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Vingt mille lieues sous les mers (Jules Verne - Hai vạn dặm dưới biển)

Chủ đề trong 'Tác phẩm Văn học' bởi JogReloaded, 25/08/2004.

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  1. JogReloaded

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    XXXIV - LES HOUILLERES SOUS-MARINES
    Le lendemain, 20 février, je me réveillais fort tard. Les fatigues de la nuit avaient prolongé mon sommeil jusqu''à onze heures. Je m''habillai promptement. J''avais hâte de connaître la direction du Nautilus. Les instruments m''indiquèrent qu''il courait toujours vers le sud avec une vitesse de vingt milles à l''heure par une profondeur de cent mètres.
    Conseil entra. Je lui racontai notre excursion nocturne, et, les panneaux étant ouverts, il put encore entrevoir une partie de ce continent submergé.
    En effet, le Nautilus rasait à dix mètres du sol seulement la plaine de l''Atlantide. Il filait comme un ballon emporté par le vent au-dessus des prairies terrestres; mais il serait plus vrai de dire que nous étions dans ce salon comme dans le wagon d''un train express. Les premiers plans qui passaient devant nos yeux, c''étaient des rocs découpés fantastiquement, des forêts d''arbres passés du règne végétal au règne animal, et dont l''immobile silhouette grimaçait sous les flots. C''étaient aussi des masses pierreuses enfouies sous des tapis d''axidies et d''anémones, hérissées de longues hydrophytes verticales, puis des blocs de laves étrangement contournés qui attestaient toute la fureur des expansions plutoniennes.
    Tandis que ces sites bizarres resplendissaient sous nos feux électriques, je racontais à Conseil l''histoire de ces Atlantes, qui, au point de vue purement imaginaire, inspirèrent à Bailly tant de pages charmantes. Je lui disais les guerres de ces peuples héroïques. Je discutais la question de l''Atlantide en homme qui ne peut plus douter. Mais Conseil, distrait, m''écoutait peu, et son indifférence à traiter ce point historique me fut bientôt expliquée.
    En effet, de nombreux poissons attiraient ses regards, et quand passaient des poissons, Conseil, emporté dans les abîmes de la classification, sortait du monde réel. Dans ce cas, je n''avais plus qu''à le suivre et à reprendre avec lui nos études ichtyologiques.
    Du reste, ces poissons de l''Atlantique ne différaient pas sensiblement de ceux que nous avions observés jusqu''ici. C''étaient des raies d''une taille gigantesque, longues de cinq mètres et douées d''une grande force musculaire qui leur permet de s''élancer au-dessus des flots, des squales d''espèces diverses, entre autres, un glauque de quinze pieds, à dents triangulaires et aiguës, que sa transparence rendait presque invisible au milieu des eaux, des sagres bruns, des humantins en forme de prismes et cuirassés d''une peau tuberculeuse, des esturgeons semblables à leurs congénères de la Mé***erranée, des syngnathes-trompettes, longs d''un pied et demi, jaune-brun, pourvus de petites nageoires grises, sans dents ni langue, et qui défilaient comme de fins et souples serpents.
    Parmi les poissons osseux, Conseil nota des makairas noirâtres, longs de trois mètres et armés à leur mâchoire supérieure d''une épée perçante, des vives, aux couleurs animées, connues du temps d''Aristote sous le nom de dragons marins et que les aiguillons de leur dorsale rendent très dangereux à saisir, puis, des coryphèmes, au dos brun rayé de petites raies bleues et encadré dans une bordure d''or, de belles dorades, des chrysostones-lune, sortes de disques à reflets d''azur, qui, éclairés en dessus par les rayons solaires, formaient comme des taches d''argent, enfin des xyphias-espadons, longs de huit mètres, marchant par troupes, portant des nageoires jaunâtres taillées en faux et de longs glaives de six pieds, intrépides animaux, plutôt herbivores que piscivores, qui obéissaient au moindre signe de leurs femelles comme des maris bien stylés.
    Mais tout en observant ces divers échantillons de la faune marine, je ne laissais pas d''examiner les longues plaines de l''Atlantide. Parfois, de capricieux accidents du sol obligeaient le Nautilus à ralentir sa vitesse, et il se glissait alors avec l''adresse d''un cétacé dans d''étroits étranglements de collines. Si ce labyrinthe devenait inextricable, l''appareil s''élevait alors comme un aérostat, et l''obstacle franchi, il reprenait sa course rapide à quelques mètres au-dessus du fond. Admirable et charmante navigation, qui rappelait les manoeuvres d''une promenade aérostatique, avec cette différence toutefois que le Nautilus obéissait passivement à la main de son timonier.
    Vers quatre heures du soir, le terrain, généralement composé d''une vase épaisse et entremêlée de branches minéralisées, se modifia peu à peu, il devint plus rocailleux et parut semé de conglomérats, de tufs basaltiques, avec quelques semis de laves et d''obsidiennes sulfureuses. Je pensai que la région des montagnes allait bientôt succéder aux longues plaines, et, en effet, dans certaines évolutions du Nautilus, j''aperçus l''horizon méridional barré par une haute muraille qui semblait fermer toute issue. Son sommet dépassait évidemment le niveau de l''Océan. Ce devait être un continent, ou tout au moins une île, soit une des Canaries, soit une des îles du cap Vert. Le point n''ayant pas été fait - à dessein peut-être - j''ignorais notre position. En tout cas, une telle muraille me parut marquer la fin de cette Atlantide, dont nous n''avions parcouru, en somme, qu''une minime portion.
    La nuit n''interrompit pas mes observations. J''étais resté seul. Conseil avait regagné sa cabine. Le Nautilus, ralentissant son allure, voltigeait au-dessus des masses confuses du sol, tantôt les effleurant comme s''il eût voulu s''y poser, tantôt remontant capricieusement à la surface des flots. J''entrevoyais alors quelques vives constellations à travers le cristal des eaux, et précisément cinq ou six de ces étoiles zodiacales qui traînent à la queue d''Orion.
    Longtemps encore, je serais resté à ma vitre, admirant les beautés de la mer et du ciel, quand les panneaux se refermèrent. A ce moment, le Nautilus était arrivé à l''aplomb de la haute muraille. Comment manoeuvrerait-il, je ne pouvais le deviner. Je regagnai ma chambre. Le Nautilus ne bougeait plus. Je m''endormis avec la ferme intention de me réveiller après quelques heures de sommeil.
    Mais, le lendemain, il était huit heures lorsque je revins au salon. Je regardai le manomètre. Il m''apprit que le Nautilus flottait à la surface de l''Océan. J''entendais, d''ailleurs, un bruit de pas sur la plate-forme. Cependant aucun roulis ne trahissait l''ondulation des lames supérieures.
    Je montai jusqu''au panneau. Il était ouvert. Mais, au lieu du grand jour que j''attendais, je me vis environné d''une obscurité profonde. Où étions-nous? M''étais-je trompé? Faisait-il encore nuit? Non! Pas une étoile ne brillait, et la nuit n''a pas de ces ténèbres absolues.
    Je ne savais que penser, quand une voix me ***:
    " C''est vous, monsieur le professeur?
    - Ah! capitaine Nemo, répondis-je, où sommes-nous?
    - Sous terre, monsieur le professeur.
    - Sous terre! m''écriai-je! Et le Nautilus flotte encore?
    - Il flotte toujours.
    - Mais, je ne comprends pas?
    - Attendez quelques instants. Notre fanal va s''allumer, et, si vous aimez les situations claires, vous serez satisfait. "
    Je mis le pied sur la plate-forme et j''attendis. L''obscurité était si complète que je n''apercevais même pas le capitaine Nemo. Cependant, en regardant au zénith, exactement au-dessus de ma tête, je crus saisir une lueur indécise, une sorte de demi-jour qui emplissait un trou circulaire. En ce moment, le fanal s''alluma soudain, et son vif éclat fit évanouir cette vague lumière.
    Je regardai, après avoir un instant fermé mes yeux éblouis par le jet électrique. Le Nautilus était stationnaire. Il flottait auprès d''une berge disposée comme un quai. Cette mer qui le supportait en ce moment, c''était un lac emprisonné dans un cirque de murailles qui mesurait deux milles de diamètre, soit six milles de tour. Son niveau, - le manomètre l''indiquait - ne pouvait être que le niveau extérieur, car une communication existait nécessairement entre ce lac et la mer. Les hautes parois, inclinées sur leur base, s''arrondissaient en voûte et figuraient un immense entonnoir retourné, dont la hauteur comptait cinq ou six cents mètres. Au sommet s''ouvrait un orifice circulaire par lequel j''avais surpris cette légère clarté, évidemment due au rayonnement diurne.
    Avant d''examiner plus attentivement les dispositions intérieures de cette énorme ****rne, avant de me demander si c''était là l''ouvrage de la nature ou de l''homme, j''allai vers le capitaine Nemo.
    " Où sommes-nous? dis-je.
    - Au centre même d''un volcan éteint, me répon*** le capitaine, un volcan dont la mer a envahi l''intérieur à la suite de quelque convulsion du sol. Pendant que vous dormiez, monsieur le professeur, le Nautilus a pénétré dans ce lagon par un canal naturel ouvert à dix mètres au-dessous de la surface de l''Océan. C''est ici son port d''attache, un port sûr, commode, mystérieux, abrité de tous les rhumbs du vent! Trouvez-moi sur les côtes de vos continents ou de vos îles une rade qui vaille ce refuge assuré contre la fureur des ouragans.
    - En effet, répondis-je, ici vous êtes en sûreté, capitaine Nemo. Qui pourrait vous atteindre au centre d''un volcan? Mais, à son sommet, n''ai-je pas aperçu une ouverture?
    - Oui, son cratère, un cratère empli jadis de laves, de vapeurs et de flammes, et qui maintenant donne passage à cet air vivifiant que nous respirons.
    - Mais quelle est donc cette montagne volcanique? demandai-je.
    - Elle appartient à un des nombreux îlots dont cette mer est semée. Simple écueil pour les navires, pour nous ****rne immense. Le hasard me l''a fait découvrir, et, en cela, le hasard m''a bien servi.
    - Mais ne pourrait-on descendre par cet orifice qui forme le cratère du volcan?
    - Pas plus que je ne saurais y monter. Jusqu''à une centaine de pieds, la base intérieure de cette montagne est praticable, mais au-dessus, les parois surplombent, et leurs rampes ne pourraient être franchies.
    - Je vois, capitaine, que la nature vous sert partout et toujours. Vous êtes en sûreté sur ce lac, et nul que vous n''en peut visiter les eaux. Mais, à quoi bon
    ce refuge? Le Nautilus n''a pas besoin de port.
    - Non, monsieur le professeur, mais il a besoin d''électricité pour se mouvoir, d''éléments pour produire son électricité, de sodium pour alimenter ses éléments, de charbon pour faire son sodium, et de houillères pour extraire son charbon. Or, précisément ici, la mer recouvre des forêts entières qui furent enlisées dans les temps géologiques; minéralisées maintenant et transformées en houille, elles sont pour moi une mine inépuisable.
    - Vos hommes, capitaine, font donc ici le métier de mineurs?
    - Précisément. Ces mines s''étendent sous les flots comme les houillères de Newcastle. C''est ici que, revêtus du scaphandre, le pic et la pioche à la main, mes hommes vont extraire cette houille, que je n''ai pas même demandée aux mines de la terre. Lorsque je brûle ce combustible pour la fabrication du sodium, la fumée qui s''échappe par le cratère de cette montagne lui donne encore l''apparence d''un volcan en activité.
    - Et nous les verrons à l''oeuvre, vos compagnons?
    - Non, pas cette fois, du moins, car je suis pressé de continuer notre tour du monde sous-marin. Aussi, me contenterai-je de puiser aux réserves de sodium que je possède. Le temps de les embarquer, c''est-à-dire un jour seulement, et nous reprendrons notre voyage. Si donc vous voulez parcourir cette ****rne et faire le tour du lagon, profitez de cette journée, monsieur Aronnax. "
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  2. JogReloaded

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    (suite)
    Je remerciai le capitaine, et j''allai chercher mes deux compagnons qui n''avaient pas encore quitté leur cabine. Je les invitai à me suivre sans leur dire où ils se trouvaient.
    Ils montèrent sur la plate-forme. Conseil, qui ne s''étonnait de rien, regarda comme une chose très naturelle de se réveiller sous une montagne après s''être endormi sous les flots. Mais Ned Land n''eut d''autre idée que de chercher si la ****rne présentait quelque issue.
    Après déjeuner, vers dix heures, nous descendions sur la berge.
    " Nous voici donc encore une fois à terre, *** Conseil.
    - Je n''appelle pas cela "la terre", répon*** le Canadien. Et d''ailleurs, nous ne sommes pas dessus, mais dessous. "
    Entre le pied des parois de la montagne et les eaux du lac se développait un rivage sablonneux qui, dans sa plus grande largeur, mesurait cinq cents pieds. Sur cette grève, on pouvait faire aisément le tour du lac. Mais la base des hautes parois formait un sol tourmenté, sur lequel gisaient, dans un pittoresque entassement, des blocs volcaniques et d''énormes pierres ponces. Toutes ces masses désagrégées, recouvertes d''un émail poli sous l''action des feux souterrains, resplendissaient au contact des jets électriques du fanal. La poussière micacée du rivage, que soulevaient nos pas, s''envolait comme une nuée d''étincelles.
    Le sol s''élevait sensiblement en s''éloignant du relais des flots, et nous Mmes bientôt arrivés à des rampes longues et sinueuses, véritables raidillons qui permettaient de s''élever peu à peu, mais il fallait marcher prudemment au milieu de ces - conglomérats, qu''aucun ciment ne reliait entre eux, et le pied glissait sur ces trachytes vitreux, faits de cristaux de feldspath et de quartz.
    La nature volcanique de cette énorme excavation s''affirmait de toutes parts. Je le fis observer à mes compagnons.
    " Vous figurez-vous, leur demandai-je, ce que devait être cet entonnoir, lorsqu''il s''emplissait de laves bouillonnantes, et que le niveau de ce liquide incandescent s''élevait jusqu''à l''orifice de la montagne, comme la fonte sur les parois d''un fourneau?
    - Je me le figure parfaitement, répon*** Conseil. Mais monsieur me dira-t-il pourquoi le grand fondeur a suspendu son opération, et comment il se fait que la fournaise est remplacée par les eaux tranquilles d''un lac?
    - Très probablement, Conseil, parce que quelque convulsion a produit au-dessous de la surface de l''Océan cette ouverture qui a servi de passage au Nautilus.
    Alors les eaux de l''Atlantique se sont précipitées à l''intérieur de la montagne. Il y a eu lutte terrible entre les deux éléments, lutte qui s''est terminée à l''avantage de Neptune. Mais bien des siècles se sont écoulés depuis lors, et le volcan submergé s''est changé en grotte paisible.
    - Très bien, répliqua Ned Land. J''accepte l''explication, mais je regrette, dans notre intérêt, que cette ouverture dont parle monsieur le professeur ne soit pas produite au-dessus du niveau de la mer.
    - Mais, ami Ned, répliqua Conseil, si ce passage n''eût pas été sous-marin, le Nautilus n''aurait pu y pénétrer!
    - Et j''ajouterai, maître Land, que les eaux ne se seraient pas précipitées sous la montagne et que le volcan serait resté volcan. Donc vos regrets sont superflus. "
    Notre ascension continua. Les rampes se faisaient de plus en plus raides et étroites. De profondes excavations les coupaient parfois, qu''il fallait franchir. Des masses surplombantes voulaient être tournées. On se glissait sur les genoux, on rampait sur le ventre. Mais, l''adresse de Conseil et la force du Canadien aidant, tous les obstacles furent surmontés.
