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Vingt mille lieues sous les mers (Jules Verne - Hai vạn dặm dưới biển)

Chủ đề trong 'Tác phẩm Văn học' bởi JogReloaded, 25/08/2004.

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  1. JogR

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    XVIII - VANIKORO
    Ce terrible spectacle inaugurait la série des catastrophes maritimes, que le Nautilus devait renconter sur sa route. Depuis qu''il suivait des mers plus fréquentées, nous apercevions souvent des coques naufragées qui achevaient de pourrir entre deux eaux, et, plus profondément, des canons, des boulets, des ancres, des chaînes, et mille autres objets de fer, que la rouille dévorait.
    Cependant, toujours entraînés par ce Nautilus, où nous vivions comme isolés, le 11 décembre, nous eûmes connaissance de l''archipel des Pomotou, ancien " groupe dangereux " de Bougainville, qui s''étend sur un espace de cinq cents lieues de l''est-sud-est à l''ouest-nord-ouest. entre 13°30'' et 23°50'' de latitude sud, et 125°30'' et 151°30'' de longitude ouest, depuis l''île Ducie jusqu''à l''île Lazareff. Cet archipel couvre une superficie de trois cent soixante-dix lieues carrées, et il est formé d''une soixantaine de groupes d''îles, parmi lesquels on remarque le groupe Gambier, auquel la France a imposé son protectorat. Ces îles sont coralligènes. Un soulèvement lent, mais continu, provoqué par le travail des polypes, les reliera un jour entre elles. Puis, cette nouvelle île se soudera plus tard aux archipels voisins, et un cinquième continent s''étendra depuis la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie jusqu''aux Marquises.
    Le jour où je développai cette théorie devant le capitaine Nemo, il me répon*** froidement:
    " Ce ne sont pas de nouveaux continents qu''il faut à la terre, mais de nouveaux hommes! "
    Les hasards de sa navigation avaient précisément conduit le Nautilus vers l''île Clermont-Tonnerre, l''une des plus curieuses du groupe, qui fut découvert en 1822, par le capitaine Bell, de la Minerve. Je pus alors étudier ce système madréporique auquel sont dues les îles de cet Océan.
    Les madrépores, qu''il faut se garder de confondre avec les coraux, ont un tissu revêtu d''un encroûtement calcaire, et les modifications de sa structure ont amené M. Milne-Edwards, mon illustre maître, à les classer en cinq sections. Les petits animalcules qui sécrètent ce polypier vivent par milliards au fond de leurs cellules. Ce sont leurs dépôts calcaires qui deviennent rochers, récifs, îlots, îles. Ici, ils forment un anneau circulaire, entourant un lagon ou un petit lac intérieur, que des brèches mettent en communication avec la mer. Là, ils figurent des barrières de récifs semblables à celles qui existent sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie et de diverses îles des Pomotou. En d''autres endroits, comme à la Réunion et à Maurice, ils élèvent des récifs frangés, hautes murailles droites, près desquelles les profondeurs de l''Océan sont considérables.
    En prolongeant à quelques encablures seulement les accores de l''île Clermont-Tonnerre, j''admirai l''ouvrage gigantesque, accompli par ces travailleurs microscopiques. Ces murailles étaient spécialement l''oeuvre des madréporaires désignés par les noms de millepores, de porites, d''astrées et de méandrines. Ces polypes se développent particulièrement dans les couches agitées de la surface de la mer, et par conséquent, c''est par leur partie supérieure qu''ils commencent ces substructions, lesquelles s''enfoncent peu à peu avec les débris de sécrétions qui les supportent. Telle est, du moins, la théorie de M. Darwin, qui explique ainsi la formation des atolls - théorie supérieure, selon moi, à celle qui donne pour base aux travaux madréporiques des sommets de montagnes ou de volcans, immergés à quelques pieds au-dessous du niveau de la mer.
    Je pus observer de très près ces curieuses murailles, car, à leur aplomb, la sonde accusait plus de trois cents mètres de profondeur, et nos nappes électriques faisaient étinceler ce brillant calcaire.
    Répondant à une question que me posa Conseil, sur la durée d''accroissement de ces barrières colossales, je l''étonnai beaucoup en lui disant que les savants portaient cet accroissement à un huitième de pouce par siècle.
    " Donc, pour élever ces murailles, me ***-il, il a fallu?...
    - Cent quatre-vingt-douze mille ans, mon brave Conseil, ce qui allonge singulièrement les jours bibliques. D''ailleurs, la formation de la houille, c''est-à-dire la minéralisation des forêts enlisées par les déluges, a exigé un temps beaucoup plus considérable. Mais j''ajouterai que les jours de la Bible ne sont que des époques et non l''intervalle qui s''écoule entre deux levers de soleil, car, d''après la Bible elle-même. Le soleil ne date pas du premier jour de la création. "
    Lorsque le Nautilus revint à la surface de l''Océan, je pus embrasser dans tout son développement cette île de Clermont-Tonnerre, basse et boisée. Ses roches madréporiques furent évidemment fertilisées par les trombes et les tempêtes. Un jour, quelque graine, enlevée par l''ouragan aux terres voisines, tomba sur les couches calcaires, mêlées des détritus décomposés de poissons et de plantes marines qui formèrent l''humus végétal. Une noix de coco, poussée par les lames, arriva sur cette côte nouvelle. Le germe prit racine. L''arbre, grandissant, arrêta la vapeur d''eau. Le ruisseau naquit. La végétation gagna peu à peu.
    Quelques animalcules, des vers, des insectes, abordèrent sur des troncs arrachés aux îles du vent. Les tortues vinrent pondre leurs oeufs. Les oiseaux nichèrent dans les jeunes arbres. De cette façon, la vie animale se développa, et, attiré par la verdure et la fertilité, l''homme apparut. Ainsi se formèrent ces îles, oeuvres immenses d''animaux microscopiques.
    Vers le soir, Clermont-Tonnerre se fon*** dans l''éloignement, et la route du Nautilus se modifia d''une manière sensible. Après avoir touché le tropique du Capricorne par le cent trente-cinquième degré de longitude, il se dirigea vers l''ouest-nord-ouest, remontant toute la zone intertropicale. Quoique le soleil de l''été fût prodigue de ses rayons, nous ne souffrions aucunement de la chaleur, car à trente ou quarante mètres au-dessous de l''eau, la température ne s''élevait pas au-dessus de dix à douze degrés.
    Le 15 décembre, nous laissions dans l''est le séduisant archipel de la Société. et la gracieuse Taiti, la reine du Pacifique. J''aperçus le matin, quelques milles sous le vent, les sommets élevés de cette île. Ses eaux fournirent aux tables du bord d''excellents poissons, des maquereaux, des bonites, des albicores, et des variétés d''un serpent de mer nommé munérophis.
    Le Nautilus avait franchi huit mille cent milles. Neuf mille sept cent vingt milles étaient relevés au loch, lorsqu''il passa entre l''archipel de Tonga-Tabou, où périrent les équipages de l''Argo, du Port-au-Prince et du Duke-of-Portland, et l''archipel des Navigateurs, où fut tué le capitaine de Langle, l''ami de La Pérouse. Puis, il eut connaissance de l''archipel Viti, où les sauvages massacrèrent les matelots de l''Union et le capitaine Bureau, de Nantes, commandant l''Aimable-Josephine.
    Cet archipel qui se prolonge sur une étendue de cent lieues du nord au sud, et sur quatre-vingt-dix lieues de l''est à l''ouest, est compris entre 60 et 20 de latitude sud, et 174° et 179° de longitude ouest. Il se compose d''un certain nombre d''îles, d''îlots et d''écueils, parmi lesquels on remarque les îles de Viti-Levou, de Vanoua-Levou et de Kandubon.
    Ce fut Tasman qui découvrit ce groupe en 1643, l''année même où Toricelli inventait le baromètre, et où Louis XIV montait sur le trône. Je laisse à penser lequel de ces faits fut le plus utile à l''humanité. Vinrent ensuite Cook en 1714, d''Entrecasteaux en 1793, et enfin Dumont-d''Urville, en 1827, débrouilla tout le chaos géographique de cet archipel. Le Nautilus s''approcha de la baie de Wailea, théâtre des terribles aventures de ce capitaine Dillon, qui, le premier, éclaira le mystère du naufrage de La Pérouse.
    Cette baie, draguée à plusieurs reprises, fournit abondamment des huîtres excellentes. Nous en mangeâmes immodérément, après les avoir ouvertes sur notre table même, suivant le précepte de Sénèque. Ces mollusques appartenaient à l''espèce connue sous le nom d''ostrea lamellosa, qui est très commune en Corse. Ce banc de Wailea devait être considérable, et certainement, sans des causes multiples de destruction, ces agglomérations finiraient par combler les baies, puisque l''on compte jusqu''à deux millions d''oeufs dans un seul individu.
    Et si maître Ned Land n''eut pas à se repentir de sa gloutonnerie en cette circonstance, c''est que l''huître est le seul mets qui ne provoque jamais d''indigestion. En effet, il ne faut pas moins de seize douzaines de ces mollusques acéphales pour fournir les trois cent quinze grammes de substance azotée, nécessaires à la nourriture quotidienne d''un seul homme.
    Le 25 décembre, le Nautilus naviguait au milieu de l''archipel des Nouvelles-Hébrides, que Quiros découvrit en 1606, que Bougainville explora en 1768, et auquel Cook donna son nom actuel en 1773. Ce groupe se compose principalement de neuf grandes îles, et forme une bande de cent vingt lieues du nord-nord-ouest au sud-sud-est, comprise entre 15° et 2° de latitude sud, et entre 164° et 168° de longitude. Nous passâmes assez près de l''île d''Aurou, qui, au moment des observations de midi, m''apparut comme une masse de bois verts, dominée par un pic d''une grande hauteur.
    Ce jour-là, c''était Noël, et Ned Land me sembla regretter vivement la célébration du " Christmas ", la véritable fête de la famille, dont les protestants sont fanatiques.
    Je n''avais pas aperçu le capitaine Nemo depuis une huitaine de jours, quand le 27, au matin, il entra dans le grand salon, ayant toujours l''air d''un homme qui vous a quitté depuis cinq minutes. J''étais occupé à reconnaître sur le planisphère la route du Nautilus. Le capitaine s''approcha, posa un doigt sur un point de la carte, et prononça ce seul mot:
    " Vanikoro. "
    Ce nom fut magique. C''était le nom des îlots sur lesquels vinrent se perdre les vaisseaux de La Pérouse. Je me relevai subitement.
    " Le Nautilus nous porte à Vanikoro? demandai-je.
    - Oui, monsieur le professeur, répon*** le capitaine.
    - Et je pourrai visiter ces îles célèbres où se brisèrent la Boussole et l''Astrolabe?
    - Si cela vous plaît, monsieur le professeur.
    - Quand serons-nous à Vanikoro?
    - Nous y sommes, monsieur le professeur. "
    Suivi du capitaine Nemo, je montait sur la plate-forme, et de là, mes regards parcoururent avidement l''horizon.
    Dans le nord-est émergeaient deux îles volcaniques d''inégale grandeur, entourées d''un récif de coraux qui mesurait quarante milles de circuit. Nous étions en présence de l''île de Vanikoro proprement ***e, à laquelle Dumont d''Urville imposa le nom d''île de la Recherche, et précisément devant le petit havre de Vanou, situé par 16°4'' de latitude sud, et 164°32'' de longitude est. Les terres semblaient recouvertes de verdure depuis la plage jusqu''aux sommets de l''intérieur, que dominait le mont Kapogo, haut de quatre cent soixante-seize toises.
    Le Nautilus, après avoir franchi la ceinture extérieure de roches par une étroite passe, se trouva en dedans des brisants, où la mer avait une profondeur de trente à quarante brasses. Sous le verdoyant ombrage des palétuviers, j''aperçus quelques sauvages qui montrèrent une extrême surprise à notre approche. Dans ce long corps noirâtre, s''avançant à fleur d''eau, ne voyaient-ils pas quelque cétacé formidable dont ils devaient se défier?
    En ce moment, le capitaine Nemo me demanda ce que je savais du naufrage de La Pérouse.
    " Ce que tout le monde en sait, capitaine, lui répondis-je.
    - Et pourriez-vous m''apprendre ce que tout le monde en sait? me demanda-t-il d''un ton un peu ironique.
    - Très facilement. "
    Je lui racontai ce que les derniers travaux de Dumont d''Urville avaient fait connaître, travaux dont voici le résumé très succinct.
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  2. JogR

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    XVIII - VANIKORO (suite...)
    La Pérouse et son second, le capitaine de Langle, furent envoyés par Louis XVI, en 1785, pour accomplir un voyage de circumnavigation. Ils montaient les corvettes la Boussole et l''Astrolabe, qui ne reparurent plus.
    En 1791, le gouvernement français, justement inquiet du sort des deux corvettes. arma deux grandes flûtes, la Recherche et l''Espérance, qui quittèrent Brest, le 28 septembre, sous les ordres de Bruni d''Entrecasteaux. Deux mois après, on apprenait par la déposition d''un certain Bowen, commandant l''Alhermale, que des débris de navires naufragés avaient été vus sur les côtes de la Nouvelle-Géorgie. Mais d''Entrecasteaux, ignorant cette communication, - assez incertaine, d''ailleurs - se dirigea vers les îles de l''Amirauté, désignées dans un rapport du capitaine Hunter comme étant le lieu du naufrage de La Pérouse.
    Ses recherches furent vaines. L''Espérance et la Recherche passèrent même devant Vanikoro sans s''y arrêter, et, en somme, ce voyage fut très malheureux, car il coûta la vie à d''Entrecasteaux, à deux de ses seconds et à plusieurs marins de son équipage.
    Ce fut un vieux routier du Pacifique, le capitaine Dillon, qui, le premier, retrouva des traces indiscutables des naufragés. Le 15 mai 1824, son navire, le Saint-Patrick, passa près de l''île de Tikopia, l''une des Nouvelles-Hébrides. Là, un lascar, l''ayant accosté dans une pirogue, lui ven*** une poignée d''épée en argent qui portait l''empreinte de caractères gravés au burin. Ce lascar prétendait, en outre, que, six ans auparavant, pendant un séjour à Vanikoro, il avait vu deux Européens qui appartenaient à des navires échoués depuis de longues années sur les récifs de l''île.
    Dillon devina qu''il s''agissait des navires de La Pérouse, dont la disparition avait ému le monde entier. Il voulut gagner Vanikoro, où, suivant le lascar, se trouvaient de nombreux débris du naufrage; mais les vents et les courants l''en empêchèrent.
    Dillon revint à Calcutta. Là, il sut intéresser à sa découverte la Société Asiatique et la Compagnie des Indes. Un navire, auquel on donna le nom de la Recherche, fut mis à sa disposition, et il partit, le 23 janvier 1827, accompagné d''un agent français.
    La Recherche, après avoir relâché sur plusieurs points du Pacifique, mouilla devant Vanikoro, le 7 juillet 1827, dans ce même havre de Vanou, où le Nautilus flottait en ce moment.
    Là, il recueillit de nombreux restes du naufrage, des ustensiles de fer, des ancres, des estropes de poulies, des pierriers, un boulet de dix-huit, des débris d''instruments d''astronomie, un morceau de couronnement, et une cloche en bronze portant cette inscription: " Bazin m''a fait ", marque de la fonderie de l''Arsenal de Brest vers 1785. Le doute n''était donc plus possible.
    Dillon, complétant ses renseignements, resta sur le lieu du sinistre jusqu''au mois d''octobre. Puis, il quitta Vanikoro, se dirigea vers la Nouvelle-Zélande, mouilla à Calcutta, le 7 avril 1828, et revint en France, où il fut très sympathiquement accueilli par Charles X.
