il n''était pas encore nécessaire de mettre les appareils Ruhmkorff en activité.
    En ce moment, le capitaine Nemo s''arrêta. Il atten*** que je l''eusse rejoint, et du doigt, il me montra quelques masses obscures qui s''accusaient dans l''ombre à une petite distance.
    " C''est la forêt de l''île Crespo ", pensai-je, et je ne me trompais pas.
    ---------------------------
    Fin du chapitre XVI
  10. JogR

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    XVII - QUATRE MILLE LIEUES SOUS LE PACIFIQUE
    Le lendemain matin, 18 novembre, j''étais parfaitement remis de mes fatigues de la veille, et je montai sur la plate-forme, au moment ou le second du Nautilus prononçait sa phrase quotidienne. Il me vint alors à l''esprit qu''elle se rapportait à l''état de la mer, ou plutôt qu''elle signifiait: " Nous n''avons rien en vue. "
    Et en effet, l''Océan était désert. Pas une voile à l''horizon. Les hauteurs de l''île Crespo avaient disparu pendant la nuit. La mer, absorbant les couleurs du prisme, à l''exception des rayons bleus, réfléchissait ceux-ci dans toutes les directions et revêtait une admirable teinte d''indigo. Une moire, à larges raies, se dessinait régulièrement sur les flots onduleux.
    J''admirais ce magnifique aspect de l''Océan, quand le capitaine Nemo apparut. Il ne sembla pas s''apercevoir de ma présence, et commença une série d''observations astronomiques. Puis, son opération terminée, il alla s''accouder sur la cage du fanal, et ses regards se perdirent à la surface de l''Océan.
    Cependant, une vingtaine de matelots du Nautilus, tous gens vigoureux et bien constitues, étaient montés sur la plate-forme. Ils venaient retirer les filets qui avaient été mis à la traîne pendant la nuit. Ces marins appartenaient évidemment à des nations différentes, bien que le type européen fût indiqué chez tous. Je reconnus, à ne pas me tromper, des Irlandais, des Français, quelques Slaves, un Grec ou un Candiote. Du reste, ces hommes étaient sobres de paroles, et n''employaient entre eux que ce bizarre idiome dont je ne pouvais pas même soupçonner l''origine. Aussi, je dus renoncer à les interroger.
    Les filets furent halés à bord. C''étaient des espèces de chaluts, semblables à ceux des côtes normandes, vastes poches qu''une vergue flottante et une chaîne transfilée dans les mailles inférieures tiennent entr''ouvertes. Ces poches, ainsi traînées sur leurs gantiers de fer, balayaient le fond de l''Océan et ramassaient tous ses produits sur leur passage. Ce jour-là, ils ramenèrent de curieux échantillons de ces parages poissonneux, des lophies, auxquels leurs mouvements comiques ont valu le qualificatif d''histrions, des commerçons noirs, munis de leurs antennes, des balistes ondulés, entourés de bandelettes rouges, des tétrodons-croissants, dont le venin est extrêmement subtil, quelques lamproies olivâtres, des macrorhinques, couverts d''écailles argentées, des trichiures, dont la puissance électrique est égale à celle du gymnote et de la torpille, des notoptères écailleux, à bandes brunes et transversales, des gades verdâtres, plusieurs variétés de gobies, etc., enfin, quelques poissons de proportions plus vastes, un caranx à tête proéminente, long d''un mètre, plusieurs beaux scombres bonites, chamarrés de couleurs bleues et argentées, et trois magnifiques thons que la rapi***é de leur marche n''avait pu sauver du chalut.
    J''estimai que ce coup de filet rapportait plus de mille livres de poissons. C''était une belle pêche, mais non surprenante. En effet, ces filets restent à la traîne pendant plusieurs heures et enserrent dans leur prison de fil tout un monde aquatique. Nous ne devions donc pas manquer de vivres d''une excellente qualité, que la rapi***é du Nautilus et l''attraction de sa lumière électrique pouvaient renouveler sans cesse.
    Ces divers produits de la mer furent immédiatement affalés par le panneau vers les cambuses, destinés, les uns à être mangés frais, les autres à être conservés.
    La pêche finie, la provision d''air renouvelée, je pensais que le Nautilus allait reprendre son excursion sous-marine, et je me préparais à regagner ma chambre, quand, se tournant vers moi, le capitaine Nemo me *** sans autre préambule:
    " Voyez cet océan, monsieur le professeur, n''est-il pas doué d''une vie réelle? N''a-t-il pas ses colères et ses tendresses? Hier, il s''est endormi comme nous, et le voilà qui se réveille après une nuit paisible! "
    Ni bonjour, ni bonsoir! N''eût-on pas *** que cet étrange personnage continuait avec moi une conversation déjà commencée?