    A une hauteur de trente mètres environ, la nature du terrain se modifia, sans qu''il devînt plus praticable. Aux conglomérats et aux trachytes succédèrent de noirs basaltes; ceux-ci étendus par nappes toutes grumelées de soufflures; ceux-là formant des prismes réguliers, disposés comme une colonnade qui supportait les retombées de cette voûte immense, admirable spécimen de l''architecture naturelle. Puis, entre ces basaltes serpentaient de longues coulées de laves refroidies, incrustées de raies bitumineuses, et, par places, s''étendaient de larges tapis de soufre. Un jour plus puissant, entrant par le cratère supérieur, inondait d''une vague clarté toutes ces déjections volcaniques, à jamais ensevelies au sein de la montagne éteinte.
    Cependant, notre marche ascensionnelle fut bientôt arrêtée, à une hauteur de deux cent cinquante pieds environ, par d''infranchissables obstacles. La voussure intérieure revenait en surplomb, et la montée dut se changer en promenade circulaire. A ce dernier plan, le règne végétal commençait à lutter avec le règne minéral. Quelques arbustes et même certains arbres sortaient des anfractuosités de la paroi. Je reconnus des euphorhes qui laissaient couler leur suc caustique. Des héliotropes, très inhabiles à justifier leur nom, puisque les rayons solaires n''arrivaient jamais jusqu''à eux, penchaient tristement leurs grappes de fleurs aux couleurs et aux parfums à demi passés. ?à et là, quelques chrysanthèmes poussaient timidement au pied d''aloès à longues feuilles tristes et maladifs. Mais, entre les coulées de laves, j''aperçus de petites violettes, encore parfumées d''une légère odeur, et j''avoue que je les respirai avec délices. Le parfum, c''est l''âme de la fleur, et les fleurs de la mer, ces splendides hydrophytes, n''ont pas d''âme!
    Nous étions arrivés au pied d''un bouquet de dragonniers robustes, qui écartaient les roches sous l''effort de leurs musculeuses racines, quand Ned Land s''écria:
    " Ah! monsieur, une ruche!
    - Une ruche! répliquai-je, en faisant un geste de parfaite incrédulité.
    - Oui! une ruche, répéta le Canadien, et des abeilles qui bourdonnent autour. "
    Je m''approchai et je dus me rendre à l''évidence. Il y avait là, à l''orifice d''un trou creusé dans le trou d''un dragonnier, quelques milliers de ces ingénieux insectes, si communs dans toutes les Canaries, et dont les produits y sont particulièrement estimés.
    Tout naturellement, le Canadien voulut faire sa provision de miel, et j''aurais eu mauvaise grâce à m''y opposer. Une certaine quantité de feuilles sèches mélangées de soufre s''allumèrent sous l''étincelle de son briquet, et il commença à enfumer les abeilles. Les bourdonnements cessèrent peu à peu, et la ruche éventrée livra plusieurs livres d''un miel parfumé. Ned Land en remplit son havresac.
    " Quand j''aurai mélangé ce miel avec la pâte de l''artocarpus, nous ***-il, je serai en mesure de vous offrir un gâteau succulent.
    - Parbleu! fit Conseil, ce sera du pain d''épice.
    - Va pour le pain d''épice, dis-je, mais reprenons cette intéressante promenade. "
    A certains détours du sentier que nous suivions alots, le lac apparaissait dans toute son étendue. Le fanal éclairait en entier sa surface paisible qui ne connaissait ni les rides ni les ondulations. Le Nautilus gardait une immobilité parfaite. Sur sa plate-forme et sur la berge s''agitaient les hommes de son équipage, ombres noires nettement découpées au milieu de cette lumineuse atmosphère.
    En ce moment, nous contournions la crête la plus élevée de ces premiers plans de roches qui soutenaient la voûte. Je vis alors que les abeilles n''étaient pas les seuls représentants du règne animal à l''intérieur de ce volcan. Des oiseaux de proie planaient et tournoyaient çà et là dans l''ombre, ou s''enfuyaient de leurs nids perchés sur des pointes de roc. C''étaient des éperviers au ventre blanc, et des crécelles criardes. Sur les pentes détalaient aussi, de toute la rapi***é de leurs échasses, de belles et grasses outardes. Je laisse à penser si la convoitise du Canadien fut allumée à la vue de ce gibier savoureux, et s''il regretta de ne pas avoir un fusil entre ses mains. Il essaya de remplacer le plomb par les pierres, et après plusieurs essais infructueux, il parvint à blesser une de ces magnifiques outardes. Dire qu''il risqua vingt fois sa vie pour s''en emparer, ce n''est que vérité pure, mais il fit si bien que l''animal alla rejoindre dans son sac les gâteaux de miel.
    Nous dûmes alors redescendre vers le rivage, car la crête devenait impraticable. Au-dessus de nous, le cratère béant apparaissait comme une large ouverture de puits. De cette place, le ciel se laissait distinguer assez nettement, et je voyais courir des nuages échevelés par le vent d''ouest, qui laissaient traîner jusqu''au sommet de la montagne leurs brumeux haillons. Preuve certaine que ces nuages se tenaient à une hauteur médiocre, car le volcan ne s''élevait pas à plus de huit cents pieds au-dessus du niveau de l''Océan.
    Une demi-heure après le dernier exploit du Canadien nous avions regagné le rivage intérieur. Ici, la flore était représentée par de larges tapis de cette criste-marine, petite plante ombellifère très bonne à confire, qui porte aussi les noms de perce-pierre, de passe-pierre et de fenouil-marin. Conseil en récolta quelques bottes. Quant à la faune, elle comptait pas milliers des crustacés de toutes sortes, des homards, des crabes-tourteaux, des palémons, des mysis, des faucheurs, des galatées et un nombre prodigieux de coquillages, porcelaines, rochers et patelles.
    En cet endroit s''ouvrait une magnifique grotte. Mes compagnons et moi nous prîmes plaisir à nous étendre sur son sable fin. Le feu avait poli ses parois émaillées et étincelantes, toutes saupoudrées de la poussière du mica. Ned Land en tâtait les murailles et cherchait à sonder leur épaisseur. Je ne pus m''empêcher de sourire. La conversation se mit alors sur ses éternels projets d''évasion, et je crus pouvoir, sans trop m''avancer, lui donner cette espérance: c''est que le capitaine Nemo n''était descendu au sud que pour renouveler sa provision de sodium. J''espérais donc que, maintenant, il rallierait les côtes de l''Europe et de l''Amérique; ce qui permettrait au Canadien de reprendre avec plus de succès sa tentative avortée.
    Nous étions étendus depuis une heure dans cette grotte charmante. La conversation, animée au début, languissait alors. Une certaine somnolence s''emparait de nous. Comme je ne voyais aucune raison de résister au sommeil, je me laissai aller à un assoupissement profond. Je rêvais - on ne choisit pas ses rêves - je rêvais que mon existence se réduisait à la vie végétative d''un simple mollusque. Il me semblait que cette grotte formait la double valve de ma coquille...
    Tout d''un coup, je fus réveillé par la voix de Conseil.
    " Alerte! Alerte! criait ce digne garçon.
    - Qu''y a-t-il? demandai-je, me soulevant à demi.
    - L''eau nous gagne! "
    Je me redressai. La mer se précipitait comme un torrent dans notre retraite, et, décidément, puisque nous n''étions pas des mollusques, il fallait se sauver.
    En quelques instants, nous fûmes en sûreté sur le sommet de la grotte même.
    " Que se passe-t-il donc? demanda Conseil. Quelque nouveau phénomène?
    - Eh non! mes amis, répondis-je, c''est la marée, ce n''est que la marée qui a failli nous surprendre comme le héros de Walter Scott! L''Océan se gonfle au-dehors, et par une loi toute naturelle d''équilibre, le niveau du lac monte également. Nous en sommes quittes pour un demi-bain. Allons nous changer au Nautilus. "
    Trois quarts d''heure plus tard, nous avions achevé notre promenade circulaire et nous rentrions à bord. Les hommes de l''équipage achevaient en ce moment d''embarquer les provisions de sodium, et le Nautilusaurait pu partir à l''instant.
    Cependant, le capitaine Nemo ne donna aucun ordre. Voulait-il attendre la nuit et sortir secrètement par son passage sous-marin? Peut-être.
    Quoi qu''il en soit, le lendemain, le Nautilus, ayant quitté son port d''attache, naviguait au large de toute terre, et à quelques mètres au-dessous des flots de l''Atlantique.
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    Fin du chapitre XXXIV
  3. JogReloaded

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    XXXV - LA MER DE SARGASSES
    La direction du Nautilus ne s''était pas modifiée. Tout espoir de revenir vers les mers européennes devait donc être momentanément rejeté. Le capitaine Nemo maintenait le cap vers le sud. Où nous entraînait-il? Je n''osais l''imaginer.
    Ce jour-là, le Nautilus traversa une singulière portion de l''Océan atlantique. Personne n''ignore l''existence de ce grand courant d''eau chaude connu sous le nom de Gulf Stream. Après être sorti des canaux de Floride il se dirige vers le Spitzberg. Mais avant de pénétrer dans le golfe du Mexique, vers le quarante-quatrième degré de latitude nord, ce courant se divise en deux bras; le principal se porte vers les côtes d''Irlande et de Norvège, tandis que le second fléchit vers le sud à la hauteur des Acores; puis frappant les rivages africains et décrivant un ovale allongé, il revient vers les Antilles.
    Or, ce second bras - c''est plutôt un collier qu''un bras - entoure de ses anneaux d''eau chaude cette portion de l''Océan froide, tranquille, immobile, que l''on appelle la mer de Sargasses. Véritable lac en plein Atlantique, les eaux du grand courant ne mettent pas moins de trois ans à en faire le tour.
    La mer de Sargasses, à proprement parler, couvre toute la partie immergée de
    l''Atlantide. Certains auteurs ont même admis que ces nombreuses herbes dont elle est semée sont arrachées aux prairies de cet ancien continent. Il est plus probable, cependant, que ces herbages, algues et fucus, enlevés au rivage de l''Europe et de l''Amérique, sont entraînés jusqu''à cette zone par le Gulf Stream. Ce fut là une des raisons qui amenèrent Colomb à supposer l''existence d''un nouveau monde. Lorsque les navires de ce hardi chercheur arrivèrent à la mer de Sargasses, ils naviguèrent non sans peine au milieu de ces herbes qui arrêtaient leur marche au grand effroi des équipages, et ils perdirent trois longues semaines à les traverser.
    Telle était cette région que le Nautilus visitait en ce moment, une prairie véritable, un tapis serré d''algues, de fucus natans, de raisins du tropique, si épais, si compact, que l''étrave d''un bâtiment ne l''eût pas déchiré sans peine. Aussi, le capitaine Nemo, ne voulant pas engager son hélice dans cette masse herbeuse, se tint-il à quelques mètres de profondeur au-dessous de la surface des flots.
    Ce nom de Sargasses vient du mot espagnol " sargazzo " qui signifie varech. Ce varech, le varech-nageur ou porte-baie, forme principalement ce banc immense. Et voici pourquoi, suivant le savant Maury, l''auteur de la Géographie physique du globe, ces hydrophytes se réunissent dans ce paisible bassin de l''Atlantique:
    " L''explication qu''on en peut donner, ***-il, me semble résulter d''une expérience connue de tout le monde. Si l''on place dans un vase des fragments de bouchons ou de corps flottants quelconques, et que l''on imprime à l''eau de ce vase un mouvement circulaire, on verra les fragments éparpillés se réunir en groupe au centre de la surface liquide, c''est-à-dire au point le moins agité. Dans le phénomène qui nous occupe, le vase, c''est l''Atlantique, le Gulf Stream, c''est le courant circulaire, et la mer de Sargasses, le point central où viennent se réunir les corps flottants. "
    Je partage l''opinion de Maury, et j''ai pu étudier le phénomène dans ce milieu spécial où les navires pénètrent rarement. Au-dessus de nous flottaient des corps de toute provenance, entassés au milieu de ces herbes brunâtres, des troncs d''arbres arrachés aux Andes ou aux Montagnes-Rocheuses et flottés par l''Amazone ou le Mississipi, de nombreuses épaves, des restes de quilles ou de carènes, des bordages défoncés et tellement alourdis par les coquilles et les anatifes qu''ils ne pouvaient remonter à la surface de l''Océan. Et le temps justifiera un jour cette autre opinion de Maury, que ces matières, ainsi accumulées pendant des siècles, se minéraliseront sous l''action des eaux et formeront alors d''inépuisables houillères. Réserve précieuse que prépare la prévoyante nature pour ce moment où les hommes auront épuisé les mines des continents.
    Au milieu de cet inextricable tissu d''herbes et de fucus, je remarquai de charmants alcyons stellés aux couleurs roses, des actinies qui laissaient traîner leur longue chevelure de tentacules, des méduses vertes, rouges, bleues, et particulièrement ces grandes rhizostomes de Cuvier, dont l''ombrelle bleuâtre est bordée d''un feston violet.
    Toute cette journée du 22 février se passa dans la mer de Sargasses, où les poissons, amateurs de plantes marines et de crustacés, trouvent une abondante nourriture. Le lendemain, l''Océan avait repris son aspect accoutume.
    Depuis ce moment, pendant dix-neuf jours, du 23 février au 12 mars, le Nautilus, tenant le milieu de l''Atlantique, nous emporta avec une vitesse constante de cent lieues par vingt-quatre heures. Le capitaine Nemo voulait évidemment accomplir son programme sous-marin et je ne doutais pas qu''il ne songeât, après avoir doublé le cap Horn, à revenir vers les mers australes du Pacifique.
    Ned Land avait donc eu raison de craindre. Dans ces larges mers, privées d''îles, il ne fallait plus tenter de quitter le bord. Nul moyen non plus de s''opposer aux volontés du capitaine Nemo. Le seul parti était de se soumettre; mais ce qu''on ne devait plus attendre de la force ou de la ruse, j''aimais à penser qu''on pourrait l''obtenir par la persuasion. Ce voyage terminé, le capitaine Nemo ne consentirait-il pas à nous rendre la liberté sous serment de ne jamais révéler son existence? Serment d''honneur que nous aurions tenu. Mais il fallait traiter cette délicate question avec le capitaine. Or, serais-je bien venu à réclamer cette liberté? Lui-même n''avait-il pas déclaré, dès le début et d''une façon formelle, que le secret de sa vie exigeait notre emprisonnement perpétuel à bord du Nautilus? Mon silence, depuis quatre mois, ne devait-il pas lui paraître une acceptation tacite de cette situation? Revenir sur ce sujet n''aurait-il pas pour résultat de donner des soupçons qui pourraient nuire à nos projets, si quelque circonstance favorable se présentait plus tard de les reprendre? Toutes ces raisons, je les pesais, je les retournais dans mon esprit, je les soumettais à Conseil qui n''était pas moins embarrassé que moi. En somme, bien que je ne fusse pas facile à décourager, je comprenais que les chances de jamais revoir mes semblables diminuaient de jour en jour, surtout en ce moment où le capitaine Nemo courait en téméraire vers le sud de l''Atlantique!