    Mais, à ce moment, Dumont d''Urville, sans avoir eu connaissance des travaux de Dillon, était déjà parti pour chercher ailleurs le théâtre du naufrage. Et, en effet, on avait appris par les rapports d''un baleinier que des médailles et une croix de Saint-Louis se trouvaient entre les mains des sauvages de la Louisiade et de la Nouvelle-Calédonie.
    Dumont d''Urville, commandant l''Astrolabe, avait donc pris la mer, et, deux mois après que Dillon venait de quitter Vanikoro, il mouillait devant Hobart-Town. Là, il avait connaissance des résultats obtenus par Dillon, et, de plus, il apprenait qu''un certain James Hobbs, second de l''Union, de Calcutta, ayant pris terre sur une île située par 8°18'' de latitude sud et 156°30'' de longitude est, avait remarqué des barres de fer et des étoffes rouges dont se servaient les naturels de ces parages.
    Dumont d''Urville, assez perplexe, et ne sachant s''il devait ajouter foi à ces récits rapportés par des journaux peu dignes de confiance, se décida cependant à se lancer sur les traces de Dillon.
    Le 10 février 1828, I ''Astrolabe se présenta devant Tikopia, prit pour guide et interprète un déserteur fixé sur cette île, fit route vers Vanikoro, en eut connaissance le 12 février, prolongea ses récifs jusqu''au 14, et, le 20 seulement, mouilla au-dedans de la barrière, dans le havre de Vanou.
    Le 23, plusieurs des officiers firent le tour de l''île, et rapportèrent quelques débris peu importants. Les naturels, adoptant un système de dénégations et de faux-fuyants, refusaient de les mener sur le lieu du sinistre. Cette conduite, très louche, laissa croire qu''ils avaient maltraité les naufragés, et, en effet, ils semblaient craindre que Dumont d''Urville ne fût venu venger La Pérouse et ses infortunés compagnons.
    Cependant, le 26, décidés par des présents, et comprenant qu''ils n''avaient à craindre aucune représaille, ils conduisirent le second, M. Jacquinot, sur le théâtre du naufrage.
    Là, par trois ou quatre brasses d''eau, entre les récifs Pacou et Vanou, gisaient des ancres, des canons, des saumons de fer et de plomb, empâtés dans les concrétions calcaires. La chaloupe et la baleinière de l''Astrolabe furent dirigées vers cet endroit, et, non sans de longues fatigues, leurs équipages parvinrent à retirer une ancre pesant dix-huit cents livres, un canon de huit en fonte, un saumon de plomb et deux pierriers de cuivre.
    Dumont d''Urville, interrogeant les naturels, apprit aussi que La Pérouse, après avoir perdu ses deux navires sur les récifs de l''île, avait construit un bâtiment plus petit, pour aller se perdre une seconde fois... Où? On ne savait.
    Le commandant de l''Astrolahe fit alors élever, sous une touffe de mangliers, un cénotaphe à la mémoire du célèbre navigateur et de ses compagnons. Ce fut une simple pyramide quadrangulaire, assise sur une base de coraux, et dans laquelle n''entra aucune ferrure qui pût tenter la cupi***é des naturels.
    Puis, Dumont d''Urville voulut partir; mais ses équipages étaient minés par les fièvres de ces côtes malsaines, et, très malade lui-même, il ne put appareiller que le 17 mars.
    Cependant, le gouvernement français, craignant que Dumont d''Urville ne fût pas au courant des travaux de Dillon, avait envoyé à Vanikoro la corvette la Bayonnaise, commandée par Legoarant de Tromelin, qui était en station sur la côte ouest de l''Amérique. La Bayonnaise mouilla devant Vanikoro, quelques mois après le départ de l''Astrolabe, ne trouva aucun document nouveau, mais constata que les sauvages avaient respecté le mausolée de La Pérouse.
    Telle est la substance du récit que je fis au capitaine Nemo.
    " Ainsi, me ***-il, on ne sait encore où est allé périr ce troisième navire construit par les naufragés sur l''île de Vanikoro?
    - On ne sait. "
    Le capitaine Nemo ne répon*** rien, et me fit signe de le suivre au grand salon. Le Nautilus s''enfonça de quelques mètres au-dessous des flots, et les panneaux s''ouvrirent.
    Je me précipitai vers la vitre, et sous les empâtements de coraux, revêtus de fongies, de syphonules, d''alcyons, de cariophyllées, à travers des myriades de poissons charmants, des girelles, des glyphisidons, des pomphérides, des diacopes, des holocentres, je reconnus certains débris que les dragues n''avaient pu arracher, des étriers de fer, des ancres, des canons, des boulets, une garniture de cabestan, une étrave, tous objets provenant des navires naufragés et maintenant tapissés de fleurs vivantes.
    Et pendant que je regardais ces épaves désolées, le capitaine Nemo me *** d''une voix grave:
    " Le commandant La Pérouse partit le 7 décembre 1785 avec ses navires la Boussole et l''Astrolabe. Il mouilla d''abord à Botany-Bay, visita l''archipel des Amis, la Nouvelle-Calédonie, se dirigea vers Santa-Cruz et relâcha à Namouka, l''une des îles du groupe Hapaï. Puis, ses navires arrivèrent sur les récifs inconnus de Vanikoro. La Boussole, qui marchait en avant, s''engagea sur la côte méridionale. L''Astrolabe vint à son secours et s''échoua de même. Le premier navire se détruisit presque immédiatement. Le second, engravé sous le vent, résista quelques jours. Les naturels firent assez bon accueil aux naufragés. Ceux-ci s''installèrent dans l''île, et construisirent un bâtiment plus petit avec les débris des deux grands. Quelques matelots restèrent volontairement à Vanikoro.
    Les autres, affaiblis, malades, partirent avec La Pérouse. Ils se dirigèrent vers les îles Salomon, et ils périrent, corps et biens, sur la côte occidentale de l''île principale du groupe, entre les caps Déception et Satisfaction!
    - Et comment le savez-vous? m''écriai-je.
    - Voici ce que j''ai trouvé sur le lieu même de ce dernier naufrage! "
    Le capitaine Nemo me montra une boîte de ferblanc, estampillée aux armes de France, et toute corrodée par les eaux salines. Il l''ouvrit, et je vis une liasse de papiers jaunis, mais encore lisibles.
    C''étaient les instructions même du ministre de la Marine au commandant La Pérouse, annotées en marge de la main de Louis XVI!
    " Ah! c''est une belle mort pour un marin! *** alors le capitaine Nemo. C''est une tranquille tombe que cette tombe de corail, et fasse le ciel que, mes compagnons et moi, nous n''en ayons jamais d''autre! "
    -------------------------------
    Fin du chapitre XVIII
  3. JogReloaded

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    XIX - LE DÉTROIT DE TORRES
    Pendant la nuit du 27 au 28 décembre, le Nautilus abandonna les parages de Vanikoro avec une vitesse excessive. Sa direction était sud-ouest, et, en trois jours, il franchit les sept cent cinquante lieues qui séparent le groupe de La Pérouse de la pointe sud-est de la Papouasie.
    Le ler janvier 1863, de grand matin, Conseil me rejoignit sur la plate-forme.
    " Monsieur, me *** ce brave garçon, monsieur me permettra-t-il de lui souhaiter une bonne année?
    - Comment donc, Conseil, mais exactement comme si j''étais à Paris, dans mon cabinet du Jardin des Plantes. J''accepte tes voeux et je t''en remercie. Seulement, je te demanderai ce que tu entends par "une bonne année", dans les circonstances où nous nous trouvons. Est-ce l''année qui amènera la fin de notre emprisonnement, ou l''année qui verra se continuer cet étrange voyage?
    - Ma foi, répon*** Conseil, je ne sais trop que dire à monsieur. Il est certain que nous voyons de curieuses choses, et que, depuis deux mois, nous n''avons pas eu le temps de nous ennuyer. La dernière merveille est toujours la plus étonnante, et si cette progression se maintient, je ne sais pas comment cela finira. M''est avis que nous ne retrouverons jamais une occasion semblable.
    - Jamais, Conseil.
    - En outre, monsieur Nemo, qui justifie bien son nom latin, n''est pas plus gênant que s''il n''existait pas.
    - Comme tu le dis, Conseil.
    - Je pense donc, n''en déplaise à monsieur, qu''une bonne année serait une année qui nous permettrait de tout voir...
    - De tout voir, Conseil? Ce serait peut-être long. Mais qu''en pense Ned Land?
    - Ned Land pense exactement le contraire de moi, répon*** Conseil. C''est un esprit positif et un estomac impérieux. Regarder les poissons et toujours en manger ne lui suffit pas. Le manque de vin, de pain, de viande, cela ne convient guère à un digne Saxon auquel les beefsteaks sont familiers, et que le brandy ou le gin, pris dans une proportion modérée, n''effrayent guère!
    - Pour mon compte, Conseil, ce n''est point là ce qui me tourmente, et je m''accommode très bien du régime du bord.
    - Moi de même, répon*** Conseil. Aussi je pense autant à rester que maître Land à prendre la fuite. Donc, si l''année qui commence n''est pas bonne pour moi, elle le sera pour lui, et réciproquement. De cette façon, il y aura toujours quelqu''un de satisfait. Enfin, pour conclure, je souhaite à monsieur ce qui fera plaisir à monsieur.
    - Merci, Conseil. Seulement je te demanderai de remettre à plus tard la question des étrennes, et de les remplacer provisoirement par une bonne poignée de main. Je n''ai que cela sur moi.
    - Monsieur n''a jamais été si généreux ", répon*** Conseil.
    Et là-dessus, le brave garçon s''en alla.
    Le 2 janvier, nous avions fait onze mille trois cent quarante milles, soit cinq mille deux cent cinquante lieues, depuis notre point de départ dans les mers du Japon. Devant l''éperon du Nautilus s''étendaient les dangereux parages de la mer de corail, sur la côte nord-est de l''Australie. Notre bateau prolongeait à une distance de quelques milles ce redoutable banc sur lequel les navires de Cook faillirent se perdre, le 10 juin 1770. Le bâtiment que montait Cook donna sur un roc, et s''il ne coula pas, ce fut grâce à cette circonstance que le morceau de corail, détaché au choc, resta engagé dans la coque entr''ouverte.
    J''aurais vivement souhaité de visiter ce récif long de trois cent soixante lieues, contre lequel la mer, toujours houleuse, se brisait avec une intensité formidable et comparable aux roulements du tonnerre. Mais en ce moment, les plans inclinés du Nautilus nous entraînaient à une grande profondeur, et je ne pus rien voir de ces hautes murailles coralligènes. Je dus me contenter des divers échantillons de poissons rapportés par nos filets. Je remarquai, entre autres, des germons, espèces de scombres grands comme des thons. aux flancs bleuâtres et rayés de bandes transversales qui disparaissent avec la vie de l''animal. Ces poissons nous accompagnaient par troupes et fournirent à notre table une chair excessivement délicate. On prit aussi un grand nombre de spares vertors, longs d''un demi-décimètre, ayant le goût de la dorade, et des pyrapèdes volants, véritables hirondelles sous-marines, qui, par les nuits obscures, rayent alternativement les airs et les eaux de leurs lueurs phosphorescentes.
    Parmi les mollusques et les zoophytes, je trouvai dans les mailles du chalut diverses espèces d''alcyoniaires, des oursins, des marteaux, des éperons, des. cadrans, des cérites, des hyalles. La flore était représentée par de belles algues flottantes, des laminaires et des macrocystes, imprégnées du mucilage qui transsudait à travers leurs pores, et parmi lesquelles je recueillis une admirable Nemastoma Geliniaroide, qui fut classée parmi les curiosités naturelles du musée.
    Deux jours après avoir traversé la mer de Corail, le 4 janvier, nous eûmes connaissance des côtes de la Papouasie. A cette occasion, le capitaine Nemo m''apprit que son intention était de gagner l''océan Indien par le détroit de Torrès. Sa communication se borna là. Ned vit avec plaisir que cette route le rapprochait des mers européennes.
    Ce détroit de Torrès est regardé comme non moins dangereux par les écueils qui le hérissent que par les sauvages habitants qui fréquentent ses côtes. Il sépare de la Nouvelle-Hollande la grande île de la Papouasie, nommée aussi Nouvelle-Guinée.
    La Papouasie a quatre cents lieues de long sur cent trente lieues de large, et une superficie de quarante mille lieues géographiques. Elle est située, en latitude, entre 0°l9'' et 10°2'' sud, et en longitude, entre 128°23'' et 146°15''. A midi, pendant que le second prenait la hauteur du soleil, j''aperçus les sommets des monts Arfalxs, élevés par plans et terminés par des pitons aigus.
    Cette terre, découverte en 1511 par le Portugais Francisco Serrano, fut visitée successivement par don José de Menesès en 1526, par Grijalva en 1527, par le général espagnol Alvar de Saavedra en 1528, par Juigo Ortez en 1545, par le Hollandais Shouten en 1616, par Nicolas Sruick en 1753, par Tasman, Dampier, Fumel, Carteret, Edwards, Bougainville, Cook, Forrest, Mac Cluer, par d''Entrecasteaux en 1792, par Duperrey en 1823, et par Dumont d''Urville en 1827.
    " C''est le foyer des noirs qui occupent toute la Malaisie ". a *** M. de Rienzi, et je ne me doutais guère que les hasards de cette navigation allaient me mettre en présence des redoutables Andamenes.
    Le Nautilus se présenta donc à l''entrée du plus dangereux détroit du globe, de celui que les plus hardis navigateurs osent à peine franchir, détroit que Louis Paz de Torrès affronta en revenant des mers du Sud dans la Mélanésie, et dans lequel, en 1840, les corvettes échouées de Dumont d''Urville furent sur le point de se perdre corps et biens. Le Nautilus lui-même, supérieur à tous les dangers de la mer, allait, cependant, faire connaissance avec les récifs coralliens.
    Le détroit de Torrès a environ trente-quatre lieues de large, mais il est obstrué par une innombrable quantité d''îles, d''îlots, de brisants, de rochers, qui rendent sa navigation presque impraticable. En conséquence, le capitaine Nemo prit toutes les précautions voulues pour le traverser. Le Nautilus, flottant à fleur d''eau, s''avançait sous une allure modérée. Son hélice, comme une queue de cétacé, battait les flots avec lenteur.
    Profitant de cette situation, mes deux compagnons et moi, nous avions pris place sur la plate-forme toujours déserte. Devant nous s''élevait la cage du timonier, et je me trompe fort, ou le capitaine Nemo devait être là, dirigeant lui-même son Nautilus.
    J''avais sous les yeux les excellentes cartes du détroit de Torrès levées et dressées par l''ingénieur hydrographe Vincendon Dumoulin et l''enseigne de vaisseau Coupvent-Desbois - maintenant amiral qui faisaient partie de l''état-major de Dumont d''Urville pendant son dernier voyage de circumnavigation. Ce sont, avec celles du capitaine King, les meilleures cartes qui débrouillent l''imbroglio de cet étroit passage, et je les consultais avec une scrupuleuse attention.
    Autour du Nautilus la mer bouillonnait avec furie. Le courant de flots, qui portait du sud-est au nord-ouest avec une vitesse de deux milles et demi, se brisait sur les coraux dont la tête émergeait çà et là.
    " Voilà une mauvaise mer! me *** Ned Land.
    - Détestable, en effet, répondis-je, et qui ne convient guère à un bâtiment comme le Nautilus.