    " Regardez, reprit-il, il s''éveille sous les caresses du soleil! Il va revivre de son existence diurne! C''est une intéressante étude que de suivre le jeu de son organisme. Il possède un pouls, des artères, il a ses spasmes, et je donne raison à ce savant Maury, qui a découvert en lui une circulation aussi réelle que la circulation sanguine chez les animaux. "
    Il est certain que le capitaine Nemo n''attendait de moi aucune réponse, et il me parut inutile de lui prodiguer les " Evidemment ", les " A coup sûr ", et les " Vous avez raison ". Il se parlait plutôt à lui-même, prenant de longs temps entre chaque phrase. C''était une mé***ation à voix haute.
    " Oui, ***-il, l''Océan possède une circulation véritable, et, pour la provoquer, il a suffi au Créateur de toutes choses de multiplier en lui le calorique, le sel et les animalcules. Le calorique, en effet, crée des densités différentes, qui amènent les courants et les contre-courants. L''évaporation, nulle aux régions hyperboréennes, très active dans les zones équatoriales, constitue un échange permanent des eaux tropicales et des eaux polaires. En outre, j''ai surpris ces courants de haut en bas et de bas en haut, qui forment la vraie respiration de l''Océan. J''ai vu la molécule d''eau de mer, échauffée à la surface, redescendre vers les profondeurs, atteindre son maximum de densité à deux degrés au-dessous de zéro, puis se refroidissant encore, devenir plus légère et remonter. Vous verrez, aux pôles, les conséquences de ce phénomène, et vous comprendrez pourquoi, par cette loi de la prévoyante nature, la congélation ne peut jamais se produire qu''à la surface des eaux! "
    Pendant que le capitaine Nemo achevait sa phrase, je me disais: " Le pôle! Est-ce que cet audacieux personnage prétend nous conduire jusque-là! "
    Cependant, le capitaine s''était tu, et regardait cet élément si complètement, si incessamment étudié par lui. Puis reprenant:
    " Les sels, ***-il, sont en quantité considérable dans la mer, monsieur le professeur, et si vous enleviez tous ceux qu''elle contient en dissolution, vous en feriez une masse de quatre millions et demi de lieues cubes, qui, étalée sur le globe, formerait une couche de plus de dix mètres de hauteur. Et ne croyez pas que la présence de ces sels ne soit due qu''à un caprice de la nature. Non. Ils rendent les eaux marines moins évaporables, et empêchent les vents de leur enlever une trop grande quantité de vapeurs, qui, en se résolvant, submergeraient les zones tempérées. Rôle immense, rôle de pondérateur dans l''économie générale du globe! "
    Le capitaine Nemo s''arrêta, se leva même, fit quelques pas sur la plate-forme, et revint vers moi:
    " Quant aux infusoires, reprit-il, quant à ces milliards d''animalcules, qui existent par millions dans une gouttelette, et dont il faut huit cent mille pour peser un milligramme, leur rôle n''est pas moins important. Ils absorbent les sels marins, ils s''assimilent les éléments solides de l''eau, et, véritables faiseurs de continents calcaires, ils fabriquent des coraux et des madrépores! Et alors la goutte d''eau, privée de son aliment minéral, s''allège, remonte à la surface, y absorbe les sels abandonnés par l''évaporation, s''alour***, redescend, et rapporte aux animalcules de nouveaux éléments à absorber. De là, un double courant ascendant et descendant, et toujours le mouvement, toujours la vie! La vie, plus intense que sur les continents, plus exubérante, plus infinie, s''épanouissant dans toutes les parties de cet océan, élément de mort pour l''homme, a-t-on ***, élément de vie pour des myriades d''animaux et pour moi! "
    Quand le capitaine Nemo parlait ainsi, il se transfigurait et provoquait en moi une extraordinaire émotion.
    " Aussi, ajouta-t-il, là est la vraie existence! Et je concevrais la fondation de villes nautiques, d''agglomérations de maisons sous-marines, qui, comme le Nautilus reviendraient respirer chaque matin à la surface des mers, villes libres, s''il en fut, cités indépendantes! Et encore, qui sait si quelque despote... "
    Le capitaine Nemo acheva sa phrase par un geste violent. Puis, s''adressant directement à moi, comme pour chasser une pensée funeste:
    " Monsieur Aronnax, me demanda-t-il, savez-vous quelle est la profondeur de l''Océan?
    - Je sais, du moins, capitaine, ce que les principaux sondages nous ont appris.
    - Pourriez-vous me les citer, afin que je les contrôle au besoin?