    Pendant les dix-neuf jours que j''ai mentionnés plus haut, aucun incident particulier ne signala notre voyage. Je vis peu le capitaine. Il travaillait. Dans la bibliothèque je trouvais souvent des livres qu''il laissait entr''ouverts, et surtout des livres d''histoire naturelle. Mon ouvrage sur les fonds sous-marins, feuilleté par lui, était couvert de notes en marge, qui contredisaient parfois mes théories et mes systèmes. Mais le capitaine se contentait d''épurer ainsi mon travail, et il était rare qu''il discutât avec moi. Quelquefois, j''entendais résonner les sons mélancoliques de son orgue, dont il jouait avec beaucoup d''expression, mais la nuit seulement, au milieu de la plus secrète obscurité, lorsque le Nautilus s''endormait dans les déserts de l''Océan.
    Pendant cette partie du voyage, nous naviguâmes des journées entières à la surface des flots. La mer était comme abandonnée. A peine quelques navires à voiles, en charge pour les Indes, se dirigeant vers le cap de Bonne-Espérance. Un jour nous fûmes poursuivis par les embarcations d''un baleinier qui nous prenait sans doute pour quelque énorme baleine d''un haut prix. Mais le capitaine Nemo ne voulut pas faire perdre à ces braves gens leur temps et leurs peines, et il termina la chasse en plongeant sous les eaux. Cet incident avait paru vivement intéresser Ned Land. Je ne crois pas me tromper en disant que le Canadien avait dû regretter que notre cétacé de tôle ne pût être frappé à mort par le harpon de ces pêcheurs.
    Les poissons observés par Conseil et par moi, pendant cette période, différaient peu de ceux que nous avions déjà étudiés sous d''autres latitudes. Les principaux furent quelques échantillons de ce terrible genre de cartilagineux, divisé en trois sous-genres qui ne comptent pas moins de trente-deux espèces: des squales-galonnés, longs de cinq mètres, à tête déprimée et plus large que le corps, à nageoire caudale arrondie, et dont le dos porte sept grandes bandes noires parallèles et longitudinales puis des squales-perlons, gris cendré, percés de sept ouvertures branchiales et pourvus d''une seule nageoire dorsale placée à peu près vers le milieu du corps.
    Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s''il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu''ils racontent. On a trouvé dans le corps de l''un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme; dans un autre, un soldat avec son sabre; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n''est pas article de foi. Toujours est-il qu''aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité.
    Des troupes élégantes et folâtres de dauphins nous accompagnèrent pendant des jours entiers. Ils allaient par bandes de cinq ou six, chassant en meute comme les loups dans les campagnes d''ailleurs, non moins voraces que les chiens de mer, si j''en crois un professeur de Copenhague, qui retira de l''estomac d''un dauphin treize marsouins et quinze phoques. C''était, il est vrai un épaulard, appartenant à la plus grande espèce connue, et dont la longueur dépasse quelquefois vingt-quatre pieds. Cette famille des delphiniens compte dix genres, et ceux que j''aperçus tenaient du genre des delphinorinques, remarquables par un museau excessivement étroit et quatre fois long comme le crâne. Leur corps, mesurant trois mètres, noir en dessus, était en dessous d''un blanc rosé semé de petites taches très rares.
    Je citerai aussi, dans ces mers, de curieux échantillons de ces poissons de l''ordre des acanthoptérigiens et de la famille des sciénoides. Quelques auteurs
    - plus poètes que naturalistes - prétendent que ces poissons chantent mélodieusement, et que leurs voix réunies forment un concert qu''un choeur de voix humaines ne saurait égaler. Je ne dis pas non, mais ces scènes ne nous donnèrent aucune sérénade à notre passage, et je le regrette.
    Pour terminer enfin, Conseil classa une grande quantité de poissons volants. Rien n''était plus curieux que de voir les dauphins leur donner la chasse avec une précision merveilleuse. Quelle que fût la portée de son vol, quelque trajectoire qu''il décrivît, même au-dessus du Nautilus, l''infortuné poisson trouvait toujours la bouche du dauphin ouverte pour le recevoir. C''étaient ou des pirapèdes, ou des trigles-milans, à bouche lumineuse, qui, pendant la nuit, après avoir tracé des raies de feu dans l''atmosphère, plongeaient dans les eaux sombres comme autant d''étoiles filantes.
    Jusqu''au 13 mars, notre navigation se continua dans ces con***ions. Ce jour-là, le Nautilus fut employé à des expériences de sondages qui m''intéressèrent vivement.
    Nous avions fait alors près de treize mille lieues depuis notre départ dans les hautes mers du Pacifique. Le point nous mettait par 450°37'' de latitude sud et 370°53'' de longitude ouest. C''étaient ces mêmes parages où le capitaine Denham de l''Hérald fila quatorze mille mètres de sonde sans trouver de fond. Là aussi, le lieutenant Parcker de la frégate américaine Congress n''avait pu atteindre le sol sous-marin par quinze mille cent quarante mètres.
    Le capitaine Nemo résolut d''envoyer son Nautilus à la plus extrême profondeur à fin de contrôler ces différents sondages. Je me préparai à noter tous les résultats de l''expérience. Les panneaux du salon furent ouverts, et les manoeuvres commencèrent pour atteindre ces couches si prodigieusement reculées.
    On pense bien qu''il ne fut pas question de plonger en remplissant les réservoirs. Peut-être n''eussent-ils pu accroître suffisamment la pesanteur spécifique du Nautilus. D''ailleurs, pour remonter, il aurait fallu chasser cette surcharge d''eau, et les pompes n''auraient pas été assez puissantes pour vaincre la pression extérieure.
    Le capitaine Nemo résolut d''aller chercher le fond océanique par une diagonale suffisamment allongée, au moyen de ses plans latéraux qui furent placés sous un angle de quarante-cinq degrés avec les lignes d''eau du Nautilus. Puis, l''hélice fut portée à son maximum de vitesse, et sa quadruple branche battit les flots avec une indescriptible violence.
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  4. JogReloaded

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    (suite)
    Sous cette poussée puissante, la coque du Nautilus frémit comme une corde sonore et s''enfonça régulièrement sous les eaux. Le capitaine et moi, postés dans le salon, nous suivions l''aiguille du manomètre qui déviait rapidement. Bientôt fut dépassée cette zone habitable où résident la plupart des poissons. Si quelques-uns de ces animaux ne peuvent vivre qu''à la surface des mers ou des fleuves, d''autres, moins nombreux, se tiennent à des profondeurs assez grandes. Parmi ces derniers, j''observais l''hexanche, espèce de chien de mer muni de six fentes respiratoires, le télescope aux yeux énormes, le malarmat-cuirassé, aux thoracines grises, aux pectorales noires, que protégeait son plastron de plaques osseuses d''un rouge pâle, puis enfin le grenadier, qui, vivant par douze cents mètres de profondeur, supportait alors une pression de cent vingt atmosphères.
    Je demandai au capitaine Nemo s''il avait observé des poissons à des profondeurs plus considérables.
    " Des poissons? me répon***-il, rarement. Mais dans l''état actuel de la science, que présume-t-on, que sait-on?
    - Le voici, capitaine. On sait que en allant vers les basses couches de l''Océan, la vie végétale disparaît plus vite que la vie animale. On sait que, là où se rencontrent encore des êtres animés, ne végète plus une seule hydrophyte. On sait que les pèlerines, les huîtres vivent par deux mille mètres d''eau, et que Mac Clintock, le héros des mers polaires, a retiré une étoile vivante d''une profondeur de deux mille cinq cents mètres. On sait que l''équipage du Bull-Dog, de la Marine Royale, a pêché une astérie par deux mille six cent vingt brasses, soit plus d''une lieue de profondeur. Mais, capitaine Nemo, peut-être me direz-vous qu''on ne sait rien?
    - Non, monsieur le professeur, répon*** le capitaine, je n''aurai pas cette impolitesse. Toutefois, je vous demanderai comment vous expliquez que des êtres puissent vivre à de telles profondeurs?
    - Je l''explique par deux raisons, répondis-je. D''abord, parce que les courants verticaux, déterminés par les différences de salure et de densité des eaux, produisent un mouvement qui suffit à entretenir la vie rudimentaire des encrines et des astéries.
    - Juste, fit le capitaine.
    - Ensuite, parce que, si l''oxygène est la base de la vie, on sait que la quantité d''oxygène dissous dans l''eau de mer augmente avec la profondeur au lieu de diminuer. et que la pression des couches basses contribue à l''y comprimer.
    - Ah! on sait cela? répon*** le capitaine Nemo, d''un ton légèrement surpris. Eh bien, monsieur le professeur. on a raison de le savoir, car c''est la vérité. J''ajouterai, en effet, que la vessie natatoire des poissons renferme plus d''azote que d''oxygène, quand ces animaux sont pêchés à la surface des eaux, et plus d''oxygène que d''azote, au contraire, quand ils sont tirés des grandes profondeurs. Ce qui donne raison à votre système. Mais continuons nos observations. "
    Mes regards se reportèrent sur le manomètre. L''instrument indiquait une profondeur de six mille mètres. Notre immersion durait depuis une heure. Le Nautilus, glissant sur ses plans inclinés, s''enfonçait toujours. Les eaux désertes étaient admirablement transparentes et d''une diaphanité que rien ne saurait peindre. Une heure plus tard, nous étions par treize mille mètres - trois lieues et quart environ - et le fond de l''Océan ne se laissait pas pressentir.
    Cependant, par quatorze mille mètres, j''aperçus des pics noirâtres qui surgissaient au milieu des eaux. Mais ces sommets pouvaient appartenir à des montagnes hautes comme l''Hymalaya ou le Mont-Blanc, plus hautes même, et la profondeur de ces abîmes demeurait inévaluable.
    Le Nautilus descen*** plus bas encore, malgré les puissantes pressions qu''il subissait. Je sentais ses tôles trembler sous la jointure de leurs boulons; ses barreaux s''arquaient; ses cloisons gémissaient; les vitres du salon semblaient se gondoler sous la pression des eaux. Et ce solide appareil eût cédé sans doute. si, ainsi que l''avait *** son capitaine, il n''eût été capable de résister comme un bloc plein.
    En rasant les pentes de ces roches perdues sous les eaux, j''apercevais encore quelques coquilles, des serpuls, des spinorbis vivantes, et certains échantillons d''astéries.
    Mais bientôt ces derniers représentants de la vie animale disparurent, et, au-dessous de trois lieues, le Nautilus dépassa les limites de l''existence sous-marine, comme fait le ballon qui s''élève dans les airs au-dessus des zones respirables. Nous avions atteint une profondeur de seize mille mètres - quatre lieues - et les flancs du Nautilus supportaient alors une pression de seize cents atmosphères, c''est-à-dire seize cents kilogrammes par chaque centimètre carré de sa surface!
    " Quelle situation! m''écriai-je. Parcourir dans ces régions profondes où l''homme n''est jamais parvenu! Voyez, capitaine, voyez ces rocs magnifiques, ces grottes inhabitées, ces derniers réceptacles du globe, où la vie n''est plus possible! Quels sites inconnus et pourquoi faut-il que nous soyons réduits à n''en conserver que le souvenir?
    - Vous plairait-il, me demanda le capitaine Nemo, d''en rapporter mieux que le souvenir?
    - Que voulez-vous dire par ces paroles?
    - Je veux dire que rien n''est plus facile que de prendre une vue photographique de cette régions sous-marine! "
    Je n''avais pas eu le temps d''exprimer la surprise que me causait cette nouvelle proposition, que sur un appel du capitaine Nemo, un objectif était apporté dans le salon. Par les panneaux largement ouverts, le milieu liquide éclairé électriquement, se distribuait avec une clarté parfaite. Nulle ombre, nulle dégradation de notre lumière factice. Le soleil n''eût pas été plus favorable à une opération de cette nature. Le Nautilus, sous la poussée de son hélice, maîtrisée par l''inclinaison de ses plans, demeurait immobile. L''instrument fut braqué sur ces sites du fond océanique, et en quelques secondes. nous avions obtenu un négatif d''une extrême pureté.
    C''est l''épreuve positive que j''en donne ici. On y voit ces roches primordiales qui n''ont jamais connu la lumière des cieux, ces granits inférieurs qui forment la puissante assise du globe, ces grottes profondes évidées dans la masse pierreuse, ces profils d''une incomparable netteté et dont le trait terminal se détache en noir, comme s''il était dû au pinceau de certains artistes flamands. Puis, au-delà, un horizon de montagnes, une admirable ligne ondulée qui compose les arrière-plans du paysage. Je ne puis décrire cet ensemble de roches lisses. noires, polies, sans une mousse, sans une tache, aux formes étrangement découpées et solidement établies sur ce tapis de sable qui étincelait sous les jets de la lumière électrique.
    Cependant, le capitaine Nemo, après avoir terminé son opération, m''avait ***:
    " Remontons monsieur le professeur. Il ne faut pas abuser de cette situation ni exposer trop longtemps le Nautilus à de pareilles pressions.
    - Remontons! répondis-je.
    - Tenez-vous bien. "
    Je n''avais pas encore eu le temps de comprendre pourquoi le capitaine me faisait cette recommandation, quand je fus précipité sur le tapis.
    Son hélice embrayée sur un signal du capitaine, ses plans dressés verticalement, le Nautilus, emporté comme un ballon dans les airs, s''enlevait avec une rapi***é foudroyante. Il coupait la masse des eaux avec un frémissement sonore. Aucun détail n''était visible. En quatre minutes, il avait franchi les quatre lieues qui le séparaient de la surface de l''Océan, et, après avoir émergé comme un poisson volant, il retombait en faisant jaillir les flots à une prodigieuse hauteur.
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    Fin du chapitre XXXV
  5. JogReloaded

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    XXXVI - CACHALOTS ET BALEINES
    Pendant la nuit du 13 au 14 mars, le Nautilus reprit sa direction vers le sud. Je pensais qu''à la hauteur du cap Horn, il mettrait le cap à l''ouest afin de rallier les mers du Pacifique et d''achever son tour du monde. Il n''en fit rien et continua de remonter vers les régions australes. Où voulait-il donc aller? Au pôle? C''était insensé. Je commençai à croire que les témérités du capitaine justifiaient suffisamment les appréhensions de Ned Land.
    Le Canadien, depuis quelque temps, ne me parlait plus de ses projets de fuite. Il était devenu moins communicatif, presque silencieux. Je voyais combien cet emprisonnement prolongé lui pesait. Je sentais ce qui s''amassait de colère en lui. Lorsqu''il rencontrait le capitaine, ses yeux s''allumaient d''un feu sombre, et je craignais toujours que sa violence naturelle ne le portât à quelque extrémité.
    Ce jour-là, 14 mars, Conseil et lui vinrent me trouver dans ma chambre. Je leur demandai la raison de leur visite.
    " Une simple question à vous poser, monsieur, me répon*** le Canadien.
    - Parlez, Ned.
    - Combien d''hommes croyez-vous qu''il y ait à bord du Nautilus?
    - Je ne saurais le dire, mon ami.
    - Il me semble, reprit Ned Land, que sa manoeuvre ne nécessite pas un nombreux équipage.
    - En effet, répondis-je, dans les con***ions où il se trouve, une dizaine d''hommes au plus doivent suffire à le manoeuvrer.
    - Eh bien, *** le Canadien, pourquoi y en aurait-il davantage?
    - Pourquoi? " répliquai-je.
    Je regardai fixement Ned Land, dont les intentions étaient faciles à deviner.
    " Parce que, dis-je, si j''en crois mes pressentiments, si j''ai bien compris l''existence du capitaine, le Nautilus n''est pas seulement un navire. Ce doit être un lieu de refuge pour ceux qui, comme son commandant, ont rompu toute relation avec la terre.