    - Il faut, reprit le Canadien, que ce damné capitaine soit bien certain de sa route, car je vois là des pâtés de coraux qui mettraient sa coque en mille pièces, si elle les effleurait seulement! "
    En effet, la situation était périlleuse, mais le Nautilus semblait se glisser comme par enchantement au milieu de ces furieux écueils. Il ne suivait pas exactement la route de l''Astrolabe et de la Zélée qui fut fatale à Dumont d''Urville. Il prit plus au nord, rangea l''île Murray, et revint au sud-ouest, vers le passage de Cumberland. Je croyais qu''il allait y donner franchement, quand, remontant dans le nord-ouest, il se porta, à travers une grande quantité d''îles et d''îlots peu connus, vers l''île Tound et le canal Mauvais.
    Je me demandais déjà si le capitaine Nemo, imprudent jusqu''à la folie, voulait engager son navire dans cette passe où touchèrent les deux corvettes de Dumont d''Urville, quand, modifiant une seconde fois sa direction et coupant droit à l''ouest, il se dirigea vers l''île Gueboroar.
    Il était alors trois heures après-midi. Le flot se cassait, la marée étant presque pleine. Le Nautilus s''approcha de cette île que je vois encore avec sa remarquable lisière de pendanus. Nous la rangions à moins de deux milles.
    Soudain, un choc me renversa. Le Nautilus venait de toucher contre un écueil, et il demeura immobile, donnant une légère gîte sur bâbord.
    Quand je me relevai, j''aperçus sur la plate-forme le capitaine Nemo et son second. Ils examinaient la situation du navire, échangeant quelques mots dans leur incompréhensible idiome.
    Voici quelle était cette situation. A deux milles, par tribord, apparaissait l''île Gueboroar dont la côte s''arrondissait du nord à l''ouest, comme un immense bras. Vers le sud et l''est se montraient déjà quelques têtes de coraux que le jusant laissait à découvert. Nous nous étions échoués au plein. et dans une de ces mers où les marées sont médiocres, circonstance fâcheuse pour le renflouage du Nautilus. Cependant. Le navire n''avait aucunement souffert, tant sa coque était solidement liée. Mais s''il ne pouvait ni couler, ni s''ouvrir, il risquait fort d''être à jamais attaché sur ces écueils, et alors c''en était fait de l''appareil sous-marin du capitaine Nemo.
    Je réfléchissais ainsi, quand le capitaine, froid et calme, toujours maître de lui, ne paraissant ni ému ni contrarié, s''approcha:
    " Un accident? lui dis-je.
    - Non, un incident, me répon***-il.
    - Mais un incident, répliquai-je, qui vous obligera peut-être à redevenir un habitant de ces terres que vous fuyez! "
    Le capitaine Nemo me regarda d''un air singulier. et fit un geste négatif.
    C''était me dire assez clairement que rien ne le forcerait jamais à remettre les pieds sur un continent. Puis il ***:
    " D''ailleurs, monsieur Aronnax, le Nautilus n''est pas en per***ion. Il vous transportera encore au milieu des merveilles de l''Océan. Notre voyage ne fait que commencer, et je ne désire pas me priver si vite de l''honneur de votre compagnie.
    - Cependant, capitaine Nemo, repris-je sans relever la tournure ironique de cette phrase, le Nautilus s''est échoué au moment de la pleine mer. Or, les marées ne sont pas fortes dans le Pacifique, et, si vous ne pouvez délester le Nautilus - ce qui me paraît impossible je ne vois pas comment il sera renfloué.
    - Les marées ne sont pas fortes dans le Pacifique, vous avez raison, monsieur le professeur, répon*** le capitaine Nemo, mais, au détroit de Torrès, on trouve encore une différence d''un mètre et demi entre le niveau des hautes et basses mers. C''est aujourd''hui le 4 janvier, et dans cinq jours la pleine lune. Or, je serai bien étonné si ce complaisant satellite ne soulève pas suffisamment ces masses d''eau, et ne me rend pas un service que je ne veux devoir qu''à lui seul. "
    Ceci ***, le capitaine Nemo, suivi de son second, redescen*** à l''intérieur du Nautilus. Quant au bâtiment, il ne bougeait plus et demeurait immobile. comme si les polypes coralliens l''eussent déjà maçonné dans leur indestructible ciment.
    " Eh bien, monsieur? me *** Ned Land, qui vint à moi après le départ du capitaine.
    Eh bien, ami Ned, nous attendrons tranquillement la marée du 9, car il paraît que la lune aura la complaisance de nous remettre à flot.
    - Tout simplement?
    - Tout simplement.
    - Et ce capitaine ne va pas mouiller ses ancres au large, mettre sa machine sur ses chaînes, et tout faire pour se déhaler?
    Puisque la marée suffira! " répon*** simplement Conseil.
    Le Canadien regarda Conseil, puis il haussa les épaules. C''était le marin qui parlait en lui.
    " Monsieur, répliqua-t-il, vous pouvez me croire quand je vous dis que ce morceau de fer ne naviguera plus jamais ni sur ni sous les mers. Il n''est bon qu''à vendre au poids. Je pense donc que le moment est venu de fausser compagnie au capitaine Nemo.
    - Ami Ned, répondis-je, je ne désespère pas comme vous de ce vaillant Nautilus, et dans quatre jours nous saurons à quoi nous en tenir sur les marées du Pacifique. D''ailleurs, le conseil de fuir pourrait être opportun si nous étions en vue des côtes de l''Angleterre ou de la Provence, mais dans les parages de la Papouasie, c''est autre chose, et il sera toujours temps d''en venir à cette extrémité, si le Nautilus ne parvient pas à se relever, ce que je regarderais comme un événement grave.
    - Mais ne saurait-on tâter, au moins, de ce terrain? reprit Ned Land. Voilà une île. Sur cette île, il y a des arbres. Sous ces arbres. des animaux terrestres, des porteurs de côtelettes et de roastbeefs, auxquels je donnerais volontiers quelques coups de dents.
    - Ici, l''ami Ned a raison, *** Conseil, et je me range à son avis. Monsieur ne pourrait-il obtenir de son ami le capitaine Nemo de nous transporter à terre, ne fût-ce que pour ne pas perdre l''habitude de fouler du pied les parties solides de notre planète?
    - Je peux le lui demander, répondis-je, mais il refusera.
    - Que monsieur se risque, *** Conseil, et nous saurons à quoi nous en tenir sur l''amabilité du capitaine. "
    A ma grande surprise, le capitaine Nemo m''accorda la permission que je lui demandais, et il le fit avec beaucoup de grâce et d''empressement, sans même avoir exigé de moi la promesse de revenir à bord. Mais une fuite à travers les terres de la Nouvelle-Guinée eût été très périlleuse, et je n''aurais pas conseillé à Ned Land de la tenter. Mieux valait être prisonnier à bord du Nautilus, que de tomber entre les mains des naturels de la Papouasie.
    Le canot fut mis à notre disposition pour le lendemain matin. Je ne cherchai pas à savoir si le capitaine Nemo nous accompagnerait. Je pensai même qu''aucun homme de l''équipage ne nous serait donné, et que Ned Land serait seul chargé de diriger l''embarcation. D''ailleurs, la terre se trouvait à deux milles au plus, et ce n''était qu''un jeu pour le Canadien de conduire ce léger canot entre les lignes de récifs si fatales aux grands navires.
    Le lendemain, 5 janvier, le canot, déponté, fut arraché de son alvéole et lancé à la mer du haut de la plate-forme. Deux hommes suffirent à cette opération. Les avirons étaient dans l''embarcation, et nous n''avions plus qu''à y prendre place.
    A huit heures, armés de fusils et de haches, nous débordions du Nautilus. La mer était assez calme. Une petite brise soufflait de terre. Conseil et moi, placés aux avirons, nous nagions vigoureusement, et Ned gouvernait dans les étroites passes que les brisants laissaient entre eux. Le canot se maniait bien et filait rapidement.
    Ned Land ne pouvait contenir sa joie. C''était un prisonnier échappé de sa prison, et il ne songeait guère qu''il lui faudrait y rentrer.
    " De la viande! répétait-il, nous allons donc manger de la viande, et quelle viande! Du véritable gibier! Pas de pain, par exemple! Je ne dis pas que le poisson ne soit une bonne chose, mais il ne faut pas en abuser, et un morceau de fraîche venaison, grillé sur des charbons ardents, variera agréablement notre ordinaire.
    - Gourmand! répondait Conseil, il m''en fait venir l''eau à la bouche.
    - Il reste à savoir, dis-je, si ces forêts sont giboyeuses, et si le gibier n''y est pas de telle taille qu''il puisse lui-même chasser le chasseur.
    - Bon! monsieur Aronnax, répon*** le Canadien, dont les dents semblaient être affûtées comme un tranchant de hache, mais je mangerai du tigre, de l''aloyau de tigre, s''il n''y a pas d''autre quadrupède dans cette île.
    - L''ami Ned est inquiétant, répon*** Conseil.
    - Quel qu''il soit, reprit Ned Land, tout animal à quatre pattes sans plumes, ou à deux pattes avec plumes, sera salué de mon premier coup de fusil.
    - Bon! répondis-je, voilà les imprudences de maître Land qui vont recommencer!
    - N''ayez pas peur, monsieur Aronnax, répon*** le Canadien, et nagez ferme! Je ne demande pas vingt-cinq minutes pour vous offrir un mets de ma façon. "
    A huit heures et demie, le canot du Nautilus venait s''échouer doucement sur une grève de sable, après avoir heureusement franchi l''anneau coralligène qui entourait l''île de Gueboroar.
    ----------------------------
    Fin du chapitre XIX
  4. JogReloaded

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    XX - QUELQUES JOURS A TERRE (I)
    Je fus assez vivement impressionné en touchant terre. Ned Land essayait le sol du pied, comme pour en prendre possession. Il n''y avait pourtant que deux mois que nous étions, suivant l''expression du capitaine Nemo, les " passagers du Nautilus ". c''est-à-dire. en réalité, les prisonniers de son commandant.
    En quelques minutes. nous fûmes à une portée de fusil de la côte. Le sol était presque entièrement madréporique, mais certains lits de torrents desséchés. semés de débris granitiques, démontraient que cette île était due à une formation primordiale. Tout l''horizon se cachait derrière un rideau de forêts admirables. Des arbres énormes, dont la taille atteignait parfois deux cents pieds, se reliaient l''un à l''autre par des guirlandes de lianes, vrais hamacs naturels que berçait une brise légère. C''étaient des mimosas, des ficus, des casuarinas, des teks, des hibiscus, des pendanus, des palmiers, mélangés à profusion, et sous l''abri de leur voûte verdoyante, au pied de leur stype gigantesque, croissaient des orchidées des légumineuses et des fougères.
    Mais, sans remarquer tous ces beaux échantillons de la flore papouasienne, le Canadien abandonna l''agréable pour l''utile. Il aperçut un cocotier, abattit quelques-uns de ses fruits, les brisa, et nous bûmes leur lait, nous mangeâmes leur amande, avec une satisfaction qui protestait contre l''ordinaire du Nautilus.
    " Excellent! disait Ned Land.
    - Exquis! répondait Conseil.
    - Et je ne pense pas, *** le Canadien. que votre Nemo s''oppose à ce que nous introduisions une cargaison de cocos à son bord?
    - Je ne le crois pas, répondis-je, mais il n''y voudra pas goûter!
    - Tant pis pour lui! *** Conseil.
    - Et tant mieux pour nous! riposta Ned Land. Il en restera davantage.
    - Un mot seulement, maître Land, dis-je au harponneur qui se disposait à ravager un autre cocotier, le coco est une bonne chose, mais avant d''en remplir le canot, il me paraît sage de reconnaître si l''île ne produit pas quelque substance non moins utile. Des légumes frais seraient bien reçus à l''office du Nautilus.
    - Monsieur a raison, répon*** Conseil, et je propose de réserver trois places dans notre embarcation, l''une pour les fruits, l''autre pour les légumes, et la troisième pour la venaison, dont je n''ai pas encore entrevu le plus mince échantillon.
    - Conseil, il ne faut désespérer de rien, répon*** le Canadien.
    - Continuons donc notre excursion, repris-je, mais ayons l''oeil aux aguets. Quoique l''île paraisse inhabitée, elle pourrait renfermer, cependant, quelques individus qui seraient moins difficiles que nous sur la nature du gibier!
    - Hé! hé! fit Ned Land, avec un mouvement de mâchoire très significatif.
    - Eh bien! Ned! s''écria Conseil.
    - Ma foi, riposta le Canadien, je commence à comprendre les charmes de l''anthropophagie!
    - Ned! Ned! que ***es-vous là! répliqua Conseil. Vous, anthropophage! Mais je ne serai plus en sûreté près de vous, moi qui partage votre cabine! Devrai-je donc me réveiller un jour à demi dévoré?
    - Ami Conseil, je vous aime beaucoup, mais pas assez pour vous manger sans nécessité.
    - Je ne m''y fie pas, répon*** Conseil. En chasse! Il faut absolument abattre quelque gibier pour satisfaire ce cannibale, ou bien, l''un de ces matins, monsieur ne trouvera plus que des morceaux de domestique pour le servir. "
    Tandis que s''échangeaient ces divers propos, nous pénétrions sous les sombres voûtes de la forêt, et pendant deux heures, nous la parcourûmes en tous sens.
    Le hasard servit à souhait cette recherche de végétaux comestibles, et l''un des plus utiles produits des zones tropicales nous fournit un aliment précieux qui manquait à bord.
    Je veux parler de l''arbre à pain, très abondant dans l''île Gueboroar, et j''y remarquai principalement cette variété dépourvue de graines, qui porte en malais le nom de " Rima ".
    Cet arbre se distinguait des autres arbres par un tronc droit et haut de quarante pieds. Sa cime, gracieusement arrondie et formée de grandes feuilles multilobées, désignait suffisamment aux yeux d''un naturaliste cet " artocarpus " qui a été très heureusement naturalisé aux îles Mascareignes. De sa masse de verdure se détachaient de gros fruits globuleux, larges d''un décimètre, et pourvus extérieurement de rugosités qui prenaient une disposition hexagonale. Utile végétal dont la nature a gratifie les régions auxquelles le blé manque, et qui, sans exiger aucune culture, donne des fruits pendant huit mois de l''année.
    Ned Land les connaissait bien, ces fruits. Il en avait déjà mangé pendant ses nombreux voyages, et il savait préparer leur substance comestible. Aussi leur vue excita-t-elle ses désirs, et il n''y put tenir plus longtemps.
    " Monsieur, me ***-il, que je meure si je ne goûte pas un peu de cette pâte de l''arbre à pain!
    - Goûtez, ami Ned, goûtez à votre aise. Nous sommes ici pour faire des expériences, faisons-les.
    - Ce ne sera pas long ", répon*** le Canadien.
    Et, armé d''une lentille, il alluma un feu de bois mort qui pétilla joyeusement. Pendant ce temps, Conseil et moi, nous choisissions les meilleurs fruits de l''artocarpus. Quelques-uns n''avaient pas encore atteint un degré suffisant de maturité, et leur peau épaisse recouvrait une pulpe blanche, mais peu fibreuse. D''autres, en très grand nombre, jaunâtres et gélatineux, n''attendaient que le moment d''être cueillis.
    Ces fruits ne renfermaient aucun noyau. Conseil en apporta une douzaine à Ned Land, qui les plaça sur un feu de charbons, après les avoir coupés en tranches épaisses, et ce faisant, il répétait toujours:
    " Vous verrez, monsieur, comme ce pain est bon!
    - Surtout quand on en est privé depuis longtemps, *** Conseil.
    - Ce n''est même plus du pain, ajouta le Canadien. C''est une pâtisserie délicate. Vous n''en avez jamais mange, monsieur?
    - Non, Ned.
    - Eh bien, préparez-vous à absorber une chose succulente. Si vous n''y revenez pas, je ne suis plus le roi des harponneurs! "
    Au bout de quelques minutes, la partie des fruits exposée au feu fut complètement charbonnée. A l''intérieur apparaissait une pâte blanche, sorte de mie tendre, dont la saveur rappelait celle de l''artichaut.