    - En voici quelques-uns, répondis-je, qui me reviennent à la mémoire. Si je ne me trompe, on a trouvé une profondeur moyenne de huit mille deux cents mètres dans l''Atlantique nord, et de deux mille cinq cents mètres dans la Mé***erranée. Les plus remarquables sondes ont été faites dans l''Atlantique sud, près du trente-cinquième degré, et elles ont donné douze mille mètres, quatorze mille quatre-vingt-onze mètres, et quinze mille cent quarante-neuf mètres. En somme, on estime que si le fond de la mer était nivelé, sa profondeur moyenne serait de sept kilomètres environ.
    - Bien, monsieur le professeur, répon*** le capitaine Nemo, nous vous montrerons mieux que cela, je l''espère. Quant à la profondeur moyenne de cette partie du Pacifique, je vous apprendrai qu''elle est seulement de quatre mille mètres. "
    Ceci ***, le capitaine Nemo se dirigea vers le panneau et disparut par l''échelle. Je le suivis, et je regagnai le grand salon. L''hélice se mit aussitôt en mouvement, et le loch accusa une vitesse de vingt milles à l''heure.
    Pendant les jours, pendant les semaines qui s''écoulèrent, le capitaine Nemo fut très sobre de visites. Je ne le vis qu''à de rares intervalles. Son second faisait régulièrement le point que je trouvais reporté sur la carte, de telle sorte que je pouvais relever exactement la route du Nautilus.
    Conseil et Land passaient de longues heures avec moi. Conseil avait raconté à son ami les merveilles de notre promenade, et le Canadien regrettait de ne nous avoir point accompagnés. Mais j''espérais que l''occasion se représenterait de visiter les forêts océaniennes.
    Presque chaque jour, pendant quelques heures, les panneaux du salon s''ouvraient, et nos yeux ne se fatiguaient pas de pénétrer les mystères du monde sous-marin.
    La direction générale du Nautilus était sud-est, et il se maintenait entre cent mètres et cent cinquante mètres de profondeur. Un jour, cependant, par je ne sais quel caprice, entraîné diagonalement au moyen de ses plans inclinés, il atteignit les couches d''eau situées par deux mille mètres. Le thermomètre indiquait une température de 4,25 centigrades, température qui, sous cette profondeur, paraît être commune à toutes les latitudes.
    Le 26 novembre, à trois heures du matin le Nautilus franchit le tropique du Cancer par 172° de longitude. Le 27, il passa en vue des Sandwich, où l''illustre Cook trouva la mort, le 14 février 1779. Nous avions alors fait quatre mille huit cent soixante lieues depuis notre point de départ. Le matin, lorsque j''arrivai sur la plate-forme, j''aperçus, à deux milles sous le vent, Haouaï, la plus considérable des sept îles qui forment cet archipel. Je distinguai nettement sa lisière cultivée, les diverses chaînes de montagnes qui courent parallèlement à la côte, et ses volcans que domine le Mouna-Rea, élevé de cinq mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Entre autres échantillons de ces parages, les filets rapportèrent des flabellaires pavonées, polypes comprimés de forme gracieuse, et qui sont particuliers à cette partie de l''Océan.
    La direction du Nautilus se maintint au sud-est. Il coupa l''Équateur, le 1er décembre, par 142° de longitude, et le 4 du même mois, après une rapide traversée que ne signala aucun incident, nous eûmes connaissance du groupe des Marquises. J''aperçus à trois milles, par 8°57'' de latitude sud et 139°32'' de longitude ouest, la pointe Martin de Nouka-Hiva, la principale de ce groupe qui appartient à la France. Je vis seulement les montagnes boisées qui se dessinaient à l''horizon, car le capitaine Nemo n''aimait pas à rallier les terres. Là, les filets rapportèrent de beaux spécimens de poissons, des choryphènes aux nageoires azurées et à la queue d''or, dont la chair est sans rivale au monde, des hologymnoses à peu près dépourvus d''écailles, mais d''un goût exquis, des ostorhinques à mâchoire osseuse, des thasards jaunâtres qui valaient la bonite, tous poissons dignes d''être classés à l''office du bord.
    Après avoir quitté ces îles charmantes protégées par le pavillon français, du 4 au 11 décembre, le Nautilus parcourut environ deux mille milles. Cette navigation fut marquée par la rencontre d''une immense troupe de calmars, curieux mollusques, très voisins de la seiche. Les pêcheurs français les désignent sous le nom d''encornets, et ils appartiennent à la classe des céphalopodes et à la famille des dibranchiaux, qui comprend avec eux les seiches et les argonautes. Ces animaux furent particulièrement étudiés par les naturalistes de l''antiquité, et ils fournissaient de nombreuses métaphores aux orateurs de l''Agora, en même temps qu''un plat excellent à la table des riches citoyens, s''il faut en croire Athénée, médecin grec, qui vivait avant Gallien.