    - Peut-être, *** Conseil, mais enfin le Nautilus ne peut contenir qu''un certain nombre d''hommes, et monsieur ne pourrait-il évaluer ce maximum?
    - Comment cela, Conseil?
    - Par le calcul. Étant donné la capacité du navire que monsieur connaît, et, par conséquent, la quantité d''air qu''il renferme; sachant d''autre part ce que chaque homme dépense dans l''acte de la respiration, et comparant ces résultats avec la nécessité où le Nautilus est de remonter toutes les vingt-quatre heures... "
    La phrase de Conseil n''en finissait pas, mais je vis bien où il voulait en
    venir.
    " Je te comprends, dis-je; mais ce calcul-là, facile à établir d''ailleurs, ne peut donner qu''un chiffre très incertain.
    - N''importe, reprit Ned Land, en insistant.
    - Voici le calcul, répondis-je. Chaque homme dépense en une heure l''oxygène contenu dans cent litres d''air, soit en vingt-quatre heures l''oxygène contenu dans deux mille quatre cents litres. Il faut donc chercher combien de fois le Nautilus renferme deux mille quatre cents litres d''air.
    - Précisément, *** Conseil.
    - Or, repris-je, la capacité du Nautilus étant de quinze cents tonneaux, et celle du tonneau de mille litres, le Nautilus renferme quinze cent mille litres d''air, qui, divisés par deux mille quatre cents... "
    Je calculai rapidement au crayon:
    "... donnent au quotient six cent vingt-cinq. Ce qui revient à dire que l''air contenu dans le Nautilus pourrait rigoureusement suffire à six cent vingt-cinq hommes pendant vingt-quatre heures.
    - Six cent vingt-cinq! répéta Ned.
    - Mais tenez pour certain, ajoutai-je, que, tant passagers que marins ou officiers, nous ne formons pas la dixième partie de ce chiffre.
    - C''est encore trop pour trois hommes! murmura Conseil.
    - Donc, mon pauvre Ned, je ne puis que vous conseiller la patience.
    - Et même mieux que la patience, répon*** Conseil, la résignation. "
    Conseil avait employé le mot juste.
    " Après tout, reprit-il, le capitaine Nemo ne peut pas aller toujours au sud! Il faudra bien qu''il s''arrête, ne fût-ce que devant la banquise, et qu''il revienne vers des mers plus civilisées! Alors, il sera temps de reprendre les projets de Ned Land. "
    Le Canadien secoua la tête, passa la main sur son front, ne répon*** pas, et se retira.
    " Que monsieur me permette de lui faire une observation, me *** alors Conseil. Ce pauvre Ned pense à tout ce qu''il ne peut pas avoir. Tout lui revient de sa vie passée. Tout lui semble regrettable de ce qui nous est inter***. Ses anciens souvenirs l''oppressent et il a le coeur gros. Il faut le comprendre. Qu''est-ce qu''il a à faire ici? Rien. Il n''est pas un savant comme monsieur, et ne saurait prendre le même goût que nous aux choses admirables de la mer. Il risquerait tout pour pouvoir entrer dans une taverne de son pays! "
    Il est certain que la monotonie du bord devait paraître insupportable au Canadien, habitué à une vie libre et active. Les événements qui pouvaient le passionner étaient rares. Cependant, ce jour-là, un incident vint lui rappeler ses beaux jours de harponneur.
    Vers onze heures du matin, étant à la surface de l''Océan, le Nautilus tomba au milieu d''une troupe de baleines. Rencontre qui ne me surprit pas, car je savais que ces animaux, chassés à outrance, se sont réfugiés dans les bassins des hautes latitudes.
    Le rôle joué par la baleine dans le monde marin, et son influence sur les découvertes géographiques, ont été considérables. C''est elle, qui, entraînant à sa suite, les Basques d''abord, puis les Asturiens, les Anglais et les Hollandais, les enhar*** contre les dangers de l''Océan et les conduisit d''une extrémité de la terre à l''autre. Les baleines aiment à fréquenter les mers australes et boréales. D''anciennes légendes prétendent même que ces cétacés amenèrent les pêcheurs jusqu''à sept lieues seulement du pôle nord. Si le fait est faux, il sera vrai un jour et c''est probablement ainsi, en chassant la baleine dans les régions arctiques ou antarctiques, que les hommes atteindront ce point inconnu du globe.
    Nous étions assis sur la plate-forme par une mer tranquille. Mais le mois d''octobre de ces latitudes nous donnait de belles journées d''automne. Ce fut le Canadien - il ne pouvait s''y tromper - qui signala une baleine à l''horizon dans l''est. En regardant attentivement, on voyait son dos noirâtre s''élever et s''abaisser alternativement au-dessus des flots, à cinq milles du Nautilus.
    " Ah! s''écria Ned Land, si j''étais à bord d''un baleinier, voilà une rencontre qui me ferait plaisir! C''est un animal de grande taille! Voyez avec quelle puissance ses évents rejettent des colonnes d''air et de vapeur! Mille diables! pourquoi faut-il que je sois enchaîné sur ce morceau de tôle!
    - Quoi! Ned, répondis-je, vous n''êtes pas encore revenu de vos vieilles idées de pêche?
    - Est-ce qu''un pêcheur de baleines, monsieur, peut oublier son ancien métier? Est-ce qu''on se lasse jamais des émotions d''une pareille chasse?
    - Vous n''avez jamais pêché dans ces mers, Ned?
    - Jamais, monsieur. Dans les mers boréales seulement, et autant dans le détroit de Bering que dans celui de Davis.
    - Alors la baleine australe vous est encore inconnue. C''est la baleine franche que vous avez chassée jusqu''ici, et elle ne se hasarderait pas à passer les eaux chaudes de l''Équateur.
    - Ah! monsieur le professeur, que me ***es-vous là? répliqua le Canadien d''un ton passablement incrédule.
    - Je dis ce qui est.
    - Par exemple! Moi qui vous parle, en soixante-cinq, voilà deux ans et demi, j''ai amariné près du Groenland une baleine qui portait encore dans son flanc le harpon poinçonné d''un baleinier de Bering. Or, je vous demande, comment après avoir été frappé à l''ouest de l''Amérique, l''animal serait venu se faire tuer à l''est, s''il n''avait, après avoir doublé, soit le cap Horn, soit le cap de Bonne Espérance, franchi l''Équateur?
    - Je pense comme l''ami Ned, *** Conseil, et j''attends ce que répondra monsieur.
    - Monsieur vous répondra, mes amis, que les baleines sont localisées, suivant leurs espèces, dans certaines mers qu''elles ne quittent pas. Et si l''un de ces animaux est venu du détroit de Béring dans celui de Davis, c''est tout simplement parce qu''il existe un passage d''une mer à l''autre, soit sur les côtes de l''Amérique, soit sur celles de l''Asie.
    - Faut-il vous croire? demanda le Canadien, en fermant un oeil.
    - Il faut croire monsieur, répon*** Conseil.
    - Dès lors, reprit le Canadien, puisque je n''ai jamais pêché dans ces parages, je ne connais point les baleines qui les fréquentent?
    - Je vous l''ai ***, Ned.
    - Raison de plus pour faire leur connaissance, répliqua Conseil.
    - Voyez! voyez! s''écria le Canadien la voix émue. Elle s''approche! Elle vient sur nous! Elle me nargue! Elle sait que je ne peux rien contre elle! "
    Ned frappait du pied. Sa main frémissait en brandissant un harpon imaginaire.
    " Ces cétacés, demanda-t-il, sont-ils aussi gros que ceux des mers boréales?
    - A peu près, Ned.
    - C''est que j''ai vu de grosses baleines, monsieur, des baleines qui mesuraient jusqu''à cent pieds de longueur!
    Je me suis même laissé dire que le Hullamock et l''Umgallick des îles Aléoutiennes dépassaient quelquefois cent cinquante pieds.
    - Ceci me paraît exagéré, répondis-je. Ces animaux ne sont que des baleinoptères, pourvus de nageoires dorsales, et de même que les cachalots, ils sont généralement plus petits que la baleine franche.
    - Ah! s''écria le Canadien, dont les regards ne quittaient pas l''Océan, elle se rapproche, elle vient dans les eaux du Nautilus ! "
    Puis, reprenant sa conversation:
    " Vous parlez, ***-il, du cachalot comme d''une petite bête! On cite cependant des cachalots gigantesques. Ce sont des cétacés intelligents. Quelques-uns, ***-on, se couvrent d''algues et de fucus. On les prend pour des îlots. On campe dessus, on s''y installe, on fait du feu...
    - On y bâtit des maisons, *** Conseil.
    - Oui, farceur, répon*** Ned Land. Puis, un beau jour l''animal plonge et entraîne tous ses habitants au fond de l''abîme.
    - Comme dans les voyages de Simbad le marin, répliquai-je en riant.
    - Ah! maître Land, il paraît que vous aimez les histoires extraordinaires! Quels cachalots que les vôtres! J''espère que vous n''y croyez pas!
    - Monsieur le naturaliste, répon*** sérieusement le Canadien, il faut tout croire de la part des baleines!
    - Comme elle marche, celle-ci! Comme elle se dérobe!
    - On prétend que ces animaux-là peuvent faire le tour du monde en quinze jours.
    - Je ne dis pas non.
    - Mais, ce que vous ne savez sans doute pas, monsieur Aronnax, c''est que, au commencement du monde, les baleines filaient plus rapidement encore.
    - Ah! vraiment, Ned! Et pourquoi cela?
    - Parce que alors, elles avaient la queue en travers, comme les poissons, c''est-à-dire que cette queue, comprimée verticalement, frappait l''eau de gauche à droite et de droite à gauche. Mais le Créateur, s''apercevant qu''elles marchaient trop vite, leur tor*** la queue, et depuis ce temps-là, elles battent les flots de haut en bas au détriment de leur rapi***é.
    - Bon, Ned, dis-je, en reprenant une expression du Canadien, faut-il vous croire?
    - Pas trop, répon*** Ned Land, et pas plus que si je vous disais qu''il existe des baleines longues de trois cents pieds et pesant cent mille livres.
    - C''est beaucoup, en effet, dis-je. Cependant, il faut avouer que certains cétacés acquièrent un développement considérable, puisque, ***-on, ils fournissent jusqu''à cent vingt tonnes d''huile.
    - Pour ça, je l''ai vu, *** le Canadien.
    - Je le crois volontiers, Ned, comme je crois que certaines baleines égalent en grosseur cent éléphants. Jugez des effets produits par une telle masse lancée à toute vitesse!
    - Est-il vrai, demanda Conseil, qu''elles peuvent couler des navires?
    - Des navires, je ne le crois pas, répondis-je. On raconte, cependant, qu''en 1820, précisément dans ces mers du sud, une baleine se précipita sur l''Es*** et le fit reculer avec une vitesse de quatre mètres par seconde. Des lames pénétrèrent par l''arrière, et l''Es*** sombra presque aussitôt. "
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  6. JogReloaded

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    (suite)
    Ned me regarda d''un air narquois.
    " Pour mon compte, ***-il, j''ai reĐu un coup de queue de baleine - dans mon canot, cela va sans dire. Mes compagnons et moi, nous avons âtâ lancâs à une hauteur de six mătres. Mais auprăs de la baleine de monsieur le professeur, la mienne n''âtait qu''un baleineau.
    - Est-ce que ces animaux-là vivent longtemps? demanda Conseil.
    - Mille ans, râpon*** le Canadien sans hâsiter.
    - Et comment le savez-vous, Ned?
    - Parce qu''on le ***.
    - Et pourquoi le ***-on?
    - Parce qu''on le sait.
    - Non, Ned, on ne le sait pas, mais on le suppose, et voici le raisonnement sur lequel on s''appuie. Il y a quatre cents ans, lorsque les pêcheurs chassărent pour la premiăre fois les baleines, ces animaux avaient une taille supârieure à celle qu''ils acquiărent aujourd''hui. On suppose donc, assez logiquement, que l''infârioritâ des baleines actuelles vient de ce qu''elles n''ont pas eu le temps d''atteindre leur complet dâveloppement. C''est ce qui a fait dire à Buffon que ces câtacâs pouvaient et devaient même vivre mille ans. Vous entendez? "
    Ned Land n''entendait pas. Il n''âcoutait plus. La baleine s''approchait toujours.
    Il la dâvorait des yeux.
    " Ah! s''âcria-t-il, ce n''est plus une baleine, c''est dix, c''est vingt, c''est un troupeau tout entier! Et ne pouvoir rien faire! Etre là pieds et poings liâs!
    - Mais, ami Ned, *** Conseil, pourquoi ne pas demander au capitaine Nemo la permission de chasser?... "
    Conseil n''avait pas achevâ sa phrase, que Ned Land s''âtait affalâ par le panneau et courait à la recherche du capitaine. Quelques instants aprăs, tous deux reparaissaient sur la plate-forme.
    Le capitaine Nemo observa le troupeau de câtacâs qui se jouait sur les eaux à un mille du Nautilus.
    " Ce sont des baleines australes, ***-il. Il y a là la fortune d''une flotte de baleiniers.
    - Eh! bien, monsieur, demanda le Canadien, ne pourrais-je leur donner la chasse, ne fằt-ce que pour ne pas oublier mon ancien mâtier de harponneur?
    - A quoi bon, râpon*** le capitaine Nemo, chasser uniquement pour dâtruire! Nous n''avons que faire d''huile de baleine à bord.
    - Cependant, monsieur, reprit le Canadien, dans la mer Rouge, vous nous avez autorisâs à poursuivre un dugong!
    - Il s''agissait alors de procurer de la viande frađche à mon âquipage. Ici, ce serait tuer pour tuer. Je sais bien que c''est un privilăge râservâ à l''homme, mais je n''admets pas ces passe-temps meurtriers. En dâtruisant la baleine australe comme la baleine franche, êtres inoffensifs et bons, vos pareils, mađtre Land, commettent une action blÂmable. C''est ainsi qu''ils ont dâjà dâpeuplâ toute la baie de Baffin, et qu''ils anâantiront une classe d''animaux utiles. Laissez donc tranquilles ces malheureux câtacâs. Ils ont bien assez de leurs ennemis naturels, les cachalots, les espadons et les scies, sans que vous vous en mêliez. "
    Je laisse à imaginer la figure que faisait le Canadien pendant ce cours de morale. Donner de semblables raisons à un chasseur, c''âtait perdre ses paroles. Ned Land regardait le capitaine Nemo et ne comprenait âvidemment pas ce qu''il voulait lui dire. Cependant, le capitaine avait raison. L''acharnement barbare et inconsidârâ des pêcheurs fera disparađtre un jour la derniăre baleine de l''Ocâan.
    Ned Land siffla entre les dents son Yankee doodle, fourra ses mains dans ses poches et nous tourna le dos.
    Cependant le capitaine Nemo observait le troupeau de câtacâs, et s''adressant à moi:
    " J''avais raison de prâtendre, que sans compter l''homme, les baleines ont assez d''autres ennemis naturels. Celles-ci vont avoir affaire à forte partie avant peu. Apercevez-vous, monsieur Aronnax, à huit milles sous le vent ces points noirÂtres qui sont en mouvement?
    - Oui, capitaine, râpondis-je.
    - Ce sont des cachalots, animaux terribles que j''ai quelquefois rencontrâs par troupes de deux ou trois cents! Quant à ceux-là, bêtes cruelles et malfaisantes, on a raison de les exterminer. "
    Le Canadien se retourna vivement à ces derniers mots.
    " Eh bien, capitaine, dis-je, il est temps encore, dans l''intârêt même des baleines...