    Il faut l''avouer, ce pain était excellent, et j''en mangeai avec grand plaisir.
    " Malheureusement, dis-je, une telle pâte ne peut se garder fraîche, et il me paraît inutile d''en faire une provision pour le bord.
    - Par exemple, monsieur! s''écria Ned Land. Vous parlez là comme un naturaliste, mais moi, je vais agir comme un boulanger. Conseil, faites une récolte de ces fruits que nous reprendrons à notre retour.
    - Et comment les préparerez-vous? demandai-je au Canadien.
    - En fabriquant avec leur pulpe une pâte fermentée qui se gardera indéfiniment et sans se corrompre. Lorsque je voudrai l''employer, je la ferai cuire à la cuisine du bord, et malgré sa saveur un peu acide, vous la trouverez excellente.
    - Alors, maître Ned, je vois qu''il ne manque rien à ce pain...
    - Si, monsieur le professeur, répon*** le Canadien, il y manque quelques fruits ou tout ou moins quelques légumes!
    Cherchons les fruits et les légumes. "
    Lorsque notre récolte fut terminée, nous nous mîmes en route pour compléter ce dîner " terrestre ".
    Nos recherches ne furent pas vaines, et, vers midi, nous avions fait une ample provision de bananes. Ces produits délicieux de la zone torride mûrissent pendant toute l''année, et les Malais, qui leur ont donné le nom de " pisang ", les mangent sans les faire cuire. Avec ces bananes, nous recueillîmes des jaks énormes dont le goût est très accusé, des mangues savoureuses, et des ananas d''un grosseur invraisemblable. Mais cette récolte prit une grande partie de notre temps, que, d''ailleurs, il n''y avait pas lieu de regretter.
    Conseil observait toujours Ned. Le harponneur marchait en avant, et, pendant sa promenade à travers la forêt, il glanait d''une main sûre d''excellents fruits qui devaient compléter sa provision.
    " Enfin, demanda Conseil, il ne vous manque plus rien, ami Ned?
    - Hum! fit le Canadien.
    - Quoi! vous vous plaignez?
    - Tous ces végétaux ne peuvent constituer un repas, répon*** Ned. C''est la fin d''un repas, c''est un dessert. Mais le potage? mais le rôti?
    - En effet, dis-je, Ned nous avait promis des côtelettes qui me semblent fort problématiques.
    - Monsieur, répon*** le Canadien, non seulement la chasse n''est pas finie, mais elle n''est même pas commencée. Patience! Nous finirons bien par rencontrer quelque animal de plume ou de poil, et, si ce n''est pas en cet endroit, ce sera dans un autre...
    - Et si ce n''est pas aujourd''hui, ce sera demain, ajouta Conseil, car il ne faut pas trop s''éloigner. Je propose même de revenir au canot.
    - Quoi! déjà! s''écria Ned.
    - Nous devons être de retour avant la nuit, dis-je.
    - Mais quelle heure est-il donc? demanda le Canadien.
    - Deux heures, au moins, répon*** Conseil.
    - Comme le temps passe sur ce sol ferme! s''écria maître Ned Land avec un soupir de regret.
    - En route ", répon*** Conseil.
    Nous revînmes donc à travers la forêt, et nous complétâmes notre récolte en faisant une razzia de chouxpalmistes qu''il fallut cueillir à la cime des arbres, de petits haricots que je reconnus pour être les " abrou "des Malais, et d''ignames d''une qualité supérieure.
    Nous étions surchargés quand nous arrivâmes au canot. Cependant, Ned Land ne trouvait pas encore sa provision suffisante. Mais le sort le favorisa. Au moment de s''embarquer, il aperçut plusieurs arbres, hauts de vingt-cinq à trente pieds, qui appartenaient à l''espèce des palmiers. Ces arbres, aussi précieux que l''artocarpus, sont justement comptés parmi les plus utiles produits de la Malaisie.
    C''étaient des sagoutiers, végétaux qui croissent sans culture, se reproduisant, comme les mûriers, par leurs rejetons et leurs graines.
    Ned Land connaissait la manière de traiter ces arbres. Il prit sa hache, et la maniant avec une grande vigueur, il eut bientôt couché sur le sol deux ou trois sagoutiers dont la maturité se reconnaissait à la poussière blanche qui saupoudrait leurs palmes.
    Je le regardai faire plutôt avec les yeux d''un naturaliste qu''avec les yeux d''un homme affamé. Il commença par enlever à chaque tronc une bande d''écorce, épaisse d''un pouce, qui recouvrait un réseau de fibres allongées formant d''inextricables noeuds, que mastiquait une sorte de farine gommeuse. Cette farine, c''était le sagou, substance comestible qui sert principalement à l''alimentation des populations mélanésiennes.
    Ned Land se contenta, pour le moment, de couper ces troncs par morceaux, comme il eût fait de bois à brûler, se réservant d''en extraire plus tard la farine, de la passer dans une étoffe afin de la séparer de ses ligaments fibreux, d''en faire évaporer l''humi***é au soleil, et de la laisser durcir dans des moules.
    Enfin, à cinq heures du soir, chargés de toutes nos richesses, nous quittions le rivage de l''île, et, une demi-heure après, nous accostions le Nautilus. Personne ne parut à notre arrivée. L''énorme cylindre de tôle semblait désert. Les provisions embarquées, je descendis à ma chambre. J''y trouvai mon souper prêt.
    Je mangeai, puis je m''endormis.
    Le lendemain, 6 janvier, rien de nouveau à bord. Pas un bruit à l''intérieur, pas un signe de vie. Le canot était resté le long du bord, à la place même où nous l''avions laissé. Nous résolûmes de retourner à l''île Gueboroar. Ned Land espérait être plus heureux que la veille au point de vue du chasseur, et désirait visiter une autre partie de la forêt.
    Au lever du soleil, nous étions en route. L''embarcation, enlevée par le flot qui portait à terre, atteignit l''île en peu d''instants.
    Nous débarquâmes, et, pensant qu''il valait mieux s''en rapporter à l''instinct du Canadien, nous suivîmes Ned Land dont les longues jambes menaçaient de nous distancer.
    Ned Land remonta la côte vers l''ouest, puis, passant à gué quelques lits de torrents, il gagna la haute plaine que bordaient d''admirables forêts. Quelques martins-pêcheurs rôdaient le long des cours d''eau, mais ils ne se laissaient pas approcher. Leur circonspection me prouva que ces volatiles savaient à quoi s''en tenir sur des bipèdes de notre espèce, et j''en conclus que, si l''île n''était pas habitée, du moins, des êtres humains la fréquentaient.
    Après avoir traversé une assez grasse prairie, nous arrivâmes à la lisière d''un petit bois qu''animaient le chant et le vol d''un grand nombre d''oiseaux.
    " Ce ne sont encore que des oiseaux, *** Conseil.
    - Mais il y en a qui se mangent! répon*** le harponneur.
    - Point, ami Ned, répliqua Conseil, car je ne vois là que de simples perroquets.
    - Ami Conseil, répon*** gravement Ned, le perroquet est le faisan de ceux qui n''ont pas autre chose à manger.
    (1/2)
  5. JogReloaded

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    (suite)
    - Et j''ajouterai, dis-je, que cet oiseau, convenablement préparé, vaut son coup de fourchette. "
    En effet, sous l''épais feuillage de ce bois, tout un monde de perroquets voltigeait de branche en branche, n''attendant qu''une éducation plus soignée pour parler la langue humaine. Pour le moment, ils caquetaient en compagnie de perruches de toutes couleurs, de graves kakatouas, qui semblaient mé***er quelque problème philosophique, tandis que des loris d''un rouge éclatant passaient comme un morceau d''étamine emporté par la brise, au milieu de kalaos au vol bruyant, de papouas peints des plus fines nuances de l''azur, et de toute une variété de volatiles charmants, mais généralement peu comestibles.
    Cependant, un oiseau particulier à ces terres, et qui n''a jamais dépassé la limite des îles d''Arrou et des îles des Papouas, manquait à cette collection.
    Mais le sort me réservait de l''admirer avant peu.
    Après avoir traversé un taillis de médiocre épaisseur, nous avions retrouvé une plaine obstruée de buissons. Je vis alors s''enlever de magnifiques oiseaux que la disposition de leurs longues plumes obligeait à se diriger contre le vent. Leur vol ondulé, la grâce de leurs courbes aériennes, le chatoiement de leurs couleurs, attiraient et charmaient le regard. Je n''eus pas de peine à les reconnaître.
    " Des oiseaux de paradis! m''écriai-je.
    - Ordre des passereaux, section des clystomores, répon*** Conseil.
    - Famille des perdreaux? demanda Ned Land.
    - Je ne crois pas, maître Land. Néanmoins, je compte sur votre adresse pour attraper un de ces charmants produits de la nature tropicale!
    - On essayera, monsieur le professeur, quoique je sois plus habitué à manier le harpon que le fusil. "
    Les Malais, qui font un grand commerce de ces oiseaux avec les Chinois, ont, pour les prendre, divers moyens que nous ne pouvions employer. Tantôt ils disposent des lacets au sommet des arbres élevés que les paradisiers habitent de préférence. Tantôt ils s''en emparent avec une glu tenace qui paralyse leurs mouvements. Ils vont même jusqu''à empoisonner les fontaines où ces oiseaux ont l''habitude de boire. Quant à nous, nous étions réduits à les tirer au vol, ce qui nous laissait peu de chances de les atteindre. Et en effet, nous épuisâmes vainement une partie de nos munitions.
    Vers onze heures du matin, le premier plan des montagnes qui forment le centre de l''île était franchi, et nous n''avions encore rien tué. La faim nous aiguillonnait. Les chasseurs s''étaient fiés au produit de leur chasse, et ils avaient eu tort. Très heureusement, Conseil, à sa grande surprise, fit un coup double et assura le déjeuner. Il abattit un pigeon blanc et un ramier, qui, lestement plumés et suspendus à une brochette, rôtirent devant un feu ardent de bois mort. Pendant que ces intéressants animaux cuisaient, Ned prépara des fruits de l''artocarpus. Puis, le pigeon et le ramier furent dévorés jusqu''aux os et déclarés excellents. La muscade, dont ils ont l''habitude de se gaver, parfume leur chair et en fait un manger délicieux.
    " C''est comme si les poulardes se nourrissaient de truffes, *** Conseil.
    - Et maintenant, Ned. que vous manque-t-il? demandai-je au Canadien.
    - Un gibier à quatre pattes, monsieur Aronnax, répon*** Ned Land. Tous ces pigeons ne sont que hors-d''oeuvre et amusettes de la bouche. Aussi, tant que je n''aurai pas tué un animal à côtelettes, je ne serai pas content!
    - Ni moi, Ned, si je n''attrape pas un paradisier.
    - Continuons donc la chasse, répon*** Conseil, mais en revenant vers la mer.
    Nous sommes arrivés aux premières pentes des montagnes, et je pense qu''il vaut mieux regagner la région des forêts. "
    C''était un avis sensé, et il fut suivi. Après une heure de marche, nous avions atteint une véritable forêt de sagoutiers. Quelques serpents inoffensifs fuyaient sous nos pas. Les oiseaux de paradis se dérobaient à notre approche, et véritablement, je désespérais de les atteindre, lorsque Conseil, qui marchait en avant, se baissa soudain, poussa un cri de triomphe, et revint à moi, rapportant un magnifique paradisier.
    " Ah! bravo! Conseil, m''écriai-je.
    - Monsieur est bien bon, répon*** Conseil.
    - Mais non, mon garçon. Tu as fait là un coup de maître. Prendre un de ces oiseaux vivants, et le prendre à la main!
    - Si monsieur veut l''examiner de près, il verra que je n''ai pas eu grand mérite.
    - Et pourquoi, Conseil?
    - Parce que cet oiseau est ivre comme une caille.
    - Ivre?
    - Oui, monsieur, ivre des muscades qu''il dévorait sous le muscadier où je l''ai pris. Voyez, ami Ned, voyez les monstrueux effets de l''intempérance!
    - Mille diables! riposta le Canadien, pour ce que j''ai bu de gin depuis deux mois, ce n''est pas la peine de me le reprocher! "
    Cependant, j''examinais le curieux oiseau. Conseil ne se trompait pas. Le paradisier, enivré par le suc capiteux, était réduit à l''impuissance. Il ne pouvait voler. Il marchait à peine. Mais cela m''inquiéta peu, et je le laissai cuver ses muscades.
    Cet oiseau appartenait à la plus belle des huit espèces que l''on compte en Papouasie et dans les îles voisines. C''était le paradisier " grand-émeraude ", l''un des plus rares. Il mesurait trois décimètres de longueur. Sa tête était relativement petite, ses yeux placés près de l''ouverture du bec, et petits aussi. Mais il offrait une admirable réunion de nuances. étant jaune de bec, brun de pieds et d''ongles, noisette aux ailes empourprées à leurs extrémités, jaune pâle à la tête et sur le derrière du cou, couleur d''émeraude à la gorge, brun marron au ventre et à la poitrine. Deux filets cornés et duveteux s''élevaient au-dessus de sa queue, que prolongeaient de longues plumes très légères, d''une finesse admirable, et ils complétaient l''ensemble de ce merveilleux oiseau que les indigènes ont poétiquement appelé 1''" oiseau du soleil ".
    Je souhaitais vivement de pouvoir ramener à Paris ce superbe spécimen des paradisiers, afin d''en faire don au Jardin des Plantes, qui n''en possède pas un seul vivant.
    " C''est donc bien rare? demanda le Canadien, du ton d''un chasseur qui estime fort peu le gibier au point de vue de l''art.
    - Très rare, mon brave compagnon, et surtout très difficile à prendre vivant. Et même morts, ces oiseaux sont encore l''objet d''un important trafic. Aussi, les naturels ont-ils imaginé d''en fabriquer comme on fabrique des perles ou des diamants.
    - Quoi! s''écria Conseil, on fait de faux oiseaux de paradis?
    - Oui, Conseil.
    - Et monsieur connaît-il le procédé des indigènes?
    - Parfaitement. Les paradisiers, pendant la mousson d''est, perdent ces magnifiques plumes qui entourent leur queue, et que les naturalistes ont appelées plumes subalaires. Ce sont ces plumes que recueillent les faux-monnayeurs en volatiles, et qu''ils adaptent adroitement à quelque pauvre perruche préalablement mutilée. Puis ils teignent la suture, ils vernissent l''oiseau, et ils expédient aux muséums et aux amateurs d''Europe ces produits de leur singulière industrie.
    - Bon! fit Ned Land, si ce n''est pas l''oiseau, ce sont toujours ses plumes, et tant que l''objet n''est pas destiné à être mangé. je n''y vois pas grand mal! "
    Mais si mes désirs étaient satisfaits par la possession de ce paradisier, ceux du chasseur canadien ne l''étaient pas encore. Heureusement, vers deux heures, Ned Land abattit un magnifique cochon des bois, de ceux que les naturels appellent " bari-outang ". L''animal venait à propos pour nous procurer de la vraie viande de quadrupède, et il fut bien reçu. Ned Land se montra très glorieux de son coup de fusil. Le cochon, touché par la balle électrique, était tombé raide mort.
    Le Canadien le dépouilla et le vida proprement, après en avoir retiré une demi-douzaine de côtelettes destinées à fournir une grillade pour le repas du soir. Puis, cette chasse fut reprise, qui devait encore être marquée par les exploits de Ned et de Conseil.
    En effet, les deux amis, battant les buissons, firent lever une troupe de kangaroos, qui s''enfuirent en bondissant sur leurs pattes élastiques. Mais ces animaux ne s''enfuirent pas si rapidement que la capsule électrique ne put les arrêter dans leur course.