    Ce fut pendant la nuit du 9 au 10 décembre, que le Nautilus rencontra cette armée de mollusques qui sont particulièrement nocturnes. On pouvait les compter par millions. Ils émigraient des zones tempérées vers les zones plus chaudes, en suivant l''itinéraire des harengs et des sardines. Nous les regardions à travers les épaisses vitres de cristal, nageant à reculons avec une extrême rapi***é, se mouvant au moyen de leur tube locomoteur, poursuivant les poissons et les mollusques, mangeant les petits, mangés des gros, et agitant dans une confusion indescriptible les dix pieds que la nature leur a implantés sur la tête, comme une chevelure de serpents pneumatiques. Le Nautilus, malgré sa vitesse, navigua pendant plusieurs heures au milieu de cette troupe d''animaux. et ses filets en ramenèrent une innombrable quantité, où je reconnus les neuf espèces que d''Orbigny a classées pour l''océan Pacifique.
    On le voit, pendant cette traversée, la mer prodiguait incessamment ses plus merveilleux spectacles. Elle les variait à l''infini. Elle changeait son décor et sa mise en scène pour le plaisir de nos yeux, et nous étions appelés non seulement à contempler les oeuvres du Créateur au milieu de l''élément liquide, mais encore à pénétrer les plus redoutables mystères de l''Océan.
    Pendant la journée du 11 décembre, j''étais occupé à lire dans le grand salon. Ned Land et Conseil observaient les eaux lumineuses par les panneaux entr''ouverts. Le Nautilus était immobile. Ses réservoirs remplis, il se tenait à une profondeur de mille mètres, région peut habitée des Océans, dans laquelle les gros poissons faisaient seuls de rares apparitions.
    Je lisais en ce moment un livre charmant de Jean Macé, les Serviteurs de l''estomac, et j''en savourais les leçons ingénieuses, lorsque Conseil interrompit ma lecture.
    " Monsieur veut-il venir un instant? me ***-il d''une voix singulière.
    - Qu''y a-t-il donc, Conseil?
    - Que monsieur regarde. "
    Je me levai, j''allai m''accouder devant la vitre, et je regardai.
    En pleine lumière électrique, une énorme masse noirâtre, immobile, se tenait suspendue au milieu des eaux. Je l''observai attentivement, cherchant à reconnaître la nature de ce gigantesque cétacé. Mais une pensée traversa subitement mon esprit.
    " Un navire! m''écriai-je.
    - Oui, répon*** le Canadien, un bâtiment désemparé qui a coule a pic! "
    Ned Land ne se trompait pas. Nous étions en présence d''un navire, dont les haubans coupés pendaient encore a leurs cadènes. Sa coque paraissait être en bon état, et son naufrage datait au plus de quelques heures. Trois tronçons de mâts, rasés à deux pieds au-dessus du pont, indiquaient que ce navire engagé avait dû sacrifier sa mâture. Mais, couché sur le flanc, il s''était rempli, et il donnait encore la bande à bâbord. Triste spectacle que celui de cette carcasse perdue sous les flots, mais plus triste encore la vue de son pont où quelques cadavres, amarrés par des cordes, gisaient encore! J''en comptai quatre - quatre hommes, dont l''un se tenait debout, au gouvernail - puis une femme, à demi-sortie par la claire-voie de la dunette, et tenant un enfant dans ses bras. Cette femme était jeune. Je pus reconnaître, vivement éclairés par les feux du Nautilus, ses traits que l''eau n''avait pas encore décomposés. Dans un suprême effort, elle avait élevé au-dessus de sa tête son enfant, pauvre petit être dont les bras enlaçaient le cou de sa mère! L''attitude des quatre marins me parut effrayante, tordus qu''ils étaient dans des mouvements convulsifs, et faisant un dernier effort pour s''arracher des cordes qui les liaient au navire. Seul, plus calme, la face nette et grave, ses cheveux grisonnants collés à son front, la main crispée à la roue du gouvernail, le timonier semblait encore conduire son trois-mâts naufragé à travers les profondeurs de l''Océan!
    Quelle scène! Nous étions muets, le coeur palpitant, devant ce naufrage pris sur le fait, et, pour ainsi dire, photographié à sa dernière minute! Et je voyais déjà s''avancer, l''oeil en feu, d''énormes squales, attirés par cet appât de chair humaine!
    Cependant le Nautilus, évoluant, tourna autour du navire submergé, et, un instant, je pus lire sur son tableau d''arrière:
    Florida, Sunderland.
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    Fin du chapitre XVII

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