    - Inutile de s''exposer, monsieur le professeur. Le Nautilus suffira à disperser ces cachalots. Il est armâ d''un âperon d''acier qui vaut bien le harpon de mađtre Land, j''imagine. "
    Le Canadien ne se gêna pas pour hausser les âpaules. Attaquer des câtacâs à coups d''âperon! Qui avait jamais entendu parler de cela?
    " Attendez, monsieur Aronnax, *** le capitaine Nemo. Nous vous montrerons une chasse que vous ne connaissez pas encore. Pas de pitiâ pour ces fâroces câtacâs. Ils ne sont que bouche et dents! "
    Bouche et dents! On ne pouvait mieux peindre le cachalot macrocâphale, dont la taille dâpasse quelque fois vingt-cinq mătres. La tête ânorme de ce câtacâ occupe environ le tiers de son corps. Mieux armâ que la baleine, dont la mÂchoire supârieure est seulement garnie de fanons, il est muni de vingt-cinq grosses dents, hautes de vingt centimătres, cylindriques et coniques à leur sommet, et qui păsent deux livres chacune. C''est à la partie supârieure de cette ânorme tête et dans de grandes cavitâs sâparâes par des cartilages, que se trouvent trois à quatre cents kilogrammes de cette huile prâcieuse, ***e " blanc de baleine ". Le cachalot est un animal disgracieux, plutôt têtard que poisson, suivant la remarque de Frâdol. Il est mal construit, âtant pour ainsi dire " manquâ " dans toute la partie gauche de sa charpente, et n''y voyant guăre que de l''oeil droit.
    Cependant, le monstrueux troupeau s''approchait toujours. Il avait aperĐu les baleines et se prâparait à les attaquer. On pouvait prâjuger, d''avance, la victoire des cachalots, non seulement parce qu''ils sont mieux bÂtis pour l''attaque que leurs inoffensifs adversaires. mais aussi parce qu''ils peuvent rester plus longtemps sous les flots, sans venir respirer à leur surface.
    Il n''âtait que temps d''aller au secours des baleines. Le Nautilus se mit entre deux eaux. Conseil, Ned et moi, nous pr**es place devant les vitres du salon. Le capitaine Nemo se ren*** prăs du timonier pour manoeuvrer son appareil comme un engin de destruction. Bientôt, je sentis les battements de l''hâlice se prâcipiter et notre vitesse s''accrođtre.
    Le combat âtait dâjà commencâ entre les cachalots et les baleines, lorsque le Nautilus arriva. Il manoeuvra de maniăre à couper la troupe des macrocâphales. Ceux-ci, tout d''abord, se montrărent peu âmus à la vue du nouveau monstre qui se mêlait à la bataille. Mais bientôt ils durent se garer de ses coups.
    Quelle lutte! Ned Land lui-même, bientôt enthousiasmâ, finit par battre des mains. Le Nautilus n''âtait plus qu''un harpon formidable, brandi par la main de son capitaine. Il se lanĐait contre ces masses charnues et les traversait de part en part, laissant aprăs son passage deux grouillantes moitiâs d''animal. Les formidables coups de queue qui frappaient ses flancs, il ne les sentait pas. Les chocs qu''il produisait, pas davantage. Un cachalot exterminâ, il courait à un autre, virait sur place pour ne pas manquer sa proie, allant de l''avant, de l''arriăre, docile à son gouvernail, plongeant quand le câtacâ s''enfonĐait dans les couches profondes, remontant avec lui lorsqu''il revenait à la surface, le frappant de plein ou d''âcharpe, le coupant ou le dâchirant, et dans toutes les directions et sous toutes les allures, le perĐant de son terrible âperon.
    Quel carnage! Quel bruit à la surface des flots! Quels sifflements aigus et quels ronflements particuliers à ces animaux âpouvantâs! Au milieu de ces couches ordinairement si paisibles, leur queue crâait de vâritables houles.
    Pendant une heure se prolongea cet homârique massacre, auquel les macrocâphales ne pouvaient se soustraire. Plusieurs fois, dix ou douze râunis essayărent d''âcraser le Nautilus sous leur masse. On voyait, à la vitre, leur gueule ânorme pavâe de dents, leur oeil formidable. Ned Land, qui ne se possâdait plus, les menaĐait et les injuriait. On sentait qu''ils se cramponnaient à notre appareil, comme des chiens qui coiffent un ragot sous les taillis. Mais le Nautilus, forĐant son hâlice, les emportait, les entrađnait, ou les ramenait vers le niveau supârieur des eaux, sans se soucier ni de leur poids ânorme, ni de leurs puissantes âtreintes.
    Enfin la masse des cachalots s''âclaircit. Les flots redevinrent tranquilles. Je sentis que nous remontions à la surface de l''Ocâan. Le panneau fut ouvert, et nous nous prâcipitÂmes sur la plate-forme.
    La mer âtait couverte de cadavres mutilâs. Une explosion formidable n''eằt pas divisâ, dâchirâ, dâchiquetâ avec plus de violence ces masses charnues. Nous flottions au milieu de corps gigantesques, bleuÂtres sur le dos, blanchÂtres sous le ventre, et tout bossuâs d''ânormes protubârances. Quelques cachalots âpouvantâs fuyaient à l''horizon. Les flots âtaient teints en rouge sur un espace de plusieurs milles; et le Nautilus flottait au milieu d''une mer de sang.
    Le capitaine Nemo nous rejoignit.
    " Eh bien, mađtre Land? ***-il.
    - Eh bien, monsieur, râpon*** le Canadien, chez lequel l''enthousiasme s''âtait calmâ, c''est un spectacle terrible, en effet. Mais je ne suis pas un boucher, je suis un chasseur, et ceci n''est qu''une boucherie.
    - C''est un massacre d''animaux malfaisants, râpon*** le capitaine, et le Nautilus n''est pas un couteau de boucher.
    - J''aime mieux mon harpon, râpliqua le Canadien.
    - Chacun son arme ", râpon*** le capitaine, en regardant fixement Ned Land.
    Je craignais que celui-ci ne se laissÂt emporter à quelque violence qui aurait eu des consâquences dâplorables. Mais sa colăre fut dâtournâe par la vue d''une baleine que le Nautilus accostait en ce moment.
    L''animal n''avait pu âchapper à la dent des cachalots. Je reconnus la baleine australe, à tête dâprimâe, qui est entiărement noire. Anatomiquement, elle se distingue de la baleine blanche et du Nord-Caper par la soudure des sept vertăbres cervicales, et elle compte deux côtes de plus que ses congânăres. Le malheureux câtacâ, couchâ sur le flanc, le ventre trouâ de morsures, âtait mort. Au bout de sa nageoire mutilâe pendait encore un petit baleineau qu''il n''avait pu sauver du massacre. Sa bouche ouverte laissait couler l''eau qui murmurait comme un ressac à travers ses fanons.
    Le capitaine Nemo conduisit le Nautilus prăs du cadavre de l''animal. Deux de ses hommes montărent sur le flanc de la baleine, et je vis, non sans âtonnement, qu''ils retiraient de ses mamelles tout le lait qu''elles contenaient, c''est-à-dire la valeur de deux à trois tonneaux.
    Le capitaine m''offrit une tasse de ce lait encore chaud. Je ne pus m''empêcher de lui marquer ma râpugnance pour ce breuvage. Il m''assura que ce lait âtait excellent, et qu''il ne se distinguait en aucune faĐon du lait de vache.
    Je le goằtai et je fus de son avis. C''âtait donc pour nous une râserve utile, car, ce lait, sous la forme de beurre salâ ou de fromage, devait apporter une agrâable variâtâ à notre ordinaire.
    De ce jour-là, je remarquai avec inquiâtude que les dispositions de Ned Land envers le capitaine Nemo devenaient de plus en plus mauvaises, et je râsolus de surveiller de prăs les faits et gestes du Canadien.
    --------------------------------
    Fin du chapitre XXXVI
  7. JogR

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    XXXVII - LA BANQUISE
    Le Nautilus avait repris son imperturbable direction vers le sud. Il suivait le cinquantième méridien avec une vitesse considérable. Voulait-il donc atteindre le pôle? Je ne le pensais pas, car jusqu''ici toutes les tentatives pour s''élever jusqu''à ce point du globe avaient échoué. La saison, d''ailleurs, était déjà fort avancée, puisque le 13 mars des terres antarctiques correspond au 13 septembre des régions boréales, qui commence la période équinoxiale.
    Le 14 mars, j''aperçus des glaces flottantes par 55° de latitude, simples débris blafards de vingt à vingt-cinq pieds, formant des écueils sur lesquels la mer déferlait. Le Nautilus se maintenait à la surface de l''Océan. Ned Land, ayant déjà pêché dans les mers arctiques, était familiarisé avec ce spectacle des icebergs. Conseil et moi, nous l''admirions pour la première fois.
    Dans l''atmosphère, vers l''horizon du sud, s''étendait une bande blanche d''un éblouissant aspect. Les baleiniers anglais lui ont donné le nom de " ice-blinck ". Quelque épais que soient les nuages, ils ne peuvent l''obscurcir. Elle annonce la présence d''un pack ou banc de glace.
    En effet, bientôt apparurent des blocs plus considérables dont l''éclat se modifiait suivant les caprices de la brume. Quelques-unes de ces masses montraient des veines vertes, comme si le sulfate de cuivre en eût tracé les lignes ondulées. D''autres, semblables à d''énormes améthystes, se laissaient pénétrer par la lumière. Celles-ci réverbéraient les rayons du jour sur les mille facettes de leurs cristaux. Celles-là, nuancées des vifs reflets du calcaire, auraient suffi à la construction de toute une ville de marbre.
    Plus nous descendions au sud, plus ces îles flottantes gagnaient en nombre et en importance. Les oiseaux polaires y nichaient par milliers. C''étaient des pétrels, des damiers, des puffins, qui nous assourdissaient de leurs cris. Quelques-uns, prenant le Nautilus pour le cadavre d''une baleine, venaient s''y reposer et piquaient de coups de bec sa tôle sonore.
    Pendant cette navigation au milieu des glaces, le capitaine Nemo se tint souvent sur la plate-forme. Il observait avec attention ces parages abandonnés. Je voyais son calme regard s''animer parfois. Se disait-il que dans ces mers polaires inter***es à l''homme, il était là chez lui, maître de ces infranchissables espaces? Peut-être. Mais il ne parlait pas. Il restait immobile, ne revenant à lui que lorsque ses instincts de manoeuvrier reprenaient le dessus. Dirigeant alors son Nautilus avec une adresse consommée, il évitait habilement le choc de ces masses dont quelques-unes mesuraient une longueur de plusieurs milles sur une hauteur qui variait de soixante-dix à quatre-vingts mètres. Souvent l''horizon paraissait entièrement fermé. A la hauteur du soixantième degré de latitude, toute passe avait disparu. Mais le capitaine Nemo, cherchant avec soin, trouvait bientôt quelque étroite ouverture par laquelle il se glissait audacieusement, sachant bien, cependant, qu''elle se refermerait derrière lui.
    Ce fut ainsi que le Nautilus, guidé par cette main habile, dépassa toutes ces glaces, classées, suivant leur forme ou leur grandeur, avec une précision qui enchantait Conseil: icebergs ou montagnes, ice-fields ou champs unis et sans limites, drift-ice ou glaces flottantes, packs ou champs brisés, nommés palchs quand ils sont circulaires, et streams lorsqu''ils sont faits de morceaux allongés.
    La température était assez basse. Le thermomètre, exposé à l''air extérieur, marquait deux à trois degrés au-dessous de zéro. Mais nous étions chaudement habillés de fourrures, dont les phoques ou les ours marins avaient fait les frais. L''intérieur du Nautilus, régulièrement chauffé par ses appareils électriques, défiait les froids les plus intenses. D''ailleurs, il lui eût suffi de s''enfoncer à quelques mètres au-dessous des flots pour y trouver une température supportable.
    Deux mois plus tôt, nous aurions joui sous cette latitude d''un jour perpétuel; mais déjà la nuit se faisait pendant trois ou quatre heures, et plus tard, elle devait jeter six mois d''ombre sur ces régions circumpolaires.
    Le 15 mars, la latitude des îles New-Shetland et des Orkney du Sud fut dépassée. Le capitaine m''apprit qu''autrefois de nombreuses tribus de phoques habitaient ces terres; mais les baleiniers anglais et américains, dans leur rage de destruction, massacrant les adultes et les femelles pleines, là où existait l''animation de la vie, avaient laissé après eux le silence de la mort.
    Le 16 mars, vers huit heures du matin, le Nautilus, suivant le cinquante-cinquième méridien, coupa le cercle polaire antarctique. Les glaces nous entouraient de toutes parts et fermaient l''horizon. Cependant, le capitaine Nemo marchait de passe en passe et s''élevait toujours.
    " Mais où va-t-il? demandai-je.
    - Devant lui, répondait Conseil. Après tout, lorsqu''il ne pourra pas aller plus loin, il s''arrêtera.
    - Je n''en jurerais pas! " répondis-je.
    Et, pour être franc, j''avouerai que cette excursion aventureuse ne me déplaisait point. A quel degré m''émerveillaient les beautés de ces régions nouvelles, je ne saurais l''exprimer. Les glaces prenaient des attitudes superbes. Ici, leur ensemble formait une ville orientale, avec ses minarets et ses mosquées innombrables. Là, une cité écroulée et comme jetée à terre par une convulsion du sol. Aspects incessamment variés par les obliques rayons du soleil, ou perdus dans les brumes grises au milieu des ouragans de neige. Puis, de toutes parts des détonations, des éboulements, de grandes culbutes d''icebergs, qui changeaient le décor comme le paysage d''un diorama.
    Lorsque le Nautilus était immergé au moment où se rompaient ces équilibres, le bruit se propageait sous les eaux avec une effrayante intensité, et la chute de ces masses créait de redoutables remous jusque dans les couches profondes de l''Océan. Le Nautilus roulait et tanguait alors comme un navire abandonne à la furie des éléments.
    Souvent, ne voyant plus aucune issue, je pensais que nous étions définitivement prisonniers; mais, l''instinct le guidant, sur le plus léger indice le capitaine Nemo découvrait des passes nouvelles. Il ne se trompait jamais en observant les minces filets d''eau bleuâtre qui sillonnaient les ice-fields. Aussi ne mettais-je pas en doute qu''il n''eût aventuré déjà le Nautilus au milieu des mers antarctiques.
    Cependant, dans la journée du 16 mars, les champs de glace nous barrèrent absolument la route. Ce n''était pas encore la banquise, mais de vastes ice-fields cimentés par le froid. Cet obstacle ne pouvait arrêter le capitaine Nemo, et il se lança contre l''ice-field avec une effroyable violence. Le Nautilus entrait comme un coin dans cette masse friable, et la divisait avec des craquements terribles. C''était l''antique bélier poussé par une puissance infinie. Les débris de glace, haut projetés, retombaient en grêle autour de nous. Par sa seule force d''impulsion, notre appareil se creusait un chenal. Quelquefois, emporté par son élan, il montait sur le champ de glace et l''écrasait de son poids, ou par instants, enfourné sous l''ice-field, il le divisait par un simple mouvement de tangage qui produisait de larges déchirures.
    Pendant ces journées, de violents grains nous assaillirent. Par certaines brumes épaisses, on ne se fût pas vu d''une extrémité de la plate-forme à l''autre. Le vent sautait brusquement à tous les points du compas. La neige s''accumulait en couches si dures qu''il fallait la briser à coups de pic. Rien qu''à la température de cinq degrés au-dessous de zéro, toutes les parties extérieures du Nautilus se recouvraient de glaces. Un gréement n''aurait pu se manoeuvrer, car tous les garants eussent été engagés dans la gorge des poulies. Un bâtiment sans voiles et mû par un moteur électrique qui se passait de charbon, pouvait seul affronter d''aussi hautes latitudes.