    " Ah! monsieur le professeur, s''écria Ned Land que la rage du chasseur prenait à la tête, quel gibier excellent, cuit à l''étuvée surtout! Quel approvisionnement pour le Nautilus! Deux! trois! cinq à terre! Et quand je pense que nous dévorerons toute cette chair, et que ces imbéciles du bord n''en auront pas miette! "
    Je crois que, dans l''excès de sa joie, le Canadien, s''il n''avait pas tant parlé, aurait massacré toute la bande! Mais il se contenta d''une douzaine de ces intéressants marsupiaux, qui forment le premier ordre des mammifères aplacentaires - nous *** Conseil.
    Ces animaux étaient de petite taille. C''était une espèce de ces " kangaroos-lapins ", qui gîtent habituellement dans le creux des arbres, et dont la vélocité est extrême; mais s''ils sont de médiocre grosseur, ils fournissent, du moins, la chair la plus estimée.
    Nous étions très satisfaits des résultats de notre chasse. Le joyeux Ned se proposait de revenir le lendemain à cette île enchantée, qu''il voulait dépeupler de tous ses quadrupèdes comestibles. Mais il comptait sans les événements.
    A six heures du soir, nous avions regagné la plage. Notre canot était échoué à sa place habituelle. Le Nautilus, semblable à un long écueil, émergeait des flots à deux milles du rivage.
    Ned Land, sans plus tarder, s''occupa de la grande affaire du dîner. Il s''entendait admirablement à toute cette cuisine. Les côtelettes de " bari-outang ", grillées sur des charbons, répandirent bientôt une délicieuse odeur qui parfuma l''atmosphère!...
    Mais je m''aperçois que je marche sur les traces du Canadien. Me voici en extase devant une grillade de porc frais! Que l''on me pardonne, comme j''ai pardonné à maître Land, et pour les mêmes motifs!
    Enfin, le dîner fut excellent. Deux ramiers complétèrent ce menu extraordinaire. La pâte de sagou, le pain de l''artocarpus, quelques mangues, une demi-douzaine d''ananas, et la liqueur fermentée de certaines noix de cocos, nous mirent en joie. Je crois même que les idées de mes dignes compagnons n''avaient pas toute la netteté désirable.
    " Si nous ne retournions pas ce soir au Nautilus? *** Conseil.
    Si nous n''y retournions jamais? " ajouta Ned Land.
    En ce moment une pierre vint tomber à nos pieds, et coupa court à la proposition du harponneur.
    ----------------------------
    Fin du chapitre XX
  6. JogReloaded

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    XXI - LA FOUDRE DU CAPITAINE NEMO
    Nous avions regardé du côté de la forêt, sans nous lever, ma main s''arrêtant dans son mouvement vers ma bouche, celle de Ned Land achevant son office.
    " Une pierre ne tombe pas du ciel, *** Conseil, ou bien elle mérite le nom d''aérolithe. "
    Une seconde pierre, soigneusement arrondie, qui enleva de la main de Conseil une savoureuse cuisse de ramier, donna encore plus de poids à son observation.
    Levés tous les trois, le fusil à l''épaule, nous étions prêts à répondre à toute attaque.
    " Sont-ce des singes? s''écria Ned Land.
    - A peu près, répon*** Conseil, ce sont des sauvages.
    - Au canot! " dis-je en me dirigeant vers la mer.
    Il fallait, en effet, battre en retraite, car une vingtaine de naturels, armés d''arcs et de frondes, apparaissaient sur la lisière d''un taillis, qui masquait l''horizon de droite, à cent pas à peine.
    Notre canot était échoué à dix toises de nous.
    Les sauvages s''approchaient, sans courir, mais ils prodiguaient les démonstrations les plus hostiles. Les pierres et les flèches pleuvaient.
    Ned Land n''avait pas voulu abandonner ses provisions, et malgré l''imminence du danger, son cochon d''un côté, ses kangaroos de l''autre, il détalait avec une certaine rapi***é.
    En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l''affaire d''un instant. Nous n''avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l''eau jusqu''à la ceinture. Je regardais si leur apparition attirerait sur la plate-forme quelques hommes du Nautilus. Mais non. L''énorme engin, couché au large, demeurait absolument désert.
    Vingt minutes plus tard, nous montions à bord. Les panneaux étaient ouverts. Après avoir amarré le canot, nous rentrâmes à l''intérieur du Nautilus.
    Je descendis au salon, d''où s''échappaient quelques accords. Le capitaine Nemo était là, courbé sur son orgue et plongé dans une extase musicale.
    " Capitaine! " lui dis-je.
    Il ne m''enten*** pas.
    " Capitaine! " repris-je en le touchant de la main.
    Il frissonna, et se retournant:
    " Ah! c''est vous, monsieur le professeur? me ***-il. Eh bien! avez-vous fait bonne chasse, avez-vous herborisé avec succès?
    - Oui, capitaine, répondis-je, mais nous avons malheureusement ramené une troupe de bipèdes dont le voisinage me paraît inquiétant.
    - Quels bipèdes?
    - Des sauvages.
    - Des sauvages! répon*** le capitaine Nemo d''un ton ironique. Et vous vous étonnez, monsieur le professeur, qu''ayant mis le pied sur une des terres de ce globe, vous y trouviez des sauvages? Des sauvages, où n''y en a-t-il pas? Et d''ailleurs, sont-ils pires que les autres, ceux que vous appelez des sauvages?
    - Mais, capitaine...
    - Pour mon compte, monsieur, j''en ai rencontré partout.
    - Eh bien, répondis-je, si vous ne voulez pas en recevoir à bord du Nautilus, vous ferez bien de prendre quelques précautions.
    - Tranquillisez-vous, monsieur le professeur, il n''y a pas là de quoi se préoccuper.
    - Mais ces naturels sont nombreux.
    - Combien en avez-vous compté?
    - Une centaine, au moins.
    - Monsieur Aronnax, répon*** le capitaine Nemo, dont les doigts s''étaient replacés sur les touches de l''orgue, quand tous les indigènes de la Papouasie seraient réunis sur cette plage, le Nautilus n''aurait rien à craindre de leurs attaques! "
    Les doigts du capitaine couraient alors sur le clavier de l''instrument, et je remarquai qu''il n''en frappait que les touches noires, ce qui donnait à ses mélodies une couleur essentiellement écossaise. Bientôt, il eut oublié ma présence, et fut plongé dans une rêverie que je ne cherchai plus à dissiper.
    Je remontai sur la plate-forme. La nuit était déjà venue, car, sous cette basse latitude, le soleil se couche rapidement et sans crépuscule. Je n''aperçus plus que confusément l''Ile Gueboroar. Mais des feux nombreux, allumés sur la plage, attestaient que les naturels ne songeaient pas à la quitter.
    Je restai seul ainsi pendant plusieurs heures, tantôt songeant ces indigènes mais sans les redouter autrement, car l''imperturbable confiance du capitaine me gagnait - tantôt les oubliant, pour admirer les splendeurs de cette nuit des tropiques. Mon souvenir s''envolait vers la France, à la suite de ces étoiles zodiacales qui devaient l''éclairer dans quelques heures. La lune resplendissait au milieu des constellations du zénith. Je pensai alors que ce fidèle et complaisant satellite reviendrait après-demain, à cette même place, pour soulever ces ondes et arracher le Nautilus à son lit de coraux. Vers minuit, voyant que tout était tranquille sur les flots assombris aussi bien que sous les arbres du rivage, je regagnai ma cabine, et je m''endormis paisiblement.
    La nuit s''écoula sans mésaventure. Les Papouas s''effrayaient, sans doute, à la seule vue du monstre échoué dans la baie, car, les panneaux, restés ouverts, leur eussent offert un accès facile à l''intérieur du Nautilus.
    A six heures du matin - 8 janvier je remontai sur la plate-forme. Les ombres du matin se levaient. L''île montra bientôt, à travers les brumes dissipées, ses plages d''abord, ses sommets ensuite.
    Les indigènes étaient toujours là, plus nombreux que la veille - cinq ou six cents peut-être. Quelques-uns, profitant de la marée basse, s''étaient avancés sur les têtes de coraux, à moins de deux encablures du Nautilus. Je les distinguai facilement. C''étaient bien de véritables Papouas, à taille athlétique, hommes de belle race, au front large et élevé, au nez gros mais non épaté, aux dents blanches. Leur chevelure laineuse, teinte en rouge, tranchait sur un corps, noir et luisant comme celui des Nubiens. Au lobe de leur oreille, coupé et distendu, pendaient des chapelets en os. Ces sauvages étaient généralement nus. Parmi eux, je remarquai quelques femmes, habillées, des hanches au genou, d''une véritable crinoline d''herbes que soutenait une ceinture végétale. Certains chefs avaient orné leur cou d''un croissant et de colliers de verroteries rouges et blanches. Presque tous, armés d''arcs, de flèches et de boucliers, portaient à leur épaule une sorte de filet contenant ces pierres arrondies que leur fronde lance avec adresse.
    Un de ces chefs, assez rapproché du Nautilus, l''examinait avec attention. Ce devait être un " mado " de haut rang, car il se drapait dans une natte en feuilles de bananiers, dentelée sur ses bords et relevée d''éclatantes couleurs.
    J''aurais pu facilement abattre cet indigène, qui se trouvait à petite portée; mais je crus qu''il valait mieux attendre des démonstrations véritablement hostiles. Entre Européens et sauvages, il convient que les Européens ripostent et n''attaquent pas.
    Pendant tout le temps de la marée basse, ces indigènes rôdèrent près du Nautilus, mais ils ne se montrèrent pas bruyants. Je les entendais répéter fréquemment le mot " assai ", et à leurs gestes je compris qu''ils m''invitaient à aller à terre, invitation que je crus devoir décliner.
    Donc, ce jour-là, le canot ne quitta pas le bord, au grand déplaisir de maître Land qui ne put compléter ses provisions. Cet adroit Canadien employa son temps à préparer les viandes et farines qu''il avait rapportées de l''île Gueboroar.
    Quant aux sauvages, ils regagnèrent la terre vers onze heures du matin, dès que les têtes de corail commencèrent à disparaître sous le flot de la marée montante. Mais je vis leur nombre s''accroître considérablement sur la plage. Il était probable qu''ils venaient des îles voisines ou de la Papouasie proprement ***e. Cependant, je n''avais pas aperçu une seule pirogue indigène.
    N''ayant rien de mieux à faire, je songeai à draguer ces belles eaux limpides, qui laissaient voir à profusion des coquilles, des zoophytes et des plantes pélagiennes. C''était, d''ailleurs, la dernière journée que le Nautilus allait passer dans ces parages, si, toutefois, il flottait à la pleine mer du lendemain, suivant la promesse du capitaine Nemo.
    J''appelai donc Conseil qui m''apporta une petite drague le gère, à peu près semblable à celles qui servent à pêcher les huîtres.
    " Et ces sauvages? me demanda Conseil. N''en déplaise à monsieur, ils ne me semblent pas très méchants!
    - Ce sont pourtant des anthropophages, mon garçon.
    - On peut être anthropophage et brave homme, répon*** Conseil, comme on peut être gourmand et honnête. L''un n''exclut pas l''autre.
    - Bon! Conseil, je t''accorde que ce sont d''honnêtes anthropophages, et qu''ils dévorent honnêtement leurs prisonniers. Cependant, comme je ne tiens pas à être dévoré, même honnêtement, je me tiendrai sur mes gardes, car le commandant du Nautilus ne paraît prendre aucune précaution. Et maintenant à l''ouvrage. "
    Pendant deux heures, notre pêche fut activement conduite, mais sans rapporter aucune rareté. La drague s''emplissait d''oreilles de Midas, de harpes, de mélanies, et particulièrement des plus beaux marteaux que j''eusse vu jusqu''à ce jour. Nous prîmes aussi quelques holoturies, des huîtres perlières, et une douzaine de petites tortues qui furent réservées pour l''office du bord.
    Mais, au moment où je m''y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d''un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c''est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain.
    " Eh! qu''a donc monsieur? demanda Conseil, très surpris. Monsieur a-t-il été mordu?
    - Non, mon garçon, et cependant, j''eusse volontiers payé d''un doigt ma découverte!
    - Quelle découverte?
    - Cette coquille, dis-je en montrant l''objet de mon triomphe.
    - Mais c''est tout simplement une olive porphyre, genre olive, ordre des pectinibranches, classe des gastéropodes, embranchement des mollusques...
    - Oui, Conseil, mais au lieu d''être enroulée de droite à gauche, cette olive tourne de gauche à droite!
    - Est-il possible! s''écria Conseil.
    - Oui, mon garçon, c''est une coquille sénestre!
    - Une coquille sénestre! répétait Conseil, le coeur palpitant.
    - Regarde sa spire!
    - Ah! monsieur peut m''en croire, *** Conseil en prenant la précieuse coquille d''une main tremblante, mais je n''ai jamais éprouvé une émotion pareille! "
    Et il y avait de quoi être ému! On sait, en effet, comme l''ont fait observer les naturalistes, que la dextrosité est une loi de nature. Les astres et leurs satellites, dans leur mouvement de translation et de rotation, se meuvent de droite à gauche. L''homme se sert plus souvent de sa main droite que de sa main gauche, et, conséquemment, ses instruments et ses appareils, escaliers, serrures, ressorts de montres, etc., sont combinés de manière a être employés de droite à gauche. Or, la nature a généralement suivi cette loi pour l''enroulement de ses coquilles. Elles sont toutes dextres, à de rares exceptions, et quand, par hasard, leur spire est sénestre, les amateurs les payent au poids de l''or.
    Conseil et moi, nous étions donc plongés dans la contemplation de notre trésor, et je me promettais bien d''en enrichir le Muséum, quand une pierre, malencontreusement lancée par un indigène, vint briser le précieux objet dans la main de Conseil.
    Je poussai un cri de désespoir! Conseil se jeta sur mon fusil, et visa un sauvage qui balançait sa fronde à dix mètres de lui. Je voulus l''arrêter, mais son coup partit et brisa le bracelet d''amulettes qui pendait au bras de l''indigène.
    " Conseil, m''écriai-je, Conseil!
    - Eh quoi! Monsieur ne voit-il pas que ce cannibale a commencé l''attaque?
    - Une coquille ne vaut pas la vie d''un homme! lui dis-je.
    - Ah! le gueux! s''écria Conseil, j''aurais mieux aimé qu''il m''eût cassé l''épaule! "
    Conseil était sincère, mais je ne fus pas de son avis. Cependant, la situation avait changé depuis quelques instants, et nous ne nous en étions pas aperçus.
    Une vingtaine de pirogues entouraient alors le Naulilus. Ces pirogues, creusées dans des troncs d''arbre, longues, étroites, bien combinées pour la marche, s''équilibraient au moyen d''un double balancier en bambous qui flottait à la surface de l''eau. Elles étaient manoeuvrées par d''adroits pagayeurs à demi nus, et je ne les vis pas s''avancer sans inquiétude.
    (1/2)
  7. JogReloaded

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    (suite)
    C''était évident que ces Papouas avaient eu déjà des relations avec les Européens, et qu''ils connaissaient leurs navires. Mais ce long cylindre de fer allongé dans la baie, sans mâts, sans cheminée, que devaient-ils en penser? Rien de bon, car ils s''en étaient d''abord tenus à distance respectueuse. Cependant. Le voyant immobile, ils reprenaient peu à peu confiance, et cherchaient à se familiariser avec lui. Or, c''était précisément cette familiarité qu''il fallait empêcher. Nos armes, auxquelles la détonation manquait, ne pouvaient produire qu''un effet médiocre sur ces indigènes. qui n''ont de respect que pour les engins bruyants. La foudre, sans les roulements du tonnerre, effraierait peu les hommes, bien que le danger soit dans l''éclair, non dans le bruit.