    Dans ces con***ions, le baromètre se tint généralement très bas. Il tomba même à 73°5''. Les indications de la boussole n''offraient plus aucune garantie. Ses aiguilles affolées marquaient des directions contradictoires, en s''approchant du pôle magnétique méridional qui ne se confond pas avec le sud du monde. En effet, suivant Hansten, ce pôle est situé à peu près par 70° de latitude et 130° de longitude, et d''après les observations de Duperrey, par 135° de longitude et 70°30'' de latitude. Il fallait faire alors des observations nombreuses sur les compas transportés à différentes parties du navire et prendre une moyenne. Mais souvent, on s''en rapportait à l''estime pour relever la route parcourue, méthode peu satisfaisante au milieu de ces passes sinueuses dont les points de repère changent incessamment.
    Enfin, le 18 mars, après vingt assauts inutiles, le Nautilus se vit définitivement enrayé. Ce n''étaient plus ni les streams, ni les palks, ni les ice-fields, mais une interminable et immobile barrière formée de montagnes soudées entre elles.
    " La banquise! " me *** le Canadien.
    Je compris que pour Ned Land comme pour tous les navigateurs qui nous avaient précédé, c''était l''infranchissable obstacle. Le soleil ayant un instant paru vers midi, le capitaine Nemo obtint une observation assez exacte qui donnait notre situation par 51°30'' de longitude et 67°39'' de latitude méridionale. C''était déjà un point avancé des régions antarctiques.
    De mer, de surface liquide, il n''y avait plus apparence devant nos yeux. Sous l''éperon du Nautilus s''étendait une vaste plaine tourmentée, enchevêtrée de blocs confus, avec tout ce pêle-mêle capricieux qui caractérise la surface d''un fleuve quelque temps avant la débâcle des glaces, mais sur des proportions gigantesques. ?à et là, des pics aigus, des aiguilles déliées s''élevant à une hauteur de deux cents pieds; plus loin, une suite de falaises taillées à pic et revêtues de teintes grisâtres, vastes miroirs qui reflétaient quelques rayons de soleil à demi noyés dans les brumes. Puis, sur cette nature désolée, un silence farouche, à peine rompu par le battement d''ailes des pétrels ou des puffins. Tout était gelé alors, même le bruit.
    Le Nautilus dut donc s''arrêter dans son aventureuse course au milieu des champs de glace.
    " Monsieur, me *** ce jour-là Ned Land, si votre capitaine va plus loin!
    - Eh bien?
    - Ce sera un maître homme.
    - Pourquoi, Ned?
    - Parce que personne ne peut franchir la banquise. Il est puissant, votre capitaine; mais, mille diables! il n''est pas plus puissant que la nature, et là où elle a mis des bornes, il faut que l''on s''arrête bon gré mal gré.
    - En effet, Ned Land, et cependant j''aurais voulu savoir ce qu''il y a derrière cette banquise! Un mur, voilà ce qui m''irrite le plus!
    - Monsieur a raison, *** Conseil. Les murs n''ont été inventés que pour agacer les savants. Il ne devrait y avoir de murs nulle part.
    - Bon! fit le Canadien. Derrière cette banquise, on sait bien ce qui se trouve.
    - Quoi donc? demandai-je.
    - De la glace, et toujours de la glace!
    - Vous êtes certain de ce fait, Ned, répliquai-je, mais moi je ne le suis pas. Voilà pourquoi je voudrais aller voir.
    - Eh bien, monsieur le professeur, répon*** le Canadien, renoncez à cette idée. Vous êtes arrivé à la banquise, ce qui est déjà suffisant, et vous n''irez pas plus loin, ni votre capitaine Nemo, ni son Nautilus. Et qu''il le veuille ou non, nous reviendrons vers le nord, c''est-à-dire au pays des honnêtes gens. "
    Je dois convenir que Ned Land avait raison, et tant que les navires ne seront pas faits pour naviguer sur les champs de glace, ils devront s''arrêter devant la banquise.
    (à suivre)
  8. JogR

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    (suite)
    En effet, malgré ses efforts, malgré les moyens puissants employés pour disjoindre les glaces, le Nautilus fut réduit à l''immobilité. Ordinairement, qui ne peut aller plus loin en est quitte pour revenir sur ses pas. Mais ici, revenir était aussi impossible qu''avancer, car les passes s''étaient refermées derrière nous, et pour peu que notre appareil demeurât stationnaire, il ne tarderait pas à être bloqué. Ce fut même ce qui arriva vers deux heures du soir, et la jeune glace se forma sur ses flancs avec une étonnante rapi***é. Je dus avouer que la conduite du capitaine Nemo était plus qu''imprudente.
    J''étais en ce moment sur la plate-forme. Le capitaine qui observait la situation depuis quelques instants, me ***:
    " Eh bien, monsieur le professeur, qu''en pensez-vous?
    - Je pense que nous sommes pris, capitaine.
    - Pris! Et comment l''entendez-vous?
    - J''entends que nous ne pouvons aller ni en avant ni en arrière, ni d''aucun côté. C''est, je crois, ce qui s''appelle "pris", du moins sur les continents habités.
    - Ainsi, monsieur Aronnax, vous pensez que le Nautilus ne pourra pas se dégager?
    - Difficilement, capitaine, car la saison est déjà trop avancée pour que vous comptiez sur une débâcle des glaces.
    - Ah! monsieur le professeur, répon*** le capitaine Nemo d''un ton ironique, vous serez toujours le même! Vous ne voyez qu''empêchements et obstacles! Moi, je vous affirme que non seulement le Nautilus se dégagera, mais qu''il ira plus loin encore!
    - Plus loin au sud? demandai-je en regardant le capitaine.
    - Oui, monsieur, il ira au pôle.
    - Au pôle! m''écriai-je, ne pouvant retenir un mouvement d''incrédulité.
    - Oui, répon*** froidement le capitaine, au pôle antarctique, à ce point inconnu où se croisent tous les méridiens du globe. Vous savez si je fais du Nautilus ce que je veux. "
    Oui! je le savais. Je savais cet homme audacieux jusqu''à la témérité! Mais vaincre ces obstacles qui hérissent le pôle sud, plus inaccessible que ce pôle nord non encore atteint par les plus hardis navigateurs, n''était-ce pas une entreprise absolument insensée, et que, seul, l''esprit d''un fou pouvait concevoir!
    Il me vint alors à l''idée de demander au capitaine Nemo s''il avait déjà découvert ce pôle que n''avait jamais foulé le pied d''une créature humaine.
    " Non, monsieur, me répon***-il, et nous le découvrirons ensemble. Là où d''autres ont échoué, je n''échouerai pas. Jamais je n''ai promené mon Nautilus aussi loin sur les mers australes; mais, je vous le répète, il ira plus loin encore.
    - Je veux vous croire, capitaine, repris-je d''un ton un peu ironique. Je vous crois! Allons en avant! Il n''y a pas d''obstacles pour nous! Brisons cette banquise! Faisons-la sauter, et si elle résiste, donnons des ailes au Nautilus, afin qu''il puisse passer par-dessus!
    - Par-dessus? monsieur le professeur, répon*** tranquillement le capitaine Nemo. Non point par-dessus, mais par-dessous.
    - Par-dessous! " m''écriai-je.
    Une subite révélation des projets du capitaine venait d''illuminer mon esprit. J''avais compris. Les merveilleuses qualités du Nautilus allaient le servir encore dans cette surhumaine entreprise!
    " Je vois que nous commençons à nous entendre, monsieur le professeur, me *** le capitaine, souriant à demi. Vous entrevoyez déjà la possibilité - moi, je dirai le succès - de cette tentative. Ce qui est impraticable avec un navire ordinaire devient facile au Nautilus. Si un continent émerge au pôle, il s''arrêtera devant ce continent. Mais si au contraire c''est la mer libre qui le baigne, il ira au pôle même!
    - En effet, dis-je, entraîné par le raisonnement du capitaine, si la surface de la mer est solidifiée par les glaces, ses couches inférieures sont libres, par cette raison providentielle qui a placé à un degré supérieur à celui de la congélation le maximum de densité de l''eau de mer. Et, si je ne me trompe, la partie immergée de cette banquise est à la partie émergeante comme quatre est à un?
    - A peu près, monsieur le professeur. Pour un pied que les icebergs ont au-dessus de la mer, ils en ont trois au-dessous. Or, puisque ces montagnes de glaces ne dépassent pas une hauteur de cent mètres, elles ne s''enfoncent que de trois cents. Or, qu''est-ce que trois cents mètres pour le Nautilus?
    - Rien, monsieur.
    - Il pourra même aller chercher à une profondeur plus grande cette température uniforme des eaux marines, et là nous braverons impunément les trente ou quarante degrés de froid de la surface.
    - Juste, monsieur, très juste, répondis-je en m''animant.
    - La seule difficulté, reprit le capitaine Nemo, sera de rester plusieurs jours immergés sans renouveler notre provision d''air.
    - N''est-ce que cela? répliquai-je. Le Nautilus a de vastes réservoirs, nous les remplirons, et ils nous fourniront tout l''oxygène dont nous aurons besoin.
    - Bien imaginé, monsieur Aronnax, répon*** en souriant le capitaine. Mais ne voulant pas que vous puissiez m''accuser de témérité, je vous soumets d''avance toutes mes objections.
    - En avez-vous encore à faire?
    - Une seule. Il est possible, si la mer existe au pôle sud, que cette mer soit entièrement prise, et, par conséquent, que nous ne puissions revenir à sa surface!
    - Bon, monsieur, oubliez-vous que le Nautilus est armé d''un redoutable éperon, et ne pourrons-nous le lancer diagonalement contre ces champs de glace qui s''ouvriront au choc?
    - Eh! monsieur le professeur, vous avez des idées aujourd''hui!
    - D''ailleurs, capitaine, ajoutai-je en m''enthousiasmant de plus belle, pourquoi ne rencontrerait-on pas la mer libre au pôle sud comme au pôle nord? Les pôles du froid et les pôles de la terre ne se confondent ni dans l''hémisphère austral ni dans l''hémisphère boréal, et jusqu''à preuve contraire, on doit supposer ou un continent ou un océan dégagé de glaces à ces deux points du globe.
    - Je le crois aussi, monsieur Aronnax, répon*** le capitaine Nemo. Je vous ferai seulement observer qu''après avoir émis tant d''objections contre mon projet, maintenant vous m''écrasez d''arguments en sa faveur. "
    Le capitaine Nemo disait vrai. J''en étais arrivé à le vaincre en audace! C''était moi qui l''entraînais au pôle! Je le devançais, je le distançais... Mais non! pauvre fou. Le capitaine Nemo savait mieux que toi le pour et le contre de la question, et il s''amusait à te voir emporté dans les rêveries de l''impossible!
    Cependant, il n''avait pas perdu un instant. A un signal le second parut. Ces deux hommes s''entretinrent rapidement dans leur incompréhensible langage, et soit que le second eût été antérieurement prévenu, soit qu''il trouvât le projet praticable, il ne laissa voir aucune surprise.
    Mais si impassible qu''il fût il ne montra pas une plus complète impassibilité que Conseil, lorsque j''annonçai à ce digne garçon notre intention de pousser jusqu''au pôle sud. Un " comme il plaira à monsieur " accueillit ma communication, et je dus m''en contenter. Quant à Ned Land, si jamais épaules se levèrent haut, ce furent celles du Canadien.
    " Voyez-vous, monsieur, me ***-il, vous et votre capitaine Nemo, vous me faites pitié!
    - Mais nous irons au pôle, maître Ned.
    - Possible, mais vous n''en reviendrez pas! "
    Et Ned Land rentra dans sa cabine, " pour ne pas faire un malheur ", ***-il en me quittant.
    Cependant, les préparatifs de cette audacieuse tentative venaient de commencer. Les puissantes pompes du Nautilus refoulaient l''air dans les réservoirs et l''emmagasinaient à une haute pression. Vers quatre heures, le capitaine Nemo m''annonça que les panneaux de la plate-forme allaient être fermés. Je jetai un dernier regard sur l''épaisse banquise que nous allions franchir. Le temps était clair, l''atmosphère assez pure, le froid très vif, douze degrés au-dessous de zéro; mais le vent s''étant calmé, cette température ne semblait pas trop insupportable.
    Une dizaine d''hommes montèrent sur les flancs du Nautilus et, armés de pics, ils cassèrent la glace autour de la carène qui fut bientôt dégagée. Opération rapidement pratiquée, car la jeune glace était mince encore. Tous nous rentrâmes à l''intérieur. Les réservoirs habituels se remplirent de cette eau tenue libre à la flottaison. Le Nautilus ne tarda pas à descendre.
    J''avais pris place au salon avec Conseil. Par la vitre ouverte, nous regardions les couches inférieures de l''Océan austral. Le thermomètre remontait. L''aiguille du manomètre déviait sur le cadran.
    A trois cents mètres environ, ainsi que l''avait prévu le capitaine Nemo, nous flottions sous la surface ondulée de la banquise. Mais le Nautiluss''immergea plus bas encore. Il atteignit une profondeur de huit cents mètres. La température de l''eau, qui donnait douze degrés à la surface, n''en accusait plus que onze. Deux degrés étaient déjà gagnes. Il va sans dire que la température du Nautilus, élevée par ses appareils de chauffage, se maintenait à un degré très supérieur. Toutes les manoeuvres s''accomplissaient avec une extraordinaire précision.
    " On passera, n''en déplaise à monsieur, me *** Conseil.
    - J''y compte bien! " répondis-je avec le ton d''une profonde conviction.
    Sous cette mer libre, le Nautilus avait pris directement le chemin de pôle, sans s''écarter du cinquante-deuxième méridien. De 67°30'' à 90° vingt-deux degrés et demi en latitude restaient à parcourir, c''est-à-dire un peu plus de cinq cents lieues. Le Nautilus prit une vitesse moyenne de vingt-six milles à l''heure, la vitesse d''un train express. S''il la conservait, quarante heures lui suffisaient pour atteindre le pôle.
    Pendant une partie de la nuit, la nouveauté de la situation nous retint, Conseil et moi, à la vitre du salon. La mer s''illuminait sous l''irradiation électrique du fanal. Mais elle était déserte. Les poissons ne séjournaient pas dans ces eaux prisonnières. Ils ne trouvaient là qu''un passage pour aller de l''Océan antarctique à la mer libre du pôle. Notre marche était rapide. On la sentait telle aux tressaillements de la longue coque d''acier.
    Vers deux heures du matin, j''allai prendre quelques heures de repos. Conseil m''imita. En traversant les coursives, je ne rencontrai point le capitaine Nemo. Je supposai qu''il se tenait dans la cage du timonier.
    Le lendemain 19 mars, à cinq heures du matin, je repris mon poste dans le salon. Le loch électrique m''indiqua que la vitesse du Nautilus avait été modérée. Il remontait alors vers la surface, mais prudemment, en vidant lentement ses réservoirs.
    Mon coeur battait. Allions-nous émerger et retrouver l''atmosphère libre du pôle?
    Non. Un choc m''apprit que le Nautilus avait heurté la surface inférieure de la banquise, très épaisse encore, à en juger par la matité du bruit. En effet, nous avions " touché " pour employer l''expression marine, mais en sens inverse et par mille pieds de profondeur. Ce qui donnait deux mille pieds de glaces au-dessus de nous, dont mille émergeaient. La banquise présentait alors une hauteur supérieure à celle que nous avions relevée sur ses bords. Circonstance peu rassurante.
    Pendant cette journée, le Nautilus recommença plusieurs fois cette même expérience, et toujours il vint se heurter contre la muraille qui plafonnait au-dessus de lui. A de certains instants, il la rencontra par neuf cents mètres, ce qui accusait douze cents mètres d''épaisseur dont deux cents mètres s''élevaient au-dessus de la surface de l''Océan. C''était le double de sa hauteur au moment où le Nautilus s''était enfoncé sous les flots.
    Je notai soigneusement ces diverses profondeurs, et j''obtins ainsi le profil sous-marin de cette chaîne qui se développait sous les eaux.
    Le soir, aucun changement n''était survenu dans notre situation. Toujours la glace entre quatre cents et cinq cents mètres de profondeur. Diminution évidente, mais quelle épaisseur encore entre nous et la surface de l''Océan!
    Il était huit heures alors. Depuis quatre heures déjà, l''air aurait dû être renouvelé à l''intérieur du Nautilus, suivant l''habitude quotidienne du bord. Cependant, je ne souffrais pas trop, bien que le capitaine Nemo n''eût pas encore demandé à ses réservoirs un supplément d''oxygène.
    Mon sommeil fut pénible pendant cette nuit. Espoir et crainte m''assiégeaient tour à tour. Je me relevai plusieurs fois. Les tâtonnements du Nautilus continuaient. Vers trois heures du matin, j''observai que la surface inférieure de la banquise se rencontrait seulement par cinquante mètres de profondeur. Cent cinquante pieds nous séparaient alors de la surface des eaux. La banquise redevenait peu à peu ice-field. La montagne se refaisait la plaine.
    Mes yeux ne quittaient plus le manomètre. Nous remontions toujours en suivant, par une diagonale, la surface resplendissante qui étincelait sous les rayons électriques. La banquise s''abaissait en dessus et en dessous par des rampes allongées. Elle s''amincissait de mille en mille.
    Enfin, à six heures du matin, ce jour mémorable du 19 mars, la porte du salon s''ouvrit. Le capitaine Nemo parut.
    " La mer libre! " me ***-il.
    ----------------------------------
    Fin du chapitre XXXVII
  9. JogR

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    XXXVIII - LE POLE SUD
    Je me précipitai vers la plate-forme. Oui! La mer libre. A peine quelques glaçons épars, des icebergs mobiles; au loin une mer étendue; un monde d''oiseaux dans les airs, et des myriades de poissons sous ces eaux qui, suivant les fonds, variaient du bleu intense au vert olive. Le thermomètre marquait trois degrés centigrades au-dessus de zéro. C''était comme un printemps relatif enfermé derrière cette banquise, dont les masses éloignées se profilaient sur l''horizon du nord.
    " Sommes-nous au pôle? demandai-je au capitaine, le coeur palpitant.
    - Je l''ignore, me répon***-il. A midi nous ferons le point.
    - Mais le soleil se montrera-t-il à travers ces brumes? dis-je en regardant le ciel grisâtre.
    - Si peu qu''il paraisse, il me suffira, répon*** le capitaine. "
    A dix milles du Nautilus, vers le sud, un îlot solitaire s''élevait à une hauteur de deux cents mètres. Nous marchions vers lui, prudemment, car cette mer pouvait être semée d''écueils.
    Une heure après, nous avions atteint l''îlot. Deux heures plus tard, nous achevions d''en faire le tour. Il mesurait quatre à cinq milles de circonférence. Un étroit canal le séparait d''une terre considérable, un continent peut-être, dont nous ne pouvions apercevoir les limites.
    L''existence de cette terre semblait donner raison aux hypothèses de Maury. L''ingénieur américain a remarqué, en effet, qu''entre le pôle sud et le soixantième parallèle, la mer est couverte de glaces flottantes, de dimensions énormes, qui ne se rencontrent jamais dans l''Atlantique nord. De ce fait, il a tiré cette conclusion que le cercle antarctique renferme des terres considérables, puisque les icebergs ne peuvent se former en pleine mer, mais seulement sur des côtes. Suivant ses calculs, la masse des glaces qui enveloppent le pôle austral forme une vaste calotte dont la largeur doit atteindre quatre mille kilomètres.
    Cependant, le Nautilus, par crainte d''échouer, s''était arrêté à trois encablures d''une grève que dominait un superbe amoncellement de roches. Le canot fut lancé à la mer. Le capitaine, deux de ses hommes portant les instruments, Conseil et moi, nous nous y embarquâmes. Il était dix heures du matin. Je n''avais pas vu Ned Land. Le Canadien, sans doute, ne voulait pas se désavouer en présence du pôle sud.
    Quelques coups d''aviron amenèrent le canot sur le sable, où il s''échoua. Au moment où Conseil allait sauter à terre, je le retins.
    " Monsieur, dis-je au capitaine Nemo, à vous l''honneur de mettre pied le premier sur cette terre.
    - Oui, monsieur, répon*** le capitaine, et si je n''hésite pas à fouler ce sol du pôle, c''est que, jusqu''ici, aucun être humain n''y a laissé la trace de ses pas. "
    Cela ***, il sauta légèrement sur le sable. Une vive émotion lui faisait battre le coeur. Il gravit un roc qui terminait en surplomb un petit promontoire, et là, les bras croisés, le regard ardent, immobile, muet, il sembla prendre possession de ces régions australes. Après cinq minutes passées dans cette extase, il se retourna vers nous.
    " Quand vous voudrez, monsieur ", me cria-t-il.
    Je débarquai, suivi de Conseil, laissant les deux hommes dans le canot.
    Le sol sur un long espace présentait un tuf de couleur rougeâtre, comme s''il eût été de brique pilée. Des scories, des coulées de lave, des pierres ponces le recouvraient. On ne pouvait méconnaître son origine volcanique. En de certains endroits, quelques légères fumerolles, dégageant une odeur sulfureuse, attestaient que les feux intérieurs conservaient encore leur puissance expansive. Cependant, ayant gravi un haut escarpement, je ne vis aucun volcan dans un rayon de plusieurs milles. On sait que dans ces contrées antarctiques, James Ross a trouvé les cratères de l''Érébus et du Terror en pleine activité sur le cent soixante-septième méridien et par 77°32'' de latitude.
    La végétation de ce continent désolé me parut extrêmement restreinte. Quelques lichens de l''espèce Unsnea melanoxantha s''étalaient sur les roches noires. Certaines plantules microscopiques, des diatomées rudimentaires, sortes de cellules disposées entre deux coquilles quartzeuses, de longs fucus pourpres et cramoisis, supportés sur de petites vessies natatoires et que le ressac jetait à la côte, composaient toute la maigre flore de cette région.
    Le rivage était parsemé de mollusques, de petites moules, de patelles, de buccardes lisses, en forme de coeurs, et particulièrement de clios au corps oblong et membraneux, dont la tête est formée de deux lobes arrondis. Je vis aussi des myriades de ces clios boréales, longues de trois centimètres, dont la baleine avale un monde à chaque bouchée. Ces charmants ptéropodes, véritables papillons de la mer, animaient les eaux libres sur la lisière du rivage.
    Entre autres zoophytes apparaissaient dans les hauts-fonds quelques arborescences coralligènes, de celles qui suivant James Ross, vivent dans les mers antarctiques jusqu''à mille mètres de profondeur; puis, de petits alcyons appartenant à l''espèce procellaria pelagica, ainsi qu''un grand nombre d''astéries particulières à ces climats, et d''étoiles de mer qui constellaient le sol.
    Mais où la vie surabondait, c''était dans les airs. Là volaient et voletaient par milliers des oiseaux d''espèces variées, qui nous assourdissaient de leurs cris. D''autres encombraient les roches, nous regardant passer sans crainte et se pressant familièrement sous nos pas. C''étaient des pingouins aussi agiles et souples dans l''eau, où on les a confondus parfois avec de rapides bonites, qu''ils sont gauches et lourds sur terre. Ils poussaient des cris baroques et formaient des assemblées nombreuses, sobres de gestes, mais prodigues de clameurs.
    Parmi les oiseaux, je remarquai des chionis, de la famille des échassiers, gros comme des pigeons, blancs de couleur, le bec court et conique, l''oeil encadré d''un cercle rouge. Conseil en fit provision, car ces volatiles, convenablement préparés, forment un mets agréable. Dans les airs passaient des albatros fuligineux d''une envergure de quatre mètres, justement appelés les vautours de l''Océan, des pétrels gigantesques, entre autres des quebrante-huesos, aux ailes arquées, qui sont grands mangeurs de phoques, des damiers, sortes de petits canards dont le dessus du corps est noir et blanc, enfin toute une série de pétrels, les uns blanchâtres, aux ailes bordées de brun, les autres bleus et spéciaux aux mers antarctiques, ceux-là " si huileux, dis-je à Conseil, que les habitants des îles Féroé se contentent d''y adapter une mèche avant de les allumer ".
    " Un peu plus, répon*** Conseil, ce seraient des lampes parfaites! Après ça, on ne peut exiger que la nature les ait préalablement munis d''une mèche! "
    Après un demi-mille, le sol se montra tout criblé de nids de manchots, sortes de terriers disposés pour la ponte, et dont s''échappaient de nombreux oiseaux. Le capitaine Nemo en fit chasser plus tard quelques centaines, car leur chair noire est très mangeable. Ils poussaient des braiements d''âne. Ces animaux, de la taille d''une oie, ardoisés sur le corps, blancs en dessous et cravatés d''un liséré citron, se laissaient tuer à coups de pierre sans chercher à s''enfuir.
    Cependant, la brume ne se levait pas, et, à onze heures, le soleil n''avait point encore paru. Son absence ne laissait pas de m''inquiéter. Sans lui, pas d''observations possibles. Comment déterminer alors si nous avions atteint le pôle?
    Lorsque je rejoignis le capitaine Nemo, je le trouvai silencieusement accoudé sur un morceau de roc et regardant le ciel. Il paraissait impatient, contrarié. Mais qu''y faire? Cet homme audacieux et puissant ne commandait pas au soleil comme à la mer.
    Midi arriva sans que l''astre du jour se fût montré un seul instant. On ne pouvait même reconnaître la place qu''il occupait derrière le rideau de brume.
    Bientôt cette brume vint à se résoudre en neige.
    " A demain ", me *** simplement le capitaine, et nous regagnâmes le Nautilus au milieu des tourbillons de l''atmosphère.
    Pendant notre absence, les filets avaient été tendus, et j''observai avec intérêt les poissons que l''on venait de haler à bord. Les mers antarctiques servent de refuge à un très grand nombre de migrateurs, qui fuient les tempêtes des zones moins élevées pour tomber, il est vrai, sous la dent des marsouins et des phoques. Je notai quelques cottes australes, longs d''un décimètre, espèce de cartilagineux blanchâtres traversés de bandes livides et armés d''aiguillons, puis des chimères antarctiques, longues de trois pieds, le corps très allongé, la peau blanche, argentée et lisse, la tête arrondie, le dos muni de trois nageoires, le museau terminé par une trompe qui se recourbe vers la bouche. Je goûtai leur chair, mais je la trouvai insipide, malgré l''opinion de Conseil qui s''en accommoda fort.
    La tempête de neige dura jusqu''au lendemain. Il était impossible de se tenir sur la plate-forme. Du salon où je notais les incidents de cette excursion au continent polaire, j''entendais les cris des pétrels et des albatros qui se jouaient au milieu de la tourmente. Le Nautilus ne resta pas immobile, et, prolongeant la côte, il s''avança encore d''une dizaine de milles au sud, au milieu de cette demi-clarté que laissait le soleil en rasant les bords de l''horizon.
    Le lendemain 20 mars, la neige avait cessé. Le froid était un peu plus vif. Le thermomètre marquait deux degrés au-dessous de zéro. Les brouillards se levèrent, et j''espérai que, ce jour-là, notre observation pourrait s''effectuer.
    Le capitaine Nemo n''ayant pas encore paru, le canot nous prit, Conseil et moi, et nous mit à terre. La nature du sol était la même, volcanique. Partout des traces de laves, de scories, de basaltes, sans que j''aperçusse le cratère qui les avait vomis. Ici comme là-bas, des myriades d''oiseaux animaient cette partie du continent polaire. Mais cet empire, ils le partageaient alors avec de vastes troupeaux de mammifères marins qui nous regardaient de leurs doux yeux. C''étaient des phoques d''espèces diverses, les uns étendus sur le sol, les autres couchés sur des glaçons en dérive, plusieurs sortant de la mer ou y rentrant. Ils ne se sauvaient pas à notre approche, n''ayant jamais eu affaire à l''homme, et j''en comptais là de quoi approvisionner quelques centaines de navires.
    " Ma foi, *** Conseil, il est heureux que Ned Land ne nous ait pas accompagnés!
    - Pourquoi cela, Conseil?
    - Parce que l''enragé chasseur aurait tout tué.
    - Tout, c''est beaucoup dire, mais je crois, en effet, que nous n''aurions pu empêcher notre ami le Canadien de harponner quelques-uns de ces magnifiques cétacés. Ce qui eût désobligé le capitaine Nemo, car il ne verse pas inutilement le sang des bêtes inoffensives.
    - Il a raison.
    - Certainement, Conseil. Mais, dis-moi, n''as-tu pas déjà classé ces superbes échantillons de la faune marine?
    - Monsieur sait bien, répon*** Conseil, que je ne suis pas très ferré sur la pratique. Quand monsieur m''aura appris le nom de ces animaux...
    - Ce sont des phoques et des morses.
    - Deux genres, qui appartiennent à la famille des pinnipèdes, se hâta de dire mon savant Conseil, ordre des carnassiers, groupe des unguiculés, sous-classe des monodelphiens, classe des mammifères, embranchement des vertébrés.
    - Bien, Conseil, répondis-je, mais ces deux genres, phoques et morses, se divisent en espèces, et si je ne me trompe, nous aurons ici l''occasion de les observer. Marchons. "
    Il était huit heures du matin. Quatre heures nous restaient à employer jusqu''au moment où le soleil pourrait être utilement observé. Je dirigeai nos pas vers une vaste baie qui s''échancrait dans la falaise granitique du rivage.
    Là, je puis dire qu''à perte de vue autour de nous, les terres et les glaçons étaient encombrés de mammifères marins, et je cherchais involontairement du regard le vieux Protée, le mythologique pasteur qui gardait ces immenses troupeaux de Neptune. C''étaient particulièrement des phoques. Ils formaient des groupes distincts, mâles et femelles, le père veillant sur sa famille, la mère allaitant ses petits, quelques jeunes, déjà forts, s''émancipant à quelques pas. Lorsque ces mammifères voulaient se déplacer, ils allaient par petits sauts dus à la contraction de leur corps, et ils s''aidaient assez gauchement de leur imparfaite nageoire, qui, chez le lamantin, leur congénère, forme un véritable avant-bras. Je dois dire que, dans l''eau, leur élément par excellence, ces animaux à l''épine dorsale mobile, au bassin étroit, au poil ras et serré, aux pieds palmés, nagent admirablement. Au repos et sur terre, ils prenaient des attitudes extrêmement gracieuses. Aussi, les anciens, observant leur physionomie douce, leur regard expressif que ne saurait surpasser le plus beau regard de femme, leurs yeux veloutés et limpides, leurs poses charmantes, et les poétisant à leur manière, métamorphosèrent-ils les mâles en tritons, et les femelles en sirènes.