    En ce moment, les pirogues s''approchèrent plus près du Nautilus, et une nuée de flèches s''abattit sur lui.
    " Diable! il grêle! *** Conseil, et peut-être une grêle empoisonnée!
    - Il faut prévenir le capitaine Nemo ", dis-je en rentrant par le panneau.
    Je descendis au salon. Je n''y trouvai personne. Je me hasardai à frapper à la porte qui s''ouvrait sur la chambre du capitaine.
    Un " entrez " me répon***. J''entrai, et je trouvai le capitaine Nemo plongé dans un calcul où les x et autres signes algébriques ne manquaient pas.
    " Je vous dérange? dis-je par politesse.
    - En effet, monsieur Aronnax, me répon*** le capitaine, mais je pense que vous avez eu des raisons sérieuses de me voir?
    - Très sérieuses. Les pirogues des naturels nous entourent, et, dans quelques minutes, nous serons certainement assaillis par plusieurs centaines de sauvages.
    - Ah! fit tranquillement le capitaine Nemo, ils sont venus avec leurs pirogues?
    - Oui, monsieur.
    - Eh bien, monsieur, il suffit de fermer les panneaux.
    - Précisément, et je venais vous dire...
    - Rien n''est plus facile ", *** le capitaine Nemo.
    Et, pressant un bouton électrique, il transmit un ordre au poste de l''équipage.
    " Voilà qui est fait, monsieur, me ***-il, après quelques instants. Le canot est en place, et les panneaux sont fermés. Vous ne craignez pas, j''imagine, que ces messieurs défoncent des murailles que les boulets de votre frégate n''ont pu entamer?
    - Non, capitaine, mais il existe encore un danger.
    - Lequel, monsieur?
    - C''est que demain, à pareille heure, il faudra rouvrir les panneaux pour renouveler l''air du Nautilus...
    - Sans contre***, monsieur, puisque notre bâtiment respire à la manière des cétacés.
    - Or, si à ce moment, les Papouas occupent la plate-forme, je ne vois pas comment vous pourrez les empêcher d''entrer.
    - Alors, monsieur, vous supposez qu''ils monteront à bord?
    - J''en suis certain.
    - Eh bien, monsieur, qu''ils montent. Je ne vois aucune raison pour les en empêcher. Au fond, ce sont de pauvres diables, ces Papouas, et je ne veux pas que ma visite à l''île Gueboroar coûte la vie à un seul de ces malheureux! "
    Cela ***, j''allais me retirer; mais le capitaine Nemo me retint et m''invita à m''asseoir près de lui. Il me questionna avec intérêt sur nos excursions à terre, sur nos chasses, et n''eut pas l''air de comprendre ce besoin de viande qui passionnait le Canadien. Puis, la conversation effleura divers sujets, et, sans être plus communicatif, le capitaine Nemo se montra plus aimable.
    Entre autres choses, nous en vînmes à parler de la situation du Nautilus, précisément échoué dans ce détroit, où Dumont d''Urville fut sur le point de se perdre. Puis à ce propos:
    " Ce fut un de vos grands marins, me *** le capitaine, un de vos plus intelligents navigateurs que ce d''Urville! C''est votre capitaine Cook, à vous autres, Français. Infortuné savant! Avoir bravé les banquises du pôle Sud, les coraux de l''Océanie, les cannibales du Pacifique, pour périr misérablement dans un train de chemin de fer! Si cet homme énergique a pu réfléchir pendant les dernières secondes de son existence, vous figurez-vous quelles ont dû être ses suprêmes pensées! "
    En parlant ainsi, le capitaine Nemo semblait ému, et je porte cette émotion à son actif.
    Puis, la carte à la main, nous revîmes les travaux du navigateur français, ses voyages de circumnavigation, sa double tentative au pôle Sud qui amena la découverte des terres Adélie et Louis-Philippe, enfin ses levés hydrographiques des principales îles de l''Océanie.
    " Ce que votre d''Urville a fait à la surface des mers, me *** le capitaine Nemo, je l''ai fait à l''intérieur de l''Océan, et plus facilement, plus complètement que lui. L''Astrolabe et la Zélée, incessamment ballottées par les ouragans, ne pouvaient valoir le Nautilus, tranquille cabinet de travail, et véritablement sédentaire au milieu des eaux!
    - Cependant, capitaine, dis-je, il y a un point de ressemblance entre les corvettes de Dumont d''Urville et le Nautilus.
    - Lequel, monsieur?
    - C''est que le Nautilus s''est échoué comme elles!
    - Le Nautilus ne s''est pas échoué, monsieur, me répon*** froidement le capitaine Nemo. Le Nautilus est fait pour reposer sur le lit des mers, et les pénibles travaux, les manoeuvres qu''imposa à d''Urville le renflouage de ses corvettes, je ne les entreprendrai pas. L''Astrolabe et la Zélée ont failli périr, mais mon Nautilus ne court aucun danger. Demain, au jour ***, à l''heure ***e, la marée le soulèvera paisiblement, et il reprendra sa navigation à travers les mers.
    - Capitaine, dis-je, je ne doute pas....
    - Demain, ajouta le capitaine Nemo en se levant, demain, à deux heures quarante minutes du soir, le Nautilus flottera et quittera sans avarie le détroit de Torrès. "
    Ces paroles prononcées d''un ton très bref, le capitaine Nemo s''inclina légèrement. C''était me donner congé, et je rentrai dans ma chambre.
    Là, je trouvai Conseil, qui désirait connaître le résultat de mon entrevue avec le capitaine.
    " Mon garçon, répondis-je, lorsque j''ai eu l''air de croire que son Nautilus était menace par les naturels de la Papouasie, le capitaine m''a répondu très ironiquement. Je n''ai donc qu''une chose à dire: Aie confiance en lui, et va dormir en paix.
    - Monsieur n''a pas besoin de mes services?
    - Non, mon ami. Que fait Ned Land?
    - Que monsieur m''excuse, répon*** Conseil, mais l''ami Ned confectionne un pâté de kangaroo qui sera une merveille! "
    Je restai seul, je me couchai, mais je dormis assez mal. J''entendais le bruit des sauvages qui piétinaient sur la plate-forme en poussant des cris assourdissants. La nuit se passa ainsi, et sans que l''équipage sortît de son inertie habituelle. Il ne s''inquiétait pas plus de la présence de ces cannibales que les soldats d''un fort blindé ne se préoccupent des fourmis qui courent sur son blindage.
    A six heures du matin, je me levai... Les panneaux n''avaient pas été ouverts. L''air ne fut donc pas renouvelé à l''intérieur, mais les réservoirs, chargés à toute occurrence, fonctionnèrent à propos et lancèrent quelques mètres cubes d''oxygène dans l''atmosphère appauvrie du Nautilus.
    Je travaillai dans ma chambre jusqu''à midi, sans avoir vu, même un instant, le capitaine Nemo. On ne paraissait faire à bord aucun préparatif de départ.
    J''attendis quelque temps encore, puis, je me rendis au grand salon. La pendule marquait deux heures et demie. Dans dix minutes, le flot devait avoir atteint son maximum de hauteur, et, si le capitaine Nemo n''avait point fait une promesse téméraire, le Nautilus serait immédiatement dégagé. Sinon, bien des mois se passeraient avant qu''il pût quitter son lit de corail.
    Cependant, quelques tressaillements avant-coureurs se firent bientôt sentir dans la coque du bateau. J''entendis grincer sur son bordage les aspérités calcaires du fond corallien.
    A deux heures trente-cinq minutes, le capitaine Nemo parut dans le salon.
    " Nous allons partir, ***-il.
    - Ah! fis-je.
    - J''ai donné l''ordre d''ouvrir les panneaux.
    - Et les Papouas?
    - Les Papouas? répon*** le capitaine Nemo, haussant légèrement les épaules.
    - Ne vont-ils pas pénétrer à l''intérieur du Nautilus?
    - Et comment?
    - En franchissant les panneaux que vous aurez fait ouvrir.
    - Monsieur Aronnax, répon*** tranquillement le capitaine Nemo, on n''entre pas ainsi par les panneaux du Nautilus, même quand ils sont ouverts. "
    Je regardai le capitaine.
    " Vous ne comprenez pas? me ***-il.
    - Aucunement.
    - Eh bien! venez et vous verrez. "
    Je me dirigeai vers l''escalier central. Là, Ned Land et Conseil, très intrigués, regardaient quelques hommes de l''équipage qui ouvraient les panneaux, tandis que des cris de rage et d''épouvantables vociférations résonnaient au-dehors.
    Les mantelets furent rabattus extérieurement. Vingt figures horribles apparurent. Mais le premier de ces indigènes qui mit la main sur la rampe de l''escalier, rejeté en arrière par je ne sais quelle force invisible, s''enfuit, poussant des cris affreux et faisant des gambades exorbitantes.
    Dix de ses compagnons lui succédèrent. Dix eurent le même sort.
    Conseil était dans l''extase. Ned Land, emporté par ses instincts violents, s''élança sur l''escalier. Mais, dès qu''il eut saisi la rampe à deux mains, il fut renversé à son tour.
    " Mille diables! s''écria-t-il. Je suis foudroyé! "
    Ce mot m''expliqua tout. Ce n''était plus une rampe, mais un câble de métal, tout chargé de l''électricité du bord, qui aboutissait à la plate-forme. Quiconque la touchait ressentait une formidable secousse , et cette secousse eût été mortelle, si le capitaine Nemo eût lancé dans ce conducteur tout le courant de ses appareils! On peut réellement dire, qu''entre ses assaillants et lui, il avait tendu un réseau électrique que nul ne pouvait impunément franchir.
    Cependant, les Papouas épouvantés avaient battu en retraite, affolés de terreur. Nous, moitié riants, nous consolions et frictionnions le malheureux Ned Land qui jurait comme un possédé.
    Mais, en ce moment, le Nautilus, soulevé par les dernières ondulations du flot, quitta son lit de corail à cette quarantième minute exactement fixée par le capitaine. Son hélice battit les eaux avec une majestueuse lenteur. Sa vitesse s''accrut peu à peu, et, naviguant à la surface de l''Océan, il abandonna sain et sauf les dangereuses passes du détroit de Torrès.
    ----------------------------
    Fin du chapitre XXI
  8. JogReloaded

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    XXII - ?GRI SOMNIA
    Le jour suivant, 10 janvier, le Nautilus reprit sa marche entre deux eaux, mais avec une vitesse remarquable que je ne puis estimer à moins de trente-cinq milles à l''heure. La rapi***é de son hélice était telle que je ne pouvais ni suivre ses tours ni les compter.
    Quand je songeais que ce merveilleux agent électrique, après avoir donné le mouvement, la chaleur, la lumière au Nautilus, le protégeait encore contre les attaques extérieures, et le transformait en une arche sainte à laquelle nul profanateur ne touchait sans être foudroyé, mon admiration n''avait plus de bornes, et de l''appareil, elle remontait aussitôt à l''ingénieur qui l''avait créé.
    Nous marchions directement vers l''ouest, et, le 11 janvier, nous doublâmes ce cap Wessel, situé par 135° de longitude et l0° de latitude nord, qui forme la pointe est du golfe de Carpentarie. Les récifs étaient encore nombreux, mais plus clairsemés, et relevés sur la carte avec une extrême précision. Le Nautilus évita facilement les brisants de Money à bâbord, et les récifs Victoria à tribord, placés par 1300 de longitude, et sur ce dixième parallèle que nous suivions rigoureusement.
    Le 13 janvier, le capitaine Nemo. arrivé dans la mer de Timor, avait connaissance de l''île de ce nom par 1220 de longitude. Cette île dont la superficie est de seize cent vingt-cinq lieues carrées est gouvernée par des radjahs. Ces princes se disent fils de crocodiles, c''est-à-dire issus de la plus haute origine à laquelle un être humain puisse prétendre. Aussi, ces ancêtres écailleux foisonnent dans les rivières de l''île, et sont l''objet d''une vénération particulière. On les protège, on les gâte, on les adule, on les nourrit, on leur offre des jeunes filles en pâture, et malheur à l''étranger qui porte la main sur ces lézards sacrés.
    Mais le Nautilus n''eut rien à démêler avec ces vilains animaux. Timor ne fut visible qu''un instant, à midi, pendant que le second relevait sa position. Également, je ne fis qu''entrevoir cette petite île Rotti, qui fait partie du groupe, et dont les femmes ont une réputation de beauté très établie sur les marchés malais.
    A partir de ce point, la direction du Nautilus, en latitude, s''infléchit vers le sud-ouest. Le cap fut mis sur l''océan Indien. Où la fantaisie du capitaine Nemo allait-elle nous entraîner? Remontrait-il vers les côtes de l''Asie? Se rapprocherait-il des rivages de l''Europe? Résolutions peu probables de la part d''un homme qui fuyait les continents habités? Descendrait-il donc vers le sud? Irait-il doubler le cap de Bonne-Espérance, puis le cap Horn, et pousser au pôle antarctique? Reviendrait-il enfin vers ses mers du Pacifique, où son Nautilus trouvait une navigation facile et indépendante? L''avenir devait nous l''apprendre.
    Après avoir prolongé les écueils de Cartier, d''Hibernia, de Seringapatam, de Scott, derniers efforts de l''élément solide contre l''élément liquide, le 14 janvier, nous étions au-delà de toutes terres. La vitesse du Nautilus fut singulièrement ralentie, et, très capricieux dans ses allures, tantôt il nageait au milieu des eaux, et tantôt il flottait à leur surface.
    Pendant cette période du voyage, le capitaine Nemo fit d''intéressantes expériences sur les diverses températures de la mer à des couches différentes. Dans les con***ions ordinaires, ces relevés s''obtiennent au moyen d''instruments assez compliqués. dont les rapports sont au moins douteux, que ce soient des sondes thermométriques, dont les verres se brisent souvent sous la pression des eaux, ou des appareils basés sur la variation de résistance de métaux aux courants électriques. Ces résultats ainsi obtenus ne peuvent être suffisamment contrôlés. Au contraire, le capitaine Nemo allait lui-même chercher cette température dans les profondeurs de la mer, et son thermomètre, mis en communication avec les diverses nappes liquides, lui donnait immédiatement et sûrement le degré recherché.
    C''est ainsi que, soit en surchargeant ses réservoirs, soit en descendant obliquement au moyen de ses plans inclinés, le Nautilus atteignit successivement des profondeurs de trois, quatre, cinq, sept, neuf et dix mille mètres, et le résultat définitif de ces expériences fut que la mer présentait une température permanente de quatre degrés et demi, à une profondeur de mille mètres, sous toutes les latitudes.
    Je suivais ces expériences avec le plus vif intérêt. Le capitaine Nemo y apportait une véritable passion. Souvent, je me demandai dans quel but il faisait ces observations. Était-ce au profit de ces semblables? Ce n''était pas probable, car, un jour ou l''autre, ses travaux devaient périr avec lui dans quelque mer ignorée! A moins qu''il ne me destinât le résultat de ses expériences. Mais c''était admettre que mon étrange voyage aurait un terme, et ce terme, je ne l''apercevais pas encore.
    Quoi qu''il en soit, le capitaine Nemo me fit également connaître divers chiffres obtenus par lui et qui établissaient le rapport des densités de l''eau dans les principales mers du globe. De cette communication, je tirai un enseignement personnel qui n''avait rien de scientifique.
    C''était pendant la matinée du 15 janvier. Le capitaine, avec lequel je me promenais sur la plate-forme, me demanda si je connaissais les différentes densités que présentent les eaux de la mer. Je lui répondis négativement, et j''ajoutai que la science manquait d''observations rigoureuses à ce sujet.
    " Je les ai faites, ces observations, me ***-il, et je puis en affirmer la certitude.
    - Bien, répondis-je, mais le Nautilus est un monde à part, et les secrets de ses savants n''arrivent pas jusqu''à la terre.
    - Vous avez raison, monsieur le professeur, me ***-il, après quelques instants de silence. C''est un monde à part. Il est aussi étranger à la terre que les planètes qui accompagnent ce globe autour du soleil, et l''on ne connaîtra jamais les travaux des savants de Saturne ou de Jupiter. Cependant, puisque le hasard a lié nos deux existences, je puis vous communiquer le résultat de mes observations.
    - Je vous écoute, capitaine.
    - Vous savez, monsieur le professeur, que l''eau de mer est plus dense que l''eau douce, mais cette densité n''est pas uniforme. En effet, si je représente par un la densité de l''eau douce, je trouve un vingt-huit millième pour les eaux de l''Atlantique, un vingt-six millième pour les eaux du Pacifique, un trente-millième pour les eaux de la Mé***erranée...
    - Ah! pensai-je, il s''aventure dans la Mé***erranée?
    - Un dix-huit millième pour les eaux de la mer Ionienne, et un vingt-neuf millième pour les eaux de l''Adriatique. "
    Décidément, le Nautilus ne fuyait pas les mers fréquentées de l''Europe, et j''en conclus qu''il nous ramènerait - peut-être avant peu vers des continents plus civilisés. Je pensai que Ned Land apprendrait cette particularité avec une satisfaction très naturelle.
    Pendant plusieurs jours, nos journées se passèrent en expériences de toutes sortes, qui portèrent sur les degrés de salure des eaux à différentes profondeurs, sur leur électrisation, sur leur coloration, sur leur transparence, et dans toutes ces circonstances, le capitaine Nemo déploya une ingéniosité qui ne fut égalée que par sa bonne grâce envers moi. Puis, pendant quelques jours, je ne le revis plus, et demeurai de nouveau comme isolé à son bord.
    Le 16 janvier, le Nautilus parut s''endormir à quelques mètres seulement au-dessous de la surface des flots. Ses appareils électriques ne fonctionnaient pas, et son hélice immobile le laissait errer au gré des courants. Je supposai que l''équipage s''occupait de réparations intérieures, nécessitées par la violence des mouvements mécaniques de la machine.
    Mes compagnons et moi, nous fûmes alors témoins d''un curieux spectacle. Les panneaux du salon étaient ouverts, et comme le fanal du Nautilus n''était pas en activité, une vague obscurité régnait au milieu des eaux.
    Le ciel orageux et couvert d''épais nuages ne donnait aux premières couches de l''Océan qu''une insuffisante clarté.
    J''observais l''état de la mer dans ces con***ions, et les plus gros poissons ne m''apparaissaient plus que comme des ombres à peine figurées, quand le Nautilus se trouva subitement transporté en pleine lumière. Je crus d''abord que le fanal avait été rallumé, et qu''il projetait son éclat électrique dans la masse liquide. Je me trompais, et après une rapide observation, je reconnus mon erreur.
    Le Nautilus flottait au milieu d''une couche phosphorescente, qui dans cette obscurité devenait éblouissante. Elle était produite par des myriades d''animalcules lumineux, dont l''étincellement s''accroissait en glissant sur la coque métallique de l''appareil. Je surprenais alors des éclairs au milieu de ces nappes lumineuses, comme eussent été des coulées de plomb fondu dans une fournaise ardente, ou des masses métalliques portées au rouge blanc; de telle sorte que par opposition, certaines portions lumineuses faisaient ombre dans ce milieu igné, dont toute ombre semblait devoir être bannie. Non! ce n''était plus l''irradiation calme de notre éclairage habituel! Il y avait là une vigueur et un mouvement insolites! Cette lumière, on la sentait vivante!
    En effet, c''était une agglomération infinie d''infusoires pélagiens, de noctiluques miliaires, véritables globules de gelée diaphane, pourvus d''un tentacule filiforme, et dont on a compté jusqu''à vingt-cinq mille dans trente centimètres cubes d''eau. Et leur lumière était encore doublée par ces lueurs particulières aux méduses, aux astéries, aux aurélies, aux pholadesdattes, et autres zoophytes phosphorescents, imprégnés du graissin des matières organiques décomposées par la mer, et peut-être du mucus secrète par les poissons.
    Pendant plusieurs heures, le Nautilus flotta dans ces ondes brillantes, et notre admiration s''accrut à voir les gros animaux marins s''y jouer comme des salamandres. Je vis là, au milieu de ce feu qui ne brûle pas, des marsouins élégants et rapides, infatigables clowns des mers, et des istiophores longs de trois mètres, intelligents précurseurs des ouragans, dont le formidable glaive heurtait parfois la vitre du salon. Puis apparurent des poissons plus petits, des balistes variés, des scomberoïdes-sauteurs, des nasons-loups, et cent autres qui zébraient dans leur course la lumineuse atmosphère.
    Ce fut un enchantement que cet éblouissant spectacle! Peut-être quelque con***ion atmosphérique augmentait-elle l''intensité de ce phénomène? Peut-être quelque orage se déchaînait-il à la surface des flots? Mais, à cette profondeur de quelques mètres, le Nautilus ne ressentait pas sa fureur, et il se balançait paisiblement au milieu des eaux tranquilles.
    Ainsi nous marchions, incessamment charmés par quelque merveille nouvelle. Conseil observait et classait ses zoophytes, ses articulés, ses mollusques, ses poissons. Les journées s''écoulaient rapidement, et je ne les comptais plus. Ned, suivant son habitude, cherchait à varier l''ordinaire du bord. Véritables colimaçons, nous étions faits à notre coquille, et j''affirme qu''il est facile de devenir un parfait colimaçon.
    Donc, cette existence nous paraissait facile, naturelle, et nous n''imaginions plus qu''il existât une vie différente à la surface du globe terrestre, quand un événement vint nous rappeler à l''étrangeté de notre situation.
    Le 18 janvier, le Nautilus se trouvait par 105° de longitude et 15° de latitude méridionale. Le temps était menaçant, la mer dure et houleuse. Le vent soufflait de l''est en grande brise. Le baromètre, qui baissait depuis quelques jours, annonçait une prochaine lutte des éléments.
    J''étais monté sur la plate-forme au moment où le second prenait ses mesures d''angles horaires. J''attendais, suivant la coutume, que la phrase quotidienne fût prononcée. Mais, ce jour-là, elle fut remplacée par une autre phrase non moins incompréhensible. Presque aussitôt, je vis apparaître le capitaine Nemo, dont les yeux, munis d''une lunette, se dirigèrent vers l''horizon.
    Pendant quelques minutes, le capitaine resta immobile, sans quitter le point enfermé dans le champ de son objectif. Puis, il abaissa sa lunette, et échangea une dizaine de paroles avec son second. Celui-ci semblait être en proie à une émotion qu''il voulait vainement contenir. Le capitaine Nemo, plus maître de lui, demeurait froid.
    Il paraissait, d''ailleurs, faire certaines objections auxquelles le second répondait par des assurances formelles. Du moins, je le compris ainsi, à la différence de leur ton et de leurs gestes.
    Quant à moi, j''avais soigneusement regardé dans la direction observée, sans rien apercevoir. Le ciel et l''eau se confondaient sur une ligne d''horizon d''une parfaite netteté.
    Cependant, le capitaine Nemo se promenait d''une extrémité à l''autre de la plate-forme, sans me regarder, peut-être sans me voir. Son pas était assuré, mais moins régulier que d''habitude. 11 s''arrêtait parfois, et les bras croisés sur la poitrine, il observait la mer. Que pouvait-il chercher sur cet immense espace?
    Le Nautilus se trouvait alors à quelques centaines de milles de la côte la plus rapprochée.
    Le second avait repris sa lunette et interrogeait obstinément l''horizon, allant et venant, frappant du pied. contrastant avec son chef par son agitation nerveuse.
    D''ailleurs, ce mystère allait nécessairement s''éclaircir, et avant peu, car, sur un ordre du capitaine Nemo, la machine, accroissant sa puissance propulsive, imprima à l''hélice une rotation plus rapide.
    En ce moment, le second attira de nouveau l''attention du capitaine. Celui-ci suspen*** sa promenade et dirigea sa lunette vers le point indiqué. Il l''observa longtemps. De mon côté, très sérieusement intrigué, je descendis au salon, et j''en rapportai une excellente longue-vue dont je me servais ordinairement. Puis, l''appuyant sur la cage du fanal qui formait saillie à l''avant de la plate-forme, je me disposai à parcourir toute la ligne du ciel et de la mer.
    Mais, mon oeil ne s''était pas encore appliqué à l''oculaire, que l''instrument me fut vivement arraché des mains.
    Je me retournai. Le capitaine Nemo était devant moi, mais je ne le reconnus pas. Sa physionomie était transfigurée. Son oeil, brillant d''un feu sombre, se dérobait sous son sourcil froncé. Ses dents se découvraient à demi. Son corps raide, ses poings fermés, sa tête retirée entre les épaules, témoignaient de la haine violente que respirait toute sa personne. Il ne bougeait pas. Ma lunette tombée de sa main, avait roulé à ses pieds.
    Venais-je donc, sans le vouloir, de provoquer cette attitude de colère? S''imaginait-il, cet incompréhensible personnage, que j''avais surpris quelque secret inter*** aux hôtes du Nautilus?
    Non! cette haine, je n''en étais pas l''objet, car il ne me regardait pas, et son oeil restait obstinément fixé sur l''impénétrable point de l''horizon.
    Enfin, le capitaine Nemo redevint maître de lui. Sa physionomie, si profondément altérée, reprit son calme habituel. Il adressa à son second quelques mots en langue étrangère, puis il se retourna vers moi.
    " Monsieur Aronnax, me ***-il d''un ton assez impérieux, je réclame de vous l''observation de l''un des engagements qui vous lient à moi.
    - De quoi s''agit-il, capitaine?
    - Il faut vous laisser enfermer, vos compagnons et vous, jusqu''au moment où je jugerai convenable de vous rendre la liberté.
    - Vous êtes le maître, lui répondis-je, en le regardant fixement. Mais puis-je vous adresser une question?
    - Aucune, monsieur. "
    Sur ce mot, je n''avais pas à discuter, mais à obéir, puisque toute résistance eût été impossible.
    Je descendis à la cabine qu''occupaient Ned Land et Conseil, et je leur fis part de la détermination du capitaine. Je laisse à penser comment cette communication fut reçue par le Canadien. D''ailleurs, le temps manqua à toute explication.
    Quatre hommes de l''équipage attendaient à la porte, et ils nous conduisirent à cette cellule où nous avions passé notre première nuit à bord du Nautilus.
    Ned Land voulut réclamer, mais la porte se ferma sur lui pour toute réponse.
    " Monsieur me dira-t-il ce que cela signifie? " me demanda Conseil.
    Je racontai à mes compagnons ce qui s''était passé. Ils furent aussi étonnés que moi, mais aussi peu avancés.
    Cependant, j''étais plongé dans un abîme de réflexions, et l''étrange appréhension de la physionomie du capitaine Nemo ne quittait pas ma pensée. J''étais incapable d''accoupler deux idées logiques, et je me perdais dans les plus absurdes hypothèses, quand je fus tiré de ma contention d''esprit par ces paroles de Ned Land:
    " Tiens! le déjeuner est servi! "
    En effet, la table était préparée. Il était évident que le capitaine Nemo avait donné cet ordre en même temps qu''il faisait hâter la marche du Nautilus.
    " Monsieur me permettra-t-il de lui faire une recommandation? me demanda Conseil.
    - Oui, mon garçon, répondis-je.
    - Eh bien! que monsieur déjeune. C''est prudent, car nous ne savons ce qui peut arriver.
    - Tu as raison, Conseil.
    - Malheureusement, *** Ned Land, on ne nous a donné que le menu du bord.
    - Ami Ned, répliqua Conseil, que diriez-vous donc, si le déjeuner avait manqué totalement! "
    Cette raison coupa net aux récriminations du harponneur.
    Nous nous mîmes à table. Le repas se fit assez silencieusement. Je mangeai peu. Conseil " se força ", toujours par prudence, et Ned Land, quoi qu''il en eût, ne per*** pas un coup de dent. Puis, le déjeuner terminé, chacun de nous s''accota dans son coin.
    En ce moment, le globe lumineux qui éclairait la cellule s''éteignit et nous laissa dans une obscurité profonde. Ned Land ne tarda pas à s''endormir, et, ce qui m''étonna, Conseil se laissa aller aussi à un lourd assoupissement. Je me demandais ce qui avait pu provoquer chez lui cet impérieux besoin de sommeil, quand je sentis mon cerveau s''imprégner d''une épaisse torpeur. Mes yeux, que je voulais tenir ouverts, se fermèrent malgré moi. J''étais en proie à une hallucination douloureuse. Évidemment, des substances soporifiques avaient été mêlées aux aliments que nous venions de prendre! Ce n''était donc pas assez de la prison pour nous dérober les projets du capitaine Nemo, il fallait encore le sommeil!
    J''entendis alors les panneaux se refermer. Les ondulations de la mer qui provoquaient un léger mouvement de roulis, cessèrent. Le Nautilus avait-il donc quitté la surface de l''Océan? Était-il rentré dans la couche immobile des eaux?
    Je voulus résister au sommeil. Ce fut impossible. Ma respiration s''affaiblit. Je sentis un froid mortel glacer mes membres alourdis et comme paralysés. Mes paupières, véritables calottes de plomb, tombèrent sur mes yeux. Je ne pus les soulever. Un sommeil morbide, plein d''hallucinations, s''empara de tout mon être.
    Puis, les visions disparurent, et me laissèrent dans un complet anéantissement.
    ----------------------------
    Fin du chapitre XXII
  9. JogReloaded

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    XXIII - LE ROYAUME DU CORAIL
    Le lendemain, je me réveillai la tête singulièrement dégagée. A ma grande surprise, j''étais dans ma chambre. Mes compagnons. sans doute, avaient été réintégrés dans leur cabine, sans qu''ils s''en fussent aperçus plus que moi. Ce qui s''était passé pendant cette nuit, ils l''ignoraient comme je l''ignorais moi-même, et pour dévoiler ce mystère, je ne comptais que sur les hasards de l''avenir.
    Je songeai alors à quitter ma chambre. Étais-je encore une fois libre ou prisonnier? Libre entièrement. J''ouvris la porte, je pris par les coursives, je montai l''escalier central. Les panneaux, fermés la veille, étaient ouverts. J''arrivai sur la plate-forme.
    Ned Land et Conseil m''y attendaient. Je les interrogeai. Ils ne savaient rien. Endormis d''un sommeil pesant qui ne leur laissait aucun souvenir, ils avaient été très surpris de se retrouver dans leur cabine.
    Quant au Nautilus, il nous parut tranquille et mystérieux comme toujours. Il flottait à la surface des flots sous une allure modérée. Rien ne semblait changé à bord.
    Ned Land, de ses yeux pénétrants, observa la mer. Elle était déserte. Le Canadien ne signala rien de nouveau à l''horizon, ni voile, ni terre. Une brise d''ouest soufflait bruyamment, et de longues lames, échevelées par le vent, imprimaient à l''appareil un très sensible roulis.
    Le Nautilus, après avoir renouvelé son air, se maintint à une profondeur moyenne de quinze mètres, de manière à pouvoir revenir promptement à la surface des flots. Opération qui, contre l''habitude, fut pratiquée plusieurs fois, pendant cette journée du 19 janvier. Le second montait alors sur la plate-forme, et la phrase accoutumée retentissait à l''intérieur du navire.
    Quant au capitaine Nemo, il ne parut pas. Des gens du bord, je ne vis que l''impassible stewart, qui me servit avec son exactitude et son mutisme ordinaires.