    Je fis remarquer à Conseil le développement considérable des lobes cérébraux chez ces intelligents cétacés. Aucun mammifère, l''homme excepté, n''a la matière cérébrale plus riche. Aussi, les phoques sont-ils susceptibles de recevoir une certaine éducation; ils se domestiquent aisément, et je pense, avec certains naturalistes, que. convenablement dressés, ils pourraient rendre de grands services comme chiens de pêche.
    La plupart de ces phoques dormaient sur les rochers ou sur le sable. Parmi ces phoques proprement ***s qui n''ont point d''oreilles externes - différant en cela des otaries dont l''oreille est saillante - j''observai plusieurs variétés de sténorhynques, longs de trois mètres, blancs de poils, à têtes de bull-dogs, armés de dix dents à chaque mâchoire, quatre incisives en haut et en bas et deux grandes canines découpées en forme de fleur de lis. Entre eux se glissaient des éléphants marins, sortes de phoques à trompe courte et mobile, les géants de l''espèce, qui sur une circonférence de vingt pieds mesuraient une longueur de dix mètres. Ils ne faisaient aucun mouvement à notre approche.
    " Ce ne sont pas des animaux dangereux? me demanda Conseil.
    - Non, répondis-je, à moins qu''on ne les attaque. Lorsqu''un phoque défend son petit, sa fureur est terrible, et il n''est pas rare qu''il mette en pièces l''embarcation des pêcheurs.
    - Il est dans son droit, répliqua Conseil.
    - Je ne dis pas non. "
    Deux milles plus loin, nous étions arrêtés par le promontoire qui couvrait la baie contre les vents du sud. Il tombait d''aplomb à la mer et écumait sous le ressac. Au-delà éclataient de formidables rugissements, tels qu''un troupeau de ruminants en eût pu produire.
    " Bon, fit Conseil, un concert de taureaux?
    - Non, dis-je, un concert de morses. Ils se battent?
    - Ils se battent ou ils jouent.
    - N''en déplaise à monsieur, il faut voir cela.
    - Il faut le voir, Conseil. "
    (à suivre)
  10. JogR

    JogR Thành viên mới

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    (suite)
    Et nous voilà franchissant les roches noirâtres, au milieu d''éboulements imprévus, et sur des pierres que la glace rendait fort glissantes. Plus d''une fois, je roulai au détriment de mes reins. Conseil, plus prudent ou plus solide, ne bronchait guère, et me relevait, disant:
    " Si monsieur voulait avoir la bonté d''écarter les jambes, monsieur conserverait mieux son équilibre. "
    Arrivé à l''arête supérieure du promontoire, j''aperçus une vaste plaine blanche, couverte de morses. Ces animaux jouaient entre eux. C''étaient des hurlements de joie, non de colère.
    Les morses ressemblent aux phoques par la forme de leurs corps et par la disposition de leurs membres. Mais les canines et les incisives manquent à leur mâchoire inférieure, et quant aux canines supérieures, ce sont deux défenses longues de quatre-vingts centimètres qui en mesurent trente-trois à la circonférence de leur alvéole. Ces dents, faites d''un ivoire compact et sans stries, plus dur que celui des éléphants, et moins prompt à jaunir, sont très recherchées. Aussi les morses sont-ils en butte à une chasse inconsidérée qui les détruira bientôt jusqu''au dernier, puisque les chasseurs, massacrant indistinctement les femelles pleines et les jeunes, en détruisent chaque année plus de quatre mille.
    En passant auprès de ces curieux animaux, je pus les examiner à loisir, car ils ne se dérangeaient pas. Leur peau était épaisse et rugueuse, d''un ton fauve tirant sur le roux, leur pelage court et peu fourni. Quelques-uns avaient une longueur de quatre mètres. Plus tranquilles et moins craintifs que leurs congénères du nord, ils ne confiaient point à des sentinelles choisies le soin de surveiller les abords de leur campement.
    Après avoir examiné cette cité des morses, je songeai à revenir sur mes pas. Il était onze heures, et si le capitaine Nemo se trouvait dans des con***ions favorables pour observer, je voulais être présent à son opération. Cependant, je n''espérais pas que le soleil se montrât ce jour-là. Des nuages écrasés sur l''horizon le dérobaient à nos yeux. Il semblait que cet astre jaloux ne voulût pas révéler à des êtres humains ce point inabordable du globe.
    Cependant, je songeai à revenir vers le Nautilus. Nous suivîmes un étroit raidillon qui courait sur le sommet de la falaise. A onze heures et demie, nous étions arrivés au point du débarquement. Le canot échoué avait déposé le capitaine à terre. Je l''aperçus debout sur un bloc ce basalte. Ses instruments étaient près de lui. Son regard se fixait sur l''horizon du nord, près duquel le soleil décrivait alors sa courbe allongée.
    Je pris place auprès de lui et j''attendis sans parler. Midi arriva, et, ainsi que la veille, le soleil ne se montra pas.
    C''était une fatalité. L''observation manquait encore. Si demain elle ne s''accomplissait pas, il faudrait renoncer définitivement à relever notre situation.
    En effet, nous étions précisément au 20 mars. Demain, 21, jour de l''équinoxe, réfraction non comptée, le soleil disparaîtrait sous l''horizon pour six mois, et avec sa disparition commencerait la longue nuit polaire. Depuis l''équinoxe de septembre, il avait émergé de l''horizon septentrional, s''élevant par des spirales allongées jusqu''au 21 décembre. A cette époque, solstice d''été de ces contrées boréales, il avait commencé à redescendre, et le lendemain, il devait leur lancer ses derniers rayons.
    Je communiquai mes observations et mes craintes au capitaine Nemo.
    " Vous aviez raison, monsieur Aronnax, me ***-il, si demain, je n''obtiens la hauteur du soleil, je ne pourrai avant six mois reprendre cette opération. Mais aussi, précisément parce que les hasards de ma navigation m''ont amené, le 21 mars, dans ces mers, mon point sera facile à relever, si, à midi, le soleil se montre à nos yeux.
    - Pourquoi, capitaine?
    - Parce que, lorsque l''astre du jour décrit des spirales si allongées, il est difficile de mesurer exactement sa hauteur au-dessus de l''horizon, et les instruments sont exposés à commettre de graves erreurs.
    - Comment procéderez-vous donc?
    - Je n''emploierai que mon chronomètre, me répon*** le capitaine Nemo. Si demain, 21 mars, à midi, le disque du soleil, en tenant compte de la réfraction, est coupé exactement par l''horizon du nord, c''est que je suis au pôle sud.
    - En effet, dis-je. Pourtant, cette affirmation n''est pas mathématiquement rigoureuse, parce que l''équinoxe ne tombe pas nécessairement à midi.
    - Sans doute, monsieur, mais l''erreur ne sera pas de cent mètres, et il ne nous en faut pas davantage. A demain donc. "
    Le capitaine Nemo retourna à bord. Conseil et moi, nous restâmes jusqu''à cinq heures à arpenter la plage, observant et étudiant. Je ne récoltai aucun objet curieux, si ce n''est un oeuf de pingouin, remarquable par sa grosseur, et qu''un amateur eût payé plus de mille francs. Sa couleur isabelle, les raies et les caractères qui l''ornaient comme autant d''hiéroglyphes, en faisaient un bibelot rare. Je le remis entre les mains de Conseil, et le prudent garçon, au pied sûr, le tenant comme une précieuse porcelaine de Chine, le rapporta intact au Nautilus.
    Là je déposai cet oeuf rare sous une des vitrines du musée. Je soupai avec appétit d''un excellent morceau de foie de phoque dont le goût rappelait celui de la viande de porc. Puis je me couchai, non sans avoir invoqué, comme un Indou, les faveurs de l''astre radieux.
    Le lendemain, 21 mars, dès cinq heures du matin, je montai sur la plate-forme. J''y trouvai le capitaine Nemo.
    " Le temps se dégage un peu, me ***-il. J''ai bon espoir. Après déjeuner, nous nous rendrons à terre pour choisir un poste d''observation. "
    Ce point convenu, j''allai trouver Ned Land. J''aurais voulu l''emmener avec moi. L''obstiné Canadien refusa, et je vis bien que sa taciturnité comme sa fâcheuse humeur s''accroissaient de jour en jour. Après tout, je ne regrettai pas son entêtement dans cette circonstance. Véritablement, il y avait trop de phoques à terre, et il ne fallait pas soumettre ce pêcheur irréfléchi à cette tentation.
    Le déjeuner terminé, je me rendis à terre. Le Nautilus s''était encore élevé de quelques milles pendant la nuit. Il était au large, à une grande lieue d''une côte, que dominait un pic aigu de quatre a cinq cents mètres. Le canot portait avec moi le capitaine Nemo, deux hommes de l''équipage, et les instruments, c''est-à-dire un chronomètre, une lunette et un baromètre.
    Pendant notre traversée, je vis de nombreuses baleines qui appartenaient aux trois espèces particulières aux mers australes, la baleine franche ou " right-whale " des Anglais, qui n''a pas de nageoire dorsale, le hump-back, baleinoptère à ventre plissé, aux vastes nageoires blanchâtres, qui malgré son nom, ne forment pourtant pas des ailes, et le fin-back, brun-jaunâtre, le plus vif des cétacés. Ce puissant animal se fait entendre de loin, lorsqu''il projette à une grande hauteur ses colonnes d''air et de vapeur, qui ressemblent à des tourbillons de fumée. Ces différents mammifères s''ébattaient par troupes dans les eaux tranquilles, et je vis bien que ce bassin du pôle antarctique servait maintenant de refuge aux cétacés trop vivement traqués par les chasseurs.
    Je remarquai également de longs cordons blanchâtres de salpes, sortes de mollusques agrégés, et des méduses de grande taille qui se balançaient entre le remous des lames.
    A neuf heures, nous accostions la terre. Le ciel s''éclaircissait. Les nuages fuyaient dans le sud. Les brumes abandonnaient la surface froide des eaux. Le capitaine Nemo se dirigea vers le pic dont il voulait sans doute faire son observatoire. Ce fut une ascension pénible sur des laves aiguës et des pierres ponces, au milieu d''une atmosphère souvent saturée par les émanations sulfureuses des fumerolles. Le capitaine, pour un homme déshabitué de fouler la terre, gravissait les pentes les plus raides avec une souplesse, une agilité que je ne pouvais égaler, et qu''eût enviée un chasseur d''isards.
    Il nous fallut deux heures pour atteindre le sommet de ce pic moitié porphyre, moitié basalte. De là, nos regards embrassaient une vaste mer qui, vers le nord traçait nettement sa ligne terminale sur le fond du ciel. A nos pieds, des champs éblouissants de blancheur. Sur notre tête, un pâle azur, dégagé de brumes. Au nord, le disque du soleil comme une boule de feu déjà écornée par le tranchant de l''horizon. Du sein des eaux s''élevaient en gerbes magnifiques des jets liquides par centaines. Au loin, le Nautilus, comme un cétacé endormi. Derrière nous, vers le sud et l''est, une terre immense, un amoncellement chaotique de rochers et de glaces dont on n''apercevait pas la limite.
    Le capitaine Nemo, en arrivant au sommet du pic, releva soigneusement sa hauteur au moyen du baromètre, car il devait en tenir compte dans son observation.
    A midi moins le quart, le soleil, vu alors par réfraction seulement, se montra comme un disque d''or et dispersa ses derniers rayons sur ce continent abandonné, à ces mers que l''homme n''a jamais sillonnées encore.
    Le capitaine Nemo, muni d''une lunette à réticules, qui, au moyen d''un miroir, corrigeait la réfraction, observa l''astre qui s''enfonçait peu à peu au-dessous de l''horizon en suivant une diagonale très allongée. Je tenais le chronomètre. Mon coeur battait fort. Si la disparition du demi-disque du soleil coïncidait avec le midi du chronomètre, nous étions au pôle même.
    " Midi! m''écriai-je.
    - Le pôle sud! " répon*** le capitaine Nemo d''une voix grave, en me donnant la lunette qui montrait l''astre du jour précisément coupé en deux portions égales par l''horizon.
    Je regardai les derniers rayons couronner le pic et les ombres monter peu à peu sur ses rampes.
    En ce moment, le capitaine Nemo, appuyant sa main sur mon épaule, me ***:
    " Monsieur, en 1600, le Hollandais Ghéritk, entraîné par les courants et les tempêtes, atteignit 64° de latitude sud et découvrit les New-Shetland. En 1773, le 17 janvier, l''illustre Cook, suivant le trente-huitième méridien, arriva par 67°30'' de latitude. et en 1774, le 30 janvier, sur le cent-neuvième méridien, il atteignit 71°15'' de latitude. En 1819, le Russe Bellinghausen se trouva sur le soixante-neuvième parallèle, et en 1821, sur le soixante-sixième par 111° de longitude ouest. En 1820, l''Anglais Brunsfield fut arrêté sur le soixante-cinquième degré. La même année, l''Américain Morrel, dont les récits sont douteux, remontant sur le quarante-deuxième méridien, découvrait la mer libre par 70°14'' de latitude. En 1825, l''Anglais Powell ne pouvait dépasser le soixante-deuxième degré. La même année, un simple pêcheur de phoques, l''Anglais Weddel s''élevait jusqu''à 72°14'' de latitude sur le trente-cinquième méridien, et jusqu''à 74°15'' sur le trente-sixième. En 1829, l''Anglais Forster, commandant le Chanficleer, prenait possession du continent antarctique par 63°26'' de latitude et 66°26'' de longitude. En 1831, l''Anglais Biscoë, le ler février, découvrait la terre d''Enderby par 68°50'' de latitude, en 1832, le 5 février, la terre d''Adélaïde par 67° de latitude. et le 21 février, la terre de Graham par 64°45'' de latitude. En 1838, le Français Dumont d''Urville, arrêté devant la banquise par 62°57'' de latitude, relevait la terre Louis-Philippe; deux ans plus tard, dans une nouvelle pointe au sud, il nommait par 66°30'', le 21 janvier, la terre Adélie, et huit jours après, par 64°40'', la côte Clarie. En 1838, l''Anglais Wilkes s''avançait jusqu''au soixante-neuvième parallèle sur le centième méridien. En 1839, l''Anglais Balleny découvrait la terre Sabrina, sur la limite du cercle polaire. Enfin, en 1842, l''Anglais James Ross, montant l''Érébus et le Terror, le 12 janvier, par 76°56'' de latitude et 171°7'' de longitude est, trouvait la terre Victoria; le 23 du même mois, il relevait le soixante-quatorzième parallèle, le plus haut point atteint jusqu''alors; le 27, il était par 76°8'', le 28, par 77°32'', le 2 février, par 78°4'', et en 1842, il revenait au soixante-onzième degré qu''il ne put dépasser. Eh bien, moi, capitaine Nemo, ce 21 mars 1868, j''ai atteint le pôle sud sur le quatre-vingt-dixième degré, et je prends possession de cette partie du globe égale au sixième des continents reconnus.
    - Au nom de qui, capitaine?
    - Au mien, monsieur! "
    Et ce disant, le capitaine Nemo déploya un pavillon noir, portant un N d''or écartelé sur son étamine. Puis, se retournant vers l''astre du jour dont les derniers rayons léchaient l''horizon de la mer:
    " Adieu, soleil! s''écria-t-il. Disparais, astre radieux! Couche-toi sous cette mer libre. et laisse une nuit de six mois étendre ses ombres sur mon nouveau domaine! "
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    Fin du chapitre XXXVIII

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