    Vers deux heures, j''étais au salon. occupé à classer mes notes, lorsque le capitaine ouvrit la porte et parut. Je le saluai. Il me ren*** un salut presque imperceptible, sans m''adresser la parole. Je me remis à mon travail, espérant qu''il me donnerait peut-être des explications sur les événements qui avaient marqué la nuit précédente. Il n''en fit rien. Je le regardai. Sa figure me parut fatiguée; ses yeux rougis n''avaient pas été rafraîchis par le sommeil; sa physionomie exprimait une tristesse profonde, un réel chagrin. Il allait et venait, s''asseyait et se relevait, prenait un livre au hasard, l''abandonnait aussitôt. consultait ses instruments sans prendre ses notes habituelles, et semblait ne pouvoir tenir un instant en place.
    Enfin, il vint vers moi et me ***:
    " Etes-vous médecin, monsieur Aronnax? "
    Je m''attendais si peu à cette demande, que je le regardai quelque temps sans répondre.
    " Etes-vous médecin? répéta-t-il. Plusieurs de vos collègues ont fait leurs études de médecine, Gratiolet, Moquin-Tandon et autres.
    - En effet, dis-je, je suis docteur et interne des hôpitaux. J''ai pratiqué pendant plusieurs années avant d''entrer au Muséum.
    - Bien, monsieur. "
    Ma réponse avait évidemment satisfait le capitaine Nemo. Mais ne sachant où il en voulait venir, j''attendis de nouvelles questions, me réservant de répondre suivant les circonstances.
    " Monsieur Aronnax, me *** le capitaine, consentiriez-vous à donner vos soins à l''un de mes hommes?
    - Vous avez un malade?
    - Oui.
    - Je suis prêt à vous suivre.
    - Venez. "
    J''avouerai que mon coeur battait. Je ne sais pourquoi je voyais une certaine connexité entre cette maladie d''un homme de l''équipage et les événements de la veille, et ce mystère me préoccupait au moins autant que le malade.
    Le capitaine Nemo me conduisit à l''arrière du Nautilus, et me fit entrer dans une cabine située près du poste des matelots.
    Là, sur un lit, reposait un homme d''une quarantaine d''années, à figure énergique, vrai type de l''Anglo-Saxon.
    Je me penchai sur lui. Ce n''était pas seulement un malade, c''était un blessé. Sa tête, emmaillotée de linges sanglants, reposait sur un double oreiller. Je détachai ces linges, et le blessé, regardant de ses grands yeux fixes, me laissa faire, sans proférer une seule plainte.
    La blessure était horrible. Le crâne, fracassé par un instrument contondant, montrait la cervelle à nu, et la substance cérébrale avait subi une attrition profonde. Des caillots sanguins s''étaient formés dans la masse diffluente, qui affectait une couleur lie de vin. Il y avait eu à la fois contusion et commotion du cerveau. La respiration du malade était lente, et quelques mouvements spasmodiques des muscles agitaient sa face. La phlegmasie cérébrale était complète et entraînait la paralysie du sentiment et du mouvement.
    Je pris le pouls du blessé. Il était intermittent. Les extrémités du corps se refroidissaient déjà, et je vis que la mort s''approchait, sans qu''il me parût possible de l''enrayer. Après avoir pansé ce malheureux, je rajustai les linges de sa tête, et je me retournai vers le capitaine Nemo.
    " D''où vient cette blessure? Lui demandai-je.
    - Qu''importe! répon*** évasivement le capitaine. Un choc du Nautilus a brisé un des leviers de la machine, qui a frappé cet homme. Mais votre avis sur son état? "
    J''hésitais à me prononcer.
    " Vous pouvez parler, me *** le capitaine. Cet homme n''entend pas le français. "
    Je regardai une dernière fois le blessé, puis je répondis:
    " Cet homme sera mort dans deux heures.
    - Rien ne peut le sauver?
    - Rien. "
    La main du capitaine Nemo se crispa, et quelques larmes glissèrent de ses yeux, que je ne croyais pas faits pour pleurer.
    Pendant quelques instants, j''observai encore ce mourant dont la vie se retirait peu à peu. Sa pâleur s''accroissait encore sous l''éclat électrique qui baignait son lit de mort. Je regardais sa tête intelligente. sillonnée de rides prématurées, que le malheur, la misère peut-être. avaient creusées depuis longtemps. Je cherchais à surprendre le secret de sa vie dans les dernières paroles échappées à ses lèvres!
    " Vous pouvez vous retirer, monsieur Aronnax ", me *** le capitaine Nemo.
    Je laissai le capitaine dans la cabine du mourant, et je regagnai ma chambre. très ému de cette scène. Pendant toute la journée, je fus agité de sinistres pressentiments. La nuit, je dormis mal, et, entre mes songes fréquemment interrompus, je crus entendre des soupirs lointains et comme une psalmodie funèbre. Était-ce la prière des morts, murmurée dans cette langue que je ne savais comprendre?
    Le lendemain matin, je montai sur le pont. Le capitaine Nemo m''y avait précédé. Dès qu''il m''aperçut. il vint à moi.
    " Monsieur le professeur, me ***-il, vous conviendrait-il de faire aujourd''hui une excursion sous-marine?
    - Avec mes compagnons? demandai-je.
    - Si cela leur plaît.
    - Nous sommes à vos ordres, capitaine.
    - Veuillez donc aller revêtir vos scaphandres. "
    Du mourant ou du mort il ne fut pas question. Je rejoignis Ned Land et Conseil.
    Je leur fis connaître la proposition du capitaine Nemo. Conseil s''empressa d''accepter, et, cette fois, le Canadien se montra très disposé à nous suivre.
    Il était huit heures du matin. A huit heures et demie, nous étions vêtus pour cette nouvelle promenade, et munis des deux appareils d''éclairage et de respiration. La double porte fut ouverte, et, accompagnés du capitaine Nemo que suivaient une douzaine d''hommes de l''équipage, nous prenions pied à une profondeur de dix mètres sur le sol ferme où reposait le Nautilus.
    Une légère pente aboutissait à un fond accidenté. par quinze brasses de profondeur environ. Ce fond différait complètement de celui que j''avais visité pendant ma première excursion sous les eaux de l''Océan Pacifique. Ici, point de sable fin, point de prairies sous-marines, nulle forêt pélagienne. Je reconnus immédiatement cette région merveilleuse dont, ce jour-là, le capitaine Nemo nous faisait les honneurs. C''était le royaume du corail.
    Dans l''embranchement des zoophytes et dans la classe des alcyonnaires, on remarque l''ordre des gorgonaires qui renferme les trois groupes des gorgoniens, des isidiens et des coralliens. C''est à ce dernier qu''appartient le corail, curieuse substance qui fut tour à tour classée dans les règnes minéral, végétal et animal. Remède chez les anciens, bijou chez les modernes, ce fut seulement en 1694 que le Marseillais Peysonnel le rangea définitivement dans le règne animal.
    Le corail est un ensemble d''animalcules, réunis sur un polypier de nature cassante et pierreuse. Ces polypes ont un générateur unique qui les a produits par bourgeonnement, et ils possèdent une existence propre, tout en participant à la vie commune. C''est donc une sorte de socialisme naturel. Je connaissais les derniers travaux faits sur ce bizarre zoophyte, qui se minéralise tout en s''arborisant, suivant la très juste observation des naturalistes, et rien ne pouvait être plus intéressant pour moi que de visiter l''une de ces forêts pétrifiées que la nature a plantées au fond des mers.
    Les appareils Rumhkorff furent mis en activité, et nous suivîmes un banc de corail en voie de formation, qui, le temps aidant, fermera un jour cette portion de l''océan indien. La route était bordée d''inextricables buissons formés par l''enchevêtrement d''arbrisseaux que couvraient de petites fleurs étoilées à rayons blancs. Seulement, à l''inverse des plantes de la terre, ces arborisations, fixées aux rochers du sol, se dirigeaient toutes de haut en bas.
    La lumière produisait mille effets charmants en se jouant au milieu de ces ramures si vivement colorées. Il me semblait voir ces tubes membraneux et cylindriques trembler sous l''ondulation des eaux. J''étais tenté de cueillir leurs fraîches corolles ornées de délicats tentacules, les unes nouvellement épanouies, les autres naissant à peine, pendant que de légers poissons, aux rapides nageoires, les effleuraient en passant comme des volées d''oiseaux. Mais, si ma main s''approchait de ces fleurs vivantes, de ces sensitives animées, aussitôt l''alerte se mettait dans la colonie. Les corolles blanches rentraient dans leurs étuis rouges, les fleurs s''évanouissaient sous mes regards, et le buisson se changeait en un bloc de mamelons pierreux.
    Le hasard m''avait mis là en présence des plus précieux échantillons de ce zoophyte. Ce corail valait celui qui se pêche dans la Mé***erranée, sur les côtes de France, d''Italie et de Barbarie. Il justifiait par ses tons vifs ces noms poétiques de fleur de sang et d''écume de sang que le commerce donne à ses plus beaux produits. Le corail se vend jusqu''à cinq cents francs le kilogramme, et en cet endroit, les couches liquides recouvraient la fortune de tout un monde de corailleurs. Cette précieuse matière, souvent mélangée avec d''autres polypiers, formait alors des ensembles compacts et inextricables appelés " macciota ", et sur lesquels je remarquai d''admirables spécimens de corail rose.
    Mais bientôt les buissons se resserrèrent, les arborisations grandirent. De véritables taillis pétrifiés et de longues travées d''une architecture fantaisiste s''ouvrirent devant nos pas. Le capitaine Nemo s''engagea sous une obscure galerie dont la pente douce nous conduisit à une profondeur de cent mètres. La lumière de nos serpentins produisait parfois des effets magiques, en s''accrochant aux rugueuses aspérités de ces arceaux naturels et aux pendentifs disposés comme des lustres, qu''elle piquait de pointes de feu. Entre les arbrisseaux coralliens, j''observai d''autres polypes non moins curieux, des mélites, des iris aux ramifications articulées, puis quelques touffes de corallines, les unes vertes, les autres rouges, véritables algues encroûtées dans leurs sels calcaires, que les naturalistes, après longues discussions, ont définitivement rangées dans le règne végétal. Mais, suivant la remarque d''un penseur, " c''est peut-être là le point réel où la vie obscurément se soulève du sommeil de pierre, sans se détacher encore de ce rude point de départ ".
    Enfin, après deux heures de marche, nous avions atteint une profondeur de trois cents mètres environ, c''est-à-dire la limite extrême sur laquelle le corail commence à se former. Mais là, ce n''était plus le buisson isolé, ni le modeste taillis de basse futaie. C''était la forêt immense, les grandes végétations minérales, les énormes arbres pétrifiés, réunis par des guirlandes d''élégantes plumarias, ces lianes de la mer, toutes parées de nuances et de reflets. Nous passions librement sous leur haute ramure perdue dans l''ombre des flots, tandis qu''à nos pieds, les tubipores, les méandrines, les astrées, les fongies, les cariophylles, formaient un tapis de fleurs, semé de gemmes éblouissantes.
    Quel indescriptible spectacle! Ah! que ne pouvions-nous communiquer nos sensations! Pourquoi étions-nous emprisonnés sous ce masque de métal et de verre! Pourquoi les paroles nous étaient-elles inter***es de l''un à l''autre! Que ne vivions-nous, du moins, de la vie de ces poissons qui peuplent le liquide élément, ou plutôt encore de celle de ces amphibies qui, pendant de longues heures, peuvent parcourir, au gré de leur caprice, le double domaine de la terre et des eaux!
    Cependant, le capitaine Nemo s''était arrêté. Mes compagnons et mol nous suspendîmes notre marche, et, me retournant, je vis que ses hommes formaient un demi-cercle autour de leur chef. En regardant avec plus d''attention, j''observai que quatre d''entre eux portaient sur leurs épaules un objet de forme oblongue.
    Nous occupions, en cet endroit. Le centre d''une vaste clairière, entourée par les hautes arborisations de la forêt sous-marine. Nos lampes projetaient sur cet espace une sorte de clarté crépusculaire qui allongeait démesurément les ombres sur le sol. A la limite de la clairière, l''obscurité redevenait profonde, et ne recueillait que de petites étincelles retenues par les vives arêtes du corail.
    Ned Land et Conseil étaient près de moi. Nous regardions, et il me vint à la pensée que j''allais assister a une scène étrange. En observant le sol, je vis qu''il était gonflé, en de certains points, par de légères extumescences encroûtées de dépôts calcaires, et disposées avec une régularité qui trahissait la main de l''homme.
    Au milieu de la clairière, sur un piédestal de rocs grossièrement entassés, se dressait une croix de corail, qui étendait ses longs bras qu''on eût *** faits d''un sang pétrifié.
    Sur un signe du capitaine Nemo, un de ses hommes s''avança, et à quelques pieds de la croix, il commença à creuser un trou avec une pioche qu''il détacha de sa ceinture.
    Je compris tout! Cette clairière c''était un cimetière, ce trou, une tombe, cet objet oblong, le corps de l''homme mort dans la nuit! Le capitaine Nemo et les siens venaient enterrer leur compagnon dans cette demeure commune, au fond de cet inaccessible Océan!
    Non! jamais mon esprit ne fut surexcité à ce point! Jamais idées plus impressionnantes n''envahirent mon cerceau! Je ne voulais pas voir ce que voyait mes yeux!
    Cependant, la tombe se creusait lentement. Les poissons fuyaient çà et là leur retraite troublée. J''entendais résonner, sur le sol calcaire, le fer du pic qui étincelait parfois en heurtant quelque silex perdu au fond des eaux. Le trou s''allongeait, s''élargissait, et bientôt il fut assez profond pour recevoir le corps.
    Alors, les porteurs s''approchèrent. Le corps, enveloppé dans un tissu de byssus blanc, descen*** dans sa humide tombe. Le capitaine Nemo, les bras croisés sur la poitrine, et tous les amis de celui qui les avait aimés s''agenouillèrent dans l''attitude de la prière... Mes deux compagnons et moi, nous nous étions religieusement inclinés.
    La tombe fut alors recouverte des débris arrachés au sol, qui formèrent un léger renflement.
    Quand ce fut fait, le capitaine Nemo et ses hommes se redressèrent; puis, se rapprochant de la tombe, tous fléchirent encore le genou, et tous étendirent leur main en signe de suprême adieu...
    Alors, la funèbre troupe reprit le chemin du Nautilus, repassant sous les arceaux de la forêt, au milieu des taillis, le long des buissons de corail, et toujours montant.
    Enfin, les feux du bord apparurent. Leur traînée lumineuse nous guida jusqu''au Nautilus. A une heure, nous étions de retour.
    Dès que mes vêtements furent changés, je remontai sur la plate-forme, et, en proie à une terrible obsession d''idées, j''allai m''asseoir près du fanal.
    Le capitaine Nemo me rejoignit. Je me levai et lui dis:
    " Ainsi, suivant mes prévisions, cet homme est mort dans la nuit?
    - Oui, monsieur Aronnax, répon*** le capitaine Nemo.
    - Et il repose maintenant près de ses compagnons, dans ce cimetière de corail?
    - Oui, oubliés de tous, mais non de nous! Nous creusons la tombe, et les polypes se chargent d''y sceller nos morts pour l''éternité! "
    Et cachant d''un geste brusque son visage dans ses mains crispées, le capitaine essaya vainement de comprimer un sanglot. Puis il ajouta:
    " C''est là notre paisible cimetière, à quelques centaines de pieds au-dessous de la surface des flots!
    - Vos morts y dorment, du moins, tranquilles, capitaine, hors de l''atteinte des requins!
    - Oui, monsieur, répon*** gravement le capitaine Nemo, des requins et des hommes! "
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    Fin du chapitre XXIII
  10. JogReloaded

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    Fin de la première partie.